Du bon usage des incitations dans les cantines scolaires

Des enfants mis au pain et à l’eau parce que leurs parents n’ont pas payé la cantine à l’avance. Voilà de quoi attrister les bonnes âmes. Ravage d’une société guidée par l’argent, le profit et la LOLF ?

J’ai quelques doutes. J’y vois plutôt les effets de la connerie. Mais, me direz vous, si tout le monde mettait son enfant à la cantine sans payer, comment feraient les écoles ? Oui, ce n’est pas tenable.
Dans Freakonomics, Levitt et Durbner prennent l’exemple d’une crèche en Israël pour montrer que si les incitations comptent, les mauvaises incitations sont pires que pas d’incitations du tout. L’histoire, si vous ne la connaissez pas, est assez simple : dans cette crèche, les parents sont parfois en retard le soir. Malgré les rappels à l’ordre, il reste toujours un volant de parents qui “oublient” de venir chercher leur progéniture à l’heure. On décide alors de mettre à l’amende les déviants. Chaque retard sera facturé 3 dollars. Que se passe-t-il ? Le taux de retard explose. L’incitation est mauvaise. Les 3 dollars sont visiblement trop faibles pour inciter les parents à perdre leurs mauvaises habitudes. Pire, en permettant à chaque parent de rembourser sa dette instantanément pour cette modique somme, un tel système réduit à néant tout sens civique, moral, appelons-le comme on voudra. Pire encore, comme l’expliquent les auteurs, après qu’on eût supprimé le système en question, les retards restent identiques…
Quoique différent sur la forme, le principe est le même ici. En ne nourrissant pas les enfants des mauvais payeurs, l’école attendait – du moins on doit le supposer – que les règles d’accès à la cantine soient mieux respectées. Sauf omission de ma part, il n’est fait mention nulle part des raisons ont conduit des parents à ne pas payer la cantine. Une chose est certaine, l’incitation est mauvaise. Les parents regrettent-ils aujourd’hui de ne pas avoir payé ? Probablement pas… Ils sont montrés en victimes de la situation, via leurs enfants. Car, pouvaient-ils penser que quelques jours de retard dans le paiement d’un ticket de cantine conduiraient leurs enfants à la diète forcée ? Bref, eux ont passé, ceteris paribus, une excellente journée et ne doivent éprouver aucun remords à l’heure actuelle.
Alors, comment l’école devrait-elle faire pour empêcher les retards ? Je propose une solution simple et incrémentale : ne pas recevoir les enfants le matin. La maire du village dont, soit dit en passant, je suis heureux de ne pas être un administré (enfin, je dis ça, mais je suis pas mal servi aussi…), donne sa solution :

“Notre tort a été de prendre ces enfants à midi. Les instituteurs auraient dû les garder et appeler les parents négligents”

Très bien, on va vers un mieux… Mais comment fera-t-elle venir un parent qui travaille à 100 km de là ? Personnellement, je n’aurais donc pas pris les enfants à l’école (ou menacé de ne pas le faire). Là, oui, la simple idée de se retrouver avec les marmots sur les bras toute la journée aurait peut-être eu un effet boeuf [1]. Bon, dans quelle mesure peut-on combiner ça légalement ? Je ne sais pas. Mais il doit bien y avoir une astuce pour en arriver à formuler une menace crédible, sans finir au journal de 20 heures…
Voilà, c’était une solution rapide pour montrer que l’économie est une science morale. Quelle est la vôtre ?

NB : à toi, lecteur attentif aux moindres écarts gauchisants, moralisateurs et dégoulinants de sentiments de ce blog, pour une fois, évite de te ridiculiser et drape toi d’un silence condescendant de bon goût (je t’y aiderai du reste, dans la nuit de la modération des commentaires, personne ne t’entendra crier). Prends un peu tes responsabilités et demande toi si tout ceci était nécessaire. Je crois avoir commencé à répondre, du reste… Et toi, qui trouve, au contraire, que je sarkozyse, oublie notre site, il est terriblement mauvais pour les bons sentiments qui t’animent.

Notes

[1] Bien sûr, si les parents n’ont plus un rond, le problème reste entier. Quoique…

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13 Commentaires

  1. S’il y a quelque chose qui me choque, surtout, c’est le fait que cela se passe dans une commune d’un peu plus de 1700 habitants…

    Dans ce genre de village, en général, on peut directement téléphoner à la personne concernée : les parents d’élèves se connaissent, il y a une forte proximité entre les habitants, etc.

    Les réseaux sociaux sont suffisamment denses, et ce type de problème trouvent leurs solutions dans une entente entre les différents acteurs, qui ont généralement des relations passées ou la connaissance du fait qu’ils sont liés par ces réseaux…

    On sait généralement que le "cas par cas" vaut alors mieux que de traiter les individus comme des "étrangers".

    On peut être sidéré par l’incompétence possible des gestionnaires de la cantine, également : cela devait faire depuis plusieurs mois que le nombre d’enfants mangeant dans leur établissement restait stable. Ils devaient parfaitement savoir que ce retard allait vite être réparé, et que les parents payeraient. (Un retard le 2 avril alors qu’il faut payer en "début de mois"… -_-”’)

    ""On a regroupé les enfants concernés et on leur a dit qu’il fallait gronder leurs parents. C’est un procédé ignoble. On doit s’en prendre aux parents, pas aux enfants", a ajouté Magalie Diez, membre de l’association de parents d’élèves Ensemble pour l’école."

    Comme incitation ultime, je propose qu’on fournisse une arme de poing aux enfants en leur proposant de tirer dans la jambe de leurs parents lorsqu’ils connaissent d’autres retards.

    Ou alors, pour faire moins violent, que les parents fassent leur autocritique sur la place publique.

    Amicalement,
    AJC

  2. A lire l’article, j’ai surtout l’impression que le problème ici est surtout que les retards étaient tolérés et habituels, et que le refus des retards a été établi brusquement, ce qui n’est pas très malin… Rien que prévenir les gens le matin quand ils déposent leurs enfants doit avoir un sacré effet.

    A part ça, légalement, ça m’étonnerai que la commune puisse demander à l’instit de refuser de scolariser les gamins non payeurs. L’éducation nationale ne dépend pas de la mairie, et c’est très bien comme ça.

    Pourquoi ne pas facturer a posteriori les repas non réservés à un tarif élevé? (du genre trois fois le tarif normal) ? Cela compensera le fait de devoir commander des repas supplémentaires non réservés. Un peu de flexibilité dans le service rendu, ça ne coûte pas forcément d’argent

  3. Juste pour info (ça fait un peu rabat-joie), Ariel Rubinstein a émis de sérieux doutes sur la réalité de cette histoire de crèche israelienne.

    Un extrait:
    "Being a skeptic, I found it difficult to believe that the experiment could have been carried out as described. I know Israel quite well. It is a country where rules are rarely enforced. It is hard for me to believe that teachers would really fine a parent who is ten minutes late. In my experience, any excuse for lateness is accepted.
    Furthermore, it is impossible for me to imagine that Israeli teachers would have kept even roughly accurate records of late arrivals with noisy parents crowding around the
    entrance of the school to take home their screaming kids."

    Le texte entier ici:
    arielrubinstein.tau.ac.il…

    Ce n’est d’ailleurs pas le seul a émettre des doutes sur le sérieux de Freakonomics (que je refuse de lire 🙂 ). On entend de plus en plus que Levitt et Dubner ont très largement sur-interprétés leurs (maigres) résultats économétriques pour "faire du papier" — ce qui a d’ailleurs très bien marché pour eux. Reste a expliquer aux millions de lecteurs que en fait, l’économie, ce n’est pas ça du tout 🙂

    Sinon, je n’ai pas de solutions 🙂

    LSR

  4. Le discours ici présenté ("j’ai payé, donc, j’ai le droit de…") s’entend, transposé, assez souvent à gauche au sujet des taxes sur les supports numériques (CD/R; disques durs, cartes mémoires, etc.)

    Les services au public souffrent un peu tous de ce problème par lequel les clients/usagers essaient de déporter des coûts de leur négligence à la collectivité : j’ai le sentiment que la solution la plus courante à ce problème est bien connue : recourir à la monnaie. Car après tout, en supposant qu’il s’agisse d’une part de créer la certitude de la sanction dans l’esprit du citoyen tout en refusant pour cette sanction les procédés coercitifs, que proposer d’autre que la monnaie (ou la corvée, comme le propose Royal… j’y reviendrai)

    Tout d’abord, il s’agit bel et bien de faire financer par l’usager le coût réel (masse salariale, coût de la précarité du travail et de l’imprévisibilité, frais de structure) de sa négligence et non pas quelque coût modérateur que ce soit. Les amendes infligées s’accumulent sous la forme d’une dette scripturale envers la collectivité, financée par un emprunt classique pris au nom de l’intéressé par la collectivité. La dette peut ensuite être réduite soit par des versements en numéraire plus intérêts (découlant de la nécessité de financer la dette), soit par des contributions volontaires, bénévoles du débiteur au service public, mais valorisées par des réductions de dette.

    Si les endettés se révèlent incapables de payer leur dette envers leurs concitoyens, une période de service civil pourrait leur être proposée pendant leurs éventuelles périodes d’inactivité (chômage, inactivité volontaire, etc.) . Y compris à la retraite, par exemple.

    Bien entendu, une telle approche concurrencerait le secteur associatif, bénévole et militant existant. Mais bon, ce n’était pas la question originale.

    Il faudrait cependant par contre compléter le dispositif par un mécanisme permettant aux usagers de se retourner contre les personnes responsables d’éventuels retards ou négligences : je pense notamment aux employeurs qui, en usant du fait que leur salarié leur est subordonné, usent d’un rapport de force en leur faveur pour faire prendre du retard au salarié et là, je crains que les modalités pratiques de mise en oeuvre ne se révèlent plutôt délicats.

  5. Si les écoles étaient des activités économiques normale, une rapide analyse de marché aurait mis en évidence la difficulté pour certains parents de tenir les horaires pour aller chercher leur enfant.

    Dans ce monde, certaines écoles auraient différenciées leur service pour maximaliser leur profit et facturerait ce service supplémentaire au coût réel. Pour le plus grand bonheur :
    – des employés de l’école qui pourrait réaliser des heures supplémentaires payées
    – des parents qui seraient moins contraint sur leurs horaires
    – des enfants qui ne seraient plus stigmatisé et auquel on ne ferait plus sentir qu’ils ont de ‘mauvais’ parents
    – et pour les actionnaires de l’école.

    Mais les écoles ne sont pas régies par les règles de l’économie de marché. Et quand on plaque des règles d’un univers à un autre, on arrive aux anomalies relatées dans votre exemple.

    Pour la cantine, j’ai des enfants en maternelle scolarisés à Paris, je suis impressionné de devoir régler au trésor public, par chèque uniquement, la cantine de mes enfants. En cas d’erreur – notamment de trop versé – il faut attendre plusieurs mois pour la voir rectifiée.

    Toutes les entreprises privées sont confrontées à ce genre de problème. Et toutes ont trouvé des solutions en particulier le prélèvement automatique.

  6. Il manque un élément d’information pour proposer une solution. Nous ignorons quel était le statu quo ante et nous ignorons les mesures qui avaient déjà été prises par le gestionnaire.

    On peut supposer que, a moins que ce gestionnaire soit un crétin complet, le phénomène était récurrent et que les "contrevenants" s’en foutait complètement et ne répondait pas aux "incitations".

  7. Dans la mesure où les parents ne disposent (en théorie) pas de la liberté de choisir l’école dans laquelle est scolarisée leur enfant, et, par voie de conséquence, la seule cantine dans laquelle peut matériellement manger leur enfant (en supposant en première approximation que tout adulte inactif est plus ou moins sensé rechercher activement un emploi et donc généralement en exercer un) pour pouvoir suivre une scolarité normale : en considérant par ailleurs que la scolarité est un droit de l’enfant, peut-on simplement raisonner en économiste sur le sujet ?

    Pourquoi pas ? Si vous trouvez un mécanisme incitatif suffisamment intelligent pour préserver les droits de l’enfant à une scolarité normale tout en préservant l’équilibre financier de l’école, le problème est réglé. Partant de là, vous pouvez douter que ce mécanisme existe, mais pas rejeter d’emblée un raisonnement économique. Notez que les incitations mobilisables ne sont pas forcément monétaires.

    N’est-on pas dans les limites du modèle (habituel, non-contesté ici : la question que je (me) pose n’est pas idéologique) de l’économie/théorie des contrats ?

    Il faut se positionner sur le problème de la cantine. Etendre le sujet à une question de scolarité dans son ensemble ne me semble pas opportun. Il y a bien un problème d’incitations dans cette histoire. Même en admettant que les parents soient pauvres, ils peuvent encore faire le choix de préserver les repas de leurs gosses, en renonçant à autre chose. Je suis presque persuadé que dans ce cas de figure, le problème n’est pas une terrible insuffisance de ressources. Et quand bien même, ce serait le cas, il y a des bourses et des allocations familiales calibrées pour payer une cantine. Donc, oui, à mon avis, on peut poser les termes du problème de cette façon.

  8. @ Elessar
    Ariel Rubinstein a effectivement emis de sérieux doute sur Freakonomics et sur cette étude sur les pénalités de retard à la crèche (si ma mémoire est bonne, "a fine is a price" de Gneezy et Rustichini).
    Apparemment, Rustichini et Gneezy ont répondu… http://www.econ.umn.edu/~arust/a...
    Par ailleurs cette étude n’a rien à voir avec Freakonomics, souvent chez Levitt il ne s’agit que de vulgarisation….

    @ "le reste"
    Par contre, je ne vois ni l’intérêt de ne pas prendre les enfants le matin (c’est obligatoire par ailleurs), ni l’intérêt de les mettre à la diète… Il me semble qu’il y a un certain nombre de façon de collecter les dettes avec multiples pénalités de retard (les huissiers étant le dernier recours) sans avoir à recourrir à ces bizarres punitions. Tous les coûts étant intégralement supportés par les retardataires, mauvais payeurs…
    PAr ailleurs en supposant que seulement un petit pourcentage ne paye pas, ça n’est pas un problème dramatique pour les finances de la cantine, à moins qu’ils n’achètent la totalité de la nourriture (du mois, du trimestre) le premier jour, mais j’en doute…

    Trois choses :
    – sur la question de ne pas prendre les enfants, son intérêt est simplement de faire miroiter aux parents la possibilité d’être privés de cette formidable garderie qu’est l’école pour bon nombre d’entre eux… Ce n’est qu’un exemple virtuel, qui aurait certainement le mérite de bouger les parents les plus égoïstes et de ne pas en arriver à ce qu’une école confine des gosses dans un coin avec du pain et de l’eau pendant que leurs camarades mangent normalement.
    – sur ce que vous décrivez, c’est un système probablement efficace, mais est-il si simple à mettre en place pour une école dans un village de si peu d’habitants ?
    – sur les conséquences financières, nous n’avons pas à juger du moment où c’est tolérable ou non. Par ailleurs, n’oublions pas que si le peu de retardataires sont laissés tranquilles, ils se pourraient qu’ils deviennent plus nombreux…

  9. Sinon, on notera qu’il existe déjà un mécanisme destiné à permettre aux acteurs ordinaires de l’économie ordinaire de ne pas victimes de l’impécuniosité reconnue comme conséquence d’une maladie (mentale, p.e.). Ce mécanisme est la tutelle/curatelle.

    Je suppose qu’il serait envisageable de contraindre, éventuellement par voie règlementaire, les parents simplement imprévoyants de devenir usagers d’une tutelle : la tutelle veillerait d’un côté à rémunérer en temps et heures les offreurs de service et refacturerait ce service et des frais d’un autre côté aux adultes concernés. Pareillement, la tutelle veillerait au versement dûs en temps et heure aux services victimes de retards, frais de personnels imprévus, etc. et se chargerait de faire encaisser ses créances auprès des adultes responsables.

  10. Je trouve que les versements mensuels favorisent les retards de paiement, mais bon c’est un détail.

    "Il doit bien y avoir une astuce pour en arriver à formuler une menace crédible, sans finir au journal de 20 heures…"

    Le point positif à la médiatisation de ce fait divers, au-delà du déluge de réactions beaufs, c’est que peut-être les parents retardataires dans toutes les écoles de France feront un effort de ponctualité la prochaine fois.
    (ou pas).
    Avez-vous une opinion (économique ?) sur ce sujet ?

    Vous me demandez s’il s’agit d’une menace crédible que pourraient brandir d’autres écoles ? Vu le tollé et le résultat, non. C’est ce que j’essaie d’expliquer dans ce billet.

  11. Dans ce cas, il me semble qu’il faut bien considérer quelque chose : l’école est dirigée par un personnel subordonné à l’administration d’état, la cantine est dirigée par un personnel subordonné à la commune. Ce n’est donc pas (la direction de) l’école qui estimera son intérêt lié à celui de (la direction de) la cantine (ce que souligne l’article de france 2 mentionnant le fait que les enseignants n’ont pas jugé bon de faire preuve de zèle excessif dans la transmission aux parents de la correspondance relative de la mairie sur le sujet quelques jours avant).

    On peut du point de vue de l’organisation industrielle s’étonner que la responsabilité de servir les besoins vitaux (éducation, alimentation) d’un enfant en bas âge change deux fois de suite en deux heures entre midi et quatorze heures dans l’école de la république, mais bon… l’administration et le législateur ont leurs raisons que la raison ignore.

    Pour en revenir au fait, la première chose à faire me semblerait être de rendre solidaires le budget de fonctionnement de l’école et celui de la cantine : ainsi, les enseignants de l’école trouveraient leur intérêt à se sentir solidaires du fonctionnement de la cantine. J’en viens même à me demander s’il serait nécessaire de faire quoi que ce soit de plus que cela, l’intelligence des enseignants me semblant normalement suffire à éviter la plupart des incidents futurs.

  12. Bonjour,

    le prélèvement automatique comme le suggère Henriparisien dans un message plus haut, est la premiere idée qui m’est venue à l’esprit. Est-ce selon vous une solution viable ?

    cordialement

    Paulo.

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