Nous vous avons souvent parlé des problèmes d’évaluation des politiques publiques, en particulier en France. Depuis quelques années, nous vous décrivons régulièrement le retour spectaculaire à une économie qui se soucie plus de validations empiriques que de raffinements théoriques sans fin, sans pour autant sombrer dans la vacuité conceptuelle. Nous-mêmes, pourtant issus d’une génération où la théorie occupait la place de choix, nous nous réjouissons de cette évolution, qui ouvre des perspectives majeures sur la compréhension des phénomènes économiques, en rendant plus facile, et ce n’est pas négligeable, le dialogue avec les autres sciences sociales, sans pour autant que les acquis majeurs de la science économique ne soient remis en cause.
Aujourd’hui, nous apprenons que l’Ecole d’Economie de Paris ouvre un master Politiques publiques et développement, largement axé sur cette nouvelle économie empirique (j’emploie le terme de nouvelle, mais sans être certain de son caractère consacré). Le volume de publications dans ce domaine est maintenant tout simplement faramineux, les plus grandes revues y accordant une place conséquente. Le succès de Steven Levitt en témoigne à lui seul. Or, à ce jour, on ne peut pas dire (à ma connaissance) qu’une formation de référence ait émergé en France. Ce qui manque clairement, alors que nous avons des chercheurs très talentueux qui travaillent dans ce domaine depuis un moment, qu’ils soient en France ou à l’étranger. Quelques noms en vrac, que vous connaissez sûrement pour la plupart d’entre eux : Thomas Piketty, Eric Maurin, Etienne Wasmer, Philippe Askenazy, Thomas Philippon, Francis Kramarz, Esther Duflo, Pierre Cahuc sur certains de ses travaux récents et d’autres qui ne m’en voudront pas, j’espère, si je les oublie. On en a même quelques-uns qui traînent sur le net, du côté d’Ecopublix (voir Overzelus, par exemple). Bref, une bonne tripotée de gens costauds qui sont en train de doter l’hexagone d’une génération dorée.
De ce point de vue, l’ouverture de ce master n’est pas anodine, puisqu’étant hébergé par l’EEP et ayant comme intervenants une liste de pointures (dont un bon nombre parmi ceux cités plus haut), il donne la possibilité de créer une dynamique articulée autour d’un pôle de référence. Difficile de dire ce qu’on aurait fait si on avait vécu à une autre époque (quoique, justement, la nouvelle économie empirique essaie de mettre en place ce genre de réflexions à l’échelle d’une population donnée), mais il n’est pas impossible que j’opterais pour ce master si je devais me déterminer aujourd’hui. Une thématique passionnante, un encadrement de feu et des perspectives de carrière dopées par l’essor de la méthode principalement utilisée. Exactement les critères qu’on nous donnait dans l’école que je fréquentais à l’époque. Niveau débouchés, comptez la recherche ou les organismes publics, nationaux ou internationaux. La plaquette vous en dira plus.
Vous pouvez justement trouver ici la plaquette de présentation du master. Les inscriptions ont lieu, si je me souviens bien, dans une première session jusqu’au 31 mars et il y aura une seconde session de recrutement en juin. Voyez les détails sur l’affichette disponible ici en version PDF. Sinon, voir aussi le site de l’EEP.
Je précise que je n’ai aucun intérêt personnel dans cette affaire. Je crois simplement, pour les raisons exposées ci-dessus, que cette formation est prometteuse. Donc, si vous êtes en licence, pensez-y.
Sur le sujet, j’envisage de publier un texte (en question-réponse) sur les grandes lignes de cette nouvelle économie empirique. A suivre. En attendant, ce texte est intéressant pourvoir comment on travaille dans l’analyse empirique actuelle.
Rien à voir : suite à des retours regrettant la fermeture des commentaires, j’ai conclu que ce n’était pas une aussi bonne idée que ce que je le pensais. Je les rouvre donc.
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Cela est peut être une bonne idée mais je reste sceptique sur l’intérêt de séparer aussi tôt les empiristes des ‘théoristes’ (même si j’ai vu qu’il y avait des cours généralistes dans la formation). Cela accentue une division dans la profession qui est peut être néfaste lorsqu’elle est réalisée aussi tôt qu’en M1.
Sinon, dans le cadre d’un diplôme de Master sans doctorat par la suite, c’est vraisemblablement intéressant.
Réponse de Stéphane Ménia
Eh bien, je vais vous expliquer en deux mots l’intérêt. Si vous ne les séparez pas, en France, à la sortie, vous récupérez des théoriciens et c’est tout, ou presque.
J’avoue que ce n’est pas mal. Avec le master APE et celui ci, l’école se situe à la fois sur la théorie et sur la pratique. C’est trop tard, j’aurais aimé être en niveau licence ou maitrise pour pouvoir le faire.
Juste pour signaler que ce projet est de très bon niveau, et que l’offre de formation sur Paris va être très attractive. J’en profite pour indiquer qu’il existe un autre projet de master, moins centré sur le développement et comportant par ailleurs de nombreux cours de droit économique, de sociologie quantitative et de sciences politiques. Ce projet réunit trois grandes institutions et est porté par Pierre Cahuc, Francis Kramarz, Yann Algan et moi-même (by the way, nous ne participons pas à ce master de PSE, ce que la liste de chercheurs du texte pouvait éventuellement laisser penser).
Etienne Wasmer
@SM(commentaire 1) : Les temps ont changé … Regardez les sujets de thèse des doctorants "Analyse et politique économiques", qui ont pu faire à la fois de la théorie et de l’empirique en master :
http://www.master-ape.ens.fr/etu...
Je n’ai pas vraiment l’impression que l’offre de jeunes empiristes se porte si mal en France (doux euphémisme).
Réponse de Stéphane Ménia
Moi aussi je pensais que cela suffisait. En fait, non.
Bonjour à tous,
merci, cher sm, pour ce post qui tombe à point nommé pour tous les promoteurs de ce master (dont je suis avec François Bourguignon et quelques autres).
Pour répondre à Yves, l’objectif n’est bien sur pas d’opposer théorie à empirie. Une évaluation de politique publique qui se respecte n’a de sens que relativement à un cadre théorique précis, aussi simple soit-il. C’est triste, mais c’est comme ça, les données seules ne suffisent jamais à faire une bonne évaluation et à assoir des recommendations.
L’objectif de ce master est de former de jeunes économistes capable de solliciter (ou créer) des données originales pour valider les options de politiques publiques discutées dans le monde, telles que la théorie leur permettra de les expliciter. Cela implique une connaissance en profondeur des institutions et des données, ainsi qu’une approche a priori plus inductive des questions. En fait c’est la réconciliation de beaucoup de jeunes étudiants avec la théorie qui me semble à ce prix.
Cela me permet de faire la transition avec le commentaire de nicogeek. Certes, beaucoup de jeunes étudiants du master ape ont commencé ces denières années une thèse avec une dimension empirique. Cela dit, ce n’est quand même qu’un début, lié à quelques personnalités de rupture,
comme Thomas Piketty, et la recherche imposant des protocoles de validation empirique reste très faible en France, et plus généralement en Europe continentale. Nos travaux restent bien souvent insuffisamment inventif et rigoureux pour vraiment intéresser les grandes revues académiques, avec le handicap implicite supplémentaires de ne pas travailler sur données américaines.
Si on fait le compte, pour percer au niveau académique, quand on est Français et qu’on reste en France, il reste beaucoup plus sûr de faire de la théorie : Thesmar, Thoenig, Gajdos, Février, Piketty ou un peu avant Saint-Paul, Salanié, Verdier, j’en oublie sans doute, les rares "jeunes" français attirant réellement une audience au niveau mondial sont d’abord, ou ont d’abord été, des théoriciens.
Réponse de Stéphane Ménia
Olala, on est pas lu par n’importe qui… Bravo pour l’initiative. Et j’avais oublié de citer François Bourguigon. Mais est-il encore besoin de le citer ?
Super idée que de proposer une formation centrée sur les politiques publiques et leur évaluation. Autre bonne idée : la dimension "Développement" de ce nouveau master , dont atteste la présence de personnalités comme François Bourguignon ou Pierre Jacquet parmi les enseignants. Car les besoins en matière d’évaluation des politiques publiques sont également très forts dans les pays du Sud et la demande pour des experts en la matière ne fait que croître. Pas d’équivalent sur la place parisienne, ni française, je pense.