J’ai longtemps été, sans réserves, du côté de ceux qui considéraient que la démocratisation scolaire était une bonne chose. Socialement et économiquement. Les impressions, les clichés et jugements hâtifs, voire rétrogrades ou réactionnaires sur le sujet me laissaient de marbre. Non seulement, en tant qu’enseignant, ce que je voyais ne les validait pas. Mais, surtout, les travaux disponibles leur donnaient passablement tort. Bien sûr, dans le débat entre signal et capital humain, je n’ai jamais considéré que l’argumentation des tenants de la théorie du signal soit totalement absurde. L’existence d’un effet signal dans l’éducation me semblait indéniable. La question était de savoir si tout n’était que signal ou si l’effet capital humain était si négligeable que s’éduquer était seulement un positionnement vis-à-vis des autres, plutôt qu’une acquisition de compétences réelles. Il me semblait très exagéré, à l’aune des analyses sur le sujet, de considérer qu’envoyer toujours plus de jeunes à l’école pendant plus longtemps ne créait pas des connaissances supplémentaires qui couvraient les coûts engagés pour cela. Aujourd’hui, je me demande si ma position est toujours aussi justifiée.
A la base de ce questionnement, il y a d’abord un vécu quotidien. Seul, cela ne vaut rien. Ma vie n’est pas un concentré représentatif du monde. J’en ai donc parlé avec des collègues qui enseignent tous dans le supérieur, aussi bien en fac qu’en classes de lycée postbac. Souvent, des gens eux aussi plutôt favorables à la démocratisation scolaire. Ils confirmaient mon ressenti. Ce qui, depuis deux ou trois ans, m’a conduit à penser que je n’étais pas vulgairement victime des biais classiques de perception dont souffrent parfois les enseignants. Cela ne vaut pas démonstration, loin de là, mais m’a amené à considérer que la question se posait effectivement. Ensuite, il y a les résultats de la dernière enquête PISA de 2012. Un certain nombre de points relevés dans cette étude me semblent aller dans le sens de l’hypothèse selon laquelle les rouages de la démocratisation scolaire sont grippés. Enfin, en s’intéressant aux tendances qui se dessinent en matière d’éducation pour le futur et en les reliant aux constats précédents, on peut continuer à verser dans un certain pessimisme. Je vous livre ces réflexions modestes, je n’ai pas dégagé de convictions profondes. A la limite, mon seul objectif est de savoir si la question mérite vraiment d’être posée.
Pourquoi la démocratisation scolaire a fonctionné
Savoir si s’éduquer davantage est toujours utile, pour les individus comme pour la société qui investit des ressources dans ce domaine, est une question récurrente depuis le 20ième siècle. L’analyse économique s’en est emparée. Deux thèses principales s’affrontent dans ce domaine. La première est la thèse du capital humain (qu’on doit initialement à Gary Becker et George Schultz). Leur raisonnement repose sur l’idée que les choix éucatifs sont faits en comparant les coûts d’une année d’étude supplémentaire et les gains, mesurés par la hausse de salaire induite (le tout étant actualisé pour tenir compte du fait que gains et coûts ne se réalisent pas au même moment dans le temps). La hausse de salaire induite est expliquée dans cette logique par une hausse de la productivité, engendrée par la poursuite des études. A ce schéma de base, s’ajoute, lorsqu’on raisonne au niveau macroéconomique, l’existence d’externalités positives de l’éducation (quand je suis plus productif, mon savoir se transmet en partie aux autres, qui voient aussi leur productivité croître). Mais individuellement, je ne peux tenir compte de cet effet dans mes choix. Or, si tout le monde raisonne de la sorte, l’investissement total en éducation est plus faible que ce qu’il serait socialement souhaitable, de même que la productivité globale de la main d’œuvre dans l’économie. Il revient donc à la puissance publique de subventionner l’éducation pour accroître le stock global de capital humain.
La deuxième thèse est celle de la théorie du signal, attribuable à Michael Spence. S’éduquer ne sert pas à acquérir des qualifications réellement productives, mais à signaler aux employeurs qu’en ayant réussi un parcours scolaire brillant, tout au moins plus brillant que les autres, on sera d’autant plus apte à occuper un poste donné. Même si ce que l’on a appris à l’école ne nous y sert à rien. Chacun a donc là aussi intérêt à investir dans l’éducation, pour passer devant les autres. Mais à l’arrivée, l’impact sur la productivité n’a pas de raison d’être spectaculaire et, en définitive, cette “course de rats” représente beaucoup de temps perdu pour les individus et la société (sur l’effet de signal, voir ce billet récent d’Alexandre sur Classe éco).
Si on veut tester les deux théories, il faut mesurer au cours du temps, par des techniques économétriques plus ou moins sophistiquées, l’impact sur les salaires des années d’études supplémentaires. C’est ce qu’a fait Éric Maurin dans les années 2000. Il a publié une synthèse de ces travaux sous forme d’un essai passionnant, qu’il est toujours temps de lire. Sa conclusion était sans appel : la démocratisation scolaire avait un sens, les tests économétriques axés sur la théorie du capital humain la validant.
A vrai dire, si l’on accepte l’idée qu’une année d’école supplémentaire sert toujours à acquérir quelques compétences additionnelles, on peut facilement accepter l’idée que faire continuer une scolarité à des jeunes leur apportera quelque chose. Néanmoins, il faut alors tenir compte du coût supplémentaire engagé. Le rendement marginal d’une année d’étude doit, en principe, dépasser son coût marginal. De surcroît, il faut tenir compte d’un effet de signal potentiel (qui justifierait de continuer, simplement pour passer devant les autres). Une façon erronée, mais courante, de conclure qu’on est confronté à une situation où l’on entretient un effet de signal en poussant toujours plus loin la démocratisation scolaire est d’évoquer la fameuse “baisse du niveau” à tous les échelons de la scolarité, ou disons au moins à partir du lycée. Dans cette logique, si le niveau baisse, c’est bien que l’on galvaude les diplômes, ce qui ne peut être qu’artificiel, conduire à de nombreuses déconvenues pour ceux qui pensent s’élever socialement et rester sans impat sur la productivité globale. J’avais (un peu) maladroitement essayé de montrer à partir d’un exemple arithmétique que l’on pouvait avoir une baisse du niveau moyen à chaque niveau d’études et néanmoins connaître une hausse de la productivité globale. Je reformule ici, dans une version un peu moins usine à gaz, cette démonstration.
Au niveau du bac, une année donnée, on a deux élèves admis dans la classe. Leurs études coûtent pour chacun, pendant une année, 100. Et grâce à leur année d’études, ils gagnent 200. Le rendement marginal net de l’année est globalement de 2 x (200 – 100) = 200. Le rendement moyen par élève est de 200/2 = 100.
L’année suivante, on admet non plus deux élèves, mais quatre. Les deux premiers sont des clones des deux diplômés de l’année d’avant. Une année d’études coûte pareil (100) et rapporte pareil (200). Mais les deux autres élèves admis sont le fruit de la démocratisation scolaire. Moins doués, issus de milieux sociaux moins favorisés, une année d’études leur profite moins qu’aux précédents. Supposons que l’année d’étude coûte alors autant pour eux que leurs camarades (100) mais qu’ils produiront un rendement marginal brut de seulement 150. Le rendement marginal net de la classe devient alors 2 x 200 + 2 x 150 – 4 x 100 = 300. Le rendement marginal moyen devient 300/4 = 75. Ce que l’on peut traduire par “le niveau baisse”. Si dans le même temps, dans la classe inférieure (et supérieure), on fait la même chose, le niveau y a aussi baissé. Mais fallait-il empêcher les élèves les moins bons d’accéder au niveau supérieur ? La première année, on avait deux élèves avec un niveau de connaissances (net des coûts) initial de disons 500 chacun. Ils finissent donc avec 700 chacun, ce qui nous fait un total de 1 400. Leurs camarades, qui s’étaient arrêtés dans la classe inférieure avaient capitalisé 400 de connaissances nettes chacun. Au total, le système éducatif a produit 1 400 + 800 = 2 200. La deuxième année, les deux membres de l’élite plus jeunes récupèrent aussi 1 400. Les deux nouveaux, qui démarrent avec 400 chacun, récupèrent 150 chacun, et obtiennent donc un niveau global de 1 100 à eux deux (800 + 300). Dans cette deuxième configuration, ce n’est pas une grande surprise de constater que le niveau de connaissances total a crû, puisqu’il est passé de 2 200 à 2 500. Et pour chaque élève en moyenne aussi, de 2 200/4 = 550 à 2 500/4 = 625.
Il est donc possible de connaître une baisse du niveau moyen des élèves à tous les niveaux scolaires, tout en encourageant cette tendance, puisqu’elle débouche sur une hausse du niveau de connaissances, net des coûts de production de cette connaissance.
Certains ricaneurs vont dire “Tout ça pour ça ?”. Ils peuvent, l’exercice n’a rien de spectaculaire mathématiquement parlant. Pourtant, dans les débats sur le sujet, cet argument du “niveau qui baisse” sous-tend très fréquemment qu’il faut arrêter d’ouvrir les filières supérieures à toujours plus de jeunes. Il est pourtant compatible avec une hausse profitable de l’éducation globale de la population.
On trouvera probablement aussi certains lecteurs qui contesteront l’idée que le coût de production d’une année d’études en plus puisse rester stable à 100. Dans certains cas, ils auront raison, dans d’autres tort. La fonction de coût éducative n’a pas de raison d’exhiber un coût marginal constant, c’est exact. Le coût des deux nouveaux peut être supérieur à 100 ; et même celui des deux membres de l’élite, du fait de l’arrivée de leurs camarades. Mais on peut aussi envisager qu’il décroisse, sous l’effet d’économies d’échelle. En d’autres termes, à ce stade, on montre juste une possibilité. Une possibilité qui est d’ailleurs représentative de ce que le passé de la démocratisation scolaire a montré. En réalité, ces problèmes sont justement envisagés plus loin.
Pourquoi il faut se demander si cela va continuer
Résumons ce qui suit, en reprenant les chiffres de l’exemple précédent : n’est-il pas possible que le niveau de connaissances acquises par les élèves les plus faibles aujourd’hui, plus faible que 400 envisagés plus haut, soit tel qu’ils ne puissent pas obtenir un rendement marginal brut supérieur à l’investissement de 100 nécessaire à la poursuite d’une année d’étude ? Au stade de démocratisation scolaire déjà atteint, peut-on encore espérer un rendement marginal net positif pour les nouveaux venus ?
J’avance deux éléments pour poser la question. Le premier est largement subjectif et issu de l’observation de certaines caractéristiques des nouvelles générations d’étudiants. Constatations qui, comme je le précisais en introduction, sont passablement corroborées par d’autres enseignants, d’où mon idée de creuser un peu le sujet. Le deuxième élément, bien plus crucial donc, est l’évolution des résultats aux tests PISA, qui semblent mettre en lumière à grande échelle des éléments précis qui sont justement compatibles avec l’hypothèse de départ.
Faisons vite sur mon ressenti professionnel. Bien que dans une formation sélective pour la partie principale de mon activité (DCG), je constate une dégradation des compétences initiales des étudiants. Je constate également une attitude vis-à-vis de l’apprentissage et du savoir en général peu propice à produire de la valeur ajoutée éducative. Ni compétences initiales, ni envie de progresser. J’ai déjà constaté cela au cours de ma carrière, mais dans des classes différentes. Ici, vu le niveau d’exigences, c’est très ennuyeux, surtout si on raisonne en termes de démocratisation scolaire. Inutile de vous dire que j’ai tenté de modifier mon approche pédagogique (j’essaie encore). Cette démarche semble échouer. Voilà donc pour ce qui a inspiré mon questionnement.
Les résultats de PISA 2012 sont connus et ont été décortiqués dans les grandes lignes. La France reste dans la moyenne de l’OCDE en termes de score (notamment en maths, point particulièrement étudié dans la cuvée 2012), mais perd des places (et des points de score). Notre système est inégalitaire, l’écart entre les plus performants et les plus faibles est important et croissant. Il y a toujours autant d’élèves performants qu’en 2003, mais le nombre d’élèves en difficulté augmente. Le système s’est dégradé par le bas. Les élèves issus des milieux défavorisés sont loin derrière ceux issus des milieux plus favorisés. Cette tendance est à la hausse depuis 2003. Le comportement en classe se maintient, mais à un niveau inférieur à la moyenne de l’OCDE. L’attitude vis-à-vis de l’école est nettement plus négative que dans les autres pays de l’OCDE, aussi bien en ce qui concerne le sentiment d’appartenance que les efforts à engager face aux difficultés d’apprentissage. Je fais court ici, vous pouvez consulter le rapport sur la France pour les détails.
Les résultats de PISA indiquent donc que, pour le public visé par la démocratisation scolaire, les plus en difficulté (souvent issus des milieux défavorisés), les résultats sont en baisse quand on approche de l’âge de fin de scolarité obligatoire. En termes absolus (les scores baissent) et en termes relatifs (comparés aux élèves performants ou aux élèves des autres pays). D’autre part, la motivation et, n’ayons pas peur de le dire, l’effort, ne progresse pas, au moment où l’on voudrait promouvoir des scolarités plus longues pour une nouvelle catégorie d’élèves, moins enclins à réussir spontanément que les autres. On peut alors se demander si on est arrivé à un stade où le rendement marginal de l’investissement éducatif pour les nouvelles catégories à pousser vers le haut n’est pas devenu inférieur à son coût.
Que faire si ça ne marche plus ?
je veux tout d’abord dire qu’il est inutile d’aller chercher des excuses aux jeunes “opprimés par le système scolaire”. C’est sûrement le cas, mais ce n’est pas l’objet de ce billet. Non, on ne naît pas feignasse. Oui, une culture sociétale ambiante fait que certains sont des larves à télé-réalité et, dans un sens, ce n’est pas leur faute. Mais ce n’est pas ce qui nous intéresse ici. La seule chose qui compte, c’est de savoir si la comparaison rendement marginal coût marginal est joyeuse ou non.
La tendance à penser qu’il existe une solution unique à chaque problème, éventuellement incarnée par la vision politique d’un seul homme providentiel déterminé à entreprendre des réformes courageuses, est présente (aussi) dans les débats sur le système éducatif. Il n’y a qu’à faire travailler davantage les profs (variante : les payer plus, ou les deux), raccourcir les vacances d’été, réduire la taille des classes, donner aux parents plus de place dans l’école, rétablir l’autorité et les méthodes d’enseignement traditionnelles (ou cesser de considérer qu’elles sont totalement dépassées), etc. Aucune n’est absurde. Aucune n’est à même, seule, de régler les problèmes d’efficacité du système (j’entends par efficacité, la capacité à obtenir un rendement marginal positif des dépenses d’éducation). L’amélioration des performances éducatives passe par un ensemble de changements plus ou moins complexes à mettre en place et plus ou moins importants en terme d’impact. Pour compléter ce billet, j’en parlerai dans un prochain article.
Je vous prierai de faire preuve dans les commentaires d’autant de mesure que ce que j’ai pu le faire dans ce billet. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre, moi-même je ne suis ni l’un ni l’autre.
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Merci pour ce super article.
On peut raffiner un peu le modèle en rajoutant des effets :
En défaveur de la démocratisation :
1) La présence d’élèves mauvais réduirait le rendement marginal de l’année supplémentaire d’études des élèves bons.
En faveur de la démocratisation :
2) Les élèves sont forward-looking, et savent qu’il ne sert à rien de faire des efforts s’ils ont peu de chance de passer, ce qui réduit le rendement marginal de leur dernière année.
Au final, même si le rendement marginal est inférieur au coût, on peut vouloir minimiser la dispersion du capital humain.
Hello,
Je n’ai pas plus d’idée concernant la cause de la « baisse de niveau ». Par contre, je conjecture qu’un grand pourcentage de citoyens éveillés suivrait mieux les affaires démocratiques. Par exemple, mais pas seulement, concernant le vote. Les résultats des votes actuels montrent clairement la rareté de l’esprit critique.
Que se passerait-il si beaucoup de gens étaient éduqués ? Ils voteraient autrement. Ils consommeraient autrement. Qui veut ça, qui ne veut pas ça ? Et parmi ceux qui ne veulent pas, lesquels ont le pouvoir de changer l’éducation des masses ?
Très bon article, encore une fois. C’est effectivement un sujet complexe, et à mon sens il n’y a pas de réponse générale. Etant passé par le cursus d’école d’ingénieur, j’ai pour ma part les constatations suivantes :
– En filière ingé, il y a un domaine où le surcroît d’éducation n’apporte quasiment rien : la thèse de doctorat. Quand je dis “n’apporte rien”, c’est surtout au niveau de la valorisation sur le marché du travail : après 3 années de thèse, les doctorants sont souvent mal vus des employeurs privés, qui les considèrent comme des professeurs nimbus et/ou des planqués qui n’ont pas voulu quitter le cocon scolaire trop tôt. A moins de souhaiter rejoindre des équipes de recherche (ce qui n’est pas forcément très intéressant au niveau salarial), mieux vaut se lancer directement dans la vie active une fois le diplôme acquis. On est clairement dans un cas où les compétences obtenues sont peu utiles, et le signal pour l’employeur faible voire néfaste.
– Je travaille en bureaux d’études, et il est clair que depuis 30 ans, le niveau de recrutement a grimpé en flèche. Les anciens nous disent qu’aucun ingénieur ne s’abaissait à travailler en bureau d’études il y a 30 ans ; aujourd’hui c’est un bagage indispensable. D’un côté, la productivité a fortement augmenté (on fait à 2 des projets qui nécessitaient 10 personnes avant, merci la CAO) comme le prédirait la théorie du capital humain, mais d’un autre côté on emploie également des ingénieurs à réaliser des tâches qu’un technicien moyen saurait parfaitement exécuter, ce qui correspond plutôt à la théorie du signal (et son inutile “course aux armements”).
Là où la théorie du signal marque un point, à mon sens, c’est quand on voit la qualité du travail fourni par les personnes de niveau scolaire moyen, type ouvrier/technicien. Leurs tâches sont de plus en plus souvent confiées à des personnes de niveau scolaire supérieur, comme je le disais plus haut, parce qu’on se rend compte que c’est le seul moyen d’obtenir un résultat correct. Comme ce ne sont pas des tâches nécessitant des études poussées, et qu’elles étaient réalisées correctement dans le passé par des personnes moins qualifiées, l’explication la plus évidente est que les “bons” qui auparavant se seraient contentés d’un bac ou bac+2 vont désormais jusqu’au bac+5. Et du coup, seuls des “mauvais” se contentent d’un bac ou bac+2, et malgré ces études ils n’ont pas les capacités nécessaires pour faire le job qui leur est demandé à la sortie (notamment sur des caractéristiques non scolaires, comme l’autonomie).
L’exemple typique, c’est le pharmacien qui range lui-même ses produits sur ses étagères parce que son magasinier (voire son préparateur…) est incapable de le faire correctement. Ca demande juste de savoir lire, connaître l’ordre alphabétique et surtout être rigoureux : c’était possible de trouver ces compétences chez des personnes peu qualifiées il y a 30 ans, c’est devenu très difficile aujourd’hui. Ca oblige à employer des personnes “sur-qualifiées”, dont leurs études supplémentaires ne sont d’aucune utilité dans leur emploi, mais montrent qu’ils ont un meilleur niveau que les ouvrier/techniciens d’aujourd’hui.
Désolé de ne pas faire avancer le schmilblick, mais je suis juste exactement comme vous. Fervent partisan de la démocratisation scolaire, ce que je vois et surtout les discussions avec mes collègues enseignants (pas tous vieux et réacs) me font penser qu’il est en train de se passer quelque chose dans notre système éducatif, avec des élèves qui ont de plus en plus de mal à travailler et à apprendre. Bien sûr, l’idée que les “jeunes, c’est plus ce que c’était” date de Platon, mais quand même, moi aussi je me dis de plus en plus qu’il ne s’agit pas que de biais cognitifs de profs qui vieillissent.
Sans prétendre apporter quoi que ce soit à cette excellente réflexion :
Krugman a pas mal traité sous l’angle critique la question de la relation entre système éducatif et réduction des inégalités. Très grossièrement dit, l’existence d’un “système éducatif” ressemble de plus en plus à une solution en quête de besoin social auquel répondre
L’idée selon laquelle il y a de plus en plus de “larves” parmi les jeunes ou que ceux sans qualifications n’ont plus de compétences est au mieux fausse, au pire méprisante. Si le pays était menacé d’invasion, nul doute qu’on trouverait soudainement des compétences militaires à tous les jeunes qu’on mobiliserait de force pour leur mettre un fusil entre les pattes et aller se faire tuer.
Pour ma part, je rejoins la position de Pascal-Emmanuel Gobry sur l’école ( http://www.forbes.com/sites/pascalemmanuelgobry/2012/10/25/does-higher-education-need-to-go-back-to-the-fifties/ ). Ce système d’enseignement a une productivité très faible: vous souvenez-vous de vos maths? de votre allemand? Combien d’années perdues à être assis et à se faire traiter de nul pour finalement tout oublier ou presque après le bac?
Je pense que l’Etat doit se retirer complétement. Un marché de l’éducation, totalement libre doit prendre sa place, et on verra quelles écoles, quels systèmes les familles préfèrent (hint: pas ceux qui fabriquent des “larves”). Peu utile, inégalitaire, inhumain même, le système actuel doit mourir. L’Etat peut donner de l’argent aux familles pour chaque enfant afin qu’il puisse s’éduquer, mais le contrôle de l’Etat doit cesser. Y compris la reconnaissance par l’Etat des diplômes, véritables titres de noblesse en France (d’un sytème à l’autre, mais aussi d’une culture à l’autre, signal et capital n’ont pas la même valeur). L’appariement entre les besoins de l’économie et l’éducation sera beaucoup plus facile (moins d’années à l’école, dichotomie enseignement théorique/pratique affaiblie, la fin du manque de médecins ou autre profession à numerus clausus, plus d’accent sur les compétences réelles plutôt que sur des bouts de papier) et les jeunes seront enfin contents d’aller dans une école qui sera plus adaptée à leurs besoins et pas à ceux de la fonction publique. Fini le jugement de Dieu des filières sélectives qui décide de toute ta vie à 18/20 ans; tu peux toujours reprendre des études des années plus tard, sans stigmate.
Bien sûr, dans une France obnubilée par les statuts, qui classe les gens en castes molles, ce genre de réforme n’a aucune chance d’aboutir (cf: Philippe D’Iribarne). Penser que pour résoudre les problèmes, on peut changer des choses à la marge en gardant le système actuel revient en fait à un réflexe corporatiste: ceux qui en parlent le plus, les enseignants de tous niveaux, sont après tout ceux qui sont les plus attachés à défendre leur statut, lequel dépend entièrement du système dont ils sont issus (diplômes et sélectivité des concours, normale sup et autres) et dans lequel ils travaillent. Si le système est garant de leur statut, c’est normal qu’ils soient opposés à un changement radical (dans le fond, cela signifie qu’ils sont opposés aux élèves et aux étudiants, et du même côté que les hommes politiques, mais je m’égare…).
J’enseigne maintenant en Chine, je vois les mêmes problèmes qu’en France, mais magnifiés considérablement. L’atrocité du système primaire et secondaire, la séléctivité impitoyable, et surtout l’incroyable faiblesse du niveau de la majorité des étudiants (contrairement à tous les clichés). Bien sûr, il faut nuancer, il y beaucoup de différences et la situation est bien pire en Chine, mais la racine du mal est la même: le contrôle de l’Etat.
Je trouve l’article très bien construit cependant j’y vois deux gros biais:
– le contenu des programmes changes et les professeurs comme les élèves y réagissent de manière différente et non organisé.
De ce fait même à observer une classe d’un niveau dans un établissement animé par le même professeur,
les fluctuations de niveaux observé ne peuvent être dus uniquement à la qualité des élèves mais au couple programme / élève.
– La capacité de réussite d’un élève varie dans le temps (et cela peut se mesurer d’un mois sur l’autre!),
et je parle en prenant en compte mon cas personnel:
3ième de classe en cp, avant dernier en ce1, promis à être envoyé en filière technique au collège, refuser dans près de toutes les formations post bac, je suis ingénieur depuis 10 ans et très loin d’être le plus mauvais dans mon domaine.
L’échec d’un élève à de multiples raisons, au premier rang desquels je met (entre autre): l’environnement en classe (les voisins directs), la capacité du professeur à susciter l’intérêt chez l’élève (ce n’est pas quelque chose de simple et la plupart des enseignants que j’ai eu était assez mauvais à ce sujet)(point de vue partagé par quasi tous les collègues et amis)
PISA évalue à un instant t le niveau d’une cohorte d’élèves de 15 ans.
Les destins individuels ou localisés ne sont donc pas le problème ici.
Ces tests sont supposés neutraliser l’effet programme.
Quant au rêve d’avoir une majorité d’enseignants qui passionnent ou intéressent seulement un peu tous les élèves, oublions.
A moins de prendre tous les esprits les plus créatifs de nos sociétés et d’en faire des profs. Pas une bonne idée, je pense.
Le problème c’est que la théorie du capital humain n’est valide que si les étudiants ont effectivement l’occasion d’appliquer les compétences qu’ils ont acquises : Quel intérêt de faire 5 années d’études post bac pour finir Facteur ? (ça n’est qu’un exemple, je n’ai rien contre nos amis postiers).
Par définition, tout le monde ne peut pas devenir cadre. La démocratisation de l’enseignement supérieur (on se rappelle de l’objectif de 80% d’une classe d’âge au bac) est donc un triple échec :
– Ca crée de la frustration (« j’ai un Bac +5 en histoire de l’art, pourquoi suis-je vendeur à la FNAC ? »)
– On manque de personnes qualifiées dans les métiers manuels, où pourtant les perspectives de rémunération sont bien plus attrayantes.
– Comme les moyens ne sont pas infinis, on se retrouve avec un budget par étudiant digne du tiers monde.
Je suis donc favorable à davantage de sélection pour les études supérieures, et à une réforme de la formation professionnelle.
Ça c’est l’argumentation standard des tenants du signal, depuis des décennies, dans sa version base de base.
Argument qui, sous cette forme, a été maintes fois défait, jusqu’à présent au moins.
Notamment parce qu’il est assez caricatural.
“Tout le monde ne peut pas devenir cadre”. (Coriolan)
Ça a la couleur et l’odeur du https://fr.wikipedia.org/wiki/Sophisme_d%27une_masse_fixe_de_travail (mutatis mutandis). Vous ne faites guère qu’affirmer que le coût marginal de l’éducation dépasse les gains de productivité, au moins au niveau macro en tenant compte de l’effet “armée mexicaine” (si tout le monde est général plus personne ne combat).
Je serais extrêmement étonné d’apprendre qu’on en est à ce point-là, pour preuve les taux d’emploi respectifs par niveau d’éducation (s’il y avait trop de cadres, il seraient au chômage ou vendeurs chez Carrefour – or on s’arrache les places chez Carrefour, et peu de cadres sont au chômage).
Vous avez très probablement raison si je me fie à ces chiffres.
“…or on s’arrache les places chez Carrefour, et peu de cadres sont au chômage”
Si peu de cadres sont au chômage c’est parce qu’un cadre au chômage pendant longtemps finira par postuler à un emploi non cadre. De toute façon un poste de cadre n’est pas forcément aussi enviable qu’avant. Seuls les métiers tout en bas de la hiérarchie sociale connaissent donc le chômage au sens statistique.
C’est pour la même raison que des études ont établi une brusque chute du taux de chômage à la fin de l’indemnisation ; pendant l’indemnisation on cherche le job adéquat, ensuite on postule à n’importe quoi…
La baisse de niveau peut également s’expliquer par un changement général des normes culturelles ; les études sont en moyenne moins valorisées qu’auparavant quel que soit le profil de l’élève. La dévaluation des diplômes pourrait jouer un rôle dans cette évolution ainsi que l’essor d’internet, l’exemple de la téléréalité, etc…
Quand au coût global du système, il est en effet élevé, puisque la France garantit la gratuité des études à beaucoup et sélectionne moins que l’Allemagne. Bien que je n’ai rien contre la théorie du capital humain, force est de constater que la démocratisation n’a pas suffit à nous rendre nettement plus compétitifs que les autres pays voisins, d’autant plus que nombre de nos meilleurs diplômés quittent la France à la fin de leur formation. Former des gens est une chose, les employer à leur pleine valeur en est une autre….
Pour exprimer l’impatience mienne de voir publiées la suite de vos réflexions, je ferais quelques remarques de fond :
Le système educatif français est l’héritier à peu près préservé dans ses formes malgré deux grandes guerres d’un système d’instruction publique conçu au XIXème. Système dont la vocation était de fournir à l’économie nationale l’éducation requise pour la main d’oeuvre requise pour assurer la meilleure prospérité possible au moindre coût.
Autrement dit, c’est un bulldozer.
Je peux comprendre qu’à l’intérieur de la firme (n’en est-ce point une ?) on aime s’imaginer comme efficace. Surtout si l’on considère les efforts réels et méritoires consentis du personnel. Reste que comme pour toute firme se pose la question : à quel prix ce que la firme peut offrir est-il attendu par le marché ?
Question iconoclaste me direz-vous, mais j’insiste : vous pouvez fournir gratuitement de l’éducation (en la subventionnant) mais vous ne pouvez pas forcer ses bénéficiaires à l’accepter.
Toutes les économies réelles subventionnent (quasi-)totalement certains produits ou services. Le riz dans les pays pauvres, les cours de flûte à bec à doigté soprano anglais en France, avec souvent cette invariable conséquence : aux yeux d’un public instruit, la gratuité d’un bien ou d’un service est le plus évident signe de son absence de valeur. Seuls les derniers se contentent de riz subventionné pour se nourrir, seuls les derniers s’enrichissent de cours gratuit de flûte à bec soprano à doigté anglais.
En école de commerce, face à un tel constat, il est aisé de deviner ce que la doctrine enseignée suggèrerait : élargissement de la gamme, discrimination tarifaire, labellisation de l’offre et subventionnement du consommateur (par des bourses) plutôt que de la production (par des repas gratuits). Et s’il faut faciliter l’arbitrage entre scolarisation et activité, pourquoi ne pas donner une bourse d’éducation aux chômeurs ?
(On remarquera d’ailleurs que c’est exactement le dispositif dont demande aujourd’hui à bénéficier un ancien ministre de l’économie sans jamais avoir eu l’idée de le proposer pour ses concitoyens, bref……)
Il y a quand même à mon sens un élément manquant dans votre analyse.
On s’interroge sur savoir quel niveau d’éducation il faut donner aux élèves (bon et mauvais) pour avoir un rendement maximal.
Mais on oublie de se pencher sur la capacité des élevés:
Globalement, le QI moyen n’a pas vraiment évoluer depuis 1 siècle, et est appeler à rester stable (on ne débattra pas de l’effet Flynn ici). Or le QI d’un individu est un assez bon indicateur du niveau d’étude qu’il atteindra (du moins dans les pays comme les US, en Fr c’est plutôt l’inverse!).
Chaque individu ayant son potentiel fixé à la naissance il possède un niveau d’étude théorique “optimal” qui est celui où il exploite le mieux possible ses capacités. Au delà de ce niveau la formation est plus couteuse (coût de la formation, mais aussi année de moins à cotiser pour la retraite etc) que ce qu’elle rapporte à l’individu. En dessous c’est l’inverse.
Dés lors on passe à une approche individuelle du niveau d’éducation: le débat n’est plus de savoir si il faut démocratiser ou quoi, mais d’atteindre un optima individuel.
Mais cela demande une approche très différente de l’éducation, qui soit centrée sur l’élève et ses capacités… On est encore loin de ça 🙁
L’argument du “tout le monde ne peut pas faire des études supérieures” au sens de “on ne peut plus espérer trouver des gens supplémentaires à diplômer” (grand classique de l’argument anti démocratisation scolaire depuis “toujours”) finira par être valable un jour. Mais probablement pas encore aujourd’hui…
Je suis moi aussi enseignant, en Sciences économiques et sociales au lycée. Je partage une partie des constats qui sont faits dans votre article, mais il me semble qu’il repose entièrement sur une hypothèse qui mérite d’être discutée.
Imaginons, et je ne dis pas que ce soit forcément le cas, que le niveau d’un élève à un instant t (mesuré par l’enquête PISA, par les résultats au baccalauréat ou au DCG, ou plus subjectivement par nos yeux de professeurs) dépende relativement beaucoup plus des interactions entre les caractéristiques de cet élève et celles du système scolaire, et plus faiblement de ses caractéristiques intrinsèques (« bon » ou « mauvais » niveau de départ ou potentiel). Imaginons donc que le potentiel ou le niveau des élèves soit relativement proche à la naissance ou à l’entrée dans le système scolaire, et que les différences de niveaux constatées entre les élèves s’expliquent principalement par les diverses caractéristiques des élèves ET du système scolaire. Notez que je n’évoque pas les déterminants sociaux des différences entre élèves, mais uniquement les caractéristiques du système scolaire (évidemment, les deux sont liés, mais il n’est pas nécessaire de faire appel aux différences sociales dans le raisonnement).
Si c’était le cas, le rendement marginal d’une année d’étude n’aurait pas a priori de raison d’être décroissant avec le nombre d’élèves scolarisés.
D’ailleurs, il semble, d’après les résultats des enquêtes PISA, que certains systèmes scolaires parviennent à obtenir des résultats moyens comparables ou plus élevés que ceux de la France, tout en obtenant une moindre dispersion des résultats (en particulier vers le bas). De plus, sans que j’aie pris le temps de le vérifier, d’après mes souvenirs, certains pays voient le niveau d’inégalités scolaires varier (dans un sens ou l’autre) d’une enquête PISA à l’autre.
Comment l’expliquer ?
– par une distribution différente des « bons » et des « mauvais » élèves à l’échelle internationale ? Une partie des jeunes français seraient intrinsèquement et incurablement condamnés à un niveau scolaire faible, représentant en France une part plus importante de leur génération que dans d’autres pays. Comment défendre cette idée sans mobiliser des considérations nauséabondes impliquant l’existence de différences intellectuelles intrinsèques entre races ? Et même si on l’admettait, comment expliquer alors que les inégalités scolaires varient d’une enquête PISA à l’autre (et de façon a priori indépendante des migrations internationales…) ? Permettez-moi de l’exclure, à moins de m’en fournir des preuves…
– par un niveau de démocratisation scolaire plus avancé en France que dans ces autres pays. Nous aurions ainsi atteint un niveau de démocratisation scolaire au-delà duquel le rendement marginal d’une année d’étude est inexorablement décroissant (et plus faible que dans les pays où la démocratisation scolaire est moins avancée). Les résultats supérieurs et moins inégalitaires des élèves d’autres pays s’expliqueraient simplement par le fait que les individus les moins « bons » ou au plus faible potentiel y sont exclus du système scolaire et n’entrent pas dans les statistiques, alors qu’ils seraient scolarisés et échoueraient en France. Cela tient pour les pays émergents pris en compte dans l’enquête PISA, mais il semble difficile de soutenir que les pays de l’OCDE de niveau de développement comparable à la France soient significativement moins avancés dans le processus de démocratisation scolaire.
– ou alors, la forme de la courbe du rendement marginal n’est pas exogène, mais est un produit de chaque système scolaire. Dans ce cas, la question que vous posez dans cet article n’aurait pas d’objet : il ne s’agirait pas de se demander si la démocratisation scolaire est positive ou pas pour chaque élève et pour l’ensemble de la société concernée, mais plutôt « Quelles sont les caractéristiques du système scolaire qui permettrait de maximiser les bénéfices individuels et collectifs de la démocratisation scolaire, étant donnés les caractéristiques des élèves français aujourd’hui »* ? Dans cette perspective, les pratiques des enseignants auraient un rôle à jouer (même s’ils ne sont, comme vous le soulignez, qu’un facteur parmi les nombreux qui peuvent influer sur la performance des élèves), et je ne pourrais que m’associer à la volonté dont vous témoignez au début de votre article de continuer à essayer de trouver des approches pédagogiques qui contribuent efficacement à améliorer les résultats de vos élèves.
Par ailleurs, cela laisse ouverte la définition des bénéfices (individuels et collectifs) attendus de l’éducation. Je rejoins Sbgodin sur l’idée qu’il est réducteur de les limiter à une augmentation de la productivité au sens le plus étroit d’augmentation de la production économique par tête. C’est une hypothèse commode dans un modèle, et je ne la conteste pas en tant qu’hypothèse, mais dans l’interprétation des résultats il est nécessaire de rappeler que la définition du souhaitable (et donc ici des bénéfices attendus de l’éducation) relève d’un jugement de valeur qui ne peut être tranché par un économiste en tant qu’économiste (L’école doit-elle former des citoyens éclairés, permettre l’épanouissement des individus (avec toute l’ambiguïté de ces termes), maximiser la productivité économique individuelle, maximiser le prestige national, etc. ?)
*Une des questions secondaires pourrait alors être de déterminer si ces bénéfices sont maximisés pour un système scolaire qui produit une courbe de rendement marginal fortement décroissante ou relativement constante (= quel degré d’inégalité scolaire est nécessaire pour qu’un système scolaire soit efficace ?). Il me semble qu’à cette question, les enquêtes PISA répondent que les deux sont possibles (reste à savoir selon quelles modalités applicables en France et à condition de quels changements…), mais cela renvoie donc la question vers d’une part les préférences sociales et politiques pour l’inégalité scolaire (que l’économiste n’est pas légitime à trancher), d’autre part vers les liens entre le système scolaire et les autres institutions politiques et sociales (que l’économiste peut contribuer à comprendre, mais pas sans l’aide d’autres disciplines…).
@JMU
Le fait que le taux de chômage des diplômés est inférieur à la moyenne ne prouve pas qu’ils trouvent un emploi en rapport avec leur niveau d’étude.
Quand je vois des formations universitaires qui laissent une bonne partie des étudiants de première année sur le carreau et permettent au bout de 5 ans à leurs diplômés de trouver un emploi peu qualifié payé à peine le SMIC, il n’est effectivement pas déraisonnable de se demander si leur coût ne dépasse pas la productivité générée.
@Stéphane
Je souhaite simplement nuancer les bienfaits de la théorie du capital humain qui sont trop systématiquement considérés comme acquis dans tous les cas ; un peu dans une logique « faisons faire un maximum d’études à un maximum de personnes, c’est forcément productif ».
Votre lien ne montre d’ailleurs pas de lien évident entre dépenses éducatives / % de diplômés d’une part et taux de chômage / développement économique d’autre part , au sein de l’OCDE (contre-exemples de l’Allemagne, de la Suisse, du Danemark)
Vous expliquez que certes la baisse du niveau moyen peut être bénéfique à la société, mais c’est passer à coté de l’essentiel, qui est de comprendre POURQUOI le niveau moyen doit baisser pour permettre cet effet de capital humain.
En effet, dans l’absolue, chacun maximise son capital humain sous contrainte, et vous pouvez démocratiser ce que vous voulez, baisser ou diminuer le niveau moyen de chaque diplôme, ça ne changera strictement rien au capital humain produit par la société….
D’où vient la démocratisation scolaire alors?
Voici la réponse que je propose:
Imaginons que l’éducation ne soit pas démocratisée: il existe deux ecoles seulement; une petite école pour les gens normaux qui rapporte 100 de capital humain par élève, et une grande école pour les plus intelligents qui rapport 300 de capital humain à chaque élève.
La population comporte 6 élèves qui ont des capacités différentes: 2 ne sont pas bons, 2 sont moyens et 2 sont très bons.
Les moins bons n’ont accès à aucune éducation car la petite école n’est pas à leurs portée, ils ont donc un capital humain de 0. Les moyens ont eux accès à la petite école et reçoivent 100, les très bons à la grande école et reçoivent 300.
Total dans la société: 2*0+2*100+2*300 = 800 de capital humain.
Maintenant démocratisons l’éducation, on décide que tout le monde doit avoir accès à la petite école, même les moins bons. Comme on ne peut pas rendre les moins bons plus intelligents, on va baisser le niveau la petite école qui ne rapportera plus que 50 de capital humain.
On décide aussi de crée une école moyenne, qui rapportera 100 et remplacera le niveau de l’ancienne petite école.
Dans le café du coin, on se lamente sur ce niveau de la petite école qui baisse, et de ces gens de l’école moyenne qui n’en savent pas plus que les gens de la petite école d’avant…
Mais globalement le capital humain de la société à augmenter:
Les 2 moins bons peuvent enfin aller à l’école et recevoir 50 de capital humain! Les 4 autres reçoivent toujours autant, mais ils doivent faire une année d’étude supplémentaire!
=>Bilan global: la société à augmenter de 100 son capital humain en réduisant l’effet de seuil qui conduisait les moins bons à n’avoir aucun capital humain alors qu’ils étaient capables de produire 50 chacun!
Mais cela se fait au prix d’une durée des études plus longue pour les autres personnes!
=> On voit bien que au final la démocratisation scolaire n’a de sens que par ce qu’il existe des effets de seuils qui conduisaient les gens à avoir un niveau d’étude sous optimal par rapport à leurs capacités.
Et que cela entraine mécaniquement un allongement de la durée des études et une baisse du niveau: on apprends dois faire la petite école puis la moyenne école pour avoir 100 d’éducation, là où avant une année de moyenne école suffisait!
Une fois qu’on à bien compris ça, des pistes intéressantes s’ouvrent:
-quand est ce que le gain global de la démocratisation est compensée par l’allongement de la durée des études pour les élèves les plus brillants?
-Est il possible de démocratiser sans augmenter la durée des études en créant des filières spécialisés où les meilleurs élèves peuvent apprendre à un rythme optimal en fonction de leurs capacités?
-Pour cela, est ce que la notion de “tronc commun” doit forcement passer par “une éducation en commun”? Les meilleurs élèves peuvent très bien apprendre la même chose mais plus rapidement!
Voilà en tout cas ma vision des choses je serais curieux d’avoir votre avis sur le sujet!
L’éducation est l’affaire de tous, nous sommes tous responsables, le choix est l’affaire de chacun, nous devons être impliqués sans commune mesure dans l’avenir de nos enfants.
Sans aucune action gouvernementale notre action sera vouée à l’échec.
Si les profs, les parents, les enfants marchaient ensemble, l’ensemble serait possible.
Il aurait fallu !
Oui, moi aussi, je suis favorable à un monde parfait.
Je ne sais juste pas comment on modèle une société pour qu’elle soit parfaite.
La raison n’est pas parfaite mais rien ne vaut la raison.
Parfois un regard suffit.