Oublier un peu la Bourse

La suite des hausses et, plus fréquentes, des baisses, d’une ampleur inhabituelle des indices boursiers n’a échappé à personne. Les variations spectaculaires de certains titres en particulier, quoique plus fréquentes sur quelques titres, atteint aussi des ordres de grandeur peu usuels et concernent un nombre de titres également atypique. Un article du Monde daté de demain décrit bien cette étonnante valse et interroge l’évaluation des titres.

“Plus forte baisse de l’indice parisien après Dexia, l’action Renault affiche un recul de 77 %. Le constructeur automobile ne vaut plus que 6,4 milliards d’euros en Bourse, le dixième de son chiffre d’affaires. Pourtant, rien que ses participations dans Nissan et Volvo dépassent neuf milliards d’euros.”

En effet, il est un peu étonnant que si je possède 9 milliards, je n’en vaille que 6. A moins que le reste n’en vaille que -3, ce qui est possible, mais peu conforme je pense à la réalité actuelle, et même à venir, de Renault.

“Avec la récession qui s’annonce des deux côtés de l’Atlantique, la méthode classique d’évaluation des actions, qui consiste à actualiser les futurs bénéfices des entreprises, semble devenue inadaptée. ” Les analystes continuent de tabler sur une augmentation de 10 % des profits des entreprises en 2009, explique Patrick de Fraguier, responsable de la stratégie chez Crédit agricole AM, mais il est impossible qu’elles ne soient pas affectées par la récession. Nous attendons un recul significatif des profits”. Incapables de se fier aux prévisions des analystes, les gérants cherchent à valoriser les entreprises en fonction de la valeur de leurs actifs : leurs fonds propres, leur trésorerie, leur outil industriel, mais aussi leur chiffre d’affaires, leur carnet de commandes, leur part de marché, leurs marques…

Nouvelle méthode de prévision ? L’article est un peu ambigu sur ce point. Ce n’est pas une nouvelle méthode, c’est certain. C’est même une méthode que tout petit entrepreneur connaît bien car, à quelque chose près, c’est celle qui est appliquée pour évaluer son entreprise lorsqu’il veut la revendre. Elle n’est pas meilleure ou moins bonne que la méthode par les flux. Elle est simplement mieux adaptée à certaines situations, dont celle de la liquidation. Dans la perspective de la cessation d’activité, que reste-t-il d’une entreprise ? Ses actifs, démembrables s’il le faut. Précisons que l’on retranche de ces actifs les dettes de l’entreprise. Si l’on regarde de plus près les “actifs” énumérés, on constate aussi que certains ne sont pas vraiment des actifs, au sens où ils n’apparaissent pas dans le bilan. Il en va ainsi de la part de marché ou du CA (sous-entendu, celui de l’an dernier ou du trimestre dernier). A la limite, ce dernier, avec le carnet de commandes donne une mesure de la clientèle (qui fait partie du fonds de commerce). En réalité, on doit supposer que l’évaluation se fait certes à partir des éléments de patrimoine mais, au delà, sur certains éléments de perspective de rentabilité. Une méthode mixte, en somme, basée à la fois sur le patrimoine et les flux de profit anticipés. Il se trouve que cette méthode porte un nom : la méthode du Goodwill.

Qu’en conclure ? En temps normal, une entreprise peut effectivement être assimilée à la valeur des profits (actualisés) futurs. Ce qui n’est pas déconnecté de la valeur des actifs, mais est une interprétation de ce qu’une entreprise est capable d’en faire. Mais quand il est complexe de donner une estimation de ces profits futurs, la seule chose qui reste à peu près évaluable est son patrimoine (et encore, cela peut se discuter : comment évalue-t-on une usine automobile ? A sa valeur “à la casse” ou à sa valeur de reprise par un autre constructeur ?). Et le goodwill vient rappeler que la crise n’est pas la fin du monde. En outre, bien que je ne sois pas très au fait du travail des analystes financiers, il me semble qu’une partie de leur travail consiste aussi à évaluer des actifs selon la méthode patrimoniale et à évaluer les entreprises sur des bases mixtes. Quoi qu’il en soit, entre les mouvements spéculatifs et les changements de pondération affectée aux éléments de patrimoine dans l’évaluation des entreprises, on peut expliquer des variations de cours chaotiques, ce que l’article fait bien. Tant que les investisseurs n’y verront pas plus clair, cela durera. Ce qui conduit à une remarque simple : si la bourse ne voit tellement rien qu’elle donne un poids plus important aux actifs nets, il n’est peut-être pas opportun de chercher à lire l’avenir de l’économie réelle dans l’évolution spécifique du CAC 40. Il n’est pas dénué de sens, puisque des décisions sont prises sur sa base, mais justement, à trop se focaliser dessus, on se mord la queue.

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8 Commentaires

  1. Euh… Les parts de marché, n’est-ce pas ce qu’on valorise à la ligne "fonds de commerce" dans le bilan (parmi les immobilisations incorporelles, à l’actif) ?

    En général, ce n’est pas une petite part.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Fonds de commerce

  2. Oui, l’article de Wikipedia parle de la clientèle, ce qui est au petit commerce ce que les parts de marché sont aux multinationales.

    Lisez un bilan, je vous assure qu’on y valorise le fonds de commerce, ainsi que, de plus en plus, les marques.

    Et on le fait d’autant mieux qu’avec la grande mode d’externaliser les bâtiments, de réduire les stocks, et d’avoir recours au leasing à tout va pour les machines et le mobilier, il ne reste plus beaucoup d’actifs corporels au bilan.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Qui a dit que le fonds ne faisait pas partie du bilan ? Maintenant, essayez de me mettre la part de marché dans un bilan… Et je rappelle ce que j’ai écrit : “Si l’on regarde de plus près les “actifs” énumérés, on constate aussi que certains ne sont pas vraiment des actifs, au sens où ils n’apparaissent pas dans le bilan. Il en va ainsi de la part de marché ou du CA (sous-entendu, celui de l’an dernier ou du trimestre dernier). A la limite, ce dernier, avec le carnet de commandes donne une mesure de la clientèle (qui fait partie du fonds de commerce)“. Ca va mieux en le relisant ? ce que je veux dire, c’est que mettre ces éléments là au milieu laisse supposer qu’on reste aussi dans une évaluation en flux. Enfin, je vais pas réécrire ce texte en entier, hein… Bon, sinon, sur ces questions, jusqu’à l’année dernière, j’ai enseigné ces conneries, donc, sans prétendre être un spécialiste de l’évaluation et encore moins un comptable (enfin, j’ai une agreg de ça, mais avec les nanas ça marche pas, donc je n’en abuse pas), j’ai quelques notions, quand même (et une idée assez claire de ce qu’on fout dans un bilan).

  3. et voilà !!! on ne le répètera jamais assez: Il ne faut pas énerver le comptable qui sommeille dans tout éconoclaste 🙂

  4. Je vous trouve bien nerveux. Votre billet initial n’était pas clair, voilà tout. Vous commencez par dire que la part de marché n’apparait pas dans le bilan, pour dire trois ligne plus loin, qu’en fait si peut-être.

    Avec quelques explications, ça va mieux, merci.

    Réponse de Stéphane Ménia
    C’est pas facile, avec vous. Une part de marché s’exprime en pourcentage. Un pourcentage n’a pas sa place dans un bilan, ce n’est pas un montant exprimé en monnaie. Si vous voulez traduire une part de marché dans un bilan, en première approche, vous allez simplement la convertir en euros en multipliant le CA total du marché par la part de marché. Et vous retomberez glorieusement sur… le chiffre d’affaires de l’entreprise. Ce qui n’est pas la même chose qu’une part de marché et fait doublon avec… le chiffre d’affaires dont on a dit qu’il était inclus dans le fonds. Ensuite, j’ignore totalement s’il existe des techniques d’évaluation du fonds qui incluent une évaluation des parts de marché par des méthodes complexes, mais ce dont je suis sûr, c’est que mon billet était clair dès le départ.

  5. Bien entendu, la part de marché se traduit par un CA, et la méthode classique pour évaluer le fonds de commerce correspondant consiste à prendre un multiple de ce CA, spécifique au secteur d’activité.

    La CCIP fournit ces multiples dans des fiches qu’elle édite, code NAF par code NAF (consultables à la bourse du commerce). C’est une sorte de PER de référence, si vous voulez, qui permet d’estimer les profits futurs en tenant compte du risque et des marges inhérents à l’activité.

    C’est très intéressant pour un économiste, ça permet de savoir en pratique combien vaut une boucherie, un salon de coiffure, une superette, n’importe quelle société petite ou grosse…

    Ainsi, pour une SSII, on valorise un fonds de commerce entre 6 et 10 fois le REX, ou bien de l’ordre d’un an de CA (vous en déduirez brillamment la marge moyenne du secteur).

    En ce moment la bourse est nettement en dessous, pour les SSII cotées, à cause de la panique. A l’époque de la bulle télécom c’était l’inverse, dans des proportions délirantes.

    Réponse de Stéphane Ménia
    J’ai compris : c’est pour une caméra cachée.

  6. "ce dont je suis sûr, c’est que mon billet était clair dès le départ."

    Je suis d’accord. En plus c’est bien de ne pas manquer de certitudes ^o^

    Réponse de Stéphane Ménia
    Il y a des fois où il le faut, sinon on devient fou.

  7. J’ajoute mon grain de sel au débat comptable, la situation est un peu plus subtile que ça.

    Le fonds de commerce n’apparaît généralement pas au bilan. Quand une entreprise gagne des parts de marché ou des points de "brand recognition", elle n’enregistre aucun produit correspondant spécifiquement à l’augmentation de ses actifs incorporels.

    Les comptes ne sont pas là pour mesurer la valeur de l’entreprise (qui est essentiellement une anticipation de revenus futurs) mais sa performance actuelle. Leur demander d’intégrer les 2 notions reviendrait à confondre l’entreprise et ses actionnaires et aboutirait à vider les comptes de toute signification (sans parler d’effets circulaires indémerdables). Il n’est absolument pas gênant qu’une entreprise ait une valorisation fortement déconnectée de sa réalité comptable. Ca arrive notamment aux boîtes en forte croissance qui perdent de l’argent mais qui valent très cher on anticipe qu’elles en gagneront beaucoup (ex. Google il y a 4 ans)

    Le seul cas où on comptabilise ce genre d’actifs incorporels c’est quand la société les achète. Un commerçant qui achète le droit au bail de sa boutique va le comptabiliser. Si Danone achète la marque Coca-Cola, elle la comptabilisera à son bilan. Une entreprise qui achète une start-up prometteuse va payer 100 millions pour une boîte dont les fonds propres sont à 10 millions et va comptabiliser les 90 de delta en goodwill.

    Bref, SM a essentiellement raison dans son "débat" avec Gaétan. Et le billet ne fait que constater que face à de lourdes incertitudes, les anticipations de profits futurs tendent à se réduire et la valorisation des entreprises se rapproche de la valeur comptable de leur actif net.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Ouf… Merci.

  8. Mais justement, n’a-t-on pas trop surévalué certains goodwills ? Il y a des fusions qui ont coûté un peu cher…

Commentaires fermés.