En octobre 1962, le général de Gaulle lança une opération de grande envergure, le siège de Monaco. La raison? En partie, un contentieux sur le régime fiscal extrêmement avantageux dont bénéficiaient les monégasques. Mais surtout, le fait que depuis Monaco étaient émis les programmes d’une radio (RMC) et d’une télévision (TMC) qui faisaient preuve d’un peu trop d’indépendance et contrevenaient au monopole de l’information de l’ORTF, à un moment ou il n’était pas question que le referendum sur l’élection du président de la république au suffrage universel échoue. Il fallait faire preuve d’autorité; des officiels furent chargés d’encercler la ville, et l’on murmurait à l’époque que le gouvernement français envisageait, pour faire pression sur la principauté, de lui couper l’eau, ou de faire intervenir la troupe. Las, une dizaine de jours plus tard, commençait la crise des missiles et le blocus de Cuba par les USA; dans ces circonstances dramatiques, le blocus de Monaco avait l’air franchement ridicule, et l’affaire se solda par une négociation ne changeant pas grand-chose aux avantages fiscaux monégasques.
Près d’un demi-siècle plus tard, l’embargo américain fournit toujours à la famille Castro un prétexte magnifique pour rester toujours au pouvoir; et le paradis fiscal qui fait l’actualité n’est pas Monaco, mais un autre micro-état d’Europe : le Liechtenstein, ou l’on apprend que quelques centaines de citoyens européens ont dissimulé une partie de leur fortune au regard inquisiteur de leurs fiscalités nationales. Tout le monde s’indigne vis à vis de ces sulfureux paradis fiscaux, ces micro-états qui sont des bulles de déréglementation dans un océan réglementaire, et des mauvais citoyens qui vont y dissimuler leur pécule. Le parlement français exige d’avoir communication des noms des contrevenants, qui sont sur la liste acquise par le BND allemand (pour en faire quoi? Mystère). Preuve que le sujet fascine les foules, la communion est complète dans cette détestation. Il y a bien une voix discordante pour dire que les paradis fiscaux sont un droit de l’homme, mais d’une façon si comiquement grandiloquente qu’elle ne convainc guère.
L’indignation, pourtant, ne nous apprend pas grand-chose. Et celle qui porte sur les paradis fiscaux oublie bien des dimensions des questions posées par ces micro-états. La critique à leur endroit conduit à oublier une chose importante : les principaux paradis fiscaux du monde ne sont pas ces micro-états dirigés par des familles royales d’opérette, ils sont au beau milieu des grands pays, créés et organisés par leurs gouvernements mêmes. En France, les paradis fiscaux s’appellent "déduction des oeuvres d’art de l’ISF", "loi Pons" et ses suites qui permettent de déduire de son revenu les achats de biens immobiliers dans les DOM-TOM pour les plus connus; mais de façon générale, la tendance actuelle de tous les gouvernements, dans tous les pays, de faire de la fiscalité un instrument de management de la société est une mine à déductions fiscales, utilisées comme telles. Chaque pays, tout en condamnant férocement les agissements des autres, cherche à attirer les revenus et les patrimoines des résidents des pays voisins en leur octroyant quelques avantages. L’Irlande, la Belgique, la Grande-Bretagne, en sont des exemples (on a même vu récemment le groupe U2 délocaliser ses activités en Hollande, pour bénéficier d’un régime fiscal plus avantageux). Aux USA, un régime fiscal préférentiel, condamné par l’OMC, permettait aux entreprises exportatrices disposant d’une implantation à l’étranger de réduire considérablement leur impôt sur les bénéfices. L’attitude française vis à vis de Monaco ne manque pas d’hypocrisie : l’accord entre la France et la principauté interdit de donner la nationalité monégasque à un français (ce qui lui permettrait de bénéficier du régime fiscal local) mais n’empêche pas de le faire pour un allemand ou un belge (c’est probablement ce qui a conduit Johnny Hallyday à vouloir obtenir la nationalité belge). Tant que ce ne sont pas des français qui échappent au fisc, il n’y a pas de raison de se plaindre.
On pourrait ajouter que l’essentiel de la fraude fiscale ne passe pas par les paradis fiscaux, mais se fait à l’intérieur des pays. Fraude à la TVA, transactions réglées "au noir", économie souterraine… même les systèmes d’échange locaux, au delà de leur connotation un tantinet baba-cool, constituent une forme d’évasion fiscale à l’intérieur des pays. Pour tous ceux qui ne veulent, ou ne peuvent, recourir à ces moyens à la limite de la légalité, il reste l’optimisation fiscale et les amples niches qu’offre tout code des impôts qui se respecte.
S’ils le souhaitaient, les gouvernements pourraient mettre fin aux paradis fiscaux, qui ne prospèrent que parce que leur existence est tacitement acceptée; s’ils ne le font pas, c’est qu’il n’y ont pas intérêt. De la même façon que l’arbitraire de la réglementation fiscale, les multiples niches des codes des impôts, les zones franches, les subventions accordées à tout va, sont à la fois un moyen de créer des clientèles électorales et de favoriser tel ou tel secteur ou catégorie sociale qui a l’heur de plaire au pouvoir du moment, les paradis fiscaux ne coûtent pas grand-chose, et apportent quelques avantages. En 1962, l’économie des Alpes-Maritimes, encore pauvre, bénéficiait amplement du développement monégasque; pour le gouvernement français de l’époque, il était largement préférable de voir les capitaux rapatriés d’Algérie s’implanter à Monaco, quitte à échapper au fisc, plutôt que de les voir s’investir aux USA. Aujourd’hui, les départements français limitrophes de la Suisse bénéficient amplement de la richesse de celle-ci; une diminution excessive des avantages fiscaux suisses apporterait peut-être quelque argent dans les caisses publiques nationales, mais en ferait perdre beaucoup dans ces régions; il n’est pas certain qu’au total le gouvernement français s’en trouverait gagnant.
Les paradis fiscaux, par ailleurs, constituent une soupape de sécurité commode, qui permet de maintenir une pression fiscale élevée sans trop décourager les plus riches, dont les revenus sont, même en présence d’évasion fiscale, largement taxables. Lorsqu’un Johnny Hallyday s’installe en Suisse (d’ailleurs, ou en est cette affaire?) la perte pour le fisc français n’est pas considérable, dans la mesure ou l’essentiel des gains générés par celui-ci se font sur des ventes de disques, assujetties aux taxes nationales; les impôts touchés sur les droits d’auteur du chanteur sont minimes à côté de ces gains-là. Il est même possible qu’il en résulte un gain au total, si cet exil fiscal conduit l’artiste à produire plus de disques que s’il était resté en France. De façon générale, la proximité d’un paradis fiscal, dans lequel il est toujours possible d’aller, est un moyen de maintenir dans son pays des activités et des entrepreneurs fortunés. Au total, les micro-états à fiscalité avantageuse n’ont pas tant d’inconvénients économiques que cela, pourvu qu’ils restent de taille modestes. Il est probable que si les habitants de Menton étaient restés dans la principauté monégasque en 1848, Monaco aurait été un pays un peu trop vaste pour être un paradis fiscal tolérable; dans sa version actuelle, ce paradis fiscal apporte probablement plus d’avantages que d’inconvénients.
On pourra toujours rétorquer sur les trafics, l’argent du terrorisme, tous ces maux dont sont régulièrement accusés les paradis fiscaux. C’est oublier que ces activités (et les éventuels gains associés) se font, pour l’essentiel, dans les plus grands pays voisins, et résultent de leurs politiques. Les gains du trafic de stupéfiants, par exemple, n’existeraient pas sans la prohibition qui frappe ces produits dans les pays riches; tant que celle-ci subsistera (et quoi que l’on puisse penser de cette prohibition) il y aura des entrepreneurs pour en bénéficier; les paradis fiscaux ne changent rien à l’affaire.
Finalement, les paradis fiscaux sont une mauvaise question économique, et une mauvaise question morale. Si nous nous indignons des paradis fiscaux et de ceux qui en bénéficient (tout en votant pour un gouvernement qui met en oeuvre des allègements fiscaux ciblés) c’est que cela touche à des fantasmes et à des conflits de classe. Dans la dénonciation des paradis fiscaux, il y a quelques réminiscences de la détestation des traîtres à la patrie, capitalistes ventrus qui veulent échapper à la loi commune; une version allégée des émigrés de Coblence. On se rend compte pourtant que les gens concernés sont remarquablement banals, et que chacun de nous, à son niveau, agit rationnellement pour réduire la pression fiscale qu’il subit, et bénéficier de plus de subsides publics, dans le cadre d’Etats qui sont de plus en plus des tirelires géantes, des fictions au travers desquelles tout le monde vit aux dépens de tout le monde, comme le disait F. Bastiat; ou la fiscalité et l’action publique sert de moins en moins à fournir des biens collectifs, et de plus en plus à satisfaire le clientélisme et les aspirations managérialistes des dirigeants.
Et la dénonciation de l’évasion fiscale est une façon commode de masquer des problèmes internes. K. Zumwinkel, principal accusé actuel de l’affaire d’évasion fiscale au Liechtenstein, joue le rôle du méchant; l’année dernière, ce même individu s’accordait, avec les syndicats du secteur postal allemand, pour mettre en place un salaire minimum dans cette activité. Selon la bonne vieille tradition corporatiste, il s’agissait par ce biais de créer une barrière contre la concurrence dans ce secteur, juste avant sa libéralisation. Les marchés ne s’y étaient pas trompés, en accueillant la nouvelle par une hausse du cours boursier de l’entreprise dirigée par Zumwinkel, Deutsche Post; par le biais des stock-options, celui-ci avait pu collecter un gain significatif. En quoi a-t-il été le plus nuisible aux allemands? En réalisant ce gain, ou en en dissimulant une partie au Liechtenstein? Pourtant, à l’époque, on ne se souvient pas d’avoir lu beaucoup de critiques; l’ambiance était plutôt à la louange de l’Allemagne, qui rejoignait enfin le monde civilisé en adoptant un salaire minimum.
On me dira qu’en agissant ainsi, M. Zumwinkel respectait la loi démocratique, alors que l’évasion fiscale est une façon de se soustraire à celle-ci; c’est de façon générale la critique adressée à ceux qui vont dissimuler leur argent dans des paradis fiscaux, par rapport à ceux qui se contentent de bénéficier des amples niches fiscales que leur gouvernement leur accorde. Mais c’est une conception bien curieuse de la démocratie. La démocratie ne fonctionne pas parce que ses lois sont par nature meilleures, parce qu’issues de dirigeants eux-mêmes issus du suffrage universel; la démocratie fonctionne parce que le vote et les contre-pouvoirs limitent drastiquement le pouvoir des dirigeants, en permettant de chasser pacifiquement du pouvoir les plus nuisibles.
Dans cette perspective, l’évasion fiscale est l’un des moyens, avec le bulletin de vote, de manifester son mécontentement vis à vis des politiques gouvernementales, de signaler au pouvoir qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans ses décisions. Ce n’est pas un moyen très noble, mais la France est un pays dans lequel on trouvera une fraction significative de la population pour trouver que la violence, la destruction des biens d’autrui, le saccage d’un ministère, sont une façon acceptable pour les personnes concernées d’exprimer leur désaccord avec l’action gouvernementale; à tout prendre, l’évasion fiscale est une façon moins nocive, tout en restant plus efficace qu’un bulletin de vote, de manifester son mécontentement et de mettre le holà aux prétentions managérialistes du pouvoir. Dans un temps ou le gouvernement au pouvoir a accompli l’exploit de créer 6 nouvelles taxes en 7 mois, c’est un moyen d’expression qui n’est pas totalement dépourvu de pertinence.
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Si je vous suis, les paradis fiscaux seraient des moyens raisonnables de désobéissance civile ?
C’est une idée intéressante : d’une bien plus grand dimension morale qu’il n’y parait, cependant. Ne serait-ce que parce que cette forme de désobéissance civile est de facto interdite aux simples travailleurs ou simplement pauvres.
Réponse de Alexandre Delaigue
Les simples travailleurs ont une épargne; les pauvres, quant à eux, peuvent bénéficier de transactions au noir. Chacun peut faire son petit paradis près de chez soi, il suffit d’un peu d’imagination.
Surtout, la compétition fiscale entre pays sert à limiter le pouvoir des gouvernements à lever des taxes jusqu’à un niveau déraisonnable.
Sans compétition fiscale, le gouvernement peut être tenté de lever des taxes au-delà du nécessaire financement des biens publics. En compétition fiscale, ce pouvoir est limité.
C’est pour cela que tout le monde bénéficie des paradis fiscaux: ils sont un garde-fou surement bien plus efficace que la presse (surtout française). Leur suppression pourrait même être dangereuse.
C’est un probleme très simple d’économie publique que l’on peut modéliser de la façon suivante :
une économie à 3 agents (2 ménages, gouvernement) et 2 biens (un public, un privé).
Le surplus total augmente avec les taxes qui financent le bien public (sinon l’équilibre du jeu de financement du bien public est sous-optimal).
Mais si l’on suppose que le gouvernement a une fonction d’utilité croissante avec les taxes, il lèvera des taxes jusqu’à un montant où l’utilité marginale du bien public sera inférieure à l’utilité marginale du bien privé.
A moins qu’il y ait de la compétition fiscale pour limiter ce pouvoir.
C’est la compétition fiscale qui assure l’égalité entre utilité marginale du bien public et privé. Donc tout le monde y gagne.
Réponse de Alexandre Delaigue
En même temps, je ne suis pas certain que les paradis fiscaux contribuent beaucoup à la concurrence fiscale; tout au plus conduisent-ils à taxer moins les revenus mobiles que les revenus immobiles, ce qui n’est pas forcément très optimal. Et les paradis sont trop petits – et maintenus comme tels – pour avoir autant d’impact que les différences entre grands pays.
Je ne suis pas sûr d’être bien d’accord avec vous au-delà de : "S’ils le souhaitaient, les gouvernements pourraient mettre fin aux paradis fiscaux, qui ne prospèrent que parce que leur existence est tacitement acceptée; s’ils ne le font pas, c’est qu’ils n’y ont pas intérêt". Dans cet ordre d’idée, comment expliquer que, en 2008, l’on utilise encore des moyens de paiement qui permettent toutes les fraudes, des espèces, alors que techniquement tout pourrait se faire par des moyens électroniques ? A quoi peut-bien servir le billet de 500 euros, un billet valant à peu près un tiers du revenu mensuel moyen d’un Français, si ce n’est à transporter facilement de grosses sommes d’argent ?
Réponse de Alexandre Delaigue
La réponse est dans la question : parce que cela ne vaut pas le coup. Faire de très grosses coupures contribue à faire de l’euro une monnaie de réserve internationale, utilisé dans des pays au système bancaire défaillant; cela élève aussi un peu le seigneuriage de la banque centrale (lorsque les trafiquants de drogue utilisent des billets de 500 euros pour leurs transactions étrangères clandestines). On pourrait interdire les espèces (leur usage est d’ailleurs sévèrement limité) mais ce ne serait pas forcément très satisfaisant; par ailleurs, les gens peuvent désirer un certain anonymat. Un individu peut souhaiter que ses achats de services auprès de prostituées n’apparaisse pas sur son relevé de compte.
J’ai du mal à suivre Alexandre comme Bastiat Lover.
Je suis d’accord que l’existence de paradis fiscaux a les avantages qu’Alexandre cite, mais je pense qu’Alexandre affirme bien imprudemment à plusieurs reprises que ces avantages dépassent les inconvénients.
_la compétition fiscale est faussée entre un grand état et un micro-état : Monaco par exemple peut proposer un taux d’IRPP des milliers de fois plus bas que la France, pour une assiette donnée, étant donné son budget.
_vous paraissez être favorables à la condamnation de ceux qui fauchent du maïs transgénique ou s’en prennent violemment à des institutions, alors pourquoi faire l’apologie du "délit d’évasion fiscale" ? (je ne sais si un délit ainsi nommé existe).
_le financement des biens publics est à la charge de tous les contribuables en France, en fonction de leur revenu. C’est une question de solidarité et d’assurance. Si des riches ne veulent pas s’assurer et être solidaires au point de dissimuler leurs revenus dans les paradis fiscaux, ce n’est pas (principalement) une question de préférences individuelles désintéressée sur le degré d’intervention de l’Etat, mais bien parce que le "voile d’ignorance" est levé : sachant qu’ils sont riches, ils ont intérêt à vivre là où les impôts sont les plus faibles.
Réponse de Alexandre Delaigue
Pour ma part, je ne juge pas les paradis fiscaux, ni ceux qui y mettent leur argent; je me borne à constater qu’ils existent, alors qu’il serait possible de les faire disparaître; en réalité, personne n’en a vraiment envie, pourvu qu’ils restent suffisamment petits. Parce qu’ils ne sont pas si nuisibles que cela, et qu’ils ne sont guère différents des multiples niches fiscales que le législateur s’ingénie à créer dans le code des impôts, pour satisfaire ses envies managérialistes, auxquels s’applique votre dernière remarque. C’est une conception un peu cynique et désenchantée, mais je pense, plus réaliste.
Les paradis fiscaux impliquent également d’autres domaines que le celui du simple particulier mais aussi celui de l’entreprise qui jouent sur les prix de transferts, ce qui correspond à des montants largement supérieurs à ceux qui sont évoqués actuellement. Chavagneux d’alternatives économiques en parle peut être avec moins de bonne humeur que vous ne le faites, mais avec plus de détails.
Réponse de Alexandre Delaigue
Hé oui, ce n’est pas par hasard que tous les logiciels microsoft vendus en Europe sont emballés en Irlande… mais cela ne fait que rappeler que le problème n’est pas celui de quelques méchants riches qui vont verser leur argent dans un micro-état dirigé par une famille royale pittoresque : dans le fond, on est toujours le paradis fiscal de quelqu’un. La commune dans laquelle se trouve une grande entreprise qui lui verse une large taxe professionnelle peut se permettre de n’imposer qu’une pression fiscale minime à ses concitoyens : elle agit vis à vis des villes voisines de façon peu différente de celle de Monaco vis à vis de la France.
" Hé oui, ce n’est pas par hasard que tous les logiciels microsoft vendus en Europe sont emballés en Irlande…"
En anglais, il y a une importante difference entre "tax avoidance" [legal] et "tax evasion" [illegal] et en francais on a tendance a melanger les deux. Ce que fait microsoft est legal. Ce que font certains allemands au Lichtenstein probablement pas.
A vous lire, tous, j’ai pas trop envie d’aller au paradis, me semble vraiment peuplé de gens que j’ai pas du tout envie de fréquenter.
Pour l’éternité, en plus? Non, merci!
Merci pour ce billet. J’avais trouve la tribune publiee dans le monde totalement ridicule, et la, les arguments que vous avancez sont quand meme nettement plus convainquants.
Paradis fiscaux : le Luxembourg en est-il un ? Rien n’interdit de placer son argent à Luxembourg, et jusqu’à récemment, les Belges le faisaient amplement. Certains, il est vrai, oubliaient de déclarer leurs revenus au fisc belge ; pourquoi les Luxembourgeois auraient-ils dû s’en émouvoir ?
Quant aux billets de 500€, je suis entièrement d’accord avec AD que la restriction drastique de l’usage du liquide conduit à une possibilité de fichage préoccupante. Une analyse sommaire de mes relevés de comptes bancaires permettrait de connaître tous mes déplacements, le nombre de personnes qui m’accompagnent, mes préférences alimentaires, etc. Paranoïa ?
Il y a un point qui me chagrine dans cette analyse : la fiscalité (et la défiscalisation) joue aussi un rôle incitatif. Une loi va inciter à investir dans l’immobilier locatif (pour que les investisseurs mettent leurs biens en location, et ne les laissent pas inoccupés), une autre va inciter à investir dans l’art (ce qu’on peut voir, en supposant qu’une majorité des transactions associées concernent des artistes ou des oeuvres françaises, comme un moyen d’augmenter le court des œuvres françaises, d’augmenter les revenus des artistes français, de conserver en France certaines œuvres appartenant au patrimoine, etc..), une autre va inciter les investisseur à acquérir des biens immobiliers classés, et en assumer l’entretien. Bref, il s’agit aussi d’un outil pour influencer les investisseurs dans leurs arbitrages, au profit de l’intérêt général (au sens que l’entend celui qui a conçu la loi concernée).
Luter contre la fuite des capitaux dans les paradis fiscaux, c’est aussi luter pour conserver les effets d’incitation des lois de défiscalisation françaises.
Après, on peut ne pas être d’accord avec les objectifs de ces lois, mais l’outil derrière ne fonctionne, de mon point de vue, que si les paradis fiscaux restent une alternative plus risquée. Ceci justifie peut-être la lutte qu’on fait à cette fuite de capitaux, non ?
Réponse de Alexandre Delaigue
Vous considérez que les avantages fiscaux sont faits en fonction de conceptions de l’intérêt général. Il se peut aussi qu’ils soient faits pour garantir des réélections, pour satisfaire des lobbys, pour satisfaire des idéologies, pour satisfaire des fantaisies managérialistes, ou par hasard. Un indice permet de savoir que c’est plutôt la seconde solution : jamais l’effet réel de ces avantages n’est mesuré sérieusement.
Bon, sinon, je veux bien vous faire des œuvres d’art pour baisser vos impôts.
Ceci étant : les "niches fiscales internes", les déductions, elles sont bien liées à une volonté de développement d’autre chose, non ? Favoriser la création artistique, l’immobilier dans les DOM-TOM, les emplois associatifs…
Y a-t-il un avantage social, ou pas, comparativement aux impôts non-perçus ?
Je comprends votre point de vue : et, même si j’avoue ne pas le partager, je pense qu’on peut en débattre : j’observe que les paradis fiscaux ne sont pas réputés d’un accès aisé : ce qui implique risques et coûts de transaction importants : donc, hors de portée de l’épargne des "travailleurs" qui d’ailleurs sont loin de tous avoir une épargne, positive ou négative.
Mais j’admets tout à fait qu’un travailleur peut ajuster sa productivité à ses revenus, travailler pour lui, etc. . Reste que je crois que telle activité est sans commune mesure avec le fait qu’un euro de transaction financière sur deux passerait, affirme, dit-on (je n’ai pas vérifié) le rapport parlementaire sur le sujet, par un paradis fiscal.
Par ailleurs, je crois qu’il existe un moyen fort simple de distinguer un état se donnant vocation d’être paradis fiscal d’un autre : le pourcentage que représente dans son PIB les activités bancaires et financières.
Enfin, je crois une chose importante : des institutions qui choisissent sciemment de ne pas faire respecter les lois dont elles sont les garantes trahissent leur mission, et par là-même, réduisent tant leur utilité que leur légitimité. Mettre fin au caractère lucratif de l’activité de paradis fiscaux serait facile : renoncer à la faire discrédite d’autant les institutions et contribue à la "société de méfiance".
Et pas un mot sur Jersey [ http://www.letemps.ch/template/s... ] où l’on mange les enfants… 😉
Il me semble que vous avez oublié une fonction des paradis fiscaux, le transit de l’argent de la corruption (politique, commerciale, judiciaire)
Mais du point de vu d’un économiste, la corruption n’est sans doute que l’huile nécessaire au fonctionnement de la mécanique économique ?
PS : Bien sur la corruption peut se faire en dehors des paradis fiscaux, ces dernier la rende seulement bien plus facile.
Réponse de Alexandre Delaigue
Dans quelle mesure la rendent-ils plus facile? N’oubliez pas que lorsqu’il y a délit de corruption, les paradis fiscaux transmettent les informations aux autorités juridiques du pays considéré.
Merci de votre réponse, M. DELAIGUE, mais je reste sceptique.
S’il faut des grosses coupures pour permettre à des banques centrales de constituer des réserves, pourquoi ne pas faire des billets de 100.000 euros plutôt que des billets de 500 euros ? Après tout, il a bien existé des billets de 100.000 USD (en.wikipedia.org/wiki/Lar…
Pour le reste, je trouve étrange que, alors que l’article L. 112-8 du Code monétaire et financier interdit les paiements en espèce d’un montant supérieur à 3.000 euros, on mette à la disposition de chacun des moyens commodes de ne pas respecter ce texte. J’en viens à la conclusion que les gouvernements (ou les gouvernants) ont un intérêt à permettre la non-application des dispositifs qu’ils ont eux-mêmes créé.
Je comprends le souci de cdc quant à la possibilité de fichage par les moyens de paiement électroniques. Mais tout de même, si les espèces disparaissaient, la société n’en tirerait-elle pas de grands avantages, et notamment la disparition d’une bonne partie de la délinquance ?
Réponse de Alexandre Delaigue
Dans le film (sous-estimé) “demolition man”, chaque individu est pourvu d’une puce électronique qui permet à la police de savoir à chaque instant ou il se trouve; les policiers du film font ingénument remarquer “mais comment faisait-on sans ce dispositif”. Cela aussi, ferait disparaître une bonne partie de la délinquance. Je doute que ce soit très désirable.
Ceux qui bénéficient de la fiscalité dérogatoire inefficace (toutes les dépenses fiscales ne sont pas injustifiées i.e. la PPE) et de l’évasion fiscale sont majoritairement les citoyens aux revenus les plus élevés. La fraude aux cotisations sociales profite surtout aux employeurs (peu de contrôles et de sanctions, mais pour les travailleurs pas de couverture sociale). De même l’évasion fiscale concerne surtout les plus hauts revenus.
Par conséquent il me semble impossible de qualifier ces comportements de citoyens, de démocratiques.
La démocratie moderne repose sur le droit suffrage universel, non sur le suffage censitaire. Il serait donc plus logique de qualifier – sans porter de jugement – les irrégularités fiscales commises volontairement de ploutoratiques car la faculté d’y recourrir est proportionnelle au revenu.
En outre, ce billet manque malheureusement de définitions rigoureuses et de chiffrage des différents phénomènes évoqués.
Pour ceux que la fiscalité dérogatoire et la fraude intéresse vraiment, au delà des clichés, il existe deux excellents rapports du conseil des prélèvements obligatoires (2003 et 2007, téléchargeables sur le site de la cour de comptes).
"Cela aussi, ferait disparaître une bonne partie de la délinquance. Je doute que ce soit très désirable."
Je pense ne pas être le seul à ne pas comprendre une telle affirmation ?
Quel intérêt peut-il y avoir à se faire chier à faire des lois, payer des flics, des juges, des institutions et tout le saint-frusquin si c’est pour sciemment laisser les plus malins s’exonérer du lot commun ?
Réponse de Alexandre Delaigue
Vous savez, même la lutte contre la délinquance est sujette à des arbitrages… dont par exemple l’arbitrage avec les libertés individuelles.
"Demolition Man" était pas mal, en effet. Wesley Snipes était rigolo, Sandra Bullock vraiment plutôt mignonne et, si je me souviens bien, Sylvester Stallone avait droit à sa blague sur Arnold Schwarzenegger. Sur un thème approchant, je vous recommande chaudement, si vous ne l’avez pas déjà lu, "Poulet farci" (http://www.amazon.fr/Poulet-farc...
Alors, comme ça, il faudrait arbitrer entre la lutte contre la délinquance et les libertés individuelles ? Quelqu’un l’a-t-il dit à ceux qui nous gouvernent ? 🙂
Je pense comprendre.
Je crois cependant utile de souligner que dans une société tendant au tout marchant, la liberté individuelle n’existe que dans la limite des revenus (et dans une moindre mesure, de l’instruction) dont on dispose. Vous-même, en soulignant le peu de rapport avec le bien public de l’encadrement des tarifs de téléphonie mobile internationale en europe, l’avez indirectement souligné
Corollaire : lorsqu’on est pauvre et sans instruction, on ne perd rien à voir s’effondrer les libertés individuelles du pays auquel on appartient. Second corollaire : l’accroissement des inégalités rend obsolète le débat public sur les libertés individuelles.
Très juste le parallèle entre paradis fiscaux, niches fiscales et travail au noir! On pourrait même ajouter le bricolage qui est devenu un véritable phénomène de mode. En effet, si je refais moi-même ma salle de bains au lieu de passer par des professionnels, c’est un moyen efficace d’échapper au fisc et aux URSSAF, non?
Gu Si Fang: le côté paradoxal du bricolage est que toute société gagne en théorie à laisser ses citoyens développer leurs compétences en général (car c’est grâce à elles que se créent durablement les richesses), mais cherche de l’autre à rendre la société aussi marchande que possible et les individus aussi spécialisés que possible, notamment pour des raisons fiscales. La spécialisation des indiividus atrophie les compétences individuelles, ce qui ne peut qu’avoir un impact certain sur la capacité d’une société à produire des richesses.
Il faut donc en théorie, pour l’institution soucieuse de se s’entretenir elle-même, trouver un juste milieu entre l’entretien de la capacité à produire des richesses des individus qu’elle parasite et l’entretien de sa propre capacité d’institution à interdire aux individus de la contester : ce qui implique, évidemment, une continuelle adaptation au progrès techniques à mille lieues des raisonnements moraux et juridiques.
Tiens, le titre de cet article http://www.lefigaro.fr/debats/20...
me rappelle quelque chose… C’est dans Le Figaro du 6 mars. Pour le contenu, no comment.