Si le mariage était comme le contrat de travail…

Il y a quelques semaines, lors de débats sur la flexibilité du travail, j’avais entendu Jean-Christophe le Duigou s’opposer à celle-ci avec l’argument suivant : “ce n’est pas en facilitant le divorce qu’on augmentera le nombre des mariages”. Cette opinion est très contestable, mais là n’est pas le sujet. Par contre, appliquer les règlementations et propositions de politiques de l’emploi à la question du mariage donne des résultats amusants, qui soulignent l’absurdité de celles-ci. Supposons donc que l’on considère qu’il est nécessaire d’augmenter le nombre de mariages en France. Qu’est-ce que cela pourrait donner?

– L’Etat actuel de la législation : il existe deux grandes catégories de mariage. La première, c’est le mariage à durée indéterminée. Pour celui-ci, le divorce est extrêmement difficile. Si vous souhaitez divorcer, vous avez besoin d’une autorisation de la justice; la procédure judiciaire peut durer plusieurs années. A l’issue de celles-ci, le juge peut décider que le divorce n’aurait pas dû avoir lieu, et que vous avez l’obligation de revivre ensemble, et de verser à votre conjoint la moitié du salaire que vous avez touché durant la procédure judiciaire, plus une pénalité. Les règles qui déterminent la décision du magistrat sont floues, interprétées diversement selon les tribunaux et soumises à une jurisprudence fluctuante. Par exemple, vous avez le droit de divorcer pour éviter que votre bien-être ne se dégrade, mais pas pour l’améliorer. Ainsi par exemple, un homme qui après s’être séparé de sa femme a acheté un petit coupé sport a été condamné, au bout de deux ans, à se réinstaller avec son épouse.

Face à ces contraintes, sont apparues de nombreuses formes de contrat de mariage à durée déterminée : vous vous mariez pour une période de temps donnée. Tout le monde se plaint de cette situation, mais ce type de contrat est de plus en plus utilisé. De nombreux hommes préservent leur contrat avec leur épouse jusqu’à la cinquantaine, pour signer alors un nouveau contrat avec une épouse d’une petite trentaine d’années. L’Etat verse d’importantes allocations aux épouses répudiées après 50 ans.

– La proposition du gouvernement : Désormais, les mariages comprendront une “période d’essai” de deux ans, pendant laquelle il sera possible de divorcer unilatéralement, sans compensation, sans explication. A l’issue de cette période d’essai, c’est le mariage à durée indéterminée qui s’applique. Pour la majorité des gens, cela n’apporte strictement rien au problème. Après tout, ce type de “période d’essai” est déjà permise par les mariages à durée déterminée. Mais lorsque vous expliquez cela au premier ministre, il devient tout rouge, et vous dit que vous êtes un déclinologue sans panache adepte du renoncement.

– la proposition de l’extrême-gauche : il faut interdire les divorces. Lorsque vous expliquez que cela conduira beaucoup de gens à vivre maritalement sans se marier, ils vous répondent qu’il faut interdire aux gens de vivre maritalement, et les faire surveiller par des comités citoyens. Lorsque vous leur expliquez que tout cela est absurde et dangereux, ils vous regardent méchamment et vous insultent.

– la proposition de Serge Dassault : il faut, au contraire, permettre le divorce à tout moment, en toutes circonstances, et sans avoir la moindre pénalité à verser à son conjoint lorsqu’on le (ou la) répudie. Là, plus personne n’aura peur de se marier. Lorsque vous faites remarquer que cela aura peut-être pour effet d’augmenter le nombre de mariage, mais que le nombre de divorces augmentera lui aussi beaucoup, et que l’effet sur le mariage est de ce fait indéterminé; que par ailleurs, de très nombreuses personnes risquent de se trouver répudiées sans protection, il vous répond que les chinois, eux, n’ont pas ce genre de scrupules, et qu’ils sont PLUS D’UN MILLIARD, RENDEZ-VOUS COMPTE! lorsque vous lui dites que vous ne voyez pas le rapport, il vous recommande de lire les éditoriaux du Figaro, dans lesquels tout est expliqué.

– la réduction du temps de travail : si tant de gens divorcent, c’est qu’ils cohabitent trop longtemps. Il faut donc obliger les gens mariés, un jour par semaine, à vivre séparément. Ainsi, leur relation de couple sera plus durable et plus productive, et plus de gens auront envie de se marier. Au passage, il faudra imposer de sévères pénalités aux couples qui ne jouent pas le jeu. Pour beaucoup de couples, cela ne se passe pas trop mal. Mais comme la “journée sans conjoint” a été fixée autoritairement le samedi, jour ou de nombreux couples avaient l’habitude de faire leurs courses et diverses activités avec leurs enfants, cela pose de redoutables problèmes d’organisation pour ces familles, problèmes qui dégénèrent en disputes, voire en divorces. Le gouvernement explique que le samedi doit, de toute façon, être réservé aux activités culturelles, festives et subventionnées.

– la proposition des économistes : les économistes constatent plusieurs choses. Premièrement, que le nombre de mariage et de divorces n’est pas, pour l’essentiel, déterminé par les législations; qu’il serait préférable de se préoccuper de ce que les revenus des couples augmentent, ce qui à la fois leur rend la vie plus facile, et réduit les conséquences négatives des divorces. Ils constatent aussi que la coexistence du mariage à durée déterminée et indéterminée est une mauvaise chose; qu’il serait préférable de remplacer cela par un mariage unique, dans lequel le divorce est possible; les gens du couple sont les mieux placés pour savoir s’ils doivent divorcer ou non, beaucoup plus qu’un juge extérieur à leur relation. Il faut donc rendre le divorce possible, mais coûteux, en imposant de verser des indemnités compensatoires (une sorte de “taxe sur le divorce”) à son conjoint en cas de séparation. On rétorque aux économistes qu’ils sont dans leur tour d’ivoire et leurs modèles statistiques, et qu’ils ne comprennent rien comme d’habitude.

Vous avez d’autres idées sur le même thème? les commentaires sont ouverts.

EDIT : un lecteur me signale cet article de P.Y Geoffard dans libération du 7 juin 2004, malheureusement inaccessible en ligne, intitulé “le mariage, un CDI”.

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Alexandre Delaigue

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9 Commentaires

  1. C’est pourtant un fait que la libéralisation du divorce (sur requête conjointe, par double aveu) en 1975 n’a pas eu pour effet de favoriser l’augmentation des mariages. De fait, on a noté une baisse plutôt sensible.

    Il est vrai que depuis 1975, les avantages liés au mariage ne sont ne sont pas véritablement décisifs.

  2. En toute objectivité, on n’en sait rien. Se fonder uniquement sur la courbe des mariages après 1975 ne prouve rien (il y a beaucoup trop d’autres phénomènes qui entrent en ligne de compte pour pouvoir isoler celui-là).
    Par ailleurs, faire un commentaire sérieux sur ce post, c’est mal 😉

  3. jules: N’oubliez pas qu’en pratique, même depuis 1975, un mariage est souvent nécessaire pour permettre à un petit fonctionnaire d’échapper à une affectation au coeur d’une métropole dans laquelle il ne saurait se payer un logement.

    Sinon, sur le fond, je me pose une question : quel est l’intérêt du mariage entre employeur et salarié ? Pourquoi un pacte serait-il nécessaire ? Ou, plus exactement, s’il faut définir les règles d’un pacte, la première chose est de déterminer qui est supposé profiter de l’existence de tels pactes, qu’ils soient ou non contraignants pour l’une ou l’autre des parties.

  4. La proposition de Dassault existe déjà, non? Ca s’appelle le PACS.
    Mais la différence fondamentale entre les emplois et les mariages, c’est que si on comprend bien l’intérêt d’augmenter le nombre des premiers, on se demande bien quel pourraît être l’intérêt d’augmenter le nombre des seconds? 😉

  5. Et le PACS ? C’est du black ?
    A part ça, tu sais que si tu as du mal à vaincre la drogue, je peux t’écouter, t’aider, te conseiller… Hésite pas…

  6. Toujours aussi idéologue, Monsieur Delaigue, à ce que je vois ! Vous vous obstinez à présenter la relation matrimoniale comme un accord entre deux personnes égales et libres, alors que chacun sait que c’est une lutte des sexes, dans laquelle chacun met en œuvre le pouvoir de pression dont il dispose. Comme par hasard, vous n’évoquez pas la question de la polygamie. Pourtant, comment considérer comme égaux un homme marié à 10 femmes et une de ces 10 femmes ? Pour elle, le mariage est tout ce qu’elle a, et c’est le célibat de longue durée qui l’attend s’il vient à son époux l’envie de la mettre à la porte. Lui, en revanche, conserve 9 autres femmes quoi qu’il arrive, et sait par ailleurs que l’Agence Nationale Pour l’Amour regorge de pauvres célibataires prêtes à tous les sacrifices pour avoir un peu de tendresse. C’est d’ailleurs à se demander si le célibat massif n’est pas voulue par les hommes, qui disposent ainsi d’une armée de réserve d’épouses qui leur garantit que le prix de la femme ne s’élèvera pas au dessus du coût de son entretien (liftings inclus).
    Evidemment, cette attaque ne vise pas les petits couples monogames, dont l’homme crée de l’amour et s’exploite souvent lui-même (interprétez comme bon vous semble), mais il ne faut pas détourner l’attention des vrais combats qui se jouent, chaque jour, dans les harems de ce pays.

  7. Un commentaire tout à fait hors sujet.
    Je tenais à vous remercier vivement pour votre réponse apportée en février à la question de savoir s’il faut acheter ou louer son logement. C’est la PREMIÈRE FOIS que je lis une réponse intelligente formulée par un ou des économistes. Je crois que les économistes sont dans leur rôle lorsqu’ils apportent des éléments de réponse aux questions sur se pose l’homme de la rue dans sa vie de tous les jours.
    Au cours de ma formation en économie, j’avais discuté avec l’un de mes professeurs qui m’avait expliqué que pour des marchés parfaits, il est équivalent d’acheter ou de louer son logement. En revanche, avec des anticipations particulières, des coûts de transaction et/ou de l’incertitude, les choses peuvent changer, dans un sens ou dans l’autre.
    Pourriez-vous indiquer à vos lecteurs, à la suite de votre "post" du 6 février, des références d’article ou de livre apportant une réponse économique du même ordre, c’est-à-dire une réponse intelligente ? D’avance, merci.

  8. Vous oubliez un peu vite la Commission Européenne, cet organisme obscur et "tellement-libéral-que-même-Dassault-semble-marxiste-à-côté" qui cherche par des voies détournées à nous imposer une vision du mariage qui ne correspond pas à la tradition française, à notre modèle (que tout le monde nous envie bien entendu).

    Peu importe qu’en fait le Conseil de l’UE (les États membres) soit l’organe décisionnel, le complot est bien là.

    Il est à cet égard important de bloquer toute tentative de "dumping marital" qui aboutirait à une déferlante de bellâtres plombiers polonais et autres maçons sexy portugais qui nous voleraient nos femmes (que tout le monde nous envie bien entendu)en acceptant de renoncer à nos avantages fièrement acquis (bière devant la TV, chaussettes sales, aucune tâche ménagère etc.).

    Par contre, il est tout à fait normal que nos grandes agences matrimoniales (Pensons à "Suez (pour garder la forme)" ou "Education Des Femmes") se gavent royalement sur les marchés étrangers de la ménagère de moins de 50 ans. Il faut défendre nos fleurons, soyons patriotes que diable !

  9. Belogodère, cesse donc tes idioties révolutionnaires.
    Passe ta thèse d’abord !

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