P.Y. Geoffard consacre cette semaine un article dans libération à l’impact de la récession sur la santé. Rappelant notamment les travaux de Ruhm et Neumayer, il montre que les récessions tendent à réduire les taux de mortalité, contrairement à ce que l’on aurait pu croire. En période d’activité économique forte, les salariés disposent de moins de temps pour se soigner, ou avoir une activité physique; par ailleurs, l’intensité du travail est plus forte, ce qui accroît les risques de maladies. De même, à court terme, la contraction du revenu lors de récessions réduit les consommations nuisibles pour la santé, comme l’alcool et le tabac, ce qui, au total, réduit la mortalité.
Geoffard se garde bien pour autant d’en conclure que les récessions ont des effets “globalement positifs” en matière de santé; à plus long terme, la réduction du revenu réduit l’accès aux soins et à une alimentation de qualité, ce qui finira par avoir des conséquences néfastes, concentrés sur certaines catégories de la population. On pourrait même aller plus loin : en matière de mortalité, nous ne sommes pas égaux devant les récessions. Comme le rappelle C. Dillow, d’autres travaux montrent que pour les jeunes, les récessions accroissent la mortalité. ce genre de résultat n’est pas contradictoire avec les travaux cités par Geoffard; il est tout à fait possible que ceux-ci soient valables pour les salariés plus âgés, qui peuvent bénéficier d’une activité réduite et d’une consommation moindre, et pas pour les jeunes, qui sont plus résistants aux effets du stress ou moins soumis au risque de maladies cardiovasculaires, et qui ne subissent que les effets néfastes des récessions.
Effets néfastes que l’on retrouve dans l’effet des récessions sur le taux de suicide; comme Geoffard le rappelle, celui-ci tend à augmenter durant les périodes de difficultés économiques (on pourra se référer à Louis Chauvel, dans cet article et celui-là, sur la question). En d’autres termes, si l’on veut aller au delà des données globales, les récessions posent un problème éthique redoutable : elles réduisent la mortalité pour certains, mais au prix d’un accroissement de la mortalité pour d’autres. Du coup, lutter contre les récessions pose un problème éthique équivalent : en admettant que l’on connaisse une politique publique qui permettrait de réduire la durée des récessions, faut-il l’appliquer, en sachant que cela va accroître la mortalité globale? Faut-il ne pas l’appliquer, en sachant que cela va pénaliser les jeunes et accroître le taux de suicide?
Le problème se pose d’ailleurs aussi lorsqu’on sort des questions de santé et de mortalité, pour s’attacher à des sujets économiques comme les revenus ou le chômage. Là aussi, il n’y a pas d’égalité devant la récession, et là aussi, les effets ne sont pas ceux que l’on s’imagine. Premièrement, et contrairement aux idées reçues, les récessions n’augmentent pas beaucoup le nombre de destructions d’emploi. Si le chômage y augmente, c’est que le nombre de créations d’emploi, lui, diminue. Pendant les récessions, les médias nous abreuvent d’images d’usines qui ferment, oubliant qu’en permanence, même en période d’expansion, les destructions d’emploi sont extrêmement nombreuses. Au passage d’ailleurs, une autre idée fréquemment rencontrée sur les récessions est qu’elles constituent une sorte de “purge sélective” qui élimine les entreprises les moins bien gérées, ou situées dans les secteurs déclinants, mais l’analyse de l’effet des récessions ne montre rien de tel : les destructions d’emploi ne semblent pas beaucoup modifiées pendant les récessions, même dans les secteurs en déclin. Les difficultés semblent plutôt frapper de façon parfaitement aléatoire.
Le problème spécifique des récessions, c’est que les nouveaux emplois sont difficiles à trouver. Les récessions n’augmentent pas tellement le risque de licenciement ou de perte d’emploi, parce que celui-ci est déjà de toute façon très élevé.
Cela vaut pour l’emploi, mais aussi pour les revenus; nous avions déjà cité ici différents travaux (voir aussi ce pdf) montrant que le fait d’entrer sur le marché du travail pendant une récession réduisait le revenu (ce qui est prévisible) mais surtout, que cet effet perdure pendant très longtemps, même lorsque la récession est finie; des années plus tard, les gens qui sont entrés sur le marché du travail la mauvaise année continuent d’avoir des revenus en moyenne inférieurs aux autres. Là aussi, l’effet de ces divers phénomènes est ambigu si l’on veut se placer à long terme. Pour les personnes concernées, c’est un effet négatif; mais il peut y avoir des effets indirects positifs, comme par exemple l’incitation accrue à poursuivre des études si les offres d’emploi sont trop peu nombreuses.
Que faut-il en conclure? Lorsque les récessions se déclenchent, les pouvoirs publics consacrent des ressources importantes à essayer de réduire leurs effets et leur durée. C’est oublier au passage que ce genre d’action a des effets très ambigus en termes de justice sociale, pour une raison simple : les périodes “hors récession” sont aussi caractérisées par une insécurité économique significative, un ascenseur social peu performant, et des problèmes sociaux et de santé. Plutôt qu’à toute force chercher à éviter les récessions (avec d’ailleurs une efficacité très limitée au regard des ressources consacrées), peut-être faudrait-il s’intéresser en permanence à ces problèmes-là. Robert Lucas considérait que les politiques sociales pouvaient être menées en toute ignorance des cycles macro-économiques; avant de se précipiter pour aller sauver le monde de la récession, il serait bon de s’en souvenir.
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Très intéressant.
Sur la question éthique : faut-il ou non tout faire pour réduire la durée des récessions connaissant toutes les conséquences sur la mortalité et les suicides?, la rationalité économique d’un gouvernement devrait probablement le pousser à appliquer ladite politique car le suicide d’un jeune semble économiquement plus préjudiciable que la mort d’un ancien : les jeunes sont des créateurs potentiels de richesse sur le long terme, tandis que les plus anciens représenteront rapidement des coûts pour l’économie nationale.
Raisonnement à relativiser, notamment parce que le suicide (d’un jeune ou de quiconque) n’engendre en soi aucune dépense pour l’économie tandis que la mort d’un ancien vient souvent terminer toutes une phase de traitement très couteuse.
Une bonne analyse qui mérite sa place…
Comment peut on croire à de telles absurdités. Il est bien connu que les services d’urgences regorgent de salariés qui consomment et ont les moyens de se soigner.
De plus faire un parallèle entre état de santé et taux de suicide me semble bien rapide.
Je suis quelque fois effaré de voir que des chercheurs peuvent pondrent de telles études sans aucun intèret et complétement déconnectées des réalités.
Réponse de Alexandre Delaigue
Je crois que vous confondez “anecdote” et “donnée”.
bof !
"Lorsque les récessions se déclenchent, les pouvoirs publics consacrent des ressources importantes à essayer de réduire leurs effets et leur durée."
La motivation profonde d’un tel comportement est certainement à imputer dans la tendance marquée de l’état à se comporter en capitaliste : il rend des services, perçoit l’impôt, et estime avoir la liberté d’utiliser le profit qu’il prétend réaliser ce faisant à ses propres fins, ou plutôt, à celles semblant aller dans le sens de l’intérêt des gouvernants du moment.
Il devient alors pour lui logique de chercher à maximiser ce qu’il perçoit (l’impôt). Puisqu’il sait que la récession provoque une baisse des rentrées fiscales, il considère que la récession n’est pas dans son intérêt, et donc, lutte contre elle.
Seulement si la recession touche ceux qui payent des impots. Et encore, états et gouvernants ne sont pas la même chose.
L’état (français), c’est censé etre l’ensemble des français, donc que l’état cherche à réaliser le max de profit à ses propres fin ne me géne pas plus que ça.
Maintenan, si l’état et les guouvernants ont des intérets différents, c’est un autre problême à mon avis.
Notre cher président à des intérets dans les entreprises du cac 40 (il a je crois mini 1Million d’€ dans chacun de ces géants)ses intérets ne sont donc pas dans les impots, mais la cotation en bourse de ces entreprises.
« De même, à court terme, la contraction du revenu lors de récessions réduit les consommations nuisibles pour la santé, comme l’alcool et le tabac, ce qui, au total, réduit la mortalité. »
Euh, excusez-moi, c’est une affirmation appuyée sur des données statistiques, ça, ou une simple induction ?
Induction pour induction, on pourrait aussi estimer qu’en temps de récession, avec la cohorte de facteurs psychologiques qui l’accompagnent (angoisse des lendemains incertains, tout ça), la consommation d’alcool augmente (= dérivatif à la morosité ambiante), tandis que les fumeurs pauvres, même en temps de crise, rogneront sur tout pour pouvoir continuer à fumer (quitte à préférer rouler leurs clopes plutôt que de les acheter toutes faites, ça revient moins cher), en estimant que c’est le seul plaisir qui leur reste.