Frits, pas Freaks

Piketty fait une lecture mesurée des aspects critiques de la directive Bolkestein, pour nous dire “Bolkestein, pas Frankenstein”. Ce que nous avions déjà affirmé ici. Intéressant, car sans épargner le texte, il se distingue clairement des arguments utilisés par les opposants – j’allais dire les plus radicaux, mais y en avait-il des modérés – qui présentaient le texte comme un non sens là où on pouvait plutôt le voir comme fondé mais mal bouclé.
J’ajoute que c’est Bolkestein, pas BolkeNstein, comme le disent la plupart des ommentateurs !

Piketty rappelle d’abord que le droit du pays d’origine ne s’appliquait pas dans la première mouture aux étrangers installés dans un autre pays. ” Le cas ambigu, le seul concerné par la clause du pays d’origine, est celui d’une entreprise basée à l’étranger mais qui est amenée dans le cadre de sa prestation de services à envoyer des salariés en mission dans le pays de destination”.

Pourquoi devrait-on accepter cela ? Il y a deux bonnes raisons : “Aussi dérogatoire puisse-t-elle paraître, une telle règle peut se justifier par le fait que pour des missions à l’étranger suffisamment courtes et ponctuelles (huit jours dans la directive détachement de 1996), il serait absurde de réécrire entièrement tous les contrats de travail. Surtout, il existe dans de nombreux secteurs (taxis, commerce, travaux publics…) des procédures et réglementations constituant de véritables barrières à l’entrée, et qui relèvent davantage de la protection corporatiste de rentes acquises, voire de la corruption, que du progrès social.”. C’est bien là le caractère sidérant du procès fait à Bolkestein.

Est-ce à dire que tout est parfait ? Non, loin de là. ” Aucune limite claire sur la durée des missions n’est fixée, et surtout, c’est l’ensemble du droit et des réglementations du pays de destination qui passe soudainement à la trappe.”
Après quoi, il appelle les sociaux démocrates européens à s’activer pour que les réglementations soient modifiées quand cela est nécessaire, sans créer une incitation au dumping fiscal.

L’article n’est pas innocent. La cible du texte sont les partisans de gauche du non. Même s’il tient à distinguer Bolkestein et TCE, c’est finalement pour conclure qu’ “un non au traité constitutionnel ne fera que diminuer les chances des grands pays (et singulièrement de la France) de peser sur ces choix”.

Difficile d’approuver le mélange des genres, que Piketty prétend pourtant éviter dès le début de l’article (“Car, écrit-il, si la fameuse directive n’a strictement rien à voir avec le projet de Constitution, elle a au moins le mérite d’illustrer clairement les enjeux et la complexité des politiques européennes de libéralisation”). Pourtant, on ne lui en voudra pas en définitive de prendre à leur propre jeu ceux qui utilisent cette confusion pour vanter les mérites du non ou défendre le TCE avec le même cadre d’analyse que les nonistes (voir Chirac qui souhaite faire de l’UE une sorte de forteresse, chose que la France ne pourrait seule).

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