Prix 2006 du meilleur jeune économiste

Le Prix 2006 du meilleur jeune économiste coorganisé par Le Monde et Le cercle des économistes a été décerné :

Le jury, composé de membres du Cercle des économistes et de journalistes du ” Monde Economie “, a récompensé cette année les travaux de Thierry Mayer, professeur à l’université Paris-Sud, et ceux d’Etienne Wasmer, professeur à l’université de Metz, titulaire d’une chaire en économie du travail à l’université du Québec.

Fabien Postel-Vinay, professeur à l’université de Bristol (Royaume-Uni), Hélène Rey, professeur à Princeton (Etats-Unis), et Emmanuel Saez, professeur à l’université de Berkeley, en Californie, ont été nominés.

Bonne cuvée.

J’ai évoqué Thierry Mayer récemment, pour signaler la possibilité de télécharger son livre (co-écrit avec Thisse et Combes).

Etienne Wasmer, que je ne connaissais pas jusqu’à récemment, est l’auteur de plusieurs articles sur Telos, concernant l’emploi.

J’avais évoqué un article de Fabien Postel-Vinay il y a quelques temps sur ce blog. Article qui fut d’ailleurs article de la semaine, en son temps.

Je ne connaissais pas du tout Hélène Rey, pourtant remarquablement délocalisée à Princeton, auprès de Krugman, dont elle partage des thèmes de travail en macroéconomie ouverte.

Quant à Emmanuel Saez, il est notamment connu pour être l’un des coauteurs de Thomas Piketty. Son domaine de recherche est la théorie fiscale.

Une belle brochette, qui a inspiré au cercle des économistes une analyse de la qualité de la recherche en sciences économiques en France que je partage assez :

La sélection des jeunes économistes et le choix de ceux ou celles qui seront couronné (e) s ou nominé (e) s par le Cercle des Economistes et ” Le Monde Economie ” constitue toujours, depuis le lancement de cette récompense, une phase d’un haut intérêt. Qu’ils soient de purs produits de l’université ou des grandes écoles, leurs travaux et leurs activités professionnelles révèlent ce que la recherche économique et son enseignement sont devenus en France, au plus haut niveau. Les deux tendances qui s’affirment de plus en plus au fil des années sont celles de la crédibilité scientifique et de la visibilité internationale.

La première tendance, celle de la crédibilité scientifique, repose sur le choix des thèmes choisis et de la méthodologie adoptée. Cette dernière repose sur une alliance entre l’analyse économique pure et la vérification empirique. Cette alliance vise à répondre à des questions concrètes et actuelles de politique économique. Cet effort porte, chez les sélectionnés du Prix, sur des domaines qui font partie des préoccupations quotidiennes : la réforme du marché du travail, la géographie économique et la stratégie des firmes multinationales et l’évolution du marché des capitaux. Il s’agit de donner une réponse ” scientifique “, objective, à des questions ouvertes dont, parfois, les politiques ont tenté de s’emparer. L’effort des jeunes économistes est donc courageux ; leur réponse risque de mettre en évidence les discours idéologiques, de dénoncer, implicitement ou explicitement, l’existence de niches rentières.

Il n’y a pas très longtemps encore, l’habitude n’est pas totalement effacée, la structure classique des travaux universitaires reposait sur une première partie où l’on démontrait que l’on connaissait toutes les théories existantes, et la seconde portait sur une question concrète dont il importait avant tout de montrer que l’on avait lu toute l’information disponible. Mais le lien entre la théorie et la pratique était rarement opéré. Les concepts n’étaient pas utilisés pour décrypter la réalité. Il s’agissait de deux mondes à part qui ne se croisaient pas. La génération des jeunes économistes que le Prix veut faire connaître fait justement le pont. L’analyse économique permet d’éclairer la pratique et de fournir des réponses concrètes qui ne sont pas fondées sur des actes de foi. Les concepts retrouvent leur rôle indispensable pour interpréter la réalité économique. Car celle-ci ne s’offre pas immédiatement comme le pensent les empiristes simplistes, il faut savoir la décrypter pour aboutir à des conclusions qui sont parfois ” contre-intuitives “, différentes de ce que l’on pourrait penser spontanément. C’est précisément ce que les jeunes économistes que nous avons identifiés savent faire avec talent et parfois, avec courage.

La seconde tendance est liée à la première : la visibilité des jeunes économistes est fonction de leurs travaux qui sont désormais connus à l’extérieur. Ils sont publiés dans des revues prestigieuses, généralement anglo-saxonnes – mais l’anglais est devenu le vecteur international – dont les comités de lecture comptent les meilleurs économistes. En outre, les jeunes économistes n’enseignent pas qu’en France. Ils assurent des cours à l’étranger, outre-Manche et outre-Atlantique, dans les universités les plus prestigieuses.

L’université française doit s’enorgueillir d’accueillir chez elle des maîtres dont la réputation dépasse les frontières nationales. L’écart, pour ne pas dire le retard, entre l’état de la recherche en France et celui des autres pays développés est, grâce à eux, amoindri dans le domaine de l’économie. Ils démontrent que l’écart peut être comblé, ce qui est déjà énorme. L’objectif à atteindre sera obtenu quand non seulement le niveau sera reconnu comme étant identique, ce qui est déjà un grand progrès, mais lorsque les lauréats du Prix du Cercle des économistes et du ” Monde Economie ” deviendront des modèles d’exemplarité. Pour aller dans cette voie, ce que les jeunes économistes démontrent aujourd’hui, c’est qu’il ne faut pas se laisser enfermer dans un repli frileux sur l’Hexagone, mais au contraire jouer à fond la dynamique de la mondialisation. Une leçon à retenir.

Le Cercle des économistes
(c) Le Monde 2006

Bien des choses exactes, en effet. Néanmoins, la fin est un peu légère. “En outre, les jeunes économistes n’enseignent pas qu’en France. Ils assurent des cours à l’étranger, outre-Manche et outre-Atlantique, dans les universités les plus prestigieuses.”
Pour qui lit un peu les courtes interviews données par les lauréats ou nominés, le son de cloche semble un tantinet différent. Je n’ai pas l’habitude de verser dans le catastrophisme de la fuite des cerveaux, mais dans le cas présent, les mots de Saez résume nt assez bien la situation : “En venant faire ma thèse ici, je ne pensais pas m’installer, mais à chaque étape de ma carrière, je me suis aperçu qu’on m’offrait beaucoup mieux.” Et Hélène Rey : “Si l’on pouvait transposer à Paris quelque chose qui ressemble à Princeton, je rentrerais certainement en France.”

Ne soyons pas inutilement pessimistes. Ces jeunes économistes donnent effectivement pour la plupart d’entre eux des cours en France et publient encore en français, dans des revues françaises. C’est déjà pas mal pour accéder facilement à des travaux de qualité. Ajoutons qu’il s’agit là de la première génération d’économistes qui sont “massivement” au top de ce qui se fait mondialement. Et ils sont loin de tous s’expatrier !

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7 Commentaires

  1. A côté des "great contributions to the field", que tu cites justement, il y a aussi de petites contributions qui sont bien utiles. Par exemple, Thierry Mayer a eu la brillante idée de mettre en ligne sur son son site des fichiers types permettant d’écrire sa thèse en LaTeX :
    team.univ-paris1.fr/teamp…
    Et ça, ça aide beaucoup les thèsards dépressifs qui écrivent sur des blogs à 4h30 du matin : il ne leur reste plus qu’à remplir les espaces vides entre les titres. Une bagatelle !
    Petite note à son attention toutefois, pour le cas où il lirait éconoclaste : le package "doublesp" n’existe plus, il a été remplacé par "setspace". Sur ce, buenas noches.

  2. Ah, oui, c’est amusant comme fonctionne la mémoire. Je disais ne pas la connaître et d’un seul coup, la référence donnée par Salanié me revient. Je confirme à 99% que c’est bien lui qui en a parlé. Je n’avais pas lu le texte cependant.

  3. Bah, j’aurais bien salué sa vista, mais il a annoncé que Saez gagnerait (un jour). Ce n’est pas cette année… Mais il est dans les nominés, c’est déjà ça, c’est vrai.

  4. Y a pas de mal, y a pas de mal. Ce que je trouve intéressant quoi qu’il en soit, c’est que ce genre de prévision va devenir de plus en plus difficile, signe que les bons jeunes économistes français commencent à pululer.

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