Courrier d’un lecteur : dois-je fondre mes vieilles casseroles?

Reçu au courrier du jour :

hi les écono!

Avec le boum des matières premières, dois-je garder mes vieilles casseroles ? A quand le traitement de cet angoissant sujet ?

Merci, Philippe

Cher Philippe,

L’un des drames des économistes vient de ce qu’on leur pose sans arrêt des questions auxquelles ils n’ont pas de réponse (par exemple, comment supprimer le chômage), et trop rarement des questions auxquelles ils ont des réponses. Je ne peux donc que vous remercier d’avoir posé une question à laquelle les économistes peuvent apporter une réponse claire et nette.

Il se trouve que le sujet a été traité récemment sur Marginal Revolution, ainsi que par Tim Harford, pour une question assez similaire : si le cuivre qui compose une pièce d’un penny vaut plus qu’un penny, dois-je fondre cette pièce et en revendre le métal?

Vous conviendrez que c’est le même problème : Un penny vaut soit le métal dont il est composé, soit un penny; une casserole vaut soit parce qu’elle peut être revendue au prix du cuivre qui la compose, soit parce qu’elle sert à faire la cuisine. L’une de ces valeurs est constante : un penny vaudra toujours un penny, et une casserole en cuivre servira toujours à faire la cuisine (une casserole en cuivre, c’est inusable). L’autre, par contre, fluctue sans cesse : c’est la valeur du cuivre qui compose ces deux biens. Le prix du cuivre étant très volatil, le métal qui compose un penny peut valoir 1.1 pence demain, et 0.8 après-demain; même chose pour le cuivre qui compose votre casserole.

En termes de théorie financière, on dit qu’un penny, ou une casserole, est une option. Vous avez en permanence le droit, mais non l’obligation, d’échanger votre penny ou votre casserole contre leur valeur en cuivre; pour réaliser cet échange vous subirez un coût constant, égal soit au penny que vous perdez, soit à la perte de capacité de faire la cuisine.

Et l’analyse des options est claire : vous devez conserver votre option le plus longtemps possible. Pourquoi? Parce que tant que vous la détenez, vous bénéficiez de toutes les hausses du prix du cuivre, et vous n’êtes pénalisé par aucune baisse. Par contre, si vous fondez vos casseroles ou vos pennys, vous vous exposez à ce que le prix du cuivre baisse en dessous de la valeur d’usage que vous accordez à votre casserole, ou en dessous d’un penny. Donc vous avez intérêt à continuer de les détenir le plus longtemps possible : vous pouvez toujours espérer une plus forte hausse, et vous ne risquez rien en cas de baisse.

Bien évidemment, si le cuivre atteignait le prix de l’or, il deviendrait avantageux de fondre vos casseroles et d’en vendre le métal; dans ces conditions, même une plongée du cours du cuivre vous laisserait avec un bénéfice. La question est donc de savoir à partir de quel prix il faut vendre. Pour cela, il existe bien des formules mathématiques; mais leur emploi est délicat, et les experts qui savent s’en servir vous feront payer leurs services assez cher – beaucoup plus que le bénéfice que vous pouvez, pour l’instant, espérer faire en fondant vos vieilles casseroles.

La réponse est donc simple : conservez vos vieilles casseroles. En agissant ainsi, vous n’avez rien à perdre et beaucoup à gagner. Avec la satisfaction d’avoir pu vous aider, je vous souhaite une bonne soirée.

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Alexandre Delaigue

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