Mon déficit à moi

Si j’étais l’Etat français, ma situation financière mettrait bien des commentateurs, déjà passablement hystériques, au bord de l’apoplexie. Au titre de l’année 2008, mon déficit (la différence entre mes dépenses et mes recettes) va atteindre 350% de mon revenu. Ma dette totale, elle, se monte à 420% de mon revenu annuel. Pour combler la différence, il m’a fallu piocher dans mon patrimoine : comment vais-je faire le jour ou je n’en aurai plus? Le remboursement de ma dette s’élève à 30% de mon revenu annuel, ce qui en fait, et de très loin, mon premier poste budgétaire, qui sert à enrichir les ploutocrates cupides régnant sur les marchés financiers au lieu de contribuer à mon bien-être.

Et je ne peux même pas me dire que cette dette est la contrepartie d’un “investissement” : elle m’a servi à acquérir un actif à un prix très élevé, dont la valeur a déjà baissé de quelques % entre le moment où le prix a été fixé et celui où la vente a été conclue; et un actif qui, en tendance de long terme, voit son prix évoluer au même rythme que l’inflation (donc très peu rentable), et qui est fort peu liquide.

Bref donc, ma situation financière est infiniment pire que celle de l’Etat français; et contrairement à lui, je ne peux même pas espérer rogner unilatéralement sur mes engagements, je ne peux pas reporter indéfiniment le paiement de ma dette (mon banquier sait que je vais mourir un jour…) et je ne peux pas augmenter unilatéralement ma principale source de revenus. Bref donc, si j’étais l’Etat français, à en croire les toqués de la dette publique, je serai dans une situation dramatique : probablement ruiné, condamné à la faillite.

Et pourtant, ce matin, tout le monde autour de moi me disait que je devais être content; le banquier m’a dit que des dossiers comme le mien, il aimerait en voir plus souvent et n’a eu aucune réticence pour me prêter. Il devrait même me rester de quoi continuer d’acheter des gadgets aussi plaisants que dispendieux. C’est vraiment à n’y rien comprendre.

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Alexandre Delaigue

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22 Commentaires

  1. Que je sache, tu ne t’es pas engagé sur un pacte de stabilité avec 24 autres potes ? et tu prévois pas d’acheter un porte-avions ?

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Non, c’est encore pire : j’envisage d’acheter de l’alcool et de le boire…

  2. tu pourrais le dire quand tu fais un billet sponsorisé 🙂

    Réponse de Alexandre Delaigue
    sponsorisé c’est quand on est payé, non? 🙂

  3. quand je pense qu’un de vos articles m’avait convaincu de ne pas acheter !
    c’est du propre…

    Réponse de Alexandre Delaigue
    J’espère quand même ne pas exercer un magistère moral aussi conséquent 🙂

  4. Vous avez acheté un immeuble ? Félicitations ! Mais ce n’est pas vous qui nous donniez il y a encore peu plein de bonnes raisons rationnelles pour reporter un tel achat ? C’est que je vous ai cru moi (et pourtant ça mettait un bordel pas possible dans mon couple). Étonnez-vous après ça que les économistes soient peu écoutés…

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Attention : j’ai toujours précisé qu’acheter, contrairement aux idées reçues, n’est pas “inéluctablement un placement rentable et sûr”. Ce post, je l’espère, confirme l’idée qu’il ne faut se faire aucune illusion sur la “rentabilité” future d’un achat immobilier. Cela n’empêche pas, si on en a envie, et si on est pleinement informé des conséquences de la chose, et pas des mythes, d’acheter quelque chose si l’on en a envie : de gustibus non est disputandum – en sachant bien qu’il s’agit d’un risque, d’une fantaisie potentiellement coûteuse. Si vous avez de l’argent de côté et que vous souhaitez le fructifier, par les temps qui courent, achetez plutôt en bourse : il y a de très bonnes affaires à faire en temps de baisse.

  5. Alexandre, je vais te confier un secret.

    Ton banquier a beau t’avoir fait des sourires et des compliments, il a *beaucoup* moins confiance dans ta capacité à rembourser ce prêt que les débiteurs de l’état n’ont confiance dans sa capacité à lui de rembourser. Pour les raisons que tu énonce plus haut.

    Et le taux auquel il t’a consenti ce prêt reflète cela. Pour être précis pas tout à fait, car les particularités du marché du prêt immobilier français font qu’il est prêt à te proposer un taux sur lequel il est en perte sèche par rapport au taux auquel il va le refinancer, mais ne t’inquiète pas pour lui, le principe est que t’avoir forcé à localiser ton compte chez lui va lui permettre de se refaire entièrement à travers les multiples frais qu’il va trouver le moyen de te facturer ensuite.

    Et tout comme pour les débiteurs de l’état, le fait qu’il soit enthousiaste à l’idée de te faire ce prêt ne signifie pas que l’investissement que tu fais est intelligent.
    Ca veut juste dire qu’il a confiance dans le fait que tu vas rembourser.
    De même l’état français peut être d’une gabégie totale dans sa gestion sans faire descendre sa qualité accordé à sa dette en dessous d’un niveau presque parfait. Les acheteurs d’obligations n’en ont rien à foutre que l’état fasse des conneries. Ton banquier n’en a rien à foutre que tu fasse une connerie. Tout ce qui importe d’un coté et de l’autre est la très forte probabilité que vous puissiez rembourser. Quelquepart c’est vos conneries qui leur permettent de gagner de l’argent, heureusement que vous les faites.

    Dernier clou dans le cercueil, l’enthousiasme du banquier à accorder ce prêt ne signifie pas qu’il va vraiment s’y retrouver autant que cela. Il n’y a pas si longtemps, ses collègues américains donnaient de grosses primes à ceux qui leur rapportaient le plus de dossiers bidonnées de sub-prime. En sachant que les dossiers étaient bidonnées. Ils payaient les gens qui les étaient en train de les mettre dans une situation qui maintenant les a amené au bord de la faillite.
    Un minimum d’analyse rationnelle ne pouvait que mener à la conclusion que ça ne pouvait pas durer, que ça se terminerait en catastrophe. Ca n’a pas duré, ça s’est terminé en désastre avec des milliards de pertes. Mais tout le monde faisait cela et l’esprit de mouton de panurge a dominé sans difficulté l’esprit rationnel des banquiers censés être très rationnels quand il est question d’argent.

    Les éléments que tu citent montre qu’il est très probable que ce bien va perdre fortement de la valeur sur la durée du prêt, avec deux issues probables :
    – la première que tu ais fais une très mauvaise affaire et que dans quelques années le capital restant de ton prêt soit supérieur à la valeur du bien sur le marché. Tant que tu continue à rembourser, le banquier n’en a rien à cirer. Mais je ne suis pas si sûr que ce qui se passe aujourd’hui aux Etats-Unis, les gens qui envoient leurs clés à la banque et se considèrent quitte de tout remboursement n’ait vraiment aucune chance d’arriver en Europe si on en vient à cette situation, ce qui serait désastreux pour le banquier.
    – la seconde est que le retour de l’inflation fasse que la baisse de la valeur du bien soit réelle en monnaie constante, mais pas forcément en valeur fixe. Tu te retrouverais donc à rembourser ton prêt en monnaie de singe. Affaire tout à fait intéressante pour toi, mais pas du tout pour le banquier qui a consenti un prêt dont il ne récupérerait en euro constant qu’une petite partie.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Je crois que 1-vous n’avez rien compris à ce post et 2- vous êtes dépourvu d’humour à un point assez alarmant.

  6. Je plaisantais évidemment. 🙂

    J’étais bien d’accord avec vos arguments en les lisant, mais je suis comme tout le monde, je cherchais quand même une maison (ne serait-ce que pour assurer la paix de mon ménage).

  7. Votre présentation, quand bien même elle contient des informations intéressantes, est trompeuse :-/

    En effet, en 2008 vos dépenses sont de 3,5 fois votre revenu, mais à partir de 2009, comme avant 2008, vos dépenses sont très inférieures à votre revenu.

    En 2009, l’Etat français, lui, ne divisera pas ses dépenses par 7.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Non, car il n’en a pas besoin. (moi non plus d’ailleurs, pourquoi diable les diviser par 7?); et si je pouvais comme lui augmenter mes recettes sans effort, je pourrai même augmenter ma consommation l’année prochaine. Hélas, moi, pour augmenter ma consommation, je dois faire des efforts.

  8. Ah, tu fais mieux que moi… Mais bon, que sont 20% quand on est à 400… 😉
    Plus sérieusement, je crois qu’il est essentiel de rappeler comme tu le fais que l’acquisition immobilière est tout autant un acte d’investissement que de consommation. Pour certains, il a même une dimension d’épargne forcée qui peut être intéressante quand on ne supporte pas de garder de l’argent par-devers soi. Car contrairement à un placement “bloqué”, qu’on peut toujours débloquer en acceptant de perdre de l’argent, il n’est pas simple de liquider un bien immobilier en dix minutes.

  9. Si comme je l’ai compris, vous avez acheté un logement en cette année 2008, le chiffre de l’endettement me parait assez logique et ce ratio n’a effectivement pas grande signification. En revanche je ne comprends pas trop celui du déficit. Une acquisition immobilière ne crée pas de déficit en soi (hors frais de notaire ou frais bancaires) puisque ce que vous perdez en actif financier vous le récupérez en actif immobilier.
    Ce n’est quand meme pas different en comptabilité nationale?

    Réponse de Alexandre Delaigue
    en comptabilité publique, si…

  10. Désolé, je bloque complètement concernant l’humour sur les gens qui dans des conditions alarmantes s’endettent sur plus de 20 ans, accompagnés par la pression sociale qui en fait une norme.

    Et si vous cherchiez un critère de comparaison un peu moins chargé par l’actualité pour montrer l’absurde de l’emphase des critiques du budget publique ?

  11. c’est amusant.
    je suis d’accord que la panique sur la dette n’est pas de mise.
    mais je ne comprend pas non plus le discours extremiste inverse que vous tenez/suggerez avec d’autres bloggeurs comme quoi la dette n’est pas un probleme du tout.
    il faut bien la rembourser. donc il faut lever des impots. qui sont distorsifs. donc avoir plus de dette n’est pas un avantage! ca c’est l’analyse neoclassique de base.

    ensuite, il y a la partie ‘eco politique’. les gouvernements francais successifs sont incapables de reduire les deficits, bien que l’etat ne fasse presque plus d’investissement utile. l’essentiel du budget est constitue des transferts et de la depense courante. (a part un peu d’education, et encore…). c’est preoccupant car cela suggere un probleme de gestion (inefficacite de l’etat) et une vue a court-terme des politiciens qui achetent les electeurs.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Bon, je vais faire comme si ce blog ne contenait pas déjà de nombreux posts sur cette question de la dette. La dette est un faux problème : dès lors qu’il y a des dépenses publiques, c’est un moyen comme un autre de les payer, et à choisir, pas forcément aussi mauvais que la hausse des impôts. La focalisation sur la dette conduit à des décisions contestables et inefficaces; surtout, elle occulte le vrai sujet, qui est celui de la forme et du niveau de la dépense publique et de la fiscalité.

  12. Je comprends bien l’intérêt qu’il peut y avoir à acheter un bien immobilier même si ce n’est pas un investissement rentable. En revanche, j’ai un peu plus de mal à comprendre qu’un économiste bien informé choisisse le pire moment pour effectuer cet achat (le palier avant la baisse des prix, avec une proba très élevée).
    Est-ce que les conditions du marché local où s’est fait cet achat sont très spécifiques? …Ou est-ce que ce billet en annonce un autre sur les limites de la rationalité individuelle? 😉

    Réponse de Alexandre Delaigue
    L’une des choses les mieux établies en matière de placement, c’est que chercher “le bon timing” aboutit en moyenne à des décisions inférieures au simple fait d’acheter et de vendre selon des règles simples : pour les actifs financiers, y consacrer chaque mois une somme constante pour acheter un portefeuille qui copie les principaux indices reste la stratégie meilleure, moins coûteuse que les autres, et surtout, qui laisse l’esprit en paix. Dans ce cas aussi, je ne me suis pas posé de question de timing. Sur cette opération précise, on peut certes imaginer un meilleur moment; mais de façon générale, ne jamais se préoccuper du timing n’est pas une attitude inefficace, et surtout, cela évite de trop se prendre la tête.

  13. Un illustre ex-collègue m’a un jour répondu, lorsque je lui ai fait part de mes états d’âme devant les prix immobiliers et les risques (de moins-value) inhérents à un placement de cette nature :

    "L’avantage de l’immobilier, c’est que c’est le seul actif financier dans lequel on peut habiter".

  14. Ok, je comprends bien, je n’aime pas non plus me prendre la tête pour ces questions là.
    Ceci dit, à la différence d’un placement financier pour lequel on consacre chaque mois une somme constante, dans le cas d’un achat immobilier la fixation du prix se fait en un seul point du temps, ce qui donne tout de même un peu d’importance au timing.

  15. Il y a quand même une différence de taille entre vous et l’État français, en m’excusant de vous rappeler une vérité désagréable : vous commencez déjà à vieillir et ça va pas s’arranger, rides, puis fatigabilité croissante etoussa.

    On peut donc comprendre pourquoi vous avez une préférence pour le présent plutôt que pour le futur, qui justifie d’accepter de payer 5 % d’intérêts pour vous loger tout de suite : on profite davantage d’une salle de séjour agréablement ensoleillée quand on est vivant que quand on est mort.

    En revanche, je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi les collectivités publiques (ou États) acceptent de s’endetter : on peut clamer qu’un campus moderne sur le plateau de Saclay est un investissement d’enfer qui va booster notre bonheur à tous, et c’est peut-être vrai, mais ce sera encore vrai en 2050. Pourquoi vouloir le construire dans la prochaine décennie plutôt que d’attendre tranquillement quarante ans ?

  16. Amusant, un article du Monde de ce jour : "Une crise des banlieues peut en cacher une autre, par Luc Bronner" (je ne mets pas le lien, il va vers l’abonnement), sur les angoisses des propriétaires de la "grande banlieue pavillonnaire". Voilà qui confirme parfaitement votre point de vue.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    L’article est désormais accessible : http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/07/14/une-crise-des-banlieues-peut-en-cacher-une-autre-par-luc-bronner_1073131_3232.html Quand j’avais fait un post sur le lien entre propriété immobilière et chômage, qu’est-ce que j’avais pu entendre…

  17. "L’une des choses les mieux établies en matière de placement, c’est que chercher "le bon timing" aboutit en moyenne à des décisions inférieures au simple fait d’acheter et de vendre selon des règles simples "

    En effet, et la première de ces règles simples consiste à regarder la position du marché par rapport aux tendances de long terme, surtout pour un achat d’une grande valeur.

    Voici une étude qui montre bien quelles sont les tendances de long terme en matière d’immobilier :
    http://www.adef.org/statistiques...

    Il y a un relatif consensus pour estimer que dans les deux prochaines années vous allez perdre au moins 10% de la valeur de votre achat, ce qui aurait été un bon motif pour le différer.

    Il ne faut pas comparer le day-trading et l’analyse basique du marché avant toute opération.

  18. Vous indiquez que pour votre actif "sa valeur a déjà baissé de quelques %" et que par ailleurs votre banquier semble content de vous avoir prété. C’est un peu normal il sait bien que contrairement a l’état français vous serez obligé de travailler pour rembourser. Je trouve un peu dommage de se comdamner aux travaux forcés en toute connaissance de cause 😉

  19. Aie aie aie, pauvre Alexandre. A vous lire vous avez pris une décision financière catastrophique en vous endettant à 5% pour acquérir un actif qui ne fournit que 2,5% de rendement.

    Laissez moi vous rassurer tout de suite, l’erreur de raisonnement, vous l’avez commise dans le billet, pas dans la vraie vie.

    Car le rendement de votre appart, ce n’est pas seulement l’augmentation de sa valeur, c’est aussi la valeur de son utilisation qu’on mesure par le loyer qu’il faudrait payer pour l’habiter. Et ce loyer représente annuellement environ 5% de la valeur du bien.

    Finalement, vous vous êtes endetté à 5% par pour acquérir un actif qui "yield" 7,5% par an. Je suis sincèrement désolé d’avoir raté ce billet quand vous l’avez écrit, j’aurais pu vous rassurer plus tôt. J’espère que vous ne vous êtes pas gâché vos vacances en vous tordant les mains d’angoisse à l’idée d’avoir fait une si mauvaise affaire. Mais quoi qu’il en soit, vous voila rassuré.

    En revanche, et c’est le revers de la médaille, l’analogie que vous construisiez avec la situation financière de l’Etat s’effondre.

    Car pour pouvoir être comparée à la vôtre, la dette de l’Etat devrait avoir servi à financer un actif rentable. Si les 1300 milliards de la dette publique ont été investis aussi fructueusement que votre emprunt immobilier, l’Etat doit être le fier détenteur d’un actif de même valeur générant 7,5% par an. Et comme vous ne manquez jamais de le souligner, l’Etat s’endette moins cher qu’un vulgaire particulier. Disons qu’il paie 4% par an, ce qui nous laisse une marge de 3,5% soit en gros 40 milliards par an.

    Nous devons donc nous réjouir de vivre dans un pays dont l’Etat est structurellement en excédent de 40 milliards par an grâce à un astucieux programme d’investissements productifs engagés par nos pères.

    Pourtant, quand je regarde, je m’aperçois qu’il est depuis des décennies en déficit chronique de 60 milliards par an. Qu’est ce qui cloche?

    Faudrait il alors se résoudre à envisager que les 1300 milliards de dette, loin d’avoir été investis dans des actifs productifs, auraient été tout simplement gaspillés?

    Mince, voila que c’est moi que l’angoisse étreint. J’ai l’impression que c’est l’Etat qui a fait la TRES mauvaise affaire que vous craigniez avoir faite. Simplement sur une échelle 500 millions de fois plus grosse.

    A votre tour de me rassurer. Vous ne pouvez pas me laisser dans un tel doute après que je vous aie tendu une main secourable.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    Rhoo, c’est très mal de faire comme si vous n’aviez pas lu les multiples posts qui ont été ici consacrés à la dette publique et à l’achat/location de logement : cela vous aurait rassuré sur mes capacités calculatoires et permis de voir que ce billet était gentiment décalé. Pour votre inquiétude vis à vis de l’Etat français, vous pouvez aussi vous tranquilliser. Car l’Etat français a sur moi des avantages inouis : il ne mourra jamais, ce qui lui permet de s’endetter indéfiniment; surtout, il dispose d’une créance permanente sur un truc qui s’appelle les contribuables français, dont le revenu augmente au rythme annuel de 2% sur longue période hors inflation. Mieux même : le nombre desdits heureux contribuables ne cesse d’augmenter, ce qui améliore encore un peu plus sa situation. Si j’en crois l’agence france-trésor, le taux qu’il peut obtenir auprès des prêteurs est encore significativement plus faible que celui qu’il obtient des contribuables, ce qui rend l’opération fort attrayante pour lui. Vous me direz peut-être que sa chance peut tourner, qu’il peut se retrouver avec des contribuables qui n’ont plus les moyens de lui offrir ces largesses : si ce jour arrive, je pense que le remboursement de la dette publique ne sera pas très haut dans les priorités nationales. Caveat emptor, comme on dit. Vous me direz peut-être aussi que tout cet argent qu’il a dépensé, il l’a bien mal dépensé. C’est fort possible, mais dans ce cas, permettez-moi de vous dire que vous êtes en pleine contradiction : en empruntant cet argent, il a permis aux contribuables de ne pas avoir à payer pour ces dépenses, ce qui leur a permis de se livrer à des transactions privées bien plus créatrices de richesses que s’ils avaient eu à les payer sous forme d’impôts; si tel n’était pas le cas, il faudrait croire que l’Etat est plus intelligent que les gens allouant leur argent de façon décentralisée : je n’ose imaginer que vous sombriez dans de telles aberrations socialo-communisantes. Finalement, il n’y a pas beaucoup de façons pour que l’Etat se finance : il n’y a guère que la dette et l’impôt. J’ai la faiblesse de penser que dans un contexte de taux d’intérêts bas et de capitaux largement disponibles, la première est moins coûteuse que la seconde pour les contribuables; mais cela doit être l’effet de la découverte de ma feuille d’impôts dans ma boîte aux lettres qui me fait cet effet.

  20. @Libéral : en attendant qu’Alexandre ne vous rassure de manière définitive, avec le talent rhétorique qui est le sien pour vous confirmer qu’il ne méconnaît pas la notion de loyer fictif, je peux vous apporter une petite lueur d’espoir : dans la gabegie de notre Etat chéri (qui, en passant, se permet d’envoyer des naïades hors de forme aux JO), il y a aussi mon traitement mensuel (18 années de services civils à ce jour, comme on dit sur les décisions d’élévation dans les ordres divers de notre République). Du gaspillage en effet, pour mon plus grand bonheur…

  21. Alexandre, pardon pour le coup bas, mais je vais vous citer dans votre récent eco-comparateur sur le RSA :

    "Dès lors qu’il implique des dépenses publiques nouvelles, il implique inéluctablement des impôts nouveaux; un autre principe d’analyse économique des budgets publics rappelle que dépenser, c’est taxer. Dans ces conditions, les dépenses nouvelles allaient inéluctablement peser sur la population dans son ensemble, faisant supporter le poids à ceux qui n’ont pas la capacité de le transférer à d’autres. S’interroger sur le financement du RSA est donc secondaire pour évaluer l’impact de cette mesure. La vraie question est donc de savoir quels seront les effets du RSA."

    Ce que vous écrivez est vrai sauf si on se lache sur le déficit et la dette. Le vrai sujet n’est pas la dette elle-même mais l’efficacité de la dépense publique.

    Les arguments (pertinents) que vous développez pour expliquer à quel point il est commode pour l’Etat de s’endetter pointent le problème, pas la solution. La soupape du déficit, la facilité du recours à la dette permettent à nos dirigeants d’alléger la pression qu’ils subissent des citoyens. Sans déficit, chaque nouvelle dépense doit être financée par l’impôt ce qui force les dirigeants à être vraiment convaincants.

    Bref, dans un monde idéal où les dirigeants seraient à la fois compétents, honnêtes et courageux, vous auriez raison et la dette, pour toutes les raisons que vous citez, serait un levier de développement dont on aurait tort de se passer.

    Mais dans la vraie vie, nos dirigeants ont besoin d’incitations à ne pas faire n’importe quoi trop longtemps avec l’argent public. Et la contrainte budgétaire est la principale de ces incitations.

    Réponse de Alexandre Delaigue
    La question finalement revient à se demander qui exerce la pression la plus forte sur la dépense publique. Je vois d’un côté des gens qui sont prêts à accepter de se faire tondre pour peu que ce soit présenté sous forme de “prendre aux méchants riches”; de l’autre côté des gens qui vous font payer plus cher si vous voulez leur fourguer un peu plus de titres. Je pense que les seconds exercent un contrôle plus salutaire que les premiers.

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