Politiques de l’emploi : C’est reparti pour un tour

TUC, ACCRE, CRA, CRE, PIL, CES, CEC, CFI, AIF, CIE, nouveaux services emplois jeunes, CJE, SMAN, SAE, contrat d’apprentissage, contrat de qualification, stage AFPA, APEJ, stage Granet, SIVP, SIFE, FRA… Tous ces acronymes constituent un petit échantillon des plus de 80 dispositifs d’aide à l’emploi qui se sont succédés en France depuis les années 1970. Pour quels résultats? On n’en sait rien. C’est qu’en France, la politique de l’emploi n’est pas seulement un moyen d’espérer résoudre le problème du chômage : c’est surtout l’enjeu d’une permanente et affligeante querelle de bac à sable.

Le cycle de vie des politiques de l’emploi est le suivant :

Un gouvernement adopte un quelconque dispositif sensé réduire le chômage, avec forces clairons et experts très savants en disséquant les mécanismes. Le dispositif en question est mis en place, mais ne fait l’objet d’aucune évaluation sérieuse. En général, les services du ministère annoncent fièrement qu’un toujours très grand nombre de personnes bénéficie aussitôt de ce dispositif, ce qui permet au ministre de parader à la télévision, et d’annoncer fièrement que son idée était tellement bonne qu’il va la généraliser à tous les secteurs d’activités et toutes les catégories de personnes.

Petite parenthèse. Comment évaluer l’effet d’une politique de l’emploi qui prend la forme d’aides à l’embauche? Enormément d’éléments sont à prendre en compte. Il faut d’abord mesurer l’effet de la mesure sur l’emploi total – ce qui n’est pas simple. Car ce n’est pas parce que le nouveau contrat machin pour l’emploi a été adopté pour 50 000 embauches que l’on peut dire que 50 000 emplois ont été créés par ce dispositif. Il se peut que l’on n’assiste qu’à un effet d’aubaine, les entreprises profitant de ce nouveau contrat pour effectuer des recrutements qu’elles auraient fait de toute façon. Il se peut que le dispositif crèe un phénomène de vases communicants : les emplois créés sous forme de ce nouveau contrat sont des emplois détruits par ailleurs (c’est ce qui peut par exemple se produire avec un dispositif pour l’emploi des jeunes, qui peut conduire à réduire l’emploi des salariés plus âgés). Il faut aussi savoir si ce dispositif d’aide à l’emploi enferme les personnes concernées dans une trappe à emploi précaire (les personnes accumulant des emplois aidés divers, sans jamais obtenir d’emploi “normal”), ou s’il constitue au contraire une passerelle vers une activité non aidée. Il faut aussi mettre cette politique de l’emploi en parallèle avec ses coûts (un dispositif qui coûte un million d’euros par emploi créé serait singulièrement aberrant; il n’est pas impossible cela dit que cela existe). Bref, l’évaluation des politiques de l’emploi n’est pas facile : cela exige d’avoir du recul et de croiser des évaluations.

Or, cet effort d’évaluation n’est que très rarement fait sérieusement. Les ministères ont après tout un intérêt à donner une vision flatteuse des politiques qu’ils mettent en place. C’est pour cela que le plus souvent, le nombre de bénéficiaires (lui-même souvent exagéré) des dispositifs constitue la seule information donnée pour évaluer les politiques de l’emploi. Bien évidemment, l’opposition s’insurge : le ministre ment, il exagère ses résultats, sa politique est (choisissez selon les époques) :
– une politique antisociale de précarité accrue, fondée sur une idéologie réactionnaire pancapitaliste-ultralibérale, qui pénalise les chômeurs, engraisse le patronat, ne créera pas un seul emploi, et fait courir le budget de l’Etat à la ruine en creusant la dette publique;
– une scandaleuse gabegie qui pénalise la compétitivité de nos entreprises qui sont déjà écrasées sous les charges et ne peuvent plus se battre dans la guerre économique mondiale que nous font les chinois, fondée sur des idées rétrogrades qui entretiennent les conservatismes, ne créera pas un seul emploi, et fait courir le budget de l’Etat à la ruine en creusant la dette publique.

Bien évidemment, les oppositions s’engagent solennellement à supprimer ces abjections dès lors qu’elles arriveront au pouvoir. Sur le moment, cette annonce ne fait que créer un peu plus d’incertitudes chez les salariés et les employeurs (que dois-je faire, si la loi change dans deux ans?); Lorsque l’opposition est devenue la majorité, elle commence par vider de sa substance tout ce que ses prédecesseurs avaient fait, de préférence en y ajoutant une bonne couche de législation verbeuse et incompréhensible; Puis, du passé ayant fait table rase, elle peut alors adopter les merveilleux dispositifs qu’elle avait dans sa besace, qui sont mis en place, dont les résultats sont claironnés… et c’est reparti pour un tour.

Caricature? Mais regardez ce qui s’est produit avec les deux principaux programmes socialistes pour l’emploi, les 35 heures et les emplois-jeunes. L’effet des 35 heures a fait l’objet d’une querelle de chiffres incroyable, d’autant plus féroce que les éléments donnés étaient simplistes et éloignés de ce que l’on peut attendre d’une mesure sérieuse. Entre le gouvernement qui à chaque plan de 35 heures nous annonçait fièrement des centaines de milliers d’emploi créés, et l’opposition qui hurlait aux loups et affirmait que “cela ne créait rien du tout”, il était bien difficile de savoir à quel saint se vouer. Si l’on s’arrête aux spécialistes du marché du travail, les estimations les plus pessimistes indiquaient que les 35 heures, qui avaient été accompagnées de forts allègements de cotisations sociales, avaient créé autant d’emploi que si ces allègements avaient été faits seuls.

Et que croyez-vous qu’il arriva? Le gouvernement suivant a annoncé que les 35 heures coûtaient trop cher, et a interrompu prématurément les allègements de cotisations sociales qui accompagnaient la mesure. Une attitude très intelligente : c’était ce qui fonctionnait dans les 35 heures. Surtout, ces allègements de cotisations sociales “35 heures” ont été remplacés… par des allègements de cotisations sociales. Dans le même temps, les emplois-jeunes n’ont pas été renouvellés, mais remplacés par… des emplois aidés pour les jeunes, non renouvelables, subventionnés et peu payés. Des emplois jeunes, en somme.

Et ça continue encore avec la récente trouvaille gouvernementale : le contrat nouvelle embauche. lancé dans les flonflons. quelques mois plus tard, c’est un “succès extraordinaire” : 70 000 contrats signés (à moins que ce ne soit 200 000, on n’en est pas à cela près). On y ajoute un vague sondage dans lequel on demande aux employeurs s’ils auraient embauché sans cela. Du coup, il faut s’inspirer de cette idée pour favoriser l’emploi des jeunes! pour les évaluations sérieuses, on attendra. Car ce dispositif qui met en place une période d’essai de 2 ans exige un examen de long terme : Ne risque-t-on pas de voir des entreprises accumuler les CNE, ces contrats devenant au bout du compte des contrats à durée déterminée de deux ans? Quel en est l’effet potentiel sur les personnes salariées? Avant de généraliser ce dispositif et d’y ajouter des allègements de cotisations sociales, il serait bon de le savoir.

Mais le refus de s’informer n’est pas une spécialité gouvernementale. Ce matin, on apprenait que Dominique Strauss-Kahn a d’ores et déjà fait son idée sur la question : il faut selon lui “licencier” le CNE, qui est un mauvais contrat, et que la gauche devra supprimer lorsqu’elle sera au pouvoir.

Brillant. Magnifique. Après tout, personne d’un tant soit peu honnête ne peut dire qu’il connaît l’effet final de ce dispositif. Il est fort possible qu’il ne soit qu’un énième coup d’épée dans l’eau; il est possible qu’il génère des effets pervers; mais il est possible aussi qu’il réponde à un vrai problème en matière d’emploi – le caractère dissuasif à l’embauche de la règlementation sur les licenciements – d’une manière pas trop pénalisante pour les salariés. Nous n’en savons rien. Mais les gens qui nous dirigent, tout simplement, ne veulent pas savoir, de peur de devoir admettre qu’ils ont commis des erreurs (qui n’en commet pas après tout) ou que leurs adversaires politiques ont pu avoir raison sur certains points. Surtout, ils veulent donner l’impression d’agir, et pour cela, il est nettement préférable d’agiter du vent que de passer du temps à des évaluations austères qui nous obligent à nous remettre en question.

Etre chômeur est souvent un drame, mais pour se consoler, les chômeurs français peuvent se dire qu’ils battent un record : Peu de gens au monde doivent leur sort à des causes aussi pathétiques.

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Alexandre Delaigue

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