Brèves de comptables

Lundi 19 octobre, C dans l’air était consacré à la bonne santé des banques (La banque perd et gagne). Marc Touati, invité. Fragments rapportés infidèlement, mais significativement.

Marc Touati (après une défense des banques et de ses clients, as usual), à propos de l’endettement : Non, mais en fait, il faut toujours revenir à la question à quoi servent les dépenses publiques qui sont derrière. Si c’est encore pour les dépenses de fonctionnement, comme les salaires, c’est mal.
Yves Calvi : Attendez, c’est quoi les dépenses de fonctionnement ? Les salaires des infirmières, des choses comme ça, c’est du fonctionnement et c’est pas utile ?
Moi (hors antenne) : Bien jouééééé Calvi !
Touati : Oui, non, mais, bon
Calvi : ben, oui, quand même.
Touati : Non, mais écoutez, le problème, il est pas là. En fait, blablabla…
Moi (toujours hors antenne) : Ah, tiens, il a changé de sujet. Tu m’étonnes… Mais bon, ça s’est vu, mec. Moi aussi, je veux enseigner à Sciences Po. Y a pas de raisons. Allez, un autre Jojo.

Morale de l’histoire : avant de parler de salaires (ou d’autres “consommations” publiques) comme des dépenses de fonctionnement, on réfléchit. Pour ceux qui n’ont pas lu notre bouquin (ou pas lu ou entendu ceux qui en ont causé avant nous), rappelons un fait très simple : la distinction entre dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissement est très glissante. Exemple. Un système de santé a besoin de dépenses de recherche médicale fondamentale. Tout le monde pense, à juste titre, que l’achat d’appareils sophistiqués, de locaux capables de les accueillir est important. A quoi servent ses dépenses ? D’un point de vue de la prospérité, en faisant court, à produire du capital humain, des vaccins pour empêcher la mort ou maladie de travailleurs. Que trouve-t-on dans ces appareils ? De la connaissance, produite par le capital humain. Bref, des idées concrétisées dans une technologie. Avec quoi produit-on des idées ? Avec du capital humain. A quoi servent les salaires des infirmières ? A produire du capital humain. A quoi sert le salaire des enseignants et des chercheurs ? A produire du capital humain. Allons un peu plus loin : à quoi sert le salaire des personnels de maintenance des appareils ? A faire fonctionner les appareils. Et ils servent à quoi déjà les appareils ? Et les femmes de ménage ? Et le standardiste ? Bref, l’investissement s’incarne dans une fonction de production dans laquelle on trouve du capital, du travail, du capital humain, dans des proportions qui sont plus ou moins substituables. Payer les chercheurs comme les femmes de ménage est probablement une conception de l’investissement douteuse. Mais où placer le curseur pour dire “ça, c’est à fonds perdus et ça, c’est rentable” ? Touati ne le sait pas. Moi, non plus. La différence entre nous deux (l’une des différences), c’est que je considère que la distinction fonctionnement/investissement est foireuse. La seule question est de savoir quelle part des dépenses doit porter sur tel ou tel poste pour que le système public, quelle que soit la mission confiée, fonctionne correctement. Tout salaire public n’est pas bon, en soi. Mais il y a des salaires plus productifs en termes de croissance que des infrastructures en dur. Même payer des chercheurs à creuser des trous et à les reboucher peut avoir un effet investissement (oui, j’exagère, volontairement. Mais si on a rien à leur faire faire pendant un moment, que ça les occupe à autre chose qu’à se droguer ou attaquer les petites vieilles pour leur tirer leur sac, c’est bien. Après avoir rebouché le trou, on pourra les remettre au boulot, plutôt que de les perdre totalement. Belle fable, mais l’idée est là). Un excellent modèle (simple et élégant) pour comprendre l’enjeu réel des dépenses publiques d’investissement est celui de Barro. Pas franchement du Touati.

Autre grand moment : tout le monde évalue ce que l’Etat a gagné par le concours aux banques. 700 millions d’euros d’intérêt. Beaucoup, pas beaucoup, paraît-il. Mais bon, il a gagné de l’argent quand même, c’est déjà ça. Problème : tout le monde raconte depuis près de 30 ou 40 minutes que si la crise est là, c’est à cause des banques. Sauf Touati. Ça l’embête de défendre les banques, mais quand même les autres exagèrent (et une occasion pareille de balancer un message à ses clients, c’est du bonheur. Ah, non, sinon, y a Natixis qui a été méchante, mais il est parti avant…). Dans ma tête, je fais donc un calcul simple : si ce sont les banques qui sont responsables de la crise, alors les recettes fiscales perdues du fait de la récession sont imputables aux banques. Moins de 700 millions ? Je n’ai pas les chiffres sous la main. Mais avec une perte de X% de PIB sur la totalité de la récession , avec un taux de prélèvements de 45%, ça fait combien de recettes fiscales et sociales perdues ? Le PIB de la France est aux alentours de 2 000 milliards d’euros (en 2008). Donc, la perte de croissance est de l’ordre de 2 000 x X%. Et la perte de recettes de 2 000 x 0,45 x X%. Facile de savoir si on perd ou on gagne : si 2000 x 0,45 x X% > 0,7, alors on perd (0,7 sont les 700 millions d’euros d’intérêt récupérés). Bref, si X > 0,7% à peu près, on perd. Perdu. Je vais me coucher. Non sans vous avoir livré ces paroles de Myron Scholes. Un petit Aspegic avant d’aller dormir. Non, pas parce que j’ai bu…

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13 Commentaires

  1. Le taux d’intérêt que l’état a payé pour pouvoir prêter de l’argent aux Banques, c’est combien?

  2. Marc Touati est le champion des retournement de veste, pour lui les bonnes subventions sont celles qui viennent combler les pertes de SON secteur d’activité. Sa doctrine c’est l’opportunisme.

    "Yves Calvi : Attendez, c’est quoi les dépenses de fonctionnement ? Les salaires des infirmières, des choses comme ça, c’est du fonctionnement et c’est pas utile ?"

    Le gros sophisme ! Pitié !

    N’importe quel public choice (ou "vulgarisateur de" type Madsen Pirie) donnera des éléments de réponses sur les coûts de l’ORGANISATION de là fonction publique…
    Je suppose que lire Williamson pourrait apporter quelques réponses supplémentaires…

    "Moi aussi, je veux enseigner à Sciences Po. Y a pas de raisons. Allez, un autre Jojo."

    Hop,Hop,Hop ! tu t’appels pas Jean Sarkozy !!

  3. @Pierre:"Le taux d’intérêt que l’état a payé pour pouvoir prêter de l’argent aux Banques, c’est combien?"
    Cette subvention là c’est négligeable. La vraie subvention, c’est le prêt à 1% de la FED.
    3-4 points au dessous des taux commerciaux des banques, ça c’est bonus !

  4. Encore heureux que les dépenses publiques servent à quelque chose (enfin, une partie…) ! Et d’accord pour dire que la distinction investissement/fonctionnement n’est pas si évidente que ça.
    La question n’est pas là. La vraie question, c’est : l’argent soutiré aux citoyens par l’impôt et/ou l’emprunt est-il mieux ou moins bien utilisé que s’il restait dans leurs mains ? Et d’ailleurs, qui décide du mieux et du moins bien ? Si on me répond "les citoyens, bien sûr", ça répond largement à la première question.

  5. Sur la distinction dépenses de fonctionnement/investissements : certains chercheurs (Timbaud, à l’OFCE, avec Melonio) proposent de comptabiliser une partie du budget de l’education nationale différemment de ce qui se fait aujourd’hui, où tout passe en fonctionnement. La raisonnement est simple : c’est de l’investissement en capital immatériel, qui s’apparente à une dépense amortissable puisque ses effets se font sentir sur plus d’un exercice… Il reste des choses à affiner, et pour l’instant il ne s’agit que de hors bilan, mais l’idée est là.

  6. Qu’il s’agisse du budget de l’Éducation Nationale, du bilan des banques ou de tout autre chose, la manière de le comptabiliser ne change rien à la réalité sous-jacente. La comptabilité, c’est un ensemble de conventions et rien d’autre. Vouloir résoudre un problème économique en modifiant les règles comptables, c’est comme vouloir soigner les gens en réécrivant le dictionnaire médical.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Mouai, alors celle-là, elle est assez drôle, tout de même. Demandez aux flics si la façon de comptabiliser les délits ou contraventions n’a pas d’influence sur leur boulot. Et puis, allez voir du côté des normes IFRS pour savoir si elles sont sans impact sur les comportements (en bien ou en mal, là n’est pas la question d’ailleurs). Bref, pas aussi évident que ce que vous le dites.

  7. "Dans ma tête, je fais donc un calcul simple : si ce sont les banques qui sont responsables de la crise,…"
    Mais ta tete a-t-elle bien reflechi a cet argument? La politique de taux de la Fed,la volonte de 2 administration US d’encourager le home-owning generalise, les pressions d’organisations gauchistes (ACORN & co) dans ce sens, etc. n’ont-elles pas joue un role?…
    Bof, non il est sans doute plus simple de tout mettre sur le dos des banques, comme ca on pourra ressortir les vieux posters sur la pieuvre capitaliste du debut XXeme…

    Réponse de Stéphane Ménia
    Je dis que ce sont les invités qui font cette hypothèse quasi explicitement pendant 30 minutes et ensuite parlent de gains. Donc ma tête n’a rien à voir dans l’histoire. Elle fait juste un test de cohérence. Et la vôtre, elle est comment quand elle lit un blog ?

  8. @stéphane
    décidément, Stéphane, vous me lisez bien rapidement (ou vous m’en voulez ?)
    J’avais bien pris soin de préciser "la réalité SOUS-JACENTE", autrement dit (dans mon esprit) antérieure à l’opération de comptabilisation. Mais je vous accorde que la façon de représenter un fait a une influence sur la façon dont on réagit ensuite à ce fait (la fameuse "performativité").
    Ce que je voulais dire (j’aurais peut-être dû commencer par là, non ?) c’est que la comptabilité doit servir à mettre en évidence les problèmes réels, pas à les masquer, ce à quoi elle est amha trop souvent utilisée. Les arguties sur le budget de l’EN que rapporte Patrick me semblent être un bon exemple.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Sous-jacent, c’est pas vraiment ça. A part ça, d’accord après votre complément.

  9. sous-jacent : "qui est en-dessous", "qui est caché derrière certaines apparences" (Trésor de la langue française).
    Mais ne chicanons pas, puisque nous sommes d’accord sur le fond.

  10. Désolé mon cher Stéphane,
    mais la solution de l’équation c’est "si X > 0,077% on perd" (0,08 % si vous préférez ou même 0,1 % en arrondissant)… Et non pas "X > 0,7% comme vous l’écrivez (avant prise d’Aspégic il est vrai …). ça ne change rien au final mais quand même, ça marque mal pour un billet intitulé "brève de comptable …".

    Réponse de Stéphane Ménia
    J’étais sûr qu’il y avait un bug… 🙂

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