La politique industrielle, c’est vraiment super

La preuve :

Galileo est au bord du gouffre. Projet à l’utilité économique douteuse dès le départ, désaccords entre pays promoteurs, volonté de concilier chèvre et chou, “partenariat public-privé” dicté par des considérations politiques… Le coût initial du projet devait être de 3,6 milliards d’euros, supporté pour un tiers par les contribuables européens : l’actuelle “reprise en main” du dossier par les politiques signifie surtout que lesdits contribuables vont non seulement devoir supporter la totalité de ce coût, mais payer en plus la rallonge de 2 milliards d’euros nécessaires. Tout cela pour un projet dont la rentabilité économique éventuelle reposait sur la fourniture payante de services fournis aujourd’hui gratuitement par le système GPS.

AB Science, entreprise de biotechnologie, lance une action judiciaire après avoir essayé vainement pendant 18 mois d’obtenir un financement de 3 millions d’euros au titre des pôles de compétitivité, pour entrer dans le pôle “Medicen”. L’entreprise se plaint d’avoir été victime de discrimination par les dirigeants du pôle, des cadres de grandes entreprises comme Sanofi-Aventis ou Glaxosmithkline, peu désireux de soutenir un concurrent potentiel. Selon le directeur du pôle, le problème ne vient pas de cela – le projet ayant été jugé positivement par le conseil du pôle – mais des critères gouvernementaux excessivement stricts et bureaucratiques. On se demande laquelle des deux possibilités est la plus navrante.

Soyons clairs : les politiques gouvernementales n’ont pas le monopole des mauvaises décisions industrielles et des projets pharaoniques devenant des accidents industriels. Ils n’ont pas le monopole non plus des règles bureaucratiques absurdes et du conflit d’intérêt. Mais lorsqu’un projet ne peut rien apporter, des investisseurs privés ont tendance à le laisser tomber pour passer à autre chose; un gouvernement a une fâcheuse tendance à simplement y consacrer un peu plus d’argent public sous des prétextes fumeux d’indépendance ou de fierté nationale. Et à imposer une démarche top-down fort peu appropriée à l’émergence de bonnes idées. La politique industrielle, ça peut marcher en théorie, en réalité, c’est autre chose.

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Alexandre Delaigue

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15 Commentaires

  1. Ca me rappelle une discussion de 2003 sur fr.soc.economie avec Kimon Berlin au sujet de Galiléo. Deux choses m’avaient frappées à l’époque :
    – l’absence d’arguments tangibles en faveur du projet (et pourtant ce n’était pas faute d’avoir cherché). Ce que j’avais trouvé de mieux était dans un rapport d’une cinquantaine de pages sur le site de Galiléo qui justifiait un deuxième système de positionnement par satellite par les pannes occasionnelles du GPS (possibilité de switch de l’un à l’autre en cas de disfonctionnement). Et à l’appui de cette idée, on nous citait un exemple, une indisponibilité du GPS dans un état américain (l’UTAH me semble-t-il), quelques années auparavant pendant 2 heures. Un seul exemple, aussi limité, dans un document de référence, j’avais trouvé ça un peu léger pour un projet à 3,5 milliards d’euros (où on est quand même censé prendre en compte des problématiques coût/bénéfice)… On parlait souvent par exemple de la possibilité pour les américains de "couper" le GPS sur une zone géographique donnée mais je n’ai jamais pu trouver le moindre élément factuel à l’appui de cette thèse.
    – le consensus médiatique et politique en faveur du projet sans jamais que sa pertinence soit questionnée (je ne dis même pas contestée, juste questionnée). A tel point que je me suis souvent dit qu’un élément (évident visiblement) devait forcément m’avoir échappé.

    Et quand je lis aujourd’hui "galileo est conçu comme un système payant, alors que le GPS fonctionne déjà gratuitement pour les mêmes services", j’hallucine…

    Et il ne faudrait pas taper que sur les hommes politiques mais également sur les journalistes. Je n’avais trouvé personne en 2003 dans la grande presse française qui avait posé cette question, pourtant évidente.

    C’est parfois fatiguant d’être dans un pays obnubilé par les grands machins idéologiques (c’est pro-européen et anti-américain, de quoi satisfaire la quasi-intégralité du spectre politique français) et qui se fout complètement du débat technique.

  2. Oui. Est-ce qu’un échec cuisant de Galileo aurait une chance de mettre un frein à ces ambitions mal placées des institutions européennes? On ne peut certes pas se réjouir d’un tel gaspillage. Mais puisqu’il a été fait, autant qu’il serve au moins à une prise de conscience. Tandis que si Galileo n’est qu’un demi-échec, il servira d’argument pour voir encore plus grand pour les prochains projets européens, en prenant soin de "mettre les moyens, cette fois".

    Dans le même genre que Galileo, on peut citer aussi le projet SESAR dans le contrôle aérien. Rien que le nom… c’est tout un poème!

  3. D’un point de vue économique, la politique industrielle diffère-t-elle réellement d’une stratégie non-avouée et parfaitement arbitraire de réduction des impôts et charges pesant sur les entreprises ?

    Oui, parce que le problème de la politique industrielle consiste à s’imaginer que le gouvernement peut déterminer quels sont les secteurs “porteurs” de l’avenir et les financer de façon efficace. Baisser les impôts (indépendamment de ce qu’on pense de la mesure) n’a pas d’ambition planificatrice.

  4. Nous ne sommes pas différent des autres, on nous promet un système Russe et un autre Chinois.

    On va peut être pouvoir faire jouer la concurrence (déloyale, forcément déloyale). Le seul problème reste une guerre éventuelle Sino-Russo-US qui ferait qu’on ne retrouverait plus son chemin en banlieue le soir.

  5. A priori l’idee d’independance technologique vis-a-vis de USA est loin d’etre stupide. Les services internets/mobiles a venir seront largement dependants de tels services de geolocalisation.

    En l’affaire, ceux qui gagnent de l’argent sont ceux qui utilisent le service, pas ceux qui le fournissent.

  6. La politique industrielle a son utilité et ses titres de gloire. Ariane, Airbus, TGV ce n’est pas rien quand même. Et j’en oublie évidemment…….

    Ce n’est pas rien, mais s’il n’y avait pas eu cela il y aurait eu autre chose. Et pour quelques réussites (relatives) combien d’échecs?

  7. @string-puppet : j ai une idee geniale pour devenir technologiquement independants des USA : on renonce au GPS, aux produits de microsoft, aux ordinateurs, aux biotechnologies, aux OGM, au Coca-Cola, etc.
    Ah zut en Coree du Nord, pays tres independant technologiquement des Etats-Unis, on a eu l idee avant moi.

  8. Concernant Galileo, il existe peut-etre des raisons "strategiques"
    independantes de la seule rentabilite economique. Je ne connais pas assez le
    dossier pour pouvoir en juger.

    Concernant la politique industrielle, c’est frequemment un gouffre a fric.
    Peut-etre que Airbus, le TGV, le concorde, le parc nucleaire, etc. recoivent
    une admiration plus justifiee par un certain chauvinisme, une "fierte
    nationale", que par les progres que ceux-ci apporteraient. Mais il appert que
    de tels projets sont au-dela des capacite d’investissement de grands groupes.

    Effectivement, les symboles sont importants, tout comme le sentiment d’indépendance. Ce qui est dommageable c’est que ces aspects rendent l’analyse totalement irrationnelle. Quant au problème “grand groupe”, Motorola avait bien envisagé avec iridium de créer un système de téléphone mobile mondial. La différence avec Galileo, c’est que eux ont abandonné quand ils se sont rendus compte que cela coûtait trop cher et ne serait pas rentable.

  9. Notons en passant que cela correspond a une vielle tradition "liberale"
    d’etatisation des couts et de privatisation des benefices. Un exemple grandiose :
    le futuroscope de Poitiers, rachete par l’Etat quand il etait deficitaire puis
    revendu pour une bouchee de pain quand il etait redevenu beneficiaire…

  10. Après avoir lu le livre très intéressant d’Olivier BOMSEL (Gratuit ! Du déploiement de l’économie numérique, Folio Actuel n° 128), je me demande si les conclusions de votre dernier paragraphe ne pourraient pas être reprises concernant la volonté franco-européenne de développer un "Google Print" non américain de numérisation de millions d’ouvrages de bibliothèques prestigieuses…

  11. @Moggio : je suis en train de lire ce livre. Et même si je n’en suis pas arrivé à ce point de l’ouvrage, je crois que vous avez raison. Bref, tout ça pour dire que je chroniquerai sûrement ce livre très bientôt. En même temps, pour vous, ça servira à rien 😉

  12. Dans les grands "succès" de l’économie dirigée, on peut citer également l’AII et en particulier le projet QUAERO, visant à concurrencer Google.

    Il faut souligner que ce projet a été lancé 5 ans après Google. Que le budget investi est de l’ordre de 90 millions d’euros (après le retrait des allemands). 90 millions d’euros a comparer avec les 150 milliards de $ de la capitalisation de Google.

    Je crois que c’est d’ailleurs là, une des grandes différences entre les années 2000 et les années 70 et 80 (date de lancement des derniers projets réussis de politique industrielle) : La capacité de financement des marchés leur permet d’avoir une taille critique très largement supérieure à celle des états.

    Il me semble qu’il serait temps d’en prendre acte.

  13. Vu le voyage de N. SARKOZY à Toulouse, j’ai l’impression que lui croit en une politique industrielle. C’est vrai que Lagardère a besoin d’aide. Au fond c’est peut être plus une politique de la famille que de la politique industrielle.

    Mon Dieu, fais je du mauvais esprit? Je suis dans le doute

  14. faut pas déconner non plus,
    -le GPS, c’est comme la géographie, ca sert d’abord à faire la guerre

    – réclamer des "élément factuel à l’appui de cette thèse." pour savoir s’il est vrai que l’on peut désactiver sélectivement le GPS, c’est juste démontrer que l’on n’a pas un microgramme de compréhension technique du GPS, sur lequel on veut pourtant avoir son avis. Consternant.

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