Econoclaste, les Econoclastes et autres considérations assez nombrilistes

La réception d’un mail nous faisant remarquer qu’il y avait confusion entre les auteurs du livre “Petit bréviaire des idées reçues en économie”, appelés les “Econoclastes” me fait revenir sur ce point, une énième fois pour faire de nouveau le point sur cette question et évoquer au passage d’autres sujets, d’une façon que j’essaierai de rendre la moins égocentrique possible (mais ça va être franchement dur). Nous avons créé le site fin 1999. A l’époque, les Econoclastes n’existaient pas encore (enfin, en tant que collectif…). On ne pourra donc pas nous accuser d’usurpation d’identité. Enfin, en ce qui les concerne ! Car, en réalité, le titre “Econoclaste” était celui d’une émission de France 5. Or, nous ne connaissions pas ladite émission. Il est donc hors de question de prétendre qu’ils aient pu usurper volontairement le nom. C’est peut-être le cas, là n’est pas la question, à notre sens. Ils ont au moins autant d’excuses que nous ! Dans l’absolu, c’est à eux qu’il faudrait le demander ! Je dis que ce n’est pas la question pour plusieurs raisons.
Les histoires de marques nous passent par dessus la tête. Que je sache, nous ne faisons pas de commerce. Si demain un petit malin s’amusait à déposer la marque et à nous interdire son usage, nous changerions de nom, point. Sur un plan juridique, c’est tout ce qu’il pourrait faire.
C’est finalement un nom auquel nous ne sommes pas si attachés que ça. Des critiques nous ont été régulièrement adressées sur le caractère mensonger du terme, eu égard du contenu de notre site qui serait d’un libéralisme échevelé et afflligeant. A ceux là , on pourra répondre deux choses : la première, c’est qu’en France, revendiquer une approche main stream de l’économie n’a rien de si courant. Ces gens ne constatent-ils pas à quel point ils vont dans le sens du vent ? Que lisent-ils comme livres ? Que trouvent-ils en guise d’essais économiques à la FNAC neuf fois sur dix ? Du blabla à la Minc, Todd, Forrester et consorts. Des textes qui disent soit qu’il n’y a pas assez d’Etat, soit qu’il y en a trop, que les Etats Unis sont le plus beau ou le plus laid pays du monde, qui donnent des solutions clés en main pour sauver l’Afrique. Le tout basé sur du vent théorique. Et sans théorie, pas de travail empirique sérieux (l’inverse étant vrai). Dans ce paysage, nous revendiquons bien une approche qui casse les idées reçues, ce qui, on le reconnaîtra, n’a pas grand chose de glorieux. C’est finalement assez facile.
Certains nous reprochent aussi de vouloir neutraliser le monde social par le réductionnisme de nos analyses, de mépriser les autres sciences sociales et les problèmes de société. Ils n’ont rien compris.
Il y a deux catégories de critiques de ce genre : ceux qui se placent sur un plan scientifique et refuse l’idée que l’économie soit constituée en discipline autonome. Comme ils ne proposent pas à ce jour une science sociale universelle performante, nous ne pouvons souscrire à leur point de vue. Nous ne sommes absolument pas fermés aux apports des autres disciplines et nous ne considérons pas l’économie comme la seule science sociale digne d’intérêt. Nous l’affirmons et personne n’a le droit de nous contredire, puisque c’est ce que nous pensons et revendiquons. Il se trouve néanmoins que la discipline que nous connaissons le mieux est l’économie. Donc, nous parlons de ça et pas beaucoup d’autre chose.
Il y a ceux ensuite qui pensent nous connaître parce qu’ils connaissent le site. Nous sommes tantôt de dangereux scientistes, de terribles communistes propagandistes masqués, des ultralibéraux sans coeur au service du grand capital ou simplement de petits bourgeois parisianistes déconnectés de la réalité sociale. N’ayant pas l’intention de passer mes vacances avec ce genre de guignols, je ne leur démontrerai pas le contraire. J’invite simplement les gens doués d’intelligece à distinguer ce que nous faisons ici publiquement et ce que nous pouvons être par ailleurs. Ce sera bien plus instructif.
Il y a enfin une dernière catégorie, qui considèrent que nous sommes des bouffons, qui sous couvert de légèreté distillent une idéologie vide, cachée derrière l’apparence de la rigueur. Que dire ? Que nous vous invitons tous à multiplier les sources d’information pour ne pas vous laisser abuser par nos biais idéologiques et nos insuffisances scientifiques. Personne ne contrôle notre travail, nous n’avons pas le jugement de pairs pour certifier la qualité de nos dires. Mais ça, c’est en quelque sorte votre boulot ! Certains l’ont compris. Parmi eux, il en est qui n’hésitent pas à nous écrire pour demander des précisions ou faire remarquer des incohérences. Et c’est parfait comme ça.
Que pouvons nous faire ? Nous taire sous prétexte que nous pouvons nous tromper ? Désolé, mais quand je vois le manque de rigueur de certains livres, journaux ou sites Internet, je n’ai pas le sentiment que nous faisons tache au milieu. En conséquence de quoi, il serait opportun d’éviter les procès d’intention, ou de démontrer clairement qu’ils sont fondés. La réalité est qu’à ce jour, nous n’avons que trop rarement reçu des critiques constructives, qui nous poussent à nous remettre fondamentalement en question. Récemment, Jacques Sapir nous a écrit pour nous faire remarquer qu’Alexandre avait critiqué un de ses livres de façon assez incomplète et finalement injuste sur certains points (au surplus, j’avais donné une référence d’édition erronée, avec un manque de rigueur inacceptable). Nous en avons tiré des leçons sur la façon dont nous écrivons nos chroniques et nous lui sommes reconnaissants de nous avoir adressés cette protestation.
Pour en revenir à Econoclaste et au peu d’intérêt que nous portons finalement à ce nom, force est de reconnaître qu’il est assez bidon. Il sonne un peu comme une raffarinade de base. La faute probablement à un brainstorming insuffisamment long au moment de choisir le nom. Bon, maintenant, c’est comme un chien qui s’appelle Rex. Si on le siffle en lui donnant du “Milou”, il ne bronchera pas. Donc on garde encore ce sobriquet.
En ce qui concerne les auteurs Econoclastes, je rappelle quelques points.
Il serait absurde de considérer qu’ils ont cherché à user de notre notoriété. Ils sont plus connus que nous ! Emanant du mouvement des étudiants pour la réforme de l’enseignement de l’économie, ils avaient déjà une renommée incroyablement plus importante que la nôtre ! Si vous avez bien lu le début de ce post, vosu aurez aussi compris que nous n’avons pas cherché à créer une confusion pour récupérer leur célébrité.
Si vous pensez que nous sommes aux antipodes, c’est plus compliqué. Dire que nous avons des divergences est exact. Considérer que nous n’avons aucun point commun est délirant. D’abord, il se trouve que nous connaissons certains d’entre eux. Et même si nous ne nous fréquentons plus, nous avons partagé de nombreux moments en tant qu’étudiants studieux et en tant qu’étudiants bourrés. Cette période fait que je ne risque pas de les traiter de sales types, ce qu’ils ne sont pas. Nous avons de nombreuses références communes sur un plan académique et apprécions (ou n’aimons pas) ensemble bon nombre de travaux (c’était du moins le cas à l’époque, mais je doute qu’il ne reste pas un fonds commun).
C’est là que les choses se compliquent néanmoins. Nous avons été très critiques vis-à -vis de leur mouvement à chaque fois que nous l’avons évoqué. Et nous l’avons peu évoqué en fin de compte. Pour deux raisons : le première, c’est que nous étions observateurs discrets, pas acteurs. Personne, à juste titre, n’est venu nous demander notre avis. De plus, à l’époque, nous étions les seuls à faire dans le pseudo éconoclaste, ce qui nous laissaient encore plus en marge. La seconde raison tient à ce que nous avons été déçus de la tournure que prenaient les évènements. Sur le fond, nous étions d’accord avec l’idée de base selon laquelle les cours d’économie pouvaient être modifiés en fac. Mais on sait ce qu’il est advenu des revendications du mouvement : d’une demande de remise à plat de l’approche pédagogique, on a fini sur une chasse au néoclassique matheux. Or, c’était pour nous idiot : d’une demande d’ouverture, on passait à une dénonciation du paradigme en place. Or, ce paradigme n’est pas si dégénéré que ça, puisque quoi qu’ils veuillent en dire, c’est de son sein que se développent lentement mais sûrement des remises en cause, qui ont le grand mérite d’intégrer de nouvelles thématiques en conservant une architecture globale qui permet aux chercheurs de se comprendre. Je ne prendrai que quelques exemples : le renouveau des rendemens croissants en économie, l’attention portée aux réseaux sociaux, l’intégration (ou réintégration) des questions politiques en économie, la place accordée à la psychologie etc. Petit à petit, il semble que la méthodologie néoclassique s’affranchit du modèle Arrow-Debreu. C’est assez lent. Mais c’est comme ça que ça fonctionne. Donc, finalement, il y avait une vraie double question : où va-t-on à force d’enseigner des modèles rudimentaires sans aucune explication décente sur leur sens ? Et que penser quand on songe que ces modèles doivent en plus être dépassés ?
A la première question, la réponse est claire dans mon esprit : opitmiser des fonctions d’utilité ou de profit est utile. Mais ça ne sert à rien si on ne présente pas les choses en expliquant que c’est une boîte à outils que l’on construit et sans prendre le temps de donner des points de repères sur le sens de ces modèles.
La seconde question appelle la nécessité de ne pas se focaliser sur les modèles mathématiques. L’histoire économique (contemporaine par exemple) est négligée. Les faits d’actualité sont trop souvent négligés aussi. Sur ce point, le mouvement avait totalement raison ! Il est bon aussi de signaler que des profs enseignent de cette façon… Le problème n’est pas néoclassique, il est personnel et culturel.
Mais quelles solutions proposait-on ? De dire “Ouh, regardez comme ils sont vilains ces néoclassiques qui racontent des fables à tout va”. “Je veux avoir étudié l’intégrale des auteurs hétérodoxes en fin de DEUG”. “Marre des fonctions d’utilité, refondons la microéconomie sans maths”. En un mot, il s’agissait de considérer du jour au lendemain qu’étudier un illustre inconnu qui avait dit un truc social un siècle auparavant avait la même valeur que d’étudier les travaux d’un Lucas qui gonfle tout le monde avec ses maths libérales.
J’ai très vite décroché pour une raison : ce n’était plus des arguments pédagogiques qui gouvernaient, mais de l’idéologie. Normal, au fond. Quand on revendique une approche holiste et sociologique de l’économie, on doit forcément finir de considérer que son enseignement est exclu de son contexte social… Sauf que pour le coup, la révolution a avorté. Résultat : je n’ai pas le sentiment que la pédagogie ait vraiment évolué. La levée de boucliers, qu’on peut comprendre, de la part d’une partie de la profession, a fait le reste. Je doute que l’enseignement de l’économie y ait gagné. Je doute aussi que les membres du mouvement y ait gagné grand chose. Un beau gâchis.
Pour conclure sur ce point, n’étant pas un pur matheux, sans être réfractaire aux équations, j’ai souvent souffert durant mes études du manque d’interprétation des théories qu’on m’enseignait. J’ai toujours été très sceptique devant les grandes démonstrations qui impliquaient le signe d’une dérivée troisième sur une fonction d’utilité. Je finissais toujours par me demander comment rattacher ça à une réalité palpable (je crois que le sumum a été atteint le jour où on m’a balancé un prix exprimé en nombres complexes, sans plus de commentaires que “voilà , il existe un équilibre”. J’ai parfois essayé d’imaginer la tête que je tirerais si ma boulangère me demandait 4/3 + 2i euros pour ma baguette de pain…). Et évidemment, je ne trouvais pas. D’une, parce que parfois ce n’était pas la peine, le propos étant d’étape en quelque sorte (mais j’aurais aimé qu’on me le dise !). De deux parce que visiblement, ça n’intéressait pas le prof. Donc, oui, il y avait des choses à dire et faire, mais autrement. Alors, on pourra aussi dire qu’il fallait un combat idéologique pour faire sauter des verrous. Je crois plutôt que ce combat était recherché. A partir de là , il a été perdu en moins de deux. Certes, ça a remué le milieu (aboutissant notamment au rapport Fitoussi, ce qui n’est déjà pas rien sur la forme). Mais de deux choses l’une : soit des stratégies personnelles pour se faire un nom ont vite pris le dessus, soit le sens politique des réformateurs était du niveau de celui de Juppé…
Et puis, en y réfléchissant bien, à quoi sert-il de boycotter en France l’enseignement de la théorie économique dominante ? Si on raisonne justement en termes de stratégie politique, il me semble indispensable de commencer par le commencement : il y a un paradigme, si on veut le critiquer, il faut commencer par le connaître sur le bout des doigts. Ce qui, comme les journées ne font que 24h, laisse moins de temps dans les premières années pour étudier le reste. A quoi sert-il de planter un cours de critique de l’économie politique à des étudiants qui n’ont pas vu un quart de du dixième de la théorie néoclassique ? La question n’est pas simple. D’un côté, il est bon de montrer qu’il existe autre chose. Mais d’un autre… à quoi sert-il de disserter sur le caractère absolument invraisemblable du modèle Arrow-Debreu avec des étudiants qui n’ont même pas encore vu ce modèle ? On pourra m’objecter alors : pourquoi ne pas enseigner le reste et lâcher le modèle néoclassique (les pétitionnaires s’en défendront, mais c’est bien ce genre de message que beaucoup d’étudiants ont reçu ou voulu recevoir…) ? La réponse est simple : en dépit de tout ce qu’on peut lui reprocher, c’est le plus abouti. C’est ainsi.

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