J’ai lu ou entendu ici ou là qu’il aurait fallu envoyer les forces de l’ordre plus vite pour déloger les étudiants bloquant les universités. Je dis que ce n’est pas évident.
Toute décision publique repose sur un arbitrage entre coûts et bénéfices. L’objectif du décideur public est de garantir au mieux le bon fonctionnement de l’université. On peut énumérer une liste de coûts attachés à une intervention des forces de l’ordre et évaluer leur intensité selon le temps mis pour programmer l’intervention.
– Dégâts humains : blessés chez les forces de l’ordre et chez les étudiants. Ils dépendent de l’intensité de la résistance, qui varie avec le temps. On peut supposer qu’elle est élevée au début. Il y a beaucoup de motivation au démarrage. Elle tend à se tasser quand le niveau de la mobilisation est incertain, c’est-à-dire quand le mouvement est lancé mais qu’on n’a pas encore atteint un point de bascule. Puis, avec la lassitude, elle peut décroître.
– Coûts des dégradations matérielles : on a vu que le respect des étudiants pour leur outil de travail n’est pas exemplaire dans les périodes de grève. On a vu que leur laisser squatter les facs trop longtemps donnait libre cours à l’expression de vandales (étudiants ou non). D’un autre côté, une intervention est source de confusion et de chaos. Chaos dans lequel les comportements destructeurs peuvent s’exprimer à loisir.
– Coût de l’intervention : mobiliser des compagnies de CRS n’est pas gratuit, d’une part. D’autre part, en admettant que le coût d’une compagnie soit essentiellement fixe, il existe toujours un coût d’opportunité : quand vous n’êtes pas chez les étudiants, vous pouvez être chez les agriculteurs. Si attendre avant d’intervenir peut éviter d’intervenir, c’est un coût évité. Si le mouvement s’ancre, le coût d’intervention peut néanmoins être plus élevé qu’en cas d’intervention précoce.
– Coûts en image : en fait, ce peut être un coût ou un gain. Le décideur public qui ne veut pas heurter l’opinion en usant de la violence physique, fût-elle légalement légitime, perdra en image à envoyer rapidement les forces de l’ordre matraquer les fauteurs de trouble. Ne pas laisser émerger les revendications des grévistes peut laisser supposer qu’on ne les laisse pas s’exprimer, y compris si on peut estimer qu’il y a d’autres façons. Laisser un peu durer le mouvement pour que la légitimité des revendications (pas des moyens) soit évaluée par l’opinion peut éviter les accusations de comportement autoritaire. Si les fauteurs de trouble font eux-mêmes usage de l’intimidation, l’intervention rapide et musclée peut être la preuve qu’on ne plaisante pas avec le respect de l’état de droit et de l’intégrité physique et psychique des personnes dans cet état de droit. Ces coûts ou gains en image peuvent être monétarisés de façon classique, au travers des coûts et gains économiques attachés au respect de l’état de droit.
– Coût en service d’éducation : plus le nombre de cours est annulé, plus la perte est importante en la matière, avec une croissance exponentielle. Quelques heures de cours perdues ne pénalisent pas les étudiants dans leur scolarité ; mais plus le nombre croît et plus le préjudice est important. Les coûts de fonctionnement continuent d’être supportés (salaires des personnels, coûts des infrastructures, etc.) et le coût d’opportunité d’une année de scolarité pour les étudiants inscrits croît avec la durée du mouvement (ils auraient pu travailler plutôt que d’attendre la réouverture de la fac).
– On peut évoquer les éventuels coûts liés aux retombées de l’épisode : ressentiments entre membres de l’université à tous les niveaux. Mais je ne sais guère si c’est pertinent. Là encore, ces coûts sont susceptibles d’évlouer de façon différente selon la durée du mouvement.
S’il fallait formaliser un modèle autour de ça, une touche de marchandage de Rubinstein (voir page 2 de ce document) serait probablement utile.
L’un dans l’autre, il semble qu’intervenir à la première barricade n’est pas forcément rationnel, du moins si ce qu’on veut est le bon fonctionnement de l’université. Après, si on est un simple militant, c’est une autre histoire. Vous avez d’autres éléments clairs et concis pour compléter cet inventaire de coin de table ? Trolls et militants décérébrés, s’abstenir, merci.
- Sur le passeport vaccinal - 18 mai 2021
- Laissez le temps de travail en paix - 19 mai 2020
- Élinor Ostrom, le Covid-19 et le déconfinement - 16 mai 2020
- Ne tuons pas l’enseignement à distance. Optimisons-le - 15 mai 2020
- Quelques commentaires sur les évaluations à l’arrache des systèmes de santé en pleine épidémie - 9 mai 2020
- Du bon usage du supposé dilemme santé vs économie - 9 mai 2020
- Le problème avec la courbe. Édition Covid-19 - 4 mai 2020
- Reprise d’activité - 21 avril 2020
- Problème corrigé sur les notes de lecture - 6 février 2020
- éconoclaste a 20 ans. Épisode 2. Passeurs dans les années 2000 - 27 décembre 2019
Quand c’est une minorité qui bloque les facs (comme c’est le cas actuellement) les bénéfices pour un gouvernement de libérer les lieux sont forcément supérieurs aux coûts.
Vous dites “pour un gouvernement”, qu’entendez vous par là ? Un décideur public soucieux de retenir la meilleure combinaison coûts-bénéfices sociaux ? Ou un politicien soucieux de son bien-être, qui n’évalue pas les coûts et bénéfices pour les autres ?
Je différencie pas un gouvernement d’un décideur public ou du politicien. Le faire serait rentré dans d’autres débats qui dépassent votre biais (J. Buchanan et sa théorie). En d’autres termes, je continue de faire confiance à nos politiciens.
Qu’entendez vous par “qui dépassent votre biais” ? Je me demandais juste en quoi, compte tenu des éléments de coûts posés dans le billet, les coûts d’une intervention rapide seraient évidemment plus faibles que les gains, quand une minorité agit. Vous devriez pouvoir nous le dire, puisque vous adhérez à la thèse du “despote bienveillant”. C’est justement celle qui est la plus pratique, si ce n’est pertinente, pour traiter des questions de décision publique.
Je considère un décideur public qui se soucie de l’intérêt général et pas de ses propres intérêts. Et dans ce cas, l’intérêt général (majorité de non gréviste) veut que les facultés soient évacuées.
Pour ce qui est "qui dépasse votre biais", votre biais ce limite à une analyse coût-bénéfice et ne précise pas si le décideur public se soucie de l’intérêt de la majorité ou des propres intérêts (ou des deux).
Ok, c’est ce que je craignais, vous n’avez encore pas lu ce que j’ai écrit mais vous le commentez. Sinon, vous tiendriez probablement compte des coûts qu’une intervention peut générer, y compris pour ceux qui veulent aller étudier. Si un bloqueur fout le feu à la fac en réaction à l’intervention, vous évaluez à combien les gains del’intervention pour un étudiant qui veut aller en cours ? J’imagine que le raisonnement économique ne convient pas encore sur ce sujet. Comme d’habitude avec vous…
lol
Sur les dégats et le vandalisme je pense qu’au peut aussi ajouter la variable de discipline. On sait que si le blocage est diriger par un syndicat il aura à coeur de limiter le vandalisme et bloquera le campus avec des éléments syndiquezr ayant un minimum, evidement cela varie aussi du pouvoir de négociation qu’a ou que peut avoir le syndicat. A l’inverse dans le cas d’un blocage par un comité éloigné de tout "pilotage" par une force politique et syndicale, la degradation est plus rapide.
Je pense qu’il ne faut pas non plus omettre un certain sentiment d’appropriation des lieux avec le temps, selon un mecanisme "Notre campus. Notre lutte. Nos idées [marquées sur les murs]" qui joue aussi.
Je pense donc que les dégradations causées par un blocage sont à la fois comme vous les avez évoquées et en même fontion du temps et de la respectabilité/professionalisme de ce qui les dirigent.
Moi qui croyait betement que l’Etat était là avant tout pour défendre les Libertés des individus, avant "l’intéret général" soulevé en commentaire, avant "l’intérêt économique collectif".
Je n’ai jamais évoqué l’intérêt général, mais l’optimisation des ressources, publiques en l’espèce.
Mais vous avez sans doute raison, en terme économique, il faudrait aussi cesser de poursuivre les violeurs et assassins, dont la capture monopolise de précieuses ressources pour un intérêt collectif pécunié limité.
Vous ne savez pas si bien dire, mon pauvre ami. Si vous poussez un peu votrer raisonnement jusqu’au bout (et sans raccourcis non logiques, type libertarien de base), vous constaterez que dans les derniers mois les français ont préféré dépenser beaucoup d’argent pour organiser une coupe du monde de rugby, partir en vacances et tout un tas d’autres choses bien moins “esssentielles” que d’attraper les violeurs et les tueurs. Pourquoi ? Parce qu’on peut utiliser toutes les ressources du pays pour pourchasser les violeurs et les tueurs. Et ça, en réalité, personne ne souhaite le faire. C’est une aberration. CQFD. Mais, au fait, dites moi, vous attendez de l’Etat qu’il garantisse vos libertés, vous ? Je pensais que vous souhaitiez qu’il disparaisse, pour pouvoir demander à une officine privée de vous protéger. Conséquemment, vous n’êtes pas supposé avoir d’avis sur la gestion d’un bien public, puisque selon vous ça n’existe pas.
C’est amusant d’ailleurs, on reproche parfois a ce Blog des positions libérales, mais en l’occurence, l’approche libérale est de privilégier la liberté des individus d’aller et venir, de suivre leurs études etc., quel que soit le coût, quand c’est l’approche collectiviste/socialiste qui pensera moins en droits individuels qu’en rapport de force, coûts comparés pour la collectivité etc.
Oui, je sais, en fait, on des gauchistes masqués. Des gens enfermés dans votre bunker l’ont fréquemment dit.
Peut etre faut il introduire un droit pour les individus d’attaquer et de faire condamner l’Etat a de tres lourds dommages et interets pour refus patent de protéger la liberté de certains individus, et ainsi forcer l’Etat a condidérer comme trop onéreux de ne pas protéger ces droits. Mais je doute meme de l’efficacité : apres tout, quand l’Etat refuse d’executer les décisions d’expulsion des tribunaux au motif qu’il ne sait pas quoi faire des expulsés , les propriétaires peuvent poursuivre l’Etat en justice et le forcer à payer les loyers, mais ca n’a jamais spécialement poussé l’Etat a être plus dilligent à faire respecter le droit. Comme quoi aujourd’hui en France, les droits sociaux (droit au logement, a l’emplois, aux allocations familiales etc.) sont placés au dessus des droits naturels (Liberté, Propriété, …).
ST.
@sm : c’est dimanche, y a messe, boulanger, tout ça… J’ai pas le temps de lire le billet alors je réponds : "Les bleus ont été rapidement envoyés à l’Euro 2008 par les Italiens". J’ai bon ?
Oui. Et ça pose problème : si Domenech avait prévu ça, il aurait appelé Cissé pour jouer contre l’Ukraine.
Un aspect à considérer aussi est qu’envoyer les forces de l’ordre très rapidement peut être perdant si on ne considère qu’une seule opération, mais avoir l’avantage de démobiliser les étudiants qui voient leur action interrompue avant d’avoir pu porter ses fruits médiatiquement (donc mauvais rapport gain/investissement), et donc les décourager de lancer une autre opération dont il peuvent présager qu’elle sera interrompue tout aussi vite et tout aussi peu rentable.
Et si une paire d’interventions de ce type arrivent à décourager les étudiants de recommencer, là c’est très rentable.
J’ai bien lu le billet et je comprends que la principale incertitude repose sur le cout/bénéfice en terme d’image.
C’est la façon politique de gérer le conflit qui donnera un résultat positif ou négatif. Mais l’action est délicate ; l’opinion sera par ex. au début favorable, un impondérable peut lui faire atteindre le point critique au delà duquel elle basculera d’un état à un autre. Comment évaluer ce risque ?
Ne serait ce pas le problème des lieux publics ?
Le plus simple pour le gouvernement me semble d’attendre que les présidents d’université prennent eux-mêmes les décisions les moins populaires. La CPU et les directeurs de sécurité publique deviennent alors responsables de la situation.
Je ne sais pas s’il y a une théorie principal-agent trendy à coller dessus, mais dans tous les cas je crois que deux concepts jouant ici sont (1) la délégation et (2) l’évitement du blâme.
Il y a deux conséquences à la poursuite de l’occupation des facs :
1> La dégradation des locaux, que l’on peut supposer croissante avec le temps, mais qui peut être fortement aggravée avec une intervention des forces de l’ordre
2> L’absence de cours. Mais cela ne pénalise QUE les étudiants.
On peut bien sûr évoquer un certain nombre d’autres facteurs : respect de l’état de droit, liberté d’aller et venir etc… Mais il est communément admis, en France, que ces principes sont secondaires devant la nécessité d’exprimer un mécontentement.
L’occupation des facs à – pour le moment – un coût neutre pour le gouvernement. Dans ce contexte, le gouvernement n’a aucun intérêt à demander l’évacuation des facs par les forces de l’ordre. Sur ce conflit, il a trois options :
– L’évacuation des facs, mais comment contrôler la minorité d’étudiants engagés ? Une fois évacués, ceux-ci reviendront et réinstalleront les piquets de grèves. Il s’agirait d’un coup d’épée d’en l’eau. Sans conséquence pour la gestion du conflit, et très risqué en terme d’image.
– Abandonner la loi Pecresse. Mais ce serait un très mauvais signal, alors que le gouvernement est engagé dans une épreuve de force où il joue sa crédibilité dans la réforme des régimes spéciaux.
– Ne rien faire. C’est à mon avis, la meilleure solution. Le mouvement peut pourrir sur place. Pour résoudre ce problème, les coordinations d’étudiants sont obligés de surenchérir dans leur mobilisation (par exemple avec l’occupation des voix ferrés) se faisant, ils se radicalisent et se coupent de plus en plus de l’opinion.
J’ai peut-être un biais de droite un peu trop prononcé, mais tout de même j’ai la nette impression que la légitimité est très forte du côté des décideurs publics, ce qui diminue d’autant les risques d’être mal vus par la population.
Vous avez raison de signaler implicitement que la satisfaction de voir des hors-la-loi malmenés par les forces de l’ordre peut être un élément à prendre en compte dans la fonction d’utilité sociale maximisée par le décideur. A la limite, si cette préférence pour l’ordre est suffisamment forte, elle peut éclipser sans aucun doute les coûts éventuels. Je précise qu’il n’y a aucune ironie ou second degré dans ce que j’écris.
Pour aller dans le sens de ma super-théorie précédente, les chercheurs sont en
train de se démarquer des présidents d’université car ces derniers assument de
plus en plus la responsabilité des événements.
Les présidents d’université ne parlent pas en notre nom, Le Monde, aujourd’hui.
@ Henriparisien:
Ma soeur est à la Sorbonne – Clignancourt, les bloqueurs reviennent alors qu’ils étaient partis, la dernière AG de Vendredi ayant voté contre le blocage. Certains, n’ayant que faire du vote, sont revenus aujourd’hui, ont exclus les anti-bloqueurs de leur AG impromptue pour entamer un blocage. Blocage que des profs ont tenté de briser aujourd’hui pour finalement se retrouver à l’hopital.
Si vous laissez pourrir la situation, c’est tout le monde qui perd, le gouvernement le premier, car il sera perçu comme incapable de résoudre la crise dans un sens ou dans un autre. Etant donné que beaucoup des gouvernements précédents se sont couchés, celui-ci a donc, comme je le disais, une forte légitimité à intervenir, et par la force.
Et si ça s’impose vraiment (les bloqueurs revenant), ça ne me choquerait pas que l’armée prenne le contrôle définitif de ces enceintes, pour que le service public des cours soit assuré.
Ce qui ne veut pas dire qu’on institue la cour martiale, etc, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dis, c’est juste qu’il faut faire intervenir les moyens les plus approrpriés pour maintenir l’ordre. Les militaires sont des professionnels de l’ordre, je préfère les voir eux, camper et loger dans les facs, que les bloqueurs.