Quelques considérations en vrac sur le site qui notait les profs. Pour l’aspect juridique, c’est chez Eolas que ça se passe.
Je n’étais pas noté sur le site (il y a 10 jours environ). Aucun de mes collègues dans mon lycée, non plus. Je ne sais quelles conclusions en tirer. J’oscille entre deux options. La première, c’est que les relations sociales y sont bonnes et que les élèves n’ont pas besoin de ce genre de chose pour manifester leur mécontentement ou leur sympathie (sachant que le site en question n’avait soulevé que polémiques, j’estime qu’il n’a jamais atteint un statut de crédibilité quelconque). L’autre hypothèse, c’est que l’information n’est pas arrivée jusqu’à la plupart d’entre eux.
Si j’y avais été, que j’aie eu 18 ou 2, j’aurais demandé à en être retiré. Pour mettre mon nom sur un site, il faut qu’il soit non marchand, non diffamatoire et qu’on m’ait demandé l’autorisation (sauf pour les publis d’éconoclaste qui répondent à des règles propres à la licence creative commons) ou qu’on me file du fric en échange. Notez que je ne sais pas si dire que je suis un prof nul est une diffamation. Je note que j’évite publiquement ce genre de qualificatifs pour mes élèves (et en privé, j’en use avec modération). Bref, la diffamation, ce serait de dire que je ne respecte pas une obligation de moyens dans mon travail. Mais chacun reçoit ce genre de qualificatif comme il le souhaite.
La concurrence peut-elle faire émerger une évaluation en ligne des profs crédible et sérieuse ? Je n’ai pas de réponse à cette question. Mais ce n’est pas impossible, après tout. Est-ce utile ? Là, on peut se permettre de douter. Pour deux raisons simples : que feriez vous, parents, si dans la liste des profs de l’établissement où vous souhaitez mettre votre enfant, un prof soit très mal noté ? Vous viendriez et demanderiez que votre enfant ne l’ait pas ? S’il est prof d’espagnol, il y a un moyen simple : ne pas faire espagnol (si c’est encore possible). Sinon, vous n’aurez aucun poids. Si tous les parents demandent la même chose, bon, vous comprenez que ça ne marchera pas… Peut-on envisager un établissement scolaire où tous les profs sont mauvais ? Tout dépend ce que vous appelez mauvais. Et, de façon générale, comment évaluer la crédibilité d’une telle notation généralisée ?
Car, quoi qu’il en soit, l’existence d’un biais de sélection nous ramène à de plates réalités. L’évaluation spontanée sur un site internet connaît les mêmes biais qu’un sondage par courrier sans incitations, un vote à un jeu télé par SMS et autres sondages faits sous cette forme. J’ai lu ou entendu que ce genre de pratique était la porte ouverte à des lynchages systématiques d’enseignants. Faux. Les mêmes raisons qui poussent des individus frustrés à perdre leur temps à démolir un maître poussent un élève reconnaissant et marchant à l’affectif à tresser des lauriers plus ou moins mérités. Et même en admettant que certains se prennent au jeu collectivement, quelle valeur donnerez vous à l’étalage public, c’est-à-dire hors de l’établissement de la valeur des profs ? Si demain les profs de Louis Legrand devenaient tous des nuls, comment les élèves les noteraient-ils ? Mal ? Pas certain… Car en les notant ainsi, c’est la renommée de l’établissement qui en souffrirait. L’histoire de la branche qu’on scie. A l’inverse, dans le lycée professionnel Maurice Thorez, pas sûr que les notes des profs soient magnifiques, si on n’y mettait que des agrégés (en revanche, soyons clairs, les élèves de LP n’ont pas une tendance naturelle à assassiner leurs profs – ni au sens propre, ni au sens figuré – c’est souvent le contraire). Pourquoi ? Parce que quand on se sent (voire se renvendique nul) et en communion avec les autres, on a envie de dire qu’ils sont nuls aussi. Parce que c’est trop d’la balle de jouer aux bad boys qui entravent rien.
En définitive, l’espoir qu’une évaluation socialement utile des enseignants émerge d’un tel système, même avec des sites concurrents qui cherchent à se voir reconnaître un certain sérieux et un respect irréprochable des enseignants, est bien mince. Pourquoi ? Parce que, fondamentalement, les premiers concernés, parents et élèves n’ont aucune incitation solide à fournir une évaluation non biaisée. Au mieux, c’est un vote Star’Ac. Au pire, un règlement de comptes.
Faut-il faire évaluer les enseignants par les élèves ? Il faudra bien trouver un moyen de le faire (à partir du lycée, par exemple), dans le cadre d’une culture de l’évaluation inculquée au fil des années, dans une logique de responsabilisation et de contribution à la réalisation des objectifs du groupe qu’est une classe ou un établissement. C’est le seul moyen pour que les évaluations soient suivies d’effets. Imaginez vous un prof aller discuter sur un site marchand, avec des pubs de partout, de sa façon de faire la classe ? Moi, je n’irais pas. Quand je dois le faire, j’en parle en classe.
Dernier problème, qui donne le titre de ce billet. “Toi aussi note tes profs” est grosso modo le slogan du site désormais fermé. Problème : les notes des élèves restent largement dans le cadre scolaire. Les dossiers scolaires passent d’établissements en établissements, pas d’employeurs en employeurs. Mieux, vous ne verrez jamais sur un bulletin “Elève pervers, truqueur, tricheur, manipulateur. Adopte un comportement d’intimidation en classe à l’égard de ses camarades et du prof. A harcelé moralement un camarade de classe, sans que nous puissions hélas le coincer.”. Il m’est arrivé une fois de penser que ce serait pourtant une évaluation objective. Evidemment, je ne l’ai pas écrit. Sur notecescons.com, le site ouvert au printemps 2009 en France, suite à l’autorisation de publication obtenue en appel par un site visant à noter publiquement les profs, ce sera possible. Bien sûr, probablement pas sous cette forme. Mais les profs ont un avantage énorme sur les élèves : dans l’ensemble, ils manient mieux la langue et les codes sociaux que leurs élèves. Ils le démontrent déjà avec une habileté certaine dans leurs appréciations trimestrielles. Rarement un mot plus haut que l’autre. Et pourtant… On capte bien plus de choses en lisant un bulletin en tant qu‘insider, que le commun des mortels ne le ferait. Bref, sur notecescons.com, vous pourriez très simplement dire la même chose que “Individu totalement instable, détestable, avec un poil dans la main assez exceptionnel”, mais en toute légalité de forme. En 2011, avant de recruter un salarié, 1 DRH sur 3 ira voir sa fiche sur notecescons.com. Dommage, non ? “Un prof ne ferait pas ça !”. Peut-être pas. Peut-être qu’il trouverait cela idiot, indigne et inutile. Peut-être aussi qu’il le ferait. Il ne le ferait probablement que pour des cas particuliers. Et il le ferait peut-être pour vider de sens le développement de tous ces sites. Ou pour que parents et élèves, confrontés une fois de plus à la réalité de la connerie humaine, réalisent que le pire n’est jamais certain. Si ça partait en couilles, qui protègerait vos enfants ? Pas moi. J’ai autre chose à foutre.
Anecdote pour finir. J’ai constaté par un très bref sondage que les étudiants d’établissements du supérieur qui laissaient des évaluations étaient souvent en filières lettres ou sciences. En sciences économiques et de gestion, à l’exception de Paris I, point d’évaluation. Vous en tirerez les conclusions que vous voudrez.
- Sur le passeport vaccinal - 18 mai 2021
- Laissez le temps de travail en paix - 19 mai 2020
- Élinor Ostrom, le Covid-19 et le déconfinement - 16 mai 2020
- Ne tuons pas l’enseignement à distance. Optimisons-le - 15 mai 2020
- Quelques commentaires sur les évaluations à l’arrache des systèmes de santé en pleine épidémie - 9 mai 2020
- Du bon usage du supposé dilemme santé vs économie - 9 mai 2020
- Le problème avec la courbe. Édition Covid-19 - 4 mai 2020
- Reprise d’activité - 21 avril 2020
- Problème corrigé sur les notes de lecture - 6 février 2020
- éconoclaste a 20 ans. Épisode 2. Passeurs dans les années 2000 - 27 décembre 2019