Les digues s’effritent encore un peu plus

Décidément, la loi DADVSI aura été un combat d’arrière-garde. Aujourd’hui, ce sont les deux plus gros distributeurs de musique en ligne en France qui renoncent au système des DRM; cette annonce fait suite à celle d’Universal se proposant de rendre son catalogue musical accessible gratuitement, moyennant la consultation de publicités; un tout récent article du New York Times montrait que le développement des DRM est une stratégie perdante à terme; seuls les “gros labels” musicaux, qui ont ont beaucoup à perdre dans l’affaire, continuent d’y être attachés, mais aux USA, des labels indépendants, via Emusic, vendent désormais de la musique en ligne au format MP3 sans DRM, permettant de la lire sur tous les appareils et de la copier indéfiniment. En Corée du Sud, il est même désormais possible, moyennant le paiement d’un forfait de 5 dollars par mois, de télécharger une quantité pour ainsi dire infinie de morceaux musicaux.

Activistes, industriels, lobbyistes et politiciens peuvent s’agiter tout leur saoul, ils ont bien du mal à suivre l’évolution de la société et des technologies, matérialisée dans le mécanisme de marché. Chacun trouvera de quoi méditer dans la leçon que la question du téléchargement est en train de livrer.

Share Button

Alexandre Delaigue

Pour en savoir plus sur moi, cliquez ici.

10 Commentaires

  1. Il faudra surtout si’nterroger quand au fait que, dans ce cas comme dans d’autres (contrefaçon en général, pharmacie, semence, électronique, processus métiers et logiciels) les processus de fabrication de la loi s’avèrent assez systématiquement aboutir non seulement à un résultat inapplicable, mais tout aussi invériablement biaisé en faveur d’une certaine vision, disons capitalistique, de la notion de propriété.

    Lorsque c’est la loi qui oppresse et son mépris qui libère, c’est le sol qui tremble.

  2. Et pour compléter ta réflexion, n’oublions pas les ayant droits qui, des artistes aux producteurs, n’ont à moyen terme , au moins collectivement (et en fait, même individuellement), rien à gagner au maintien des digues.
    En décodé, les gesticulations récentes ne sauveront-pas-des-emplois et les revenus des artistes.

  3. Ils ont surtout compris que certains pays comme la Chine allaient se faire un plaisir de faire sauter les DRM et de se lancer dans le commerce illégal. Pour ça, internet n’aura pas de problèmes de fonctionnement. Autant prendre acte et se lancer dans des modèles économiques où ils puissent garder un minimum de contrôle.

  4. @Passant : est-ce vraiment le processus d’élaboration de la loi qu’il faut remettre en cause ou la fibre démocratique et le sens de l’intérêt général de certains élus qui succombent un peu facilement au chant des syrènes? (je pense aux cartes de téléchargement gratuits distribuées à l’Assemblée nationale pendant la discussion de DADVSI, mais ce n’est qu’un exemple)

    Sinon "Lorsque c’est la loi qui oppresse et son mépris qui libère, c’est le sol qui tremble" c’est très vrai mais surtout joliement dit!

    ++
    DT

  5. Je ne suis pas d’accord, la loi DADVSI autorise les artistes comme les maisons de production à choisir leur modèle économique. A l’inverse, la dissolution/réduction/suppression du droit de propriété sur les oeuvres intellectuelles risquait d’éliminer certains modèles. Entre ces deux options, un critère simple permet de choisir la meilleure : c’est au marché de faire le tri entre les activités utiles et les autres, et ce n’est pas le rôle de la loi. Ce tri fonctionne d’ailleurs parfaitement, comme l’attestent les expériences actuelles de suppression du DRM.

    Parmi les arguments anti-DADVSI ou pro-copie, un argument me semble particulièrement mauvais, et pourtant c’est celui qui revient le plus souvent. Le système actuel profiterait essentiellement aux majors et aux distributeurs. C’est absurde. Aujourd’hui, un artiste a moins besoin d’un producteur qu’hier car il peut faire le travail sur un PC avec un logiciel bon marché. Il a moins besoin d’un distributeur, car le téléchargement existe, et en tant que propriétaire de son oeuvre il peut décider de la mettre dans le domaine public. La loi laisse toute liberté à l’artiste, et un grand nombre choisissent de signer avec un major, et de distribuer leurs disques dans les grands magasins. The proof of the pudding is in the eating…

  6. "Activistes, industriels, lobbyistes et politiciens peuvent s’agiter tout leur saoul, ils ont bien du mal à suivre l’évolution de la société et des technologies, matérialisée dans le mécanisme de marché."

    C’est exactement ce qu’a dit Stiglitz dernierement dans une interview…

    "Economic globalization has outpaced political globalization. Because we are more interdependent, there’s a greater need to take collective action and work together. But our political institutions and our mindsets have not really kept pace."

  7. @ Gus Si Fang : malheureusement, votre argument est un des plus mauvais. L’idée qu’aujourd’hui un PC et un logiciel suffisent à faire le travail d’un producteur est fausse. Il y a un gouffre qualitatif entre les morceaux enregistrés de cette manière, et ceux, joués par les mêmes artistes, enregistrés dans un studio dédié, dont la location coûte cher, et avec l’aide d’un ingénieur du son, lui aussi rémunéré. Voilà pour le producteur.

    Quant au distributeur, il est certes possible de mettre des extraits en ligne. Mais qui va aller les écouter et les acheter, va simplement trouver un site parmi les millions du même type ? Le rôle du distributeur est de faire le tri dans cette offre pléthorique.

    La question qu’on peut se poser, en revanche, c’est dans quelle mesure il est encore optimal que ces deux rôles, de production et de sélection-distribution, soient tenus par un même groupe. Il me semble possible que l’évolution des modes de distribution conduise à une séparation formelle de ces deux fonctions.

  8. @Gu Si Fang

    Je ne voudrais pas lancer de débat sur DADVSI, c’est un peu tard et ce n’est pas le lieu. Je réponds juste à ce passage :

    "Le système actuel profiterait essentiellement aux majors et aux distributeurs. C’est absurde. Aujourd’hui, un artiste a moins besoin d’un producteur qu’hier car il peut faire le travail sur un PC avec un logiciel bon marché."

    Le système des DRM profite aux majors parce qu’il impose les majors! Sans DRM, comme vous le dites si bien, l’existence même des majors est infondée, et leur survie mise en jeu.

    Donc pour moi, cet argument est bel et bien le plus exact : les artistes n’ont pas d’intérêts aux DRM, les majors en ont déjà plus.

  9. Gu si fang : sur votre premier point, nous sommes d’accord : c’est le marché qui a montré quel était le modèle économique viable. Rappelons quand même que l’argumentation favorable à cette loi tournait autour de l’absurde argument du "vol" et de la nécessité de DRM défendus par le législateur pour assurer la survie de l’Art. Un an plus tard, cette argumentation tombe totalement à plat. Le combat d’arrière-garde était là.

    Sur votre second argument, je rejoins les deux autres commentateurs pour dire que le système des DRM avantage plus certains distributeurs que les artistes eux-mêmes. Les artistes trouveront plus facilement des alternatives pour gagner de l’argent (concerts, produits dérivés, contenus exclusifs) que des distributeurs dont l’avantage compétitif (sélection des artistes, promotion et accès à la vente de détail) disparaît.

  10. Sur le DRM, comme vous l’avez compris, je ne prétends pas que tout le monde devrait l’utiliser, mais que cela ne devrait pas être interdit.

    Même dans l’hypothèse (obsolète) où tous les majors sans exception souhaiteraient imposer le DRM à leurs artistes et clients :
    – un artiste aurait le choix entre signer avec un major et accepter le DRM, ou faire un autre métier
    – un client aurait le choix entre acheter un album avec un DRM qui l’empêche de copier son CD sur son baladeur MP3, ou acheter autre chose

    Du moment qu’il y a un profit à faire, l’égoïsme des majors les conduira à expérimenter des modèles sans DRM pour séduire ces artistes et clients qui n’aiment pas le DRM. Et dans le cas (improbable) où aucun modèle économique sans DRM ne serait viable, je ne vois pas ce que l’interdiction du DRM apporterait.

Commentaires fermés.