La thèse audacieuse du jour

On la doit à Paul Jorion :

“Keynes ne fut jamais rien d’autre que Marx édulcoré, traduit dans le dialecte propre à la « science » économique pour rendre ses thèses acceptables par le milieu de la finance.”

Ajouté à ceci :

“Le salut viendra d’une autre science économique, dont aura été éjecté l’homo oeconomicus, une caricature de l’être humain sous la forme du sociopathe.”

Et à cela :

“Les règlements de compte qui ont lieu en ce moment entre économistes ne me concernent pas: je n’appartiens pas à leur profession”

On obtient un ensemble assez troublant.

Le leitmotiv de l’homo economicus est dépassé. C’est bel et bien une figure qui perdurera longtemps. Dans trois contextes essentiellement. Quand elle est commode dans un modèle pour extraire certains mécanismes qui ne nécessitent pas une grande sophistication comportementale. Quand de purs homo economicus parviennent néanmoins, par leurs interactions, à foutre un sacré bazar (en d’autres termes, lorsque le modèle n’aboutit pas au meilleur des mondes). Dans ce deuxième cas, on voit mal pourquoi aller chercher plus loin. Enfin, dans le cadre de l’économie normative, où essayer de se comporter en homo economicus, même si on ne l’est pas naturellement, est peut-être une bonne idée.
Mais, surtout, il n’est pas inutile de rappeler que l’économie comportementale a des prix Nobel (Smith, Kahneman) et fait maintenant solidement partie de la maison science économique. Et pour Keynes en Marx édulcoré, bah… que dire ? Peut-être relire ceci ?

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13 Commentaires

  1. Keynes = Marx bis ??? Et ma sœur, c’est le pape?

    C’est une formule choc, soutenue par aucun argument, mais néanmoins présentée comme une "platitude". Marx doit se retourner dans sa tombe 😉

    Réponse de Stéphane Ménia
    Oui, c’est ce caractère présenté comme évident de l’argument qui laisse pantois. Mais peut-être que Jorion prépare un texte ou en a déjà parlé ?

  2. S’il lit votre blog, j’espère que Paul Jorion nous dira quels points communs il voit entre les deux – ou si cette formule est sortie sans trop y penser.

    La comparaison qui me vient à l’esprit, ce serait peut-être le côté prophète millénariste des deux. A part ça je ne vois pas.

  3. J’aime bien aussi sa définition du capital : "’argent qui manque là où il est nécessaire pour produire et pour consommer" .

    Mais comme amuseur public, je préfère quand même Elie Semoun ou Florence Foresti…

  4. Mouai mouai mouai… Effectivement, Jorion ferait bien de se tenir un peu au courant des dernières évolutions de la science économique. Là où il marque peut être néanmoins un point (mais je ne suis pas sûr qu’il s’en rende compte), c’est que l’individu rationnel et représentatif standard a encore une place de choix dans les modèles macro de type DSGE, du moins il me semble. Le reste de son propos n’a pas trop d’intérêt puisqu’il n’argumente pas.

  5. Voici une autre citation de Paul Jorion sur le même thème :

    "On entend dire aujourd’hui, au spectacle de la déroute intégrale de la science économique dominante, celle que l’on appelle aussi « l’Ecole de Chicago », que sa déconfiture signifie la victoire de ses ennemis traditionnels, le marxisme et le keynésianisme. Il s’agirait bien entendu au mieux pour les chefs de ces écoles d’une victoire posthume, car ils nous ont quittés il y a longtemps. Rappelons aussi que leurs théories ne furent pas ignorées sans autre forme de procès : elles furent testées sur le terrain – même si ce ne fut sans doute pas sous la forme exacte qu’ils avaient imaginée – et subirent la même sanction que celle infligée aujourd’hui à l’Ecole de Chicago.

    Il serait donc bon que les économistes fassent preuve de l’humilité qu’affiche M. Paulson : eux non plus n’ont pas envisagé l’ampleur du mal en gestation, eux non plus n’étaient pas prêts, et ceci vaut aussi bien pour l’opposition marxiste ou keynésienne que pour les tenants de l’école monétariste dominante."

    (Le Monde du 6 janvier 2009 – Une leçon pour la science économique)

    L’école autrichienne échappant à sa critique, j’en conclus que Jorion est devenu autrichien 🙂

  6. Je trouve quand même que la sc éco récupère à bon compte les travaux de chercheurs qui au départ sont quand même des psychologues (K et T).
    Et pour tout dire, ça m’énerve toujours un peu, quand qqun se fait rembarrer sur le sujet de l’homo économicus avec des arguments basés majoritairement sur des considérations de méthodologie, qui contribuent de mon point de vue à désincarner la sc éco.
    Enseigner une discipline à des étudiants en commençant notamment par l’homo économicus, j’ose à peine faire des analogies avec d’autres sciences. C’est sûr qu’une fois qu’ils ont souscrit à cette hypothèse, plus rien ne peut les effrayer.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Je ne comprends pas votre argument.

  7. L’homo economicus est une hypothèse forte d’un courant théorique majeur en sc éco. Je n’ai pas à ma connaissance d’autres exemples de sciences qui ait formulé une hypothèse de travail dont on sait depuis 1/2 siècle (Allais par ex) qu’elle est irréaliste. C’est ça qui me paraît étrange, au départ, et le fait de continuer à utiliser cette hypothèse alors qu’on l’a remise en cause au moins 1000 fois ; c’est … j’ai pas de mots.

    Réponse de Stéphane Ménia
    OK, là je vous comprends. C’est la question du réductionnisme.

  8. Effectivement, l’article de Jorion n’est pas "terrible" (euphémisme). C’est dommage. Car l’idée de penser des rapports entre Marx et Keynes n’est pas en soi absurde. On peut par exemple "passer" par Kalecki qui "venant" de Marx, a retrouvé avant Keynes les résultats qui rendirent ce dernier célèbre, et à Cambridge, cette convergence fut l’objet de nombreux étonnements (J. Robinson notamment).
    De même (mais ça c’est pour se faire quelques amis chez les "autrichiens", et qu’on est dimanche matin, jour de messe), qu’il n’est pas idiot de penser des parallèles entre Marx et Hayek (Aïe! Ouille!). Certains en ont rêvé. Luc Ferry, entre autres, l’a fait (re-Aïe! re-Ouille).

    Réponse de Stéphane Ménia
    Oui, penser ce genre de rapports n’a rien de scandaleux. Les rapports entre les deux ont été pensés et repensés. Et résumer les réflexions sur le sujet par un laconique “Keynes, c’est un Marx édulcoré”, ça ressemble à une brève de comptoir.

  9. Y’a aussi les "circuitistes" qui mélangent du Keynes avec du Marx. « la brusque chute de l’efficacité marginale du capital » (Keynes) s’explique par l’obsolescence prématurée du capital provoquée par une accélération du progrès technique, lui-même provoquée par la "concurrence capitaliste" (Marx).

  10. Plutôt un aphorisme qu’une brève de comptoir. C’est fort, c’est court, c’est chic. Mais c’est un peu creux – comme l’immense majorité des aphorismes.

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