Alfred Chandler, 1918-2007

Il suffit parfois d’une formule pour atteindre la célébrité. Il suffit que la formule soit forte, percutante, et qu’elle capture l’air du temps, pour devenir tellement banale qu’on en oublie parfois jusqu’au nom de son auteur. Pour Schumpeter, ce fut la “destruction créatrice”; Pour l’historien économique Alfred Chandler, ce fut la main visible des managers – titre de son livre le plus célèbre.

Chandler fait partie de cette génération de scientifiques éduqués à Harvard dans les années 30 à 50, qui en économie, sociologie, et histoire, ont changé définitivement la face de leur discipline. Son premier ouvrage, Stratégie et Structure, est avec les mémoires de Sloan l’un des meilleurs descriptifs de l’émergence et du fonctionnement de la grande entreprise pyramidale du 20ième siècle. A partir de cas soigneusement étudiés, Chandler montrait comment la forme structurelle de ces entreprises s’accordait avec leur stratégie. Ces entreprises étaient fondamentalement différentes des groupes familiaux du 19ème siècle; et c’est dans la main visible qu’il devait développer sa thèse principale : la grande entreprise industrielle, dirigée non plus par des familles mais par des managers professionnels, constituait l’essence du capitalisme moderne. Elles remplaçaient le mécanisme de marché, et son opacité, par la décision consciente et explicite du manager, fondée sur le calcul rationnel. Ce n’est pas la main invisible du marché qui organise les économies modernes, mais l’essor au sein d’entreprises géantes de la main visible des managers.

Il n’était pas le seul à soutenir cette thèse : Son collègue de Harvard, J.K. Galbraith, devait développer cette idée dans le nouvel état industriel. Mais à la différence de Galbraith, Chandler cherchait surtout à étudier avec précision le fonctionnement interne de l’entreprise moderne; ses concepts ont conduit à refonder la façon d’appréhender la stratégie d’entreprise, et ont considérablement influencé la formation des managers, notamment après leur entrée dans le cursus de la Harvard Business School.

Les travaux historiques sont toujours contingents : si les concepts de Chandler offrent une vision sans équivalent sur la nature du capitalisme d’une époque, la période actuelle rappelle que le capitalisme familial fait mieux que se défendre; que les entrepreneurs n’ont pas été supplantés par les managers; que la grande firme intégrée ne remplace pas partout et toujours le mécanisme de marché. La perspective historique et descriptive de Chandler a été remplacée par une perspective plus analytique, autour d’auteurs inspirés de Coase et Williamson. La connaissance que Chandler a appporté du fonctionnement des entreprises, du rôle des managers, de l’importance d’analyser les entreprises concrètes pour comprendre le capitalisme d’une époque, restent indispensables.

On pourra lire David Warsh ou le New York Times; voici la fiche Wikipedia de l’auteur (français, anglais); on lira avec intérêt aussi la fiche consacrée à Stratégie et Structure. Voir aussi Marginal Revolution (premier et second post).

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Alexandre Delaigue

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2 Commentaires

  1. moi qui croyais que sa phrase la plus celebre c’etait :
    "allez, crepes pour tout le monde !"

    oui, oui, je sors…

  2. Il y a aussi de nombreuses tentatives de convergence entre une approche analytique (type Williamson)et une approche plus historique, ou du moins temporelle, comme elle existe chez les évolutionnistes (courant d’économie de l’entreprise dont Chandler se disait plus proche que l’économie des coûts de transaction). Il y a un article d’E. Brousseau sur les possibilités théorique d’un syncrétisme entre les deux types d’approche.

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