Hier, Édouard Philippe s’est prononcé favorablement pour une dégressivité appliquée à “certains cas”. De quoi parle-t-on ? Sur quelle base ?
Si vous lisez régulièrement ce blog, rien de neuf à vous apprendre, juste un rappel. Quand on a étudié le profil de sortie du chômage des chômeurs après la mise en place de la dégressivité dans les années 1990, on a constaté qu’il n’y avait pas d’effet notoire pour la majorité des chômeurs, excepté les hauts salaires, qui mettaient moins de temps à retrouver un emploi après la mise en place de la dégressivité. C’était documenté dans un article de référence de 2001 de Brigitte Dormont, Denis Fougère et Ana Prieto. Tout est dans ce graphique :
À l’époque, la dégressivité se manifestait au 14ème mois de chômage. Or, on constate que le taux de retour à l’emploi des plus hauts salaires enregistrait un pic très significatif à ce moment-là, contrairement à celui des autres catégories de salariés, bien plus modestement influencé par la mesure. De ce point de vue, la position d’Édouard Philippe tient clairement la route.
Néanmoins, comme je l’avais déjà évoqué, les hauts salaires sont moins souvent au chômage que les autres et rapportent bien plus de cotisations que ce qu’ils ne coûtent en allocations à l’assurance chômage. Ce qui pose deux questions : est-il juste de leur accorder un “traitement de défaveur” ? N’est-il pas politiquement risqué de les traiter de la sorte ?
La première question reste pleinement ouverte, à mon sens. On peut se dire que les changements de la fiscalité du gouvernement ont jusqu’ici plutôt favorisé les hauts revenus (ce qui est différent des hauts salaires, mais s’y assimile asymptotiquement). On peut aussi avancer que dans la configuration actuelle du système d’assurance chômage, une contribution implique des prestations à la mesure de la première.
La seconde, la plus importante pour l’équilibre du système, implique une réflexion sur les risques de réduction de la contribution des hauts salaires, via une forme de lobbying qui aboutirait à modifier les conditions de cotisations, puisque les prestations seraient revues à la baisse. En d’autres termes, si durcir les conditions d’indemnisation des hauts salaires conduit à réduire fortement les recettes de l’assurance chômage, il n’est pas sûr que ce soit une voie à suivre.
Pour autant, des chiffres d’économie importants ont circulé dans les années 2000, comme le rappelait Olivier Bouba-Olga en 2013, suite à mon billet : une économie potentielle de 2,75 milliards d’euros, à l’époque. Pas une bricole. Ce qui conduit à relativiser l’argument avancé ci-dessus et abonder dans le sens du premier ministre.
Le gouvernement s’inspire donc visiblement des travaux de référence sur le sujet (la cour des comptes avait également publié un rapport évoquant cette question en 2013 ; rapport que j’avais critiqué, en me ravisant un peu après le billet d’Olivier). La position qui en ressort me semble équilibrée. Une ou deux interrogations persistent, cependant. Lorsqu’il explique son point de vue, le premier Ministre dit (sic) :
“Pour ceux qui ont (…) une très forte employabilité, pour ceux qui ont des salaires qui sont très élevés, créer (…) une forme de dégressivité de l’assurance chômage peut avoir du sens”.
Quel sens donner à la virgule ? Si les deux catégories citées n’en forment qu’une aux yeux d’Édouard Philippe, l’essentiel des problèmes (pas tous, j’y reviens) sont réglés. Si, en revanche, il distingue les deux (ce que son intervention ne permet pas de trancher, en l’état), cela signifie qu’on pourra avoir des salariés à très forte employabilité avec des salaires moyennement ou peu élevés. On peut se demander alors selon quel critère on jugera de leur “employabilité”.
Dans l’éventualité où il veut bien dire qu’il confond les deux catégories (ce qui est sensé, a priori, en moyenne), il faudra pourtant analyser plus finement le profil des hauts salaires qui se retrouvent au chômage. Par exemple, comment traiter les cadres à partir d’un certain âge ? Licencié d’un emploi à haut salaire à 55 ans, on n’a pas la même employabilité qu’à 35 ans sur le marché du travail français. La dégressivité est-elle alors justifiée ? Ne pas prendre en compte l’hétérogénéité des profils d’employabilité des hauts salaires au chômage ne va pas de soi.
En conclusion, cette annonce, qui montre que le gouvernement a renoncé à la forme inefficace (car généralisée) de dégressivité est défendable, à condition de se pencher sur certains détails. Parmi ceux-ci, citons pour finir la question de la situation conjoncturelle, qui ne doit pas être laissée de côté, l’employabilité de tout le monde étant en quelque sorte dégradée en période de ralentissement de l’activité. Par chance, sur cet aspect, une réponse efficace est plus facile à apporter, si on le souhaite.
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