Vendeurs à la sauvette de tickets de métro

Olivier Bouba-Olga nous explique le fonctionnement du marché à la sauvette de tickets de métro :

Dès lors, pourquoi autant de personnes refusent-elles de leur acheter des tickets ? Parce qu’on ne les connaît pas, ces vendeurs à la sauvette, me direz-vous. Certes, mais c’est un peu court comme argument : vous ne connaissez pas non plus la personne au guichet qui vous vend un ticket… En fait, il y a une différence de taille : dans le dernier cas, ce n’est pas à une personne que vous vous adressez, mais à une institution (la RATP), institution en laquelle vous avez confiance. Plus que dans les vendeurs à la sauvette, en tout cas. L’acheter à ses derniers vous fait courir un risque (objectif ou non), auquel on peut attribuer également une valeur monétaire. Si on ne leur achète pas de ticket, c’est que l’on considère que le coût lié à ce risque est supérieur au gain de temps.

Si, maintenant, vous achetez, malgré tout, un ticket de métro à un vendeur à la sauvette (chose que je fais de temps en temps), et que vous êtes satisfait de la transaction (ça a toujours été le cas), vous avez de fortes chances de récidiver la fois d’après. Même si ce n’est pas le même vendeur à la sauvette. Car votre première expérience vous aura appris à faire confiance non pas au vendeur précis qui vous a vendu le ticket, mais au groupe formé par l’ensemble des vendeurs, groupe que l’on peut assimiler à une nouvelle institution, de nature plus informelle cette fois. Les interactions passées vous ont appris à leur faire confiance, le risque disparaît.

J’apprécie beaucoup cette explication. Confronté aux mêmes vendeurs à la sauvette (ah, les revendeurs de la Gare Montparnasse…) je n’ai jamais rien acheté, redoutant de me retrouver avec un billet déjà utilisé ou vendu moins cher à une catégorie de population à laquelle je n’appartiens pas. Ce que montre Olivier, c’est que mon raisonnement était incomplet. A la gare Montparnasse il y a certes énormément de touristes ce qui ne favorise pas l’émergence de la coopération qui exige un jeu répété potentiellement indéfiniment; mais il y a aussi beaucoup d’acheteurs récurrents. S’il y avait trop d’escroqueries, il y aurait probablement moins d’offreurs sous l’effet de la sélection adverse. La présence d’un nombre significatif de vendeurs à la sauvette est plutôt un facteur poussant à la confiance. Il me reste quand même quelques autres questions :

Pourquoi la RATP ne s’empare-t-elle pas de ce marché? Après tout, rien ne l’empêche de mettre en place des vendeurs de tickets à l’unité, se faisant payer exclusivement en liquide; cela lui permettrait d’assécher la part de marché des vendeurs à la sauvette, de résoudre le problème de confiance décrit par Olivier, et d’accroître son bénéfice tout en réduisant le temps d’attente des voyageurs. Je vois deux explications possibles (et complémentaires) à ce phénomène :

– L’absence de rentabilité pour la RATP. Le prix élevé du billet à l’unité et le temps d’attente élevé aux caisses ont le même but : dissuader les acheteurs d’acheter des tickets à l’unité, qui ne sont pas rentables pour l’entreprise. Après tout, qu’un voyageur effectue 10 trajets ou un seul, c’est le même coût pour l’entreprise; il vaut mieux donc faire acheter des carnets.

– l’absence de rentabilité du fait du coût du travail. Il est peu probable qu’un vendeur à la sauvette de tickets de métro gagne le smic horaire + charges. Pour la RATP, un employé chargé de ces ventes spéciales serait alors non rentable. Au passage, cela illustre le phénomène suivant : l’effet du salaire minimum sur l’emploi n’est pas forcément d’accroître le chômage, mais d’accroître l’importance de l’économie informelle. Il convient donc de nuancer son potentiel effet négatif.

Second problème : effectivement, il n’y a pas grand monde pour acheter des tickets à la sauvette. Mais d’autres marchés à la sauvette fonctionnent relativement bien : après tout, c’est comme cela qu’est commercialisée une partie significative des stupéfiants consommés. Comment se fait-il que cela fonctionne mieux? Après tout, la dépense occasionnée pour des stupéfiants est plus grande que pour un ticket de métro, et les risques en cas de produit défectueux conséquents. Donc soit en réalité le marché des stupéfiants est plus institutionnalisé qu’on ne le pense (et les ventes à la sauvette y sont rares, il s’agit plutôt d’un marché dans lequel achats et ventes se font sur la base de connaissances individuelles) soit il faut considérer le coût d’acquisition de l’information; et considérer que la disposition à payer pour le bien est de beaucoup supérieure au coût d’obtention d’informations sur le vendeur et la qualité du produit.

Troisième interrogation : le marché des cigarettes vendues à la sauvette, pour ce que j’ai pu en juger aux alentours du boulevard Barbès, semble beaucoup mieux fonctionner que celui des tickets de métro. La raison en est simple : la qualité d’un paquet de cigarettes (même vendu hors d’un bureau de tabac agréé) est aisément identifiable, aux signes distinctifs du paquet, et surtout, à la présence d’un blister plastique autour de celui-ci. Et là, il y a un énorme paradoxe : pourquoi diable les fabricants de cigarettes mettent-ils ce plastique autour de leurs paquets? Est-ce pour faciliter la revente dans des circuits de distribution non conventionnels? est-ce pour rassurer les consommateurs sur le produit? Dans ce cas, il y a un énorme paradoxe : pourquoi les gens achètent-ils un produit recouvert de messages alarmistes (ça tue, ça nuit au foetus, à vos testicules, ca va vous faire mourir à petit feu en souffrant le martyre, etc…) tout en souhaitant que sa pureté soit garantie par un blister plastique? Il y a là une passionnante interrogation sur les motivations des acheteurs.

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Alexandre Delaigue

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11 Commentaires

  1. J’en ai acheté un il y a bien longtemps. C’était un tarif réduit. Or, je n’avais pas droit au tarif réduit.

  2. Ah donc ils vendent aussi des tarifs réduits, ce qui veut dire qu’ils pensent plutôt fourrer des touristes que se constituer une base d’habitués – d’ou le message rigolo de la RATP, qui dit "n’achetez pas votre billet à un revendeur à la sauvbette, vous *risquez* d’etre en infraction en l’utilisant" : j’étais persuadé que l’infraction était constitutive à l’achat hors circuit officiel, ce qui n’est donc pas le cas. Pour peu qu’on vérifie, on ne risque rien…

  3. Pour le marché des cigarettes, je pense qu’il s’agit majoritairement de considérations aromatiques et de sédentarisme de marque. Les gens sont aussi fidèle à leur marque de cigarettes ( précisément de la recette de leur région) qu’à une marque de boisson pétillante et rafraichissante.

  4. Je suppose que des cigarettes de contrebande vendues dans un paquet déblisterisé mais portant la vignette de taxes sont indistingables de cigarettes ayant payé la taxe.

    Par ailleurs, je suppose qu’un juriste ou un percepteur d’impôts teigneux trouvera des délits à reprocher au client comme au vendeur dans le cas d’un achat de ticket de métro à la sauvette.

  5. Je ne comprends pas la question.

    Dès lors, pourquoi autant de personnes refusent-elles de leur acheter des tickets ?

    heu, parce que c’est plus cher mon capitaine… le prix du ticket dans un carnet étant de 1€09 ! (par carnet de 10) contre 1€40 à la sauvette…

  6. Quelques remarques :

    – Concernant le trafic de stupéfiant : il semble que la dépendance de l’usager rende la clientèle quelque peu "captive", et à ce jour, je n’ai encore croisé personne qui ne soit accro aux trajets en métro aux heures de pointe (mais sait-on jamais 😉

    – sur les motivations des acheteurs de paquets de cigarette : ça s’appelle de la dépendance, non ?

    – Il faudrait se plonger dans les entrailles du financement de la RATP par le stif mais il me semble que (ce points sont à confirmer). Une partie du montant de la compensation dépend du nombre de voyageur transporté ce qui veut dire que si lorsqu’un voyageur effectue 10 trajets ou un seul, c’est le même coût pour l’entreprise, ce n’est pas la même recette directe (produit de la vente) et indirecte (compensation provenant du stif)
    De plus, j’imagine que vendre dix fois un ticket coûte significativement plus cher que vendre une fois dix tickets (ne serait-ce qu’en temps pour effectuer la transaction au guichet) : Je pense que ce n’est tout simplement pas rentable.

  7. "Mais d’autres marchés à la sauvette fonctionnent relativement bien : après tout, c’est comme cela qu’est commercialisée une partie significative des stupéfiants consommés. Comment se fait-il que cela fonctionne mieux?"

    Comment peut-on comparer le marché des stupéfiants à celui des tickets de métro ?

    Le marché des stupéfiants ne peut que fonctionner, d’une part en raison des caractéristiques des stupéfiants (addiction etc…) et surtout il n’existe pas d’atlernative (en tout cas en France)pour s’en procurer.

    Ca devient plus discutable pour le marché du paquet de cigarettes puisque dans ce cas, il existe au moins une alternative. Néanmoins, à la différence du ticket de métro (qui dans le cas des vendeurs à la sauvette est un vrai bien d’expérience)il est plus aisé d’en controler la qualité…

    ps: le blister plastique ne sert peut-être qu’a mieux conserver le tabac…

  8. "Après tout, qu’un voyageur effectue 10 trajets ou un seul, c’est le même coût pour l’entreprise; il vaut mieux donc faire acheter des carnets."

    Le coût de la transaction ? Parce que le chiffre d’affaire n’est pas le même, selon qu’on achète dix billets uniques ou un carnet. D’autre part, à la place d’un vendeur RATP à la sauvette, on peut substituer un automate supplémentaire. Possible que la question "pourquoi la RATP n’exploite pas ce marché ?" reste pendante.

    D’autre part vous concluez que : "l’effet du salaire minimum sur l’emploi n’est pas forcément d’accroître le chômage, mais d’accroître l’importance de l’économie informelle". Est-ce que dans ce cas, l’activité informelle n’est pas plutôt corrélée au niveau des prestations sociales. Et précisément à l’articulation entre prestation sociale et reprise du travail ?

    Plus généralement se pose le problème de l’économie informelle. Quel intérêt la collectivité a-t-elle à la tolérer ? Notez que dans ce cas, le marché est localisé (portillons d’accès) et que ce ne doit pas être difficile de faire cesser l’activité.

  9. AD : l’effet du salaire minimum sur l’emploi n’est pas forcément d’accroître le chômage, mais d’accroître l’importance de l’économie informelle. Il convient donc de nuancer son potentiel effet négatif.

    Oui, mais il ne faut pas oublier l’effet confiance. Un revendeur itinérant estampillé RATP vendrait vraisemblablement plus de tickets qu’un revendeur à la sauvette. La mise en place du salaire minimum de 1000€ par mois transformerait donc un emploi déclaré à 800€ par mois, en un emploi au noir à 500€ par mois.

    Que pensez vous de ce paradoxe amusant?

  10. Je suis allé à Paris dernièrement. A Montparnasse, j’ai pris le métro. Je n’avais pas de billet. Il y avait partout des queues très longues pour en acheter. Quand un vendeur à la sauvette s’est présenté, je n’ai pas hésité une seconde. J’ai horreur de perdre mon temps. J’ai eu un sentiment de "supériorité" par rapport aux autres. C’est aussi simple que cela.

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