J’ai enfin pu terminer les trois livres finalistes du prix du livre d’économie du Sénat, je peux donc aujourd’hui commenter ceux-ci sur la base de leur contenu, pas de mes préjugés. Je commence par celui pour lequel j’avais le préjugé le plus défavorable, celui de Laurent Mauduit consacré au système Alain Minc.
Mathieu P. et Jules ont déjà présenté ce livre et y ont apporté des commentaires. J’invite tout le monde à aller lire leurs notes, qui permettent de se faire une idée du contenu du livre et de certaines critiques qu’on peut lui apporter.
Pour faire bref, ce livre est issu de la découverte par l’auteur, alors journaliste au Monde, de l’influence d’Alain Minc auprès des dirigeants politiques, économiques, et journalistiques français : l’auteur a en effet vu l’un de ses articles, consacrés aux pratiques d’un dirigeant de grande entreprise, sommairement caviardé parce qu’au travers d’un système opaque, celui-ci pouvait contribuer financièrement au journal. Tirant la ficelle de cet évènement, Laurent Mauduit découvre qu’autour de cette affaire dont il est victime, se trouve un ensemble de relations discrètes, au centre duquel se trouve Minc, qui exerce son influence en sous-main auprès de la direction du journal, mais aussi, conseille des dirigeants d’entreprises pour des nominations de dirigeants, des fusions et acquisitions, a des liens avec le monde politique. Il découvre alors un “capitalisme de la barbichette” dans lequel un petit groupe de personnes, en fonction d’amitiés ou d’inimitiés, de trahisons, fait et défait la vie des grands groupes français, et cherche à faire l’opinion en sa faveur en contrôlant la presse.
Son livre est le portrait de ce système, centré autour de la personne de Minc et de sa carrière. Il retrace les divers “exploits” de l’auteur sur un ton particulièrement critique, teinté de la douleur qu’il a subi face aux dérives du journal auquel il appartenait. Ce livre est donc un récit des différents exploits de Minc, et de quelques-uns des membres les plus éminents du pouvoir économique, politique et journalistique français. Le livre est agréable à lire, bien écrit, ce qui est un exploit étant donné que la description des tenants et aboutissants d’affaires de prises de contrôle d’entreprises, de fusions, peut donner lieu à des descriptions de participations croisées un tantinet fastidieuses : l’auteur fait que ce contenu un peu indigeste passe bien. Ce n’est pas un livre qu’on lit de façon indifférente, et à l’occasion, on peut même y trouver de quoi s’amuser : le portrait d’Alain Minc dans ses locaux professionnels, assis sur un fauteuil trop grand pour lui (étant donné sa petite taille), les pieds sur la table, dans un bureau immense aux murs dépouillés, à l’exception d’un immense tableau représentant Joseph Staline (cadeau de François Pinault) est particulièrement amusante.
Le livre est un travail journalistique, mais dans le bon sens du terme : contrairement à une manie journalistique nationale consistant à être pauvre en faits, mais riche en opinions, celui-ci est avant tout une enquête qui présente à son lecteur des faits : et si l’opinion de l’auteur ne fait pas de doutes, le livre laisse à chacun la possibilité de se faire un avis sur ce qui est décrit. On pourrait lui reprocher d’être une accumulation à charge, parfois un peu décousue : mais c’est aussi le caractère de touche à tout de Minc, dans des domaines extrêmement variés. On peut aussi se demander s’il est bien nécessaire de consacrer autant d’importance à un seul individu, au delà des inimitiés de l’auteur : quelle est la généralité du système Alain Minc? Que peut-on vraiment en tirer comme leçons sur le système économique français de façon générale? Sur ce plan, l’auteur ne nous éclaire que peu, mais ce n’est pas forcément un mal, parce que cela permet au lecteur de se poser lui-même les questions soulevées par le livre. Il y a au fond, deux questions. L’une porte sur la presse et les médias; l’autre sur la direction des entreprises.
Sur la presse et les médias, Mauduit considère qu’il y a une spécificité française dans l’absence de véritable groupe de presse en France : au contraire, progressivement, tous les journaux et médias se sont retrouvés directement ou indirectement sous le contrôle de grands groupes industriels ou d’hommes d’affaires. Cela conduit selon lui à un mélange des genres préjudiciable, plaçant les directeurs de rédaction en porte à faux entre l’indépendance de leurs journalistes, et la volonté d’investisseurs sans lesquels les journaux devraient mettre la clé sous la porte. Le résultat? des journalistes mis sous contrôle, des articles qui ne sont pas publiés, la normalisation progressive des médias. Au total, une information manipulée, un danger pour la démocratie.
Que les propriétaires influent sur le contenu des médias qu’ils détiennent dans un sens qui leur est favorable est certain : que cela puisse orienter les journaux aussi. Néanmoins, il me semble que l’analyse pose deux problèmes. Premièrement, quel est le système alternatif? s’il y avait en France des groupes de presse comme Murdoch ou Bertelsmann, verrait-on disparaître les conflits d’intérêt? Probablement pas. Les conflits d’intérêt se situeraient à un autre niveau (voir par exemple les problèmes d’un journal comme l’Equipe avec le tour de france). Le Canard enchaîné est le journal le plus indépendant de France : son patrimoine, contrôlé par les journalistes, lui permettrait de payer les salaires de tout son personnel même en cessant d’être publié. Pour autant, il suffit de le lire pour constater que ses articles sont tributaires non pas de ses apporteurs de capitaux, mais de ses apporteurs d’informations; et qu’il est lui-même l’objet de manipulations par ceux qui décident de lui communiquer celles-ci, dans le cadre de ce petit jeu de barbichette dénoncé par Mauduit. Le Monde époque “journalisme d’investigation” qui a la faveur de Mauduit n’était pas exempt de défauts; il était clair que la rédaction avait ses têtes, son orientation, et qu’investigations et enquêtes procédaient de choix plus ou moins délibérés. Le journal a aussi connu des heures contestables à l’époque Fauvet.
Si l’on suit Mauduit, l’indépendance et l’objectivité d’un journal ne tiennent qu’à l’éthique de sa rédaction; si celle-ci est importante, elle n’est pourtant pas le seul facteur. Le lecteur et son esprit critique sont oubliés dans cette analyse. Or la réaction des lecteurs est très importante (voir ce post); ceux-ci peuvent faire la part des choses, surtout d’ailleurs à la lecture d’un journal si l’on en croit les études empiriques sur le sujet (c’est beaucoup moins vrai pour la télévision). Il existe d’autres sources d’information que les journaux, et la combinaison de différentes sources et journaux fait que le positionnement d’un journal isolé ne fait pas l’opinion. Mauduit nous explique peut-être pourquoi les lecteurs français font partie de ceux qui dans les pays développés, sont le plus critiques vis à vis de leur presse. Si les journaux deviennent insatisfaisants, des médias concurrents peuvent apparaître.
Surtout, quelle est l’alternative à la propriété d’un journal par un grand groupe? la nationalisation, les subventions “pour la presse libre” appelées par certains seraient surtout un moyen de faire une presse aux ordres du pouvoir politique, ce qui ne serait pas un progrès. L’appartenance à un groupe de presse n’est pas forcément non plus une solution. Si l’on suit l’exemple américain, les seuls journaux authentiquement autonomes sont ceux qui apppartiennent depuis très longtemps à une famille riche, prête par éthique individuelle à conserver un journal et son indépendance. De tels investisseurs sont rarissimes et en voie de disparition, si l’on en juge par le récent rachat par Murdoch du Wall Street Journal.
Reste l’autre question : celle du système de capitalisme de copinage que décrit Mauduit, ce système de copinages et d’inimitiés, d’ambitions personnelles, et de cupidité, bien éloignés de la transparence que requiert le fonctionnement satisfaisant des grands groupes. Jules et Mathieu se sont demandés si le système décrit était réellement pertinent pour qualifier la totalité de l’économie française; on pourrait aussi dire que dans la réalité de la vie des grandes entreprises, l’information informelle, les sentiments, les questions de personnes, sont importantes, et qu’il est de ce fait nécessaire qu’émergent dans ce système des intermédiaires comme Alain Minc pour permettre la diffusion de ces informations (c’est d’ailleurs, dans des termes différents, ce qui est avancé dans le livre par Minc et les gens qui le défendent comme individu original, capable d’apporter des idées nouvelles aux gens qui l’emploient). Effectivement, le résultat de l’existence de tels intermédiaires, c’est que ceux-ci de temps en temps peuvent abuser de leur position à leur avantage, être victimes de conflits d’intérêts. Mais finalement, ce problème n’est pas très différent de celui des grandes banques d’affaires, clientes à la fois des acheteurs et des vendeurs de titres. Cela conduit parfois à des dérives, mais les alternatives ne sont pas aisées à trouver, et la réglementation et l’évolution concurrentielle en viennent petit à petit à bout (Mauduit constate d’ailleurs que le système du capitalisme de la barbichette version traditionnelle est en voie de disparition).
Surtout, on peut se demander ce qu’il y a d’économique dans la description de ce système. J’avais dit précédemment qu’il me semblait qu’il ne s’agissait pas d’un livre d’économie, ce qui est confirmé par Jules et Mathieu. Je confirme : ce livre n’est pas un livre d’économie, dans la mesure ou il n’aborde jamais les sujets qu’il évoque sous l’angle des conséquences du système de capitalisme de copinage sur la réalité du fonctionnement des entreprises. Mais finalement, cette absence complète d’économie dans l’histoire est ce qui rend l’histoire intéressante, parce qu’elle pose de façon crue la question fondamentale du rôle des dirigeants.
Pourquoi les dirigeants sont-ils payés aussi cher, et de plus en plus cher? Le débat sur ce thème se répartit selon les arguments suivants. D’un côté, nous avons des études comme celles de Gabaix et Landier, qui montrent que la rémunération des dirigeants d’entreprises a suivi celle de la capitalisation boursière des entreprises. Avec de telles capitalisations, d’infimes différences de performance des dirigeants ont des conséquences telles qu’une amélioration minime génère des sommes considérables; dans ces conditions, la concurrence entre firmes pousse vers des niveaux énormes les rémunérations des dirigeants. A l’appui de cette thèse, on peut citer cette étude montrant que les décès de dirigeants d’entreprises, ou de membres de leur famille, a des conséquences significatives sur les performances des entreprises.
A l’opposé, on peut citer la thèse radicale du philosophe Alasdair MacIntyre, pour lequel les dirigeants sont aux sociétés modernes ce que les chamanes sont aux sociétés traditionnelles : des faiseurs de pluie qui ont convaincu les autres de leur importance, qui entretiennent l’illusion du contrôle sur la réalité, et s’approprient des gains parce que tout le monde croit que ce qu’ils font est important. Cette croyance dans les pouvoirs de la volonté des dirigeants à modifier la réalité (critiquée également par Tolstoi dans son analyse des guerres napoléoniennes) conduit à leur attribuer le résultat d’évènements qu’ils ne maîtrisent pas, une importance démesurée par rapport à leur impact réel. Oui, en réalité, les dirigeants jouent un rôle dans les entreprises : ils transmettent des informations aux autres membres de l’organisation, et tranchent dans l’indécidable; mais la nature des décisions qu’ils prennent compte beaucoup moins que le simple fait que quelqu’un décide. A ce titre, ce genre d’emploi ne nécessite pas particulièrement des individus exceptionnels qu’il faudrait attirer par des rémunérations élevées. Après tout, comme le constate Chris Dillow, les gens qui nettoient les toilettes et les locaux sont aussi importants pour la performance d’une organisation; si nous pensions que nettoyer des toilettes nécessite des capacités exceptionnelles, peut-être que les femmes de ménage seraient bien payées (pour attirer les plus zélées qui ne laissent absolument aucune saleté dans les locaux), et les dirigeants beaucoup moins.
Entre ces deux thèses, le livre de Laurent Mauduit apporte un éclairage intéressant. Dans son livre, nous avons le spectacle de fusions d’entreprises, de raids, de renvoi de dirigeants, de salaires mirobolants; mais tout cela n’est guidé que par la cupidité d’individus cherchant à se servir sur la bête, des inimitiés personnelles fondées sur des broutilles, et par dessus tout, par la vanité d’hommes interessés par le pouvoir et la puissance. Jamais on ne parle de synergies, “d’effet 2+2=5”, de “choix industriels”, de “stratégie d’entreprise”, “d’efficience”, en bref, de tout ce qui, selon l’analyse économique et gestionnaire, devrait déterminer la politique des firmes. Au lieu de cela, nous avons le spectacle pathétique d’ambitieux qui se trahissent, accumulent le pouvoir, et se régalent du verbiage d’un pseudo-intellectuel qui leur donne des frissons en leur parlant de Marx. Dans le livre de Mauduit, la classe dirigeante est à l’économie ce que seraient à un arbre des champignons qui prospèrent sur son écorce, en faisant pourrir une petite partie pour se repaître. C’est précisément parce qu’il ne parle jamais d’économie que le livre de Mauduit fait éclater devant nous le mythe managérial. Les actions “stratégiques” des dirigeants ne sont que du bruit et de la fureur, mais ne signifient rien d’autre que la volonté de puissance de rentiers ambitieux qui n’est satisfaite que parce que tout le monde croit au mythe du chef.
Des trois livres finalistes du prix d’économie du Sénat, celui de Laurent Mauduit est certainement le moins académique : mais c’est, pour qui veut aller au delà des anecdotes, le livre qui pose la question la plus profonde.
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Deux remarques.
D’abord, il m’est apparu à la lecture que les intermédiaires comme Alain Minc, loin d’organiser la diffusion d’informations, profitent des assymétries qui s’établissent à leur avantage pour conduire les dirigeants vers des stratégies peut-être sous-optimales.
Laurent Mauduit décrit d’ailleurs la stratégie qu’ont adopté certains dirigeants à cet égard : utiliser Alain Minc pour ne diffuser que les informations qui les intéressent. Autrement dit, rétablir une forme de symétrie dans l’ignorance.
Et je passe les conséquences qu’on pourrait en tirer sur la base de la théorie des jeux.
Ensuite, je crois que l’on parle de stratégies économiques dans les grands groupes, mais celles-ci ne sont guère évoquées dans l’ouvrage – sinon de façon anecdotique, pour la diversification de Saint-Gobain.
A cet égard, il aurait peut-être été intéressant de faire une part à la nature des conseils d’ordre stratégique que prodigue Alain Minc. Ne serait-ce que pour confronter la pertinence de ses conseils aux motivations – disons -politiques qui s’évincent de l’ouvrage.
Cher Alexandre, j’aime bien votre liberté de ton et d’esprit habituelle, mais il me semble que vous venez ici de vous égarer un peu.
Bien que votre critique de l’ouvrage de Laurent Mauduit soit riche et argumentée, votre pirouette pour en justifier la présence (voire appeler à voter pour lui?) dans la sélection du prix du livre d’ECONOMIE du Sénat est pour le moins légère (« Mais finalement, cette absence complète d’économie dans l’histoire est ce qui rend l’histoire intéressante, parce qu’elle pose de façon crue la question fondamentale du rôle des dirigeants. »).
Il est difficile de ne pas voir un lien entre la défense pro domo de Laurent Mauduit sur ce blog (bienvenue et légitime) et votre revirement radical au sujet de cet ouvrage, qui, aussi intéressant soit-il, n’a absolument rien à voir avec la science économique telle que vous la défendez (fort bien) à longueur de blog.
Cette note pourrait laisser croire que vous souhaitez accéder au « système de copinages » médiatique. Ce serait dommage.
Mais où voyez-vous que j’appelle à voter pour ce livre, ou même que je justifie sa présence dans le classement? Je crois bien au contraire avoir été clair : ceci n’est pas un livre d’économie. Si vous appliquez le critère du Sénat (cf critique de Diner’s Room) vous devez considérer qu’il n’y a pas sa place. Et vous êtes libre de voter pour celui que vous voulez. Ce qui m’intéresse dans ce livre, c’est qu’il permet de faire le constat de l’absence de lien entre ce qui fait l’ordinaire de l’actualité dite “économique” (les histoires de dirigeants) et la réalité économique. Un sujet amplement abordé ici d’ailleurs, avant que ce livre n’existe.
Revirement au sujet du livre? Ben oui, avant je ne l’avais pas lu… Et en le lisant, je me suis dit que tout le jeu de personnes et d’égos enflés qu’il décrit conduit à se demander quelle rationalité économique il y a derrière. C’est cela, penser comme un économiste : chercher l’économie derrière des faits banals.
Quant à la question sous-jacente concernant l’indépendance de ce blog, soyons clairs : nous parlons de ce que nous voulons, et comme nous le voulons. Le Sénat m’a donné trois livres, je les ai lus, et j’en dirai du bien ou du mal, selon ma convenance. Après, à chacun de faire son choix, s’il en a envie.
@Robinson : Moi, j’ai pas eu les livres. Je reste fréquentable ?
Je ne savais pas s’il fallait lire la conclusion de la critique d’Alexandre comme une prise de position en faveur d’un vote pour ce livre (d’où le "?" que j’avais ajouté).
Sinon, j’ai critiqué cette critique parce que je l’ai trouvée complaisante eu égard au contexte (un prix du livre d’économie). Il en aurait différemment s’il s’était agit d’une de vos notes de lecture pour un « livre du mois ». Mais dans le cadre du prix du livre d’économie du Sénat (ce que le titre de la note précise bien), il me semble que la première critique barrée était finalement plus juste (bien que faite sans avoir lu le livre).
Ce n’est là qu’une opinion de l’un de vos lecteurs, et vous restez bien sur très fréquentables (par moi en tout cas).
Comme je ne veux pas monopoliser le débat, je vais à l’essentiel…
D’abord, merci à Econoclaste, d’avoir changé de pied : après avoir éreinté mon livre sans l’avoir lu, vous en faites maintenant une critique pertinente, après l’avoir lu. Nous entrons donc dans un débat honnête.
Sur le fond, je trouve surprenant que vous jugiez que mon livre, « Petits conseils », ne relève pas de l’économie. Qu’il sorte du domaine de la science économique, comme vous dîtes, cela coule de source, puisque ce n’est pas un livre qui a trait à la théorie, mais qui raconte les mœurs du capitalisme de connivence français. Mais qu’il sorte de l’économie, voilà qui me semble découler d’une étrange conception. En tout cas, ce n’est pas la mienne.
Question : quand sous le Second empire, tous les proches de Napoléon le Petit, du Duc de Morny jusqu’à Jules Mirès, rachètent tous les journaux possibles et imaginables,dans un invraisemblable mélange des genres,tantôt pour peser sur les marchés, sur fond d’affairisme et de spéculation autour des chemins de fer ou de l’immobilier ; tantôt pour mettre ces médias au service de l’empereur, vous classez cela où ? Cet affairisme industrialiste, cela relève de quel domaine intellectuel ?
Question encore : quand, dans la continuité de cette histoire très française, très néo-bonapartiste, très « illibérale » pour reprendre le concept de Rosanvallon, les grands industriels français amis du Petit Nicolas, pratiquant un mélange des genres similaires, rachètent à leur tour tous les grands médias français, cela vous choque que l’on parle d’économie ; ou d’économie politique ? Honnêtement, je trouve que c’est une conception bien restrictive de votre discipline. Observer le débat autour des Echos, principal journal économique français. Dans ce même climat d’endogamie, le voilà croqué par Bernard Arnault, le patron de LVMH, qui présente la double caractéristique d’être l’ami de Nicolas Sarkozy (témoin de mariage) ; et de ne pas être un industriel de la presse.
Et vous ne trouvez pas que dans la vie économique de la Cité, cela mérite qu’on s’y arrête ? Ailleurs, dans toutes les autres grandes démocraties, hormis peut-être l’Italie, la presse est le plus souvent organisée autour de grands empires industriels dont… la presse est le métier (Bertelsmann, Murdoch…). En France, non ! La presse quotidienne est entre les mains de grands industriels qui ne sont pas… des industriels de la presse : entre les mains d’industriels qui, quand ils rachètent un titre, cherchent moins à racheter des parts de marché que des parts d’influence. Et cette singularité de l’industrie français, cette endogamie perpétuelle, vous la classez où ? Avec cet essai sur Minc, je n’ai rien cherché d’autre qu’à pointer cet illibéralisme très français, cet illibéralisme qui à mon sens est l’un des traits dominants de la vie politique, mais aussi de la vie des affaires. Et c’est là, sans doute, notre divergence de fond : vous isolez ces deux sphères, alors qu’à mon sens, elles sont totalement imbriquées l’une dans l’autre.
En clair, j’ai le sentiment – pardon ! – que vous avez des œillères. En d’autres temps, quand j’étais encore au Monde, un groupe de jeunes économistes de Normale Sup, élèves pour la plupart de Daniel Cohen si j’ai bonne mémoire, étaient venus me voir pour m’alerter de leurs débats sur la place – qui les inquiétait – des mathématiques en économie. Sans doute vous souvenez-vous de la suite de l’histoire : j’avais rendu compte dans Le Monde de leurs protestations sur le tour trop académique de l’enseignement ; et l’article avait contribué à lancer le débat que vous savez. Prenez garde à ne pas tourner le dos à cette histoire…
Ce mouvement sur « l’autisme » de l’économie aura décidément fait bien du mal, y compris hors des sphères académiques.
J’invite Laurent Mauduit à lire http://www.ecopublix.eu/2007/07/... le billet consacré a ce sujet sur Ecopublix, ainsi que les billets qui y sont cités, billet qui a en outre le mérite d’être écrit par un des anciens du mouvements en question. Il explique remarquablement bien la nécessité de dissocier au moins en partie les deux sphères, sous peine de produire un discours sans intérêt, cas infalsifiable.
Laurent Mauduit, c’est précisément en cela que je dis qu’il ne s’agit pas d’économie : vous ne prouvez pas les généralisations que vous faites, tant elles vous semblent aller de soi, tant en ce qui concerne la représentativité du système Minc que son caractère néfaste.
> Laurent Mauduit
Je crois que la plupart des intervenants dans cette discussion sont en fait d’accord avec vous : vous livre traite d’économie (et de politique et de gestion) mais ce n’est pas un livre de sciences économiques. (Je laisse de côté la question de savoir si le prix du Sénat doit revenir à un ouvrage qui a trait à l’économie ou à un ouvrage de sciences économiques. Je n’en sais rien et peu m’importe.)
Votre étude est une monographie, une enquête journalistique, qui peut nourrir la réflexion des économistes (et des citoyens en général), mais ce n’est pas un ouvrage de sciences économiques car il ne s’appuie pas sur les théories, les outils, de la science économique, ni n’en propose de nouveaux (et ce n’est pas une question de formalisation car des livres de D. Cohen ou P. Krugman sont clairement des livres d’économie sans contenir d’équation mathématique).
Ce n’est nullement là un reproche envers votre travail car les enquêtes journalistiques sont aussi utiles et nécessaires que les ouvrages de théorie économique ou ceux de vulgarisation de la science économique (Les frontières entre ces catégories ne sont pas étanches mais on peut tout de même en général classer un livre plutôt dans l’une ou dans l’autre). C’est seulement une explication de pourquoi nous sommes plusieurs à avoir écrit que votre livre n’est pas un livre d’économie (sachant donc que nous entendions par là un livre qui a trait à la science économique).
La prochaine fois que je parlerai de ce prix du livre ici, qu’on me mette une baffe dans la gueule, bien claquée. Grosso modo, du point de vue de la ligne éditoriale de notre site, il n’amène que confusion dans les esprits. Quel que soit le mérite des livres, quel que soit leur réel sujet (économie ou astronomie), c’est beaucoup de temps perdu à disserter sur le sexe des anges. Stérile.
> "Grosso modo, du point de vue de la ligne éditoriale de notre site, il n’amène que confusion dans les esprits."
C’est exactement le message que je voulais vous faire passer!
Ne brouillez pas votre message en devenant (même très épisodiquement) le relai de manifestations sans grand intérêt (du point de vue de votre ligne éditoriale).
SM, tu es un peu dur, je trouve. Ceci dit, au déjeuner évait été évoquée le projet d’un blog qui centraliserait les débats entre auteurs, bloggueurs et lecteurs. Il se fait attendre…
Monsieur Mauduit, vous gâchez tout… Après le premier billet d’Econoclaste, puis la contribution de Jules de Diner’s Room et de Mathieu P. sur leur blog respectif, je m’étais dit : "C’est bon, je vais m’économiser une perte de temps, ce livre n’est pas pour moi.". Puis Alexandre commet le présent billet, et je me dis : "Soit, ce n’est pas un livre d’économie, mais il vaut d’être lu, car il apporte des faits sur une situation particulière. En plus, Alexandre vante les qualités d’écriture, ce à quoi je suis généralement sensible." Je m’étais donc promis d’acheter le livre. Mais votre dernier commentaire me glace : il me laisse le sentiment que vous dites : "Moi qui ai tant fait pour que la science économique sorte de ses mondes imaginaires, que vous aussi, Econoclaste, contribuez par votre pédagogie à dénoncer, voilà que vous me reléguez dans l’antichambre de la science noble". Ce qui me gêne dans cette posture, c’est surtout qu’implicitement vous pratiquez ce que vous dénoncez chez Alain Minc, le jeu de la barbichette : "Alexandre, vous êtes comme moi, vous pourfendez la science autiste, vous devriez donc soutenir mon livre". Désolée, Monsieur Mauduit, en matière scientifique, le jugement des pairs s’accommode mal du jeu de barbichette : si je rapporte sur un article que j’estime impubliable, je l’écris. Et si un de mes articles est considéré comme impubliable, je suis déçue mais je l’accepte. Même si je devine que le rapporteur n’est pas meilleur que moi. Vous avez perdu une lectrice, et peut être une prescriptrice…
@SM : je n’aime pas vous savoir chiffon. Mettons ça sur la longue traîne de la rhinopharyngite. Lorsque j’ai confiance dans les auteurs des critiques (confiance éprouvée par la lecture de leur prose par ailleurs), une bonne critique est un gain de temps considérable. Parfois même cela permet de briller dans les dîners en ville, entre un mormon et un quaker 😉