Pour les gens normaux, les jeux télévisés sont soit des divertissements abrutissants, sadiques et stupides, soit au contraire des programmes amusants et sympathiques, à la dramaturgie bien étudiée. Mais les économistes ne sont pas des gens normaux : pour eux, un jeu télévisé est une expérience de laboratoire gratuite qui permet de tester des hypothèses sur les comportements individuels.
Prenez par exemple le jeu “le maillon faible” qui a permis à Steven Levitt de tester des théories sur la discrimination vis à vis des noirs et des personnes âgées; Mais il y a désormais mieux : le jeu “à prendre ou à laisser”, dont une version existe en France, sur TF1, présentée par Arthur. J’ai appris l’existence de ce jeu hier, en tombant sur un post surexcité de Steven Levitt sur son blog, freakonomics. Selon lui, ce jeu est un moyen de tester l’attitude des gens face au risque. Voulant en avoir le coeur net, j’ai regardé ce jeu ce soir (d’ordinaire, je fais autre chose à cette heure-là). Au delà du jeu lui-même, une véritable insulte à l’intelligence, il est vrai que cela permet d’observer l’attitude des gens face au risque, en présence de risques modérés mais d’écarts de gains conséquents.
Le principe du jeu est le suivant. Un candidat se trouve devant 20 boîtes, qui contiennent des lots différents, d’un montant variant de 0.01€ à 250 000 €. Le candidat prend une boîte, sans observer son contenu, puis ouvre les autres boîtes. Au fur et à mesure, les lots qu’il n’aura pas disparaissent. A intervalles réguliers, il reçoit une proposition de gain certain (ce gain est nettement inférieur à la moyenne des gains potentiels qui lui restent) qu’il peut accepter – auquel cas le jeu s’arrête ou refuser – auquel cas il continue de jouer. De temps en temps aussi, il lui est proposé d’échanger la boîte qu’il a sélectionnée initialement contre l’une des boîtes non encore ouvertes. A la fin, il ouvre sa boîte et découvre le gain qui lui reste. Pendant ce temps, histoire de mettre de “l’ambiance”, le présentateur lui tourne autour, le fait saliver, rêver, histoire de créer une dramaturgie au jeu. Dans le même temps, le public et la famille de la victime du candidat hurlent, applaudissent, pleurent, comme s’il y avait un talent particulier à choisir au hasard parmi des boîtes toutes identiques. (si vous avez envie d’essayer de jouer, vous pouvez aller voir cette page ; on notera au passage qu’au pays du capitalisme triomphant, on joue gratuitement en ligne, alors qu’on doit payer en France).
Malheureusement pour les économistes qui espéraient déjà faire un article de l’American Economic Review en regardant un jeu télévisé idiot et en calculant des formules de Bayes, l’article a déjà été écrit. Il en ressort quelques résultats concernant l’attitude vis à vis du risque des joueurs, mais des résultats plutôt décevants. Comme le remarque un lecteur du blog de Steven Levitt, il serait sans doute plus intéressant d’étudier la pression de l’entourage et du contexte (en comparant les stratégies des gens en jeu et celles des joueurs “pour rien” qui jouent en ligne). Il ne reste plus qu’à faire les comparaisons internationales… A moins que le spectacle de cette loterie dramatique ne soit vraiment trop déprimant.
- William Nordhaus, Paul Romer, Nobel d’économie 2018 - 19 octobre 2018
- Arsène Wenger - 21 avril 2018
- Sur classe éco - 11 février 2018
- inégalités salariales - 14 janvier 2018
- Salaire minimum - 18 décembre 2017
- Star wars et la stagnation séculaire - 11 décembre 2017
- Bitcoin! 10 000! 11 000! oh je sais plus quoi! - 4 décembre 2017
- Haro - 26 novembre 2017
- Sur classe éco - 20 novembre 2017
- Les études coûtent-elles assez cher? - 30 octobre 2017