Ne manquez pas l’histoire de la formule mathématique qui a fait sauter Wall Street.
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Passionnant.
"(making an implicit assumption that financial markets in general, and CDS markets in particular, can price default risk correctly)"
Je suis abasourdi que cette industrie ait pu faire des raisonnements circulaires sur une échelle aussi massive !
Peut pas m’en empêcher…
picasaweb.google.com/Caer…
C’est fascinant, si on n’y prends pas garde, on peut rester hypnotisé.
Existe aussi en tee-shirt.
En sciences "dures", ça arrive tout le temps — évidemment avec des conséquences moins brutales. Quelqu’un fait un modèle (mathématique ou autre), souvent brillant et élégant, presque toujours un "breakthrough" dans le compréhension et la modélisation de certains phénomènes.
Ensuite, plein de gens qui ne comprennent pas le début du quart de cette approche l’appliquent à tout et n’importe quoi, sans en questionner la validité, les limites d’applications ou les hypothèses sous-jacentes. Qui d’ailleurs sont le plus souvent parfaitement explicites dans le papier d’origine, lui-même souvent accompagné d’un tas de "caveat".
Et ça donne des résultats atroces… que tout le monde impute à l’auteur du modèle d’origine, qui n’y est pourtant pour rien !
Spéciale dédicace à Nassim Taleb = "Anything that relies on correlation is charlatanism."
On ne doit pas confondre astronomie et astrologie.
"Je suis abasourdi que cette industrie ait pu faire des raisonnements circulaires sur une échelle aussi massive !"
L’utilité même du secteur et donc, la totalité de ses emplois impliquait une telle assertion.
Le raisonnement circulaire était présent dès la conception du système
"Je suis abasourdi que cette industrie ait pu faire des raisonnements circulaires sur une échelle aussi massive !"
Je peux vous donner deux anecdotes sur le sujet. Une fois, je discutais avec un quant a propos de ses modèles de dérivés de crédit.
(Moi) – Dans votre modèle, vous considerez que le CDS sur les EtatsUnis est un CDS comme un autre.
(Lui) – Oui.
– M’enfin, si les Etats Unis font faillite, c’est la fin du monde! Ce n’est pas la meme chose qu’une faillite de General Motors.
– C’est vrai mais 1) Je ne sais pas comment faire autrement 2) "We are here to make business anyway"
La deuxième est un commentaire fait par un trader en 2006 (donc bien avant la crise) toujours a propos des modèles de crédit: "Vos modèles ils sont pas mal, mais ils ne fonctionnent que tant qu’aucune faillite n’a lieu."
Ainsi, je pense que beaucoup de monde était plus ou moins conscient des limites de ce genre de choses mais comme ils gagnaient beaucoup d’argent, ils mettaient leurs scrupules de coté.
Encore une fois, la perspective "hard science" : des fois on utilise un modèle dont on sait qu’il n’est pas parfait, et/ou qu’il dépend de façon critique de certaines hypothèses pas forcément réalisées … tout simplement parce que c’est le meilleur (ou le moins mauvais !) dont on dispose, et si on veut faire quelque chose, il faut bien utiliser les outils qu’on a. Faute de mieux.
C’est sûr que si on avait continué à utiliser de simples coefficients de corrélation, à la place des copules gaussiennes, on n’aurait jamais eu de crise financière.
Réponse de Alexandre Delaigue
Vous êtes caustique :-).
@JF: Certes, neanmoins dans ce cas precis l’argument est facile vu que les banques ont embauché massivement de nombreuses personnes affirmant comprendre de quoi cela retournait.
J’ai lu des articles "scientifiques" ou des "scientifiques" affirmaient pince sans rire que la corrélation a utiliser dans certains cas doit être la moyenne pondérée de deux autres corrélations … Alors avoir fait Polytechnique ou être détenteur d’un doctorat de Physique pour sortir des âneries pareilles motivées uniquement par le "here to make business" cela ne me pose aucun problème. La seule chose qui me chiffonne est que ces personnes se présentent comme des "scientifiques" ayant une certaine forme "d’expertise".
sea34101 résume je crois assez bien les choses. Tous ceux qui travaillent dans les entreprise "à forte valeur ajoutée" savent que leur boulot consiste principalement à utiliser des modèles foireux ou (volontairement) mal compris pour justifier des prises de risque et engranger au passage des profits.
Ce qui est criminel c’est d’avoir la naïveté de croire qu’il puisse en être autrement.
Passionnant.
@ Pierre : je ne vois pas en quoi il est criminel "d’avoir la naïveté de croire qu’il puisse en être autrement". Pourriez-vous développer ?
L’utilisation inadaptée de modèles mathématiques (mêmes beaucoup plus simples) est la règle dans les entreprises (j’exagère peut-être un peu). Les conséquences en sont généralement moins visibles, car moins massives. Elles passent même souvent inaperçues (l’échec du lancement d’un produit ne sera pas forcément mis sur le dos d’un traitement inadéquat des données, puisqu’on peut accuser la com’, la conjoncture, les distributeurs, les vendeurs, etc.). Peut-être le maître des lieux sait-il s’il existe de la littérature (sociologique, psychosociologique, économique ?) sur la question de l’utilisation des "chiffres" dans les décisions des acteurs économiques ?
En fin de compte tout le monde dans les commentaires semble d’accord que le problème fondamentale n’est ni tellement une question d’ignorance, ni de stupidité mais surtout de mauvaise incitation financière.
Il y avait une très forte incitation financière à croire dans le modèle, ou à continuer d’agir comme si on y croyait, et zéro incitation à en dénoncer les limites. Donc si on trouve une solution, une méthode pour récompenser financièrement les sceptiques quand leur démonstration de la faille du système tient la route, si l’on trouve un moyen convaincant pour qu’il soit très dangeureux financièrement pour les défenseurs du système de continuer à le défendre s’il y a un risque qu’il crashe, on pourra empécher une telle crise de revenir. Sinon, on est condamné à recommencer.
Je ne comprends rien à l’anglais et encore moins aux copules. Quelqu’un aura-t-il l’amabilité de me résumer ce "raisonnement circulaire" ? C’est curieux qu’il puisse exister car, à l’éclatement de la crise, tout le monde disait que "les modèles mathématiques ne sont pas en cause". L’erreur de raisonnement est-elle dans les modèles ou dans leur application ?
@ Crapaud froid
Comme vous, je ne voyais pas où il y a un raisonnement circulaire dans tout ça. Après un peu de surf, voici ce que j’ai pigé :
Prenez une agence de notation qui veut évaluer le risque d’un portefeuille de prêts hypothécaires. Un paramètre important est l’intercorrélation des différents prêts/titres : si tous les crédits ont tendance à faire défaut ensemble le risque du portefeuille est plus élevé que si ils font défaut aléatoirement et que le succès des uns compense l’échec des autres. L’agence veut donc évaluer cette/ces corrélation(s).
Implicitement, une première hypothèse simplificatrice est faite ici : 1) on utilise des corrélations passées pour prédire le futur. Mais faute de mieux…
Evaluer ces corrélations est un travail titanesque : il faut recueillir des données historiques, les mouliner, etc. Peut-on les obtenir de façon plus économique? David X. Li a trouvé un moyen d’y parvenir : en observant que le prix des CDS dépendait aussi de ces corrélations, il a calculé les corrélations à partir du prix de marché des CDS, puis calculé le risque de défaut d’un portefeuille de prêts à partir de ce résultat.
Il n’a pu le faire qu’au prix d’une simplification supplémentaire, en postulant que 2) les corrélations entre de nombreux prêts avaient une forme et une symétrie particulières (copule gaussienne). Ceci permet de calculer le prix d’un CDS à partir d’un paramètre de corrélation, et vice-versa. Si je comprends bien, c’est cette astuce mathématique qui a permis d’évaluer le risque d’un portefeuille à partir du prix des CDS.
Où est le raisonnement circulaire?
On peut éventuellement voir là un raisonnement circulaire dans le sens où le risque de défaut d’un actif financier est obtenu à partir du prix de marché d’un autre actif. A un niveau simpliste, c’est circulaire parce que l’on "utilise le marché pour évaluer le marché". C’est à mon avis un contresens complet. Raisonner ainsi revient à croire qu’il y aurait une méthode objective, fondamentale, permettant d’évaluer le risque d’un portefeuille sans avoir recours au marché. Mais un prix de marché peut s’observer; pas se calculer. Il n’y a pas de prix abstrait sans des êtres humains qui interagissent et confrontent leurs évaluations. Ceci est valable aussi pour le risque, dès lors qu’il s’agit d’un risque comme un défaut de crédit – qui concerne la probabilité qu’un être humain agisse de telle ou telle façon.
On peut ensuite se demander si les simplifications 1) et 2) étaient erronées.
Chacun connaît l’adage : "les performances passées ne préjugent pas des performances futures". Tout est dit sur 1) : cette hypothèse est fausse, mais utile…
Sur 2) je pense que l’on peut faire des commentaires plus intéressants. La formule mathématique de Li est un moyen d’économiser du temps et un travail fastidieux de collecte de statistiques. L’hypothèse 2) permet donc de diminuer le coût de production d’une information (l’évaluation du risque d’un portefeuille); la contrepartie est que la fiabilité de cette information diminue.
En étant cynique, on peut considérer que c’est l’intérêt des gens qui produisent cette information (les agences) de vendre cher un produit qui ne coûte pas cher à produire. Mais c’est oublier qu’il y a une demande en face de l’offre. Les fonds, banques, et autres utilisateurs de cette information ont intérêt à payer le moins cher possible l’information la meilleure. Si la formule de Li diminue la qualité de l’évaluation (ce qui n’est pas prouvé), il y aura sans doute des clients naïfs qui se contenteront de cette information médiocre, et d’autres plus malins qui préféreront payer plus cher une information de meilleure qualité. Au final, il faut un certain consensus entre producteurs et utilisateurs de ces données pour que leur qualité baisse durablement.
J’ai donc l’impression que 2) n’est pas le problème. Cette simplification mathématique n’a pas servi à tromper des investisseurs très regardants. Elle a plutôt rendu service à toutes les parties prenantes (banques, agences, investisseurs) qui étaient de moins en moins regardantes sur les risques, et ce pour d’AUTRES raisons.
@Gu Si Fang
D’abord un point technique: la formule de Li utilise le prix des CDOs pour calculer une corrélation implicite. Les CDS sont des contrats d’assurance sur un seul nom, ils ne contiennent pas d’information sur une corrélation avec d’autres entités. Le lien logique est le suivant:
Prix de CDSs + corrélation => prix de CDO
Donc si on connait le prix de CDSs et le prix d’un CDO alors on peut calculer une corrélation implicite qui servira a calculer d’autres le prix d’autres CDOs.
Je pense au contraire qu’une partie du problème vient du point 2). Il faut bien comprendre que d’un point de vue scientifique, la corrélation implicite dérivée de la formule de Li ne représente RIEN. C’est uniquement le chiffre qui, a partir de données de CDS permet de retrouver le prix d’un CDO en utilisant la formule de Li. Ce chiffre aurait une signification si:
1) Le modèle de Li était vrai
2) Les prix des CDSs et des CDOs représentaient parfaitement le risque de crédit associé (Cyniquement, on pourrait dire que la crise bancaire actuelle relève de "la faute a pas de chance" vu qu’un an avant le marché -a travers les prix de CDSs et de CDOs – estimait qu’il y avait une chance sur un million que quelque chose de similaire se produise.).
On peut évidemment ressortir l’argument scientifique "modèles vs réalité", mais pour ma part, je pense qu’un modèle scientifique n’a de validité que s’il est capable d’évaluer l’erreur faite entre ses prédictions et la réalité. Je ne pense pas qu’il soit possible de faire précisément ce genre de choses avec la formule de Li.
La simplicité de la formule a fait qu’on lui a fait dire beaucoup plus qu’elle ne le pouvait (voir ma remarque sur les moyennes de corrélation) pour les raisons qui sont sous entendues dans votre dernier paragraphe. Cela aurait du être le rôle (entre autres) des nombreux scientifiques embauchées par les banques ces dernières années de dire que traiter ces produits a grande échelle pouvait mettre en danger l’existence même de leurs employeurs.
@ sea34101
"Les CDS sont des contrats d’assurance sur un seul nom, ils ne contiennent pas d’information sur une corrélation"
Merci pour cette précision, j’avais mal compris. Je croyais que le sous-jacent des CDS utilisés contenait déjà des actifs corrélés entre eux.
"Donc si on connait le prix de CDSs et le prix d’un CDO alors on peut calculer une corrélation implicite"
A partir du risque de défaut des sous-jacents packagés dans un CDO, et connaissant le prix du CDO, on peut extraire la corrélation implicite entre ces sous-jacents, c’est ça?
"corrélation implicite qui servira a calculer le prix d’autres CDOs"
A condition que les nouveaux CDO contiennent des actifs qui ressemblent à ceux du CDO dont on a extrait la corrélation implicite. Si les CDO que l’on souhaite pricer ont des sous-jacents très différents, il n’y a pas de raison d’utiliser la même corrélation.
Prenons un exemple :
1) A partir du prix des CDS sur plein d’entreprises industrielles, et du prix d’un CDO contenant des prêts à l’industrie, on calcule une corrélation implicite entre les risques de défaut des entreprises concernées.
2) On fait l’hypothèse (HENAURME!) que la corrélation entre des prêts hypothécaires de particuliers est la même qu’entre les prêts industriels, et on en déduit le prix d’un CDO contenant des prêts hypothécaires titrisés.
Si je comprends bien, c’est à peine croyable. C’est comme si je regardais les prévisions météo à Paris pour connaître le temps à Pékin. Vous avez raison de dire "la corrélation implicite dérivée de la formule de Li ne représente RIEN", mais il faut préciser : la prévision météo de Paris ne représente RIEN… pour Pékin. C’est bien ça?
D’où la question : pourquoi les créanciers auraient-ils accepté/adopté une méthode d’évaluation des risques aussi farfelue? C’est contraire à leur intérêt, et donc à leur cupidité légendaire 😉
Mon explication est qu’ils se disaient "We are here to make business anyway"… AT ANY COST (parlant du coût du risque), avec pour cela deux causes :
– l’aléa moral du prêteur en dernier ressort (puisque je n’aurai pas à supporter le coût du risque, pourquoi le pricer correctement?)
– le dilemme du prisonnier créé par l’expansion monétaire (si tout le monde prend de tels risques la bulle va finir par nous péter à la figure, mais cela minimise ma perte par rapport à ce qui arrivera si je me comporte prudemment pendant que mes concurrents me prennent des parts de marché)
Oui, c’est bien cela.
Cela dit, votre remarque: "Si je comprends bien, c’est à peine croyable." me surprend un peu de votre part.
Il me semble que vous autres économistes aimez répéter cette métaphore de l’ivrogne cherchant ses clefs pret d’un réverbère … Ben la, vous en avez une illustration parfaite ;-).