Bêtisier : ça se durcit

Est-ce un effet de contagion? Entre l’UMP qui ne sait plus compter, François Bayrou qui veut s’opposer au “monopole des deux partis” (un monopole à deux, c’est fortiche…) le bêtisier se remplit ces temps-ci à toute allure.

Mais à la lecture des pages “débat” du Monde daté de demain, je me suis dit que Thierry Breton était sur le point de pulvériser définitivement son record. Voyez ce titre :

Thierry Breton : “Un véhicule sur deux roulera au flexfuel en 2009”

J’avoue que j’ai eu un hoquet de stupeur sur ma chaise. Thierry Breton avait-il vraiment l’intention de remplacer la moitié du parc automobile français (ce qui ferait 18 millions de véhicules…) en deux ans? A la lecture de l’article, néanmoins, les choses s’éclairent. En fait, il a dit plutôt :

les constructeurs ont pris l’engagement qu’avant 2009 la moitié des véhicules à essence produits seront des véhicules qui pourront mettre à la fois du flex, de l’E85, le biocarburant, ou du carburant traditionnel.

Récapitulons donc : en 2009, la moitié des véhicules à essence produits par les constructeurs français seront susceptibles d’utiliser du flexfuel. Et là, tout de suite, c’est beaucoup, beaucoup moins ambitieux. Faisons les comptes (à la louche, à partir de ce document). Il se vend à peu près 2 millions de véhicules neufs par an en France. Sur ceux-ci, 70% sont des diesels, ce qui ne laisse plus que 600 000 véhicules essence (et en négligeant le GPL). Par ailleurs, les constructeurs français détiennent à peu près (un peu plus) la moitié du marché national, et ce sont eux qui sont concernés par la mesure. Ce qui nous fait donc, en 2009, au plus 300 000 véhicules susceptibles d’utiliser du “flexfuel” vendus. Pour un parc automobile de 36 millions de véhicules, cela fait pour 2009…

0,83% de véhicules susceptibles de rouler au flexfuel dans le parc automobile français. C’est sûr, ça impressionne… La personne qui a rédigé ce titre d’article a-t-elle conscience de se foutre de ses lecteurs?

Il faut envisager, néanmoins, que ce soit la contemplation de l’ânerie qui soit devenue contagieuse. Car cette interview de Thierry Breton nous rappelle à quel point cet individu est passé maître dans le domaine. Admirez le numéro exceptionnel de langue de bois qui suit la première question pour Airbus : quel talent pour enfiler des perles sans répondre à la question précise posée! Admirez sa façon dont il présente son budget, remarquable numéro de signifiant sans signifié.

Et admirons le caractère grotesque de la politique proposée en matière de carburants. Un carburant “à 80 centimes d’euros par litre, ce qui est tout à fait compétitif”. Pardon? Il y a deux ans, 80 centimes d’euros par litres était le prix du gazole, à un moment où celui-ci était déjà élevé. En quoi ce tarif est-il donc “compétitif”? Mais la bouffonnerie n’en est qu’à son début :

Cela va me permettre, dans les discussions avec les pays producteurs de pétrole, de démontrer que nous avons le choix.

Que c’est beau, un ministre qui montre ses petits bras musclés. D’abord, j’ignorais que c’était le ministre de l’économie et des finances qui se chargeait de négocier le prix des approvisionnements nationaux en pétrole. Il paraît qu’il y a un truc qui s’appelle “mécanisme de marché” : il est vrai que quand on est ministre de l’économie en France, on est pardonné d’en ignorer l’existence. Ensuite, que pensez-vous que le ministre saoudien du pétrole va penser en voyant Breton lui dire “tremblez, monsieur le ministre! en 2009, 0.83% du parc automobile français sera équipé pour rouler éventuellement avec un carburant végétal vendu au prix du gazole!”. Là, vous êtes saoudien, vous pensez :

1- “la miséricorde soit sur moi! je suis fait!” ou alors :
2- “c’est qui ce bouffon?”

Je demande, juste comme ça… A la réponse suivante de Breton, quand vous lisez “France, premier pays agricole européen” et “industrie agroalimentaire”, “coup de fouet à l’industrie” il faut lire : “Nous ne sommes plus crédibles avec la politique agricole commune. Il faut absolument trouver des moyens nouveaux de continuer de subventionner les céréaliers et surtout, éviter d’avoir à importer du sucre pas cher de ces brésiliens qui n’arrêtent pas de demander la fin de nos subventions agricoles en révélant toute notre hypocrisie vis à vis des pays pauvres”.

Il est assez intéressant de constater que cette soi-disante “politique énergétique” se passe totalement de l’avis des consommateurs. Combien coûteront ces véhicules à “flexfuel”? Combien consommeront-ils? Leur utilisation sera-t-elle avantageuse, si le prix du pétrole revient à des niveaux plus bas? Mais qui s’intéresse à ces menus détails? A l’instar de tous ses collègues ministres, Breton ne sert qu’à amuser la galerie en donnant l’impression d’être efficace et utile, en abreuvant les journalistes de déclarations fracassantes.

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Alexandre Delaigue

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13 Commentaires

  1. Les journaux fonctionnent bizarrement, ce ne sont pas les auteurs des articles qui choisissent les titres.
    Bénéfice du doute pour Breton (sa phrase est claire et nette) mais gros coup de bâton au Monde.

    En règle générale, les titres c’est du n’importe quoi. Du racolage. C’est pas la première fois que l’article est en décalage avec le titre, et ça m’énerve personnellment.

    Quand j’ai vu ce titre, j’ai cliqué sur l’article non pas pour voir comment l’industrie va se démerder, mais bien pour voir le niveau de compétition de "M titre" du Monde. C’est visiblement un champion… du monde

  2. J’oubliais :
    >>"et on va permettre aux consommateurs de dépenser moins."

    Dépenser moins à la pompe, mais comme les biocarburants en France seront subventionnés à mort, la charge est quand même pour nôtre pomme (modulo la création d’une industrie qui aura des effets bénéfiques par ailleurs, et modulo la PAC qui nous permettra de faire payer à d’autres notre agriculture).

    Le bioéthanol, c’est peanuts.
    Par contre, du diester dans le gazole, c’est déjà moins négligeable.

  3. Quelle charge contre Thierry Breton ! Soit, nous sommes sur econoclaste, et votre prose traite avant tout d’économie. Mais ne serait-ce pas un peu nuancer votre propos et votre animosité contre lui que de reconnaître simplement que, d’un point de vue écologique cette fois, cette mesure constitue un début de quelque chose. Certes, pas une révolution, comme vous le faites à juste titre remarquer (quoique un texte à caractère contraignant pourrait, par exemple, imposer la même contrainte aux contructeurs étrangers et faire exploser le taux de pénétration du marché en 2009 à 1.66%… bref), mais quelque chose tout de même.

    A force de vous limiter au point de vue économique pur, vous risquez de rater quelque chose qui peut être un tournant, si l’essai devait être transformé, ce qui reste à voir.

    Car allons un peu plus loin dans votre analyse. Partir de 0.89% en 2009, en considérant toute chos égal par ailleurs (faisons un effort), on parvient par exemple à 8.9% en 2019, si aucun effort supplémentaire n’est accompli, ce que je ne souhaite pas. 8.9% ce n’est plus négligeable.

    Après, critiquons la forme, qui consiste à se gargariser de ce magnifique "succès" alors que c’est n’est que le début du chemin, je vous l’accorde. Mais de grâce, mettez un peu de sauce écologique dans vos froids calculs.

  4. Julien : fouiner dans nos pages vous permettra de voir que nos froids calculs ont eu l’occasion d’inclure de l’écologie. Voyez-vous, l’un ne va pas sans l’autre. Tenez, je vous pose une colle. A votre avis, qu’est-ce qui est le meilleur pour l’environnement : le fait que suite à la hausse du prix du pétrole, sans la moindre intervention gouvernementale, la consommation de produits pétroliers ait diminué en France pendant deux années de suite, de successivement 1 et 3%; ou alors, le fait d’ici deux ans de subventionner massivement des agriculteurs pour gaspiller de l’eau, remplir les terres de pesticides et d’engrais azotés, afin de fournir aux gens un carburant artificiellement rendu moins cher qu’ils s’empresseront de brûler dans des embouteillages? Il y a des moments, voyez-vous, ou l’inaction est préférable aux erreurs. Mais les erreurs, enrobées dans la langue de bois et les bons sentiments, est électoralement plus vendeuse que l’efficacité. La preuve.

  5. Tiens, ça me fait penser… L’émission c dans l’air du 29 septembre était intéressante.
    Il n’y avait qu’un économiste dans les invités (Elie Cohen). Et ce ne sont pas ses froids propos qui ont le plus retenu mon attention.

    http://www.france5.fr/cdanslair/...

  6. Vous avez raison de pointer l’inanité de la mesure annoncée d’un point de vu économique. Mais l’économie ne fait pas la politique.

    La meilleure politique économique est souvent de rien faire. Le rôle de la politique devrait se limiter à définir des règles du jeu claires – cela est fait depuis longtemps – et à s’assurer que celles-ci sont respectées. Mais il s’agit plutôt là du ressort de la justice.

    Malheureusement, un homme politique qui aurait pour seul discours « On ne fait rien » aurait bien du mal à se faire élire. Il suffit de se rappeler la malheureuse phrase de Jospin lors des suppressions de postes (même pas des licenciements) annoncés par Michelin et des conséquences sur son parcourt électoral.

    A partir de là, il faut alimenter le débat. C’est ce que fait Breton à propos des carburants écologiques. Je pense sincèrement qu’il ne croit pas à ce qu’il dit lorsqu’il prétend que cela nous permettra de peser lors des négociations (et vous avez raison de souligner qu’il n’y en a pas) sur les approvisionnements pétroliers.

    En la matière, je pense qu’il faut juger sur les actes plus que sur les discours. Et le bilan du gouvernement Villepin et de T. Breton dans ce domaine n’est pas nul. On peut citer :
    – une réforme de l’impôt sur le revenu, qui même si elle n’a pas été portée à terme, a réussi en intégrant l’abattement de 20 % a ramené les taux marginaux à des niveaux comparables avec ceux des autres pays européen.
    – L’instauration du bouclier fiscal qui devrait réduire la propension des grandes fortunes à s’expatrier.
    – La création du CNE, malheureusement réservés aux seules petites entreprises et dont la sécurité juridique n’est pas encore certaine.
    – La suppression de la loi Galand…

    Pour résumer mon propos : Sarkozy, Breton, Fabius et Ségolène Royale disent beaucoup de bêtises en matière économique. Je suis convaincu que les trois premiers ne croient pas ce qu’ils disent. Et j’espère sincèrement que la quatrième est dans ce cas.

  7. Vous vous faites du mal, Mr Delaigue. Gardez vos forces, on est encore à neuf mois de l’élection.

    Ceci dit, sur le fond, je crois raisonnable, même pour un ministre des finances, de considérer éventuellement que le fonctionnement des "mécanismes de marché" sur les matières premières ne va dans l’intérêt ni des producteurs, susceptibles de s’organiser en cartel et de contrôler l’offre (Gaz, Poutine, etc.), ni des intermédiaires spéculateurs, ni des intermédiaires se chargeant des différentes étapes de raffinnage qui, fort logiquement chercheront par de petites manipulations à faire s’agiter les cours selon les mécanismes habituels du despotisme hydraulique. On retiendra pour l’exemple l’illustration du phénomène par le fait que la pollution d’abidjan semble dûe à un intermédiaire peu scrupuleux ayant raffiné sauvagement en mer au mépris des normes environnementales applicables dans l’espoir d’un profit.

    Mais ici encore, le raisonnement Bretonnant strictement national et à courte vue invalide la démarche de "résistance".

  8. D’autant, me semble-t’il que l’élaboration de ces "bio"carburants nécessite en intrant une quantité de produits pétroliers à peu près égale à celle produite (quasi 1L pour 1L), via le carburant du tracteur, les dérivés employés par l’industrie agroalimentaire, etc.

  9. En matière d’écologie, pour faire plus que des paillettes, il faut des gros bras : voyez Schwarzy en Californie. Ou alors, il faut être un affreux investisseur golden-boy irritant de réussite : Branson (Virgin) a promis 3Md$ à Clinton pour l’environnement, et a proposé aux aéroports du monde entier un nouveau type d’organisation visant à économiser un gros paquet de carburant.

    quelle ironie…

  10. Merci Alexandre de votre réponse.

    Pour être tout à fait complet dans votre réponse, il faudrait prendre en compte la proportion de terre agricole qui aujourd’hui est déjà utilisée pour l’agriculture "intensive" et qui ne serait de toute façon pas libérée si le projet de notre ministre de l’économie ne devait pas se faire.

    Nous pourrions discuter longuement, sur une base chiffrée, des avantages et inconvénients de cette démarche. Mon propos était d’insister sur le fait que, d’un point de vue politique, promouvoir les biocarburants participent de la prise de conscience collective qu’il faut changer nos habitudes, et qu’à ce titre il me semble qu’il faut saluer cette initiative (hors, encore et toujours les approximations sur le taux de pénétration et les satisfecit).

  11. Petite précision : la critique dans ce post s’adresse premièrement aux journalistes du Monde, leur titre ridicule et leur incapacité à mettre en perspective les déclarations du ministre. Dans un second temps à Breton qui vend un mélange de mesurettes et de subventions agricoles comme une politique énergétique aux conséquences planétaires. Cela dit, je n’ai pas d’hostilité de principe envers les bio-carburants, dès lors qu’ils ne sont pas subventionnés et que leurs coûts environnementaux (consommation d’eau, pesticides, engrais, etc…) font l’objet de taxes.

  12. Bioéthanol – ce qu’il coûte et ce qu’il donne

    Il faut un peu plus d’un litre d’équivalent pétrole pour produire un litre de bioéthanol.
    Ces chiffres s’entendent depuis les labours jusqu’à la dernière distillation.
    Il faut un 1,600 litre d’éthanol pour fournir la même quantité d’énergie qu’un litre d’équivalent pétrole.
    Où est la bonne affaire ?
    Ce n’est pas parce que le monde entier déraisonne qu’on doit refuser tout effort de réflexion, quelle que soit la position sociale ou politique.

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