Retour sur le "mechanism design"

Comme toujours, T. Cowen et A. Tabarrok de marginal revolution font un excellent travail de présentation et d’illustration des trois récents prix Nobel d’économie. Voir ce post sur le mechanism design; les posts sur Hurwicz, Myerson, et Maskin. N’hésitez pas à suivre les différents liens. Voici un billet rapide consacré à l’intérêt et aux limites du mechanism design. Voici un article de Tabarrok sur le même sujet dans Reason.

Le “mechanism design” est né du débat opposant Hayek et Oskar Lange dans les années 50 sur la capacité du socialisme à atteindre des allocations de ressources efficaces, comme le font les allocations de marché dans une économie concurrentielle. Pour Hayek, l’intérêt des marchés est leur capacité à transmettre des informations aux individus par le biais du système de prix. Dans le mécanisme de marché, les gens ont des difficultés à mentir sur leurs contraintes, alors qu’une économie planifiée doit obtenir des informations de la part d’agents économiques qui, par intérêt, cherchent à dissimuler celles-ci. D’où l’idée de découvrir des mécanismes permettant à un agent d’obliger les autres à révéler ces informations, afin d’aboutir à un optimum. Cela vaut pour un gouvernement, mais aussi pour une entreprise qui cherche par exemple à obtenir les meilleures conditions de la part de ses sous-traitants en concurrence.

La solution au problème, c’est qu’on peut déterminer de tels mécanismes, mais qu’ils sont très complexes et difficiles à mettre en oeuvre. Ce genre de travaux a conduit par exemple à analyser les procédures d’enchères, notamment les enchères au second prix. Cela peut avoir des applications, lorsque par exemple un gouvernement cherche à allouer au meilleur prix une ressource : cela peut servir à allouer des licences de téléphonie mobile, le spectre hertzien, ou à concevoir un marché de droits à polluer. Néanmoins, la question de l’allocation finale reste ouverte, et n’est pas facile à résoudre (voir cet ancien post sur l’allocation des tableaux de maîtres). Ce que nous montre les difficultés pratiques du marché du carbone européen, c’est que si la théorie sur les enchères est intéressante, elle passe à côté de toutes une série de dimensions importantes, comme la question des choix publics.

Prenons l’exemple de l’allocation de licences de téléphonie mobile. Si le gouvernement trouve un mécanisme qui lui permet d’obtenir le maximum des entreprises désireuses d’acquérir ces licences, le problème n’est pas terminé pour autant. Que va faire le gouvernement avec l’argent ainsi obtenu? S’il annonce qu’il va l’utiliser pour financer un grand programme industriel, il est possible que les entreprises retrouvent une part de leur argent sous forme de subventions, ce qui modifie leurs incitations de départ. Le problème de la malédiction du vainqueur n’est pas non plus résolu.

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Alexandre Delaigue

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5 Commentaires

  1. Est-ce que ce genre de théorie s’applique au problème principal-agent?

    J’ai un ami qui s’occupe de concessions dans les transports publics. Lors des appels d’offres le problème est de rédiger un contrat qui incite l’exploitant à faire des gains de productivité (conducteurs de bus et de tram). Si il les garde pour lui la collectivité n’en profite pas. Si il doit les restituer intégralement à la collectivité, il n’est plus incité à faire des gains de productivité. Le contrat doit naviguer entre ces deux écueils.

  2. Quelques petites remarques en passant
    (désolé par avance pour ce commentaire un poil longuet)

    (1) Contrairement à ce que vous laissez supposer, la théorie des enchères, et plus généralement celle du mechanism design, se préoccupe bien plus des problèmes d’allocation que de celui d’extraire le plus de revenu possible des participants. Dans un contexte donné (nombre de biens à vendre, type d’asymétrie d’information, etc.), on cherche avant tout des mécanismes allouant efficacement les ressources, i.e. aux participants les valorisant le plus. En pratique, à ce que j’ai cru comprendre, la vente de licences (de téléphonie mobile ou autre ou autre) n’a pas pour objectif de maximiser le revenu mais bien plutôt d’allouer efficacement les licences. Paul Milgrom, qui a contribué au design des enchères du spectre (fréquences radio), en parle très bien dans son livre "Putting Auction Theory to Work".
    De plus, efficacité allocative et maximisation du revenu peuvent très bien coïncider. Il y a un fameux résultat en théorie des enchères — le "théorème" du revenu équivalent — qui explique grosso modo (pardon aux puristes) que, quand il y a un seul bien à vendre, que chaque acheteur accorde une valeur privée au bien (ie ne dépendant pas des autres acheteurs), tous les mécanismes allouant le bien efficacement génère le même revenu pour le vendeur. Exemples: enchères au 1er prix, 2nd prix, ascendante,… allouent toutes le bien à l’acheteur le désirant le plus et génèrent en moyenne le même revenu.

    Merci de ces précisions, j’ai été effectivement trop rapide. Effectivement le but du mechanism design est aussi d’obtenir une allocation optimale du type de celle qu’on aurait en marché concurrentiel, lorsque les circonstances font qu’il n’y a pas de tel marché. Cela ne se limite pas à la maximisation du gain du vendeur.
    (2) Je ne vois pas très bien en quoi le fait l’Etat retire de l’argent d’une enchère pose problème. S’il est parvenu à s’engager sur un format d’enchère révélant de l’information sur les entreprises du secteur concerné, il devrait pouvoir s’engager de façon crédible à utiliser l’argent à des fins n’ayant rien à voir avec ce secteur. Je ne dis pas que le problème est simple, mais il ne paraît pas insurmontable non plus.

    Non, effectivement, ce n’est pas simple. Surtout s’ajoute une incertitude quant à l’effet de la dépense publique. Pour donner un exemple caricatural, le mechanism design peut servir à Charles Taylor pour obtenir le meilleur prix des diamants qu’il vend… on n’est clairement pas à l’optimum :-). Plus sérieusement, supposez que le gain public serve à rembourser une partie de la dette publique, ou baisser les impôts sur la consommation : l’effet sur les enchérisseurs devient très incertain et cela rend la chose beaucoup trop complexe.
    (3) En toute rigueur, la malédiction du vainqueur ne se produit que si les enchérisseurs sont mal informés et/ou non rationnels. Au moment de faire son offre, un enchérisseur conscient de cette "malédiction" devrait l’anticiper, c’est-à-dire qu’il devrait anticiper que s’il remporte l’enchère cela signifie qu’il a surévalué la valeur du bien. Il devrait donc réévaluer son offre à la baisse. Il semble donc qu’une solution simple pour résoudre cette "malédiction" soit de bien informer les acheteurs de ce risque potentiel. Evidemment, si le but est de maximiser le revenu, le vendeur a tout intérêt à ce que les acheteurs souffrent de cette "malédiction"…

    Je ne suis pas suffisamment au courant de la théorie des enchères pour être affirmatif, mais je me demande si la connaissance de la possibilité de la malédiction du vendeur change quoi que ce soit à l’issue. Cela ne change rien au fait que la seule source d’informations pour un acheteur, c’est le comportement des autres acheteurs.
    (4) Un dernier point vaguement épistémologique. Il y a une étape supplémentaire entre Hayek-Lange et la théorie du mechanism design : le théorème de Coase. Pour faire (très) court, la théorie du mechanism design explore les limites du théorème de Coase. L’existence d’asymétrie d’information engendre des coûts de transactions non négligeables, remettant ainsi en cause l’argument… coasien.

  3. Concernant le commentaire d’Alexandre sur le commentaire #3 de Thomas: Je ne suis pas non plus expert en théorie des enchères, mais je sais qu’au début des années 90, la Trésorerie américaine a changé son système d’enchères pour les obligations du gouvernement américain en grande partie pour éviter l’effet de la malédiction du vainqueur. Apparemment, les participants aux enchères (principalement des grandes banques d’affaire) étaient devenus particulièrement prudents par rapport à la malédiction du vainqueur et leur prise en compte de ce risque empêchait la Trésorerie de maximiser le capital obtenu lors des enchères. Cela permet de penser que l’effet de la malédiction du vainqueur est non-négligeable, du moins pour les acteurs financiers "sophistiqués" (traduction littérale de l’Anglais). (La Trésorie avait apparemment conduit de nombreux tests avant de changer son système)

  4. Juste une remarque en passant : les alliances dissimulées et à long terme (c’est à dire, calculées sur plusieurs séries d’enchères réputées indépendantes) entre enchérisseurs ou enchérisseurs et vendeurs sont une des choses les plus difficiles à gérer pour les entreprises qui gagnent leur vie en organisant des enchères, au premier comme au second prix (Ebay, p.e.).

  5. La malédiction du vainqueur n’existe que si la seule – ou la principale – information sur le produit acheté vient des prix offerts par les concurrents ET que les tous les concurrents sont soumis à cette règle.

    En pratique, ce n’est que rarement (j’allais dire jamais) le cas. Tous les concurrents sont différents, ils ont donc des coûts d’utilités différents pour le produit. Je ne pense pas – dans le cadre de très gros contrats – que les intervenants soient amenés à sortir des clous qu’ils se sont fixés au début des enchères.

    L’un des exemples d’utilisation pratique de « la malédiction du vainqueur » a été faite par le Lay, lors des enchères pour les droits de retransmissions du championnat de foot. Le Lay (TF1 et TPS) a perdu les enchères face à Canal +. Cette défaite a été présentée comme une victoire : Canal + victime de la « malédiction du vainqueur » n’aurait plus les ressources pour développer sa grille. Un an après, Le Lay a été obligé de vendre son bouquet satellite à Canal +.

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