Public choice en pratique

Roland Blum, député des Bouches du Rhône (et premier adjoint à la ville de Marseille), s’est mis en tête de faire passer une loi interdisant les “recours abusifs” contre les permis de construire, un sacré fléau selon lui.

Il donne un gros chiffre : 1/3 des permis de construire attaqués à Marseille (chiffre que je ne conteste pas, au demeurant). C’est que c’est du soucis pour les entrepreneurs du BTP ces méchants recours, vous comprenez… Et puis, ce sont des emplois perdus, des familles à la rue et des chômeurs partout. Un désastre pour la croissance. Une infamie pour le dynamisme économique. Et, figurez-vous, comme 20 minutes le cite : “Les requérants utilisent le chantage. Ils déposent un recours et envisagent de le retirer si on leur donne un parking, un appartement pour le petit…”. Quelle bande de rats ces procéduriers intéressés, n’est-ce pas ?

C’est dans ces moments là qu’on est heureux de constater que des élus de la République protègent l’intérêt général, agissant en despostes bienveillants, désintéressés et prompts à servir leurs concitoyens (en un seul mot, évidemment). Quel drame ce serait si Roland Blum revenait à la vie civile. Lui, si utile pour le bien public à l’assemblée nationale et à la mairie.

Que ferait-il de ses journées ? Eh bien, il serait avocat. Ah, mais c’est utile un avocat. Moi-même, j’en connais de très respectables, dont je me demande pourquoi ils n’arrêtent pas leurs activités pour servir l’intérêt supérieur de la nation. Défendrait-il des étrangers sans papier (ou avec, mais sans, c’est compliqué) ? Hum… pas nécessaire, d’autres sus-liés le font déjà. Non, il serait à la tête d’un cabinet d’avocat spécialisé dans le droit de la construction (cours Pierre Puget, à Marseille).

Si après ça, on conteste à James Buchanan son prix Nobel d’économie, c’est qu’on ne vit pas en France. Mais qu’a donc fait ce brave homme pour mériter la plus haute distinction de la science économique ? Des tas de choses, mais une d’une simplicité enfantine. Il a dit un truc du style “quand un homme politique dit servir ses électeurs, en fait il utilise l’Etat pour son intérêt personnel”. Un peu plus d’informations ici.

La morale de cette histoire dépasse l’argumentaire du Public Choice. Car, en effet, il y a cette autre phrase importante de la science économique : incentives matter, les incitations comptent. Si Blum met facilement en avant les cas de manipulations crapuleuses, il oublie tous les citoyens honnêtes qui subissent les méthodes attilesques des entreprises de BTP qui, pour faire court, travaillent comme des porcs sans considération pour les riverains et autres piétons (surtout à Marseille). En d’autres termes, ce qui pousse les gens à attaquer les permis de construire de grands groupes du BTP, c’est la peur d’être maltraités. Il se trouve qu’à Marseille, depuis plus de dix ans, les chantiers de construction se multiplient (publics ou privés), de même que les témoignages de pratiques douteuses des entreprises de BTP (non respect des horaires de travail, aménagements foireux dangereux pour les piétons et autres nuisances allant jusqu’à l’usage très leste de la fourrière quand ces incompétents sont en retard pour la pose des panneaux d’interdiction de stationnement). Supprimez le droit et les incitations subsisteront, mais les moyens changeront. Un recours légal vaut mieux que la violence, monsieur le député. Mais ça, vous vous en moquez, c’est évident. Vous n’avez pas dû mettre les pieds sur un chantier depuis longtemps (sauf peut-être celui de votre baraque). En revanche, vos clients revoteront trois fois pour vous : au cabinet, au financement de campagne et même dans les urnes, tiens.

Oui, l’économie peut vous permettre de mieux comprendre votre vie (oui, je sais que ce qui est développé ici ne demande pas bac + 5 en économie. Mais c’est une base pour dessiner des institutions plus performantes).

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14 Commentaires

  1. Ah ben ca fait plaisir un nouveau post d’éconoclate! 🙂

    Toujours le meme style, ca commencait a serieusement me manquer!

    Interessant en plus!

  2. Peut-on alors en conclure que les formes des institutions comptent dans la capacité d’un modèle de société à fonctionner ?

    La question est d’importance, car, à titre individuel, les citoyens ne modèlent pas leurs institutions : ce sont des politiciens professionnels qui les modèlent pour eux.

  3. Le texte complet de la proposition de loi est ici : http://www.assemblee-nationale.f... On soulignera la rigueur de l’exposé des motifs : "Il est parfois très compliqué d’initier des projets publics ou privés, répondant pourtant aux besoins de la collectivité des citoyens, sans que des riverains ne se groupent afin d’en obtenir par tous moyens l’annulation". Très compliqué, on vous dit, parfois.

    Sinon, je ne connais pas les chiffres concernant le nombre de permis de construire déposés, le nombre de recours déposés, le nombre de jugement annulant les permis.

    Concernant les motivations de M. Blum, on peut être en désaccord avec vous. En l’occurrence, pour un avocat spécialisé – je n’ai pas vérifié – dans le droit de la construction, n’est-il pas agréable de voir des "frais de procédure inutiles", pour reprendre les termes de l’exposé des motifs ? La nécessité d’une consignation est en effet de nature à dissuader les justiciables de déposer des recours, qu’ils soient fondés ou non, ce qui est un véritable attentat aux intérêts de notre profession 🙂 (oui, moi aussi je suis avocat).

    Plus que son intérêt personnel, l’honorable parlementaire défendrait, me semble-t-il ceux de la ville de Marseille qui semble avoir du mal à supporter que ses projets, par essence conformes aux "besoins de la collectivité des citoyens" soient entravés (en ce sens : http://www.fne.asso.fr/fr/acces-... ), ou, plus généralement, ceux de ses clients constructeurs ou promoteurs.

    L’intéressé ayant des fonctions éminentes au sein de la commune de Marseille, le premier "conflit d’intérêts" pourrait être réglé simplement en interdisant le cumul des mandats.

    Pour le second, je n’ai pas d’idées.

    (NB : je n’ai pas l’impression que ma première tentative pour laisser ce commentaire a réussi. Si je me trompe, vous pouvez bien sûr éliminer cette redite.

  4. Au nom de Stéphane d’éconoclaste, je tiens à m’excuser pour les vilaines insinuations que j’ai proféré à l’encontre de Mr Blum, du monde politique marseillais et de l’industrie du BTP en général, qui certes ne travaille pas aussi vite bien qu’en Chine, mais qui fait des efforts quand même.

  5. Houlàlà ! Ce blog donne dangereusement dans l’ultralibéralisme ! Si on commence à admettre que des citoyens contestent l’intérêt général tel que défini par la municipalité de Marseille, où allons nous ?

  6. Comme MB je ne suis pas sur de saisir le principe.

    Si cette loi réduit effectivement les recours, il diminue son business. Cela lui fera une belle jambe de faire plaisir à ses clients s’ils n’ont plus de raison de faire appel à ses services à l’avenir.

    Ou alors il considère que cette loi pourrie compliquera assez les procédures pour augmenter ses affaires.

    Ou enfin il joue contre son camp en échange d’une contrepartie qu’on n’ose imaginer.

  7. @skav

    C’est que ce monsieur spécialisé dans le droit de la construction se moque des petits requérants qui font un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire.

    Il fait sans doute du conseil pour les grosses boîtes de BTP et cela lui rapporte sans doute plus d’argent que les procès. Cela ne va pas dire qu’il est corrompu, simplement que ses intérêts sont liés à ceux de ses clients.

  8. @ Skav et ZI : mon confrère est 1er adjoint au maire de Marseille chargé de l’"Expansion économique et Développement du Port – Technopôles" et député. Je pense qu’il fait aujourd’hui passer sa carrière et ses intérêts politiques avant sa carrière et ses intérêts professionnels. Dans l’article de 20 minutes cité par stéphane, on voit bien qu’il est surtout horripilé par les retards subis pas "des programmes de construction d’immeubles et dix sur des grands projets, comme le Mucem ou le centre commercial les Terrasses du port", ses bébés, sans doute.

    (Donc, en résumé, je ne suis pas très d’accord avec authueil.)

  9. Personnellement je suis chargé d’opérations chez un bailleur sociale et je peux dire que nous essuyons régulièrement (on est pas à Marseille non plus) des recours que l’on qualifier d’abusifs.

    Dans ce cas 2 solutions :

    1) On construit l’abri de jardin de Monsieur et on en parle plus.

    2) on va au procès, on gagne et on a perdu au mieux 6 mois et x milliers d’euros en procédure.

    Une solution ?

    Je sais bien que les recours abusifs ne sont pas marqués du signe de la bête et que par conséquent cela pourrait être liberticide de réglementer les recours, mais le chantage à la procédure n’est pas une solution non plus.

  10. Existe-t-il un rapport avec un célèbre présentateur de TV, par ailleurs propriétaire dans les Alpilles accusé de ne pas avoir respecté le POS ?
    En tout cas la coïncidence est trop belle pour ne pas être relevée !

  11. Et en plus, le juge administratif lui-même encourage les recours. En effet, en matière de référé, où le requérant doit en principe établir que la condition d’urgence nécessaire est réunie, est présumée lorsqu’il est demandé de suspendre un permis de construire 🙂

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