L’observatoire des sondages a récemment publié une note concernant deux publications d’économistes : celle de Bruno Jérôme et Véronique Speziari et celle de Bertrand Lemennicier, publiée sur Contrepoints. Une note ou un réquisitoire, au choix. Un extrait :
“Au moins les sondeurs ne prétendent-ils pas faire des prédictions. Sans bouder rétrospectivement leur plaisir si leurs chiffres d’intention de vote ne sont pas éloignés des résultats réels. Ils savent cependant que les sciences sociales ne sauraient dire l’avenir. Qui le prétendrait sinon des économistes dont on sait qu’ils sont passés maîtres dans l’art de se tromper tout en oubliant. Or, non contents de se livrer aux prédictions les plus fausses des conjoncturistes et autres prophètes, quelques uns d’entre eux se livrent à des opérations fantaisistes sur les votes.”
Je ne connais pas l’étude de Jérome et Speziari. En revanche, j’ai parcouru l’article de Lemennicier. Je ne parlerai donc que de celui-ci.
Le fait est que les modèles d’analyse et de prédiction du vote sont anciens et sont un outil parmi d’autres d’analyse économique (de la vie politique). Le fait est que l’article de Lemennicier est bien fait, conforme à ce qui se fait en analyse économique du vote (pour ce que j’en connais en tout cas), pédagogique, long et intéressant pour ces raisons.
Le fait est que l’analyse qui est faite est une analyse unidimensionnelle (on ne prend en compte qu’un critère de préférence, l’attachement partisan) qui, comme le précise l’auteur “est une simplification, mais cette représentation unidimensionnelle permet néanmoins de rendre compte des changements dans la structure de la compétition électorale française”. Le fait est que ce n’est probablement pas suffisant pour explorer toutes les voies de ce type d’analyse et que les résultats doivent donc être pris avec prudence. Mais… le fait est que quand on voit la longueur de l’article, on peut comprendre que Bertrand Lemennicier n’ait pas le temps de faire plus en un laps de temps limité et que d’autres peuvent s’en charger, le cas échéant. Le fait est, donc, que, toutes précautions prises, c’est déjà pas mal et que la conclusion “Sarko va gagner” doit être comprise dans le sens “d’après notre modèle et toutes les lacunes qu’il peut comporter”.
Enfin, la préconclusion de l’article témoigne d’une modestie appropriée : “Les électeurs ne sont pas des nuages mais des êtres humains rationnels. Cependant, pour des élections, faute de profits prévisibles à la clef (les électeurs peuvent de manière non intentionnelle bénéficier individuellement des conséquences de la politique menée par leurs ennemis idéologiques ou de classe), ils agissent rationnellement de manière irrationnelle contrairement à ce qu’ils font sur un marché boursier. C’est cette différence essentielle qui laisse une marge à notre méthode mais aussi aux astrologues comme aux prévisionnistes, sondeurs, économètres et parieurs de tenter leur chance en prédisant l’avenir et peut-être de réussir.”. On ne peut être plus explicite.
Alors, pourquoi tant de véhémence ? Je crains que ce ne soit parce que Lemennicier est (dixit l’observatoire) “un néolibéral”. Oh, c’est même pire que cela, c’est un libertarien. Il faut bien le dire, chez les libertariens, on n’a pas que des gens très sérieux. Mais il m’est arrivé suffisamment souvent de tomber sur des articles de Lemennicier très lisibles et instructifs pour considérer qu’il ne mérite pas d’être classé parmi les zozos. Cet article en est un bon exemple. Bien sûr, on pourra lui reprocher de donner Sarkozy gagnant, de tenter de peser dans une logique autoréalisatrice sur le résultat. Mais on aurait préféré une critique plus étayée de la méthodologie de l’article (que les auteurs du site sont tout à fait capables de rédiger), plutôt qu’une brève sanglante qui, au passage, s’appuie sur le cliché de l’économiste impérialiste, prétentieux, manipulateur et sans complexes. C’est peut-être parfois vrai, à divers égards. Mais là, on passe à côté du sujet. C’est dommage.
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"chez les libertariens, on n’a pas que des gens très sérieux"
Et chez les autres, si ???
Les 2 modèles de prévision des élections relèvent aussi d’une certaine démarche scientifique. Après tout, ces études ont comme point commun d’essayer de déterminer quels sont les déterminants du vote. On peut constater après les élections s’ils ont raison ou tort: je ne pense pas que grand monde croie à ces modèles et s’en serve pour déterminer son propre vote.
Sans effectuer de prédiction (la mienne est 51/49 mais je ne sais pas qui est qui) on peut quand même s’étonner que des gens sérieux puissent donner du crédit au 58/42. Même De Gaulle en 65, face a un Mitterrand dont la réputation n’était pas a l’époque aussi reluisante que maintenant n’a pas fait mieux que 55/45.
Ceci dit il me semble que les meilleures prévisions sont celles des parieurs et elles apparaissent confirmer les sondages.
Je suis donc probablement irrationnellement rationnel (ou l’inverse).
Que B. Lemennicier soit par ailleurs un économiste intéressant est une chose, mais il y a au moins deux solides raisons de penser que son article est complètement foutraque, en dehors même de la critique épistémologique des prédictions sur la base de sondages (ou de la critiques des sondages eux-mêmes).
Premièrement, il y a un point que Lemennicier reconnaît : la disposition des candidats selon un axe gauche/droite est une simplification. Toute la difficulté, une fois qu’on a constaté cela, consiste à savoir si cette simplification est très gênante ou pas trop. Et il me semble qu’elle l’est au plus haut point.
Déjà, parce que par exemple M. Le Pen a déclaré il y a quelques jours qu’elle n’était pas d’extrême-droite (http://www.ozap.com/actu/rire-de... ). Et il n’y a pas de quoi rire : elle a également déclaré que ses électeurs venaient autant de la gauche que de la droite (cf. http://www.francetv.fr/2012/le-p... ), et même si c’est discutable, rien n’indique que cela soit absolument faux. Ensuite, selon un sondage CSA, 65% des électeurs classent le PS au "centre-gauche" plutôt que "vraiment à gauche" (http://www.20minutes.fr/presiden... ). Quant à des candidats comme Dupont-Aignan, Corinne Lepage, ou Cheminade, je ne sais pas à quelle place, sur l’axe, ils se situeraient eux-mêmes. Donc même si l’on en reste à la perception des candidats (par eux-mêmes ou par les électeurs), on voit que cette question d’axe droite-gauche est déjà bancale.
Par ailleurs, si l’on examine les programmes, on découvre avec surprise que le FDG, comme le FN ou Dupont-Aignan, se rejoignent dans leur lutte contre le capitalisme libéral. Sarkozy et Hollande, sur ces points, semblent déjà moins chauds ; et c’est au Modem (soit : un parti "du centre") que le Parti Libéral démocrate s’est rallié. Autrement dit, si l’on voulait répartir les candidats sur un axe "libéral – socialiste" (qui est pourtant censé aller vaguement avec l’axe droite-gauche, non ?), le centre se trouve à l’extrême droite, et les "extrêmes" de tous bords se retrouvent peu ou prou à l’extrême-gauche. Vous allez dire que je simplifie, c’est de bonne guerre. Mais cela montre au moins que cet axe gauche-droite est une petite absurdité.
Il faudrait au moins être en mesure d’expliquer, si l’on tient à cet axe, ce qu’il signifie ; autrement dit donner un critère permettant de juger la répartition des différents partis sur cet axe. Alors, la méthode d’analyse spatiale pourrait éventuellement avoir un sens. Pourtant, les quelques remarques faites plus haut montrent qu’il va être bien difficile de trouver un critère unique de répartition des partis qui soit en même temps pertinent pour mesurer le ralliement probable des électeurs. Bref.
Deuxième grosse difficulté : Lemennicier s’appuie curieusement sur les résultats de sondages du 1er tour, mais pas du 2ème tour. Ainsi, il fait ses petits calculs en additionnant des pourcentages gentiment fournis par les sondages pour le premier tour ; et il en conclut que Sarkozy battra Hollande. Or si l’on considère que les sondages (reflétant théoriquement les intentions de vote des personnes interrogées) sont fiables pour le premier tour, pourquoi ne pas considérer qu’ils le sont aussi pour le deuxième tour, et que Hollande est donc pour le moment dans la meilleure position ? Pour rien, comme ça. On va dire d’un coup que l’on sait mieux que les électeurs pour qui ils ont l’intention de voter. Et Lemennicier ne prend bien sûr pas la peine d’expliquer ce détail. Il n’est plus à ça près.
Petite remarque subsidiaire : si l’on tenait absolument à répartir les électeurs de façon spatiale, et donc évaluer la «proximité» plus ou moins grande des différents candidats, le plus sûr serait probablement de se fier aux intentions de vote exprimées. Ainsi, on ne pourrait dire que le FN est «plus à droite» que l’UMP que si la proportion d’électeurs FN se reportant sur Hollande au second tour était infime (de même pour D-A, Lepage, etc.). Mais rien ne permet de montrer cela ; et le plus probable est que, si l’on voulait figurer la proximité des partis de façon graphique en s’appuyant sur le report des votes, un réseau bidimensionnel, voire tridimensionnel, serait vraisemblablement beaucoup plus pertinent qu’un bête axe.
Les remarques qui précèdent n’ont rien de bien compliqué. Dans ces conditions, l’unique question que l’on peut se poser est : les biais épistémologiques majeurs qui ruinent la crédibilité de cet article sont-ils involontaires, liés à l’aveuglement d’un économiste qui s’est cru un peu trop puissant ; ou sont-ils une pure et simple malhonnêteté ? À mon avis, il y a un peu des deux : il est toujours tentant de jouer avec des petits chiffres et, une fois que l’on est parvenu au résultat que l’on préfère, de trouver d’un coup que ce calcul, décidément, est le meilleur. Juste le temps de se rappeler que, quand même, on est un grand économiste, et hop !, on commet un article.
Ce qui est bizarre, c’est que c’est justement les libertariens eux-mêmes qui ont proposé un système à deux axes, assez pertinent par ailleurs (bien que les cyniques suggèrent que ce soit pour mieux placer leur propre idéologie). Mais même celui-ci reste encore assez simpliste ; d’autres proposent donc, comme le Politest, un système à trois axes dans le cas de la politique française (qui ressemble aux analyses d’Etienne Schweisguth par ailleurs), mais bon la politique est une affaire complexe pour ce qui est du comportement des gens…
J’ai apporté quelques éléments de critique au modèle Jérôme/Jérôme-Speziari chez Slate : http://www.slate.fr/france/51221...
En tout cas, s’il faut juger la capacité prédictive de l’analyse économique du vote, à vue de nez elle est moins bonne que celle des sondages…
Excellent, et encore merci de tirer vers le haut le niveau de la campagne…
"¿" propose de répartir les candidats et leurs électeurs sur différentes coordonnées d’axes. Pour ce faire, pourquoi ne pas se référer par exemple à René Rémond et à son ouvrage "Les Droites en France", et à l’histoire du Socialisme ?
Une telle analyse révélerait à coup sûr quelques surprises, avec entre autres :
– Le fait que l’ensemble des choix politiques ne sont pas présents en France, et qu’une raison de l’abstention massive se résume sûrement en partie dans un manque d’offre;
– Le fait que chaque parti socialiste, ou libéral, de chaque pays, ne partage pas le même corpus idéologique;
– Le fait que les grands partis Français agglomèrent des courants très divers, se situant souvent à l’étranger dans des partis distincts.
– Et expliquerait aussi la porosité, anciennement PCF-FN, aujourd’hui FdG-FN, combattue vaillamment par Mélenchon par sa diabolisation extrême des Le Pen.
Ainsi, la première distinction à réaliser est à mon sens la différentiation entre le libéralisme économique et le libéralisme moral. Sur ce point, en utilisant le même mot pour deux concepts si éloignés, la langue Française introduit un biais d’analyse récurrent, nuisant à la compréhension du fait politique. Ainsi, lorsque Marine Le Pen prétend avoir un programme de gauche et attirer des électeurs de gauche, elle fait référence à un anti-libéralisme économique, en cachant son anti-libéralisme sociétal. La porosité PCF-FN observée dans les années 80 trouve sa source, à mon sens, dans la méfiance historique du PCF envers les avancées sociétales, forcément bourgeoises. Et pour beaucoup de Français, les "petits", les "sans grades", l’urgence est avant tout sociale, quitte à faire passer au second plan les luttes féministes par exemple. Ce nouveau visage du FN n’est pas novateur, il utilise la grille de lecture qu’avait offerte le National Bolchevisme en réponse à la crise de 1929. (nous les connaissons plus sous le vocable de "rouges-bruns").
Un troisième axe important semble aussi être dans ce pays la confiance en l’Europe. Qui y croit encore, et qui n’y croit plus et jetterait volontiers le bébé avec l’eau du bain.
Cette petite étude réalisées, nous pourrions peut-être quantifier les reports de voix du premier au second tour, et peut-être même retrouver des résultats proches des sondages, qui sait ?
Réponse de Stéphane Ménia
Merci à vous et à “¿” pour vos commentaires constructifs.
Je vois que le graphique 3 estime un coefficient linéaire à N=6. Je me suis marré en imaginant l’intervalle de confiance, que j’ai assez bien pifométrisé : imgur.com/v5Gd7
J’obtiens [ -81, -13 ] à 95% de confiance. Autant dire, l’électeur médian peut être virtuellement n’importe où. Le reste du modèle s’effondre si la distribution de l’électorat est non symétrique.
Pas de bol. Fallait pas changer de constitution aussi souvent, ça casse les séries, on perd en N.
L’axe gauche/droite n’est qu’une facilite de présentation me semble t il. Pas la peine de fouetter les chats.
Chacun manipule les concepts qui aboutissent a ce qu’il veut démontrer, y compris les contempteurs de Lemmenicier.
Par exemple, le libéralisme est pour l’un a l’extrême droite. Quel est la définition du libéralisme utilisé?
D’ailleurs quel est la définition du socialisme? La propriété sociale des moyens de productions? Essayé – échoué. Taxer plus pour dépenser plus; est ce de gauche ? Pas pour les sociaux démocrates de l’Europe du Nord. Bref on peut en faire de la sémantique.
Pour reprendre l’analyse de Vincent, il est clair qu’il y a en France un anti-libéralisme économique associé a un ultra-liberalisme social.
Une idéologie de petits bourgeois (pardon de classes moyennes) qui veulent la sécurité de l’emploi tout en accédant aux vices des riches. Ce qui leur permet d’ailleurs de jouir des bienfaits de la mondialisation dans la douceur des bons sentiments, bien au chaud et la conscience en paix.
Tout le monde semble oublier que dans ce pays, la pire catastrophe économique qui puisse arriver dans un ménage, c’est le divorce; pas le chômage. Le liberalisme "moral" pas le liberalisme "economique".
Doit on s’étonner alors que les valeurs des classes populaires ne soient pas celles de la petite bourgeoisie d’insiders a statut, comme le reconnaît Terra Nova, qui propose au PS d’aller chercher ses électeurs ailleurs (homosexuels, mère célibataires, etc.). Les immigrés de Montreuil meritent toute notre affection, tant qu’ils habitent plus haut, qu’ils ne peuvent etre fonctionnaires, ni "créatifs" et qu’ils se contentent de remplacer les plongeurs, macons et autres "agents de sécurité".
Bref nous avons plutôt a faire a un kaléidoscope dont toute représentation est forcément tronquée.
J’ajoute que les sondages de deuxième tour, n’ont aucune validité. Tout ce qu’ils montrent c’est que l’antisarkozisme est puissant, ce qui n’est guère étonnant, l’immobilisme est probablement moins agressif a l’électeur que le bougisme, et qu’il s’agit de la meilleure carte de Hollande. Mais cela sera t il suffisant?
Plutôt que de conceptualiser a mort, je pense que les parties intéressées feraient mieux de mettre leur argent la ou est leur bouche et de parier.
"Pour reprendre l’analyse de Vincent, il est clair qu’il y a en France un anti-libéralisme économique associé a un ultra-liberalisme social."
C’est marrant, j’ai pas l’impression, personnellement… Ça me rappelle un peu les analyses de Jacques Rollet dans son livre, et je pense qu’il y aurait beaucoup à y redire.
"Tout le monde semble oublier que dans ce pays, la pire catastrophe économique qui puisse arriver dans un ménage, c’est le divorce; pas le chômage. Le liberalisme "moral" pas le liberalisme "economique"."
Faut voir. Si les deux travaillent et n’ont pas d’enfants, par exemple. Et même avec enfants, ça ne concerne que les couples, pas les parents célibataires dès le début (ou très tôt). Et pour le reste, si on regarde au niveau global, on ne peut pas dire que le divorce soit une catastrophe "économique", tout au plus une catastrophe affective (ce qui est déjà pas mal, en fait…).
Il y a aussi le fait que réduire le chômage est une "simple" question de politique économique, alors que réduire les divorces serait a contrario beaucoup plus difficile en l’état actuel de nos connaissances, à moins de vouloir remettre en cause des libertés fondamentales.
@Anty:
Vous me semblez un bon exemple de bénéficiaire du système. Les familles monoparentales augmentent de 12% (a vérifier) par an dans ce pays. Le chef de famille est a 90% une femme, et la monoparentalite est le plus sur moyen de tomber dans la pauvreté et l’a-socialité. Essayez vous verrez. Allez donc dans une banlieue populaire, parlez aux élus sur les conséquences du divorce.
Le chômage n’est pas une question économique, il résulte aussi des choix sociaux que vous faites. La France est un pays corporatiste avec triage a l’entrée qui laisse toute une catégorie d’ "inutiles au monde". Comme sous l’ancien régime. Le but en est de protéger certains au détriments d’autres.
Quand aux liberté fondamentales, elles n’ont pas l’air d’être celle du patron de virer son employé. Juste celle du mari de virer sa femme. La ou le droit du travail occupe un métrage d’étagère de plus en plus long, le droit de la famille fait dans le raccourci. Pourtant quand le CDI n’était qu’une annexe du contrat de louage, il n’y avait jamais eu aussi peu de chômeur.
Pourquoi alors, par exemple, ne pas financer publiquement un "pôle emploi" du divorce, pour que les femmes puissent toucher une indemnité de célibat le temps de trouver un autre mari ou d’avoir élevé les enfants ?
Je ne propose aucune solution particulière; mais l’hypocrisie ambiante de ce pays est a pleurer.
Tout ceci parce qu’un "libertarien" prédit que sur la base d’un modele imparfait et du sens du vent, Sarkozy (un autre liberal lui?)sera élu, et que cela ne plait pas a ceux qui veulent generer une prevision autoréalisatrice.
Merci pour ce dernier argument, Merlin, c’est définitivement votre meilleure blague jusqu’ici. J’ai encore croisé un ami ce matin qui me disait frémir de l’effet performatif "Lemennicier 2012" (ça s’écrit comme ça, au passage) sur les dépôts de signatures des candidats.
Merci Fr.
@Merlin : Je n’ai pas défendu la famille monoparentale (et il est vrai que je n’en viens pas), je dis juste que c’est une situation qui existe, et que ce n’est pas une question d’ordre économique à proprement parler.
"Le chef de famille est a 90% une femme, et la monoparentalite est le plus sur moyen de tomber dans la pauvreté et l’a-socialité. Essayez vous verrez. Allez donc dans une banlieue populaire, parlez aux élus sur les conséquences du divorce."
Corrélation/causalité, manque de sources, voire sexisme latent…
"Quand aux liberté fondamentales, elles n’ont pas l’air d’être celle du patron de virer son employé."
Je n’ai pas dit que le droit du patron de virer son employé n’était pas une liberté fondamentale (même si je ne le pense pas, personnellement).
"Juste celle du mari de virer sa femme."
Il me semble que c’est un peu plus compliqué que ça, au moins en théorie…
"Le chômage n’est pas une question économique"
Sans commentaire.
"La France est un pays corporatiste avec triage a l’entrée qui laisse toute une catégorie d’ "inutiles au monde". Comme sous l’ancien régime. Le but en est de protéger certains au détriments d’autres."
C’est peut-être le seul point où on est d’accord, mais peut-être pas pour les mêmes raisons.
Les remarques avancées par Vincent dans son commentaire sont vraiment précieuses, et permettent en effet de donner un peu corps à cette idée d’une représentation de la carte politiques dans un espace à deux ou trois dimensions.
Cependant, je ne crois pas que cela suffirait à sauver le travail de Lemennicier ou de Jérôme/Jérôme-Speziari. Même en admettant que ces axes fournissent une représentation pertinente de la politique française, les problèmes méthodiques posés par les deux études évoquées restent entiers. La question est en effet : comment réaliser une prédiction du vote qui soit sensiblement plus fiable que les sondages réalisés aujourd’hui ?
Il faut d’abord noter qu’un sondage n’a pas la prétention de prédire, mais plutôt de décrire. Qu’il le fasse bien ou mal est une question intéressante, mais elle n’est pas centrale ici : quoi qu’il en soit, même un « sondage parfait » n’est représentatif que des intentions de vote actuelles. Or ce qu’il s’agit d’anticiper, ce sont les intentions de vote au moment du vote.
C’est seulement dans la mesure où cet écart entre description et prédiction existe, que des « experts », qu’ils soient économistes, sociologues, politologues ou que sais-je encore, peuvent prétendre faire mieux qu’un sondage parfait. Encore faut-il qu’ils s’en donnent les moyens.
L’article de Lemennicer, à cet égard, est assez ridicule : car même si l’on disposait 1. d’un sondage parfait et 2. d’une représentation très fidèle de la « carte politique », on ne voit pas de quel droit on pourrait tirer pour le second tour des conclusions qui iraient contre les sondages de second tour… Encore une fois, il est délicat de prendre les chiffres du 1er tour pour argent comptant, et d’en tirer une conclusion contredisant les intentions pour le deuxième tour. Cela équivaudrait à savoir mieux que les électeurs ce qu’ils ont l’intention de voter (ce qui est culotté, tout de même) ; ou pire, à prétendre dire ce qu’il serait rationnel de voter au second tour (en soupirant bien sûr, avec condescendance, que les électeurs ne sont toutefois pas « rationnels »). Lemennicier me semble se frotter amoureusement à ces deux écueils ; au point que je ne vois aucune raison d’en parler davantage.
Si l’on voulait cependant justifier que notre prédiction a une valeur prédictive supérieure aux sondages, il faudrait donc intégrer l’élément qui fait par essence défaut aux sondages, à savoir le temps. Autrement dit, il faudrait s’appuyer sur toutes les raisons pour lesquelles on pense que les intentions de vote le jour du vote seront différentes de celles d’aujourd’hui. Et là, la porte est ouverte à toutes les tentatives : on peut penser, comme Jérôme/Jérôme-Speziari, que l’évolution du taux de chômage va jouer un rôle déterminant dans l’évolution des intentions de vote ; mais il serait à mon sens extrêmement hasardeux de faire dépendre les intentions de vote de cette seule inconnue, ne serait-ce que parce qu’un évènement judiciaire, un problème international, une déclaration malencontreuse ou n’importe quel autre truc imprévisible pourrait en un rien de temps brouiller les cartes. Plus précisément, je ne crois pas que l’on puisse faire plus ici qu’affirmer, au doigt mouillé, que si le chômage baisse ce sera bon pour Sarkozy toutes choses égales par ailleurs (sachant que de toute façon, les choses ne seront pas égales par ailleurs). Au-delà, tenter de fixe seuil minimal de chômage à 9,6% pour que Hollande l’emporte, ou affirmer que Sarkozy va l’emporter avec 50,3% des votes (avec une marge d’erreur de 2% (!), tout de même) relève à mon sens sinon de l’imposture, du moins d’un remarquable excès de confiance dans ces modèles prédictifs.
Que l’on essaie de prévoir le futur est normal ; que l’on crée des modèles pour cela n’a rien de choquant ; mais il faut garder conscience que tout modèle prédictif fonctionne en simplifiant la réalité, et qu’en réalité il existe bien d’autres raisons de voter que la simple sanction du bilan économique (surtout réduit au taux de chômage…). Dans ces conditions, et puisque des prédictions faites sur des bases aussi fragiles sont nécessairement très peu précises, et même franchement hasardeuses, il me semble que l’honnêteté intellectuelle devrait forcer à reconnaître que les scientifiques n’ont aucune certitude sur le résultats des prochaines élections, et qu’en tout état de cause leurs prédictions doivent rester prudentes et modestes.
La critique des articles me paraît inutilement violente et idéologisée, mais j’ai de fait un peu de mal à comprendre l’intérêt d’une prédiction dont on reconnaît dès le départ qu’elle n’a pas de valeur (je schématise un peu mais c’est un peu ça quand même). Je conçois que cela puisse séduire des esthètes du raisonnement, et ça me séduirait sans doute aussi si j’étais assez intelligent pour comprendre ces articles; mais je ne comprends pas bien à quoi ça sert.
Sinon, je suis d’accord avec Merlin sur la société française de gauche: il y a une forte demande de protection dans le domaine professionnel/public, et de dérégulation dans la sphère morale/individuelle. Ca n’est pas forcément incohérent, on ne peut pas s’exposer à l’instabilité dans toutes les dimensions de sa vie; mais ça n’est pas très clairement assumé, ni analysé. Or ça n’est pas neutre: de fait, la violence des rapports sociaux est vécue de façon beaucoup plus vive que la violence des rapports affectifs. En regardant autour de moi, je me demande parfois si la seconde n’est pas plus développée que la première, ne serait-ce que parce qu’elle est tacitement acceptée.
Sur les familles monoparentales, il y a ici des données qui vont plutôt dans le sens de ce que dit Merlin: http://www.insee.fr/fr/themes/do...
Et effectivement, on ne peut pas tellement agir sur les divorces par le biais du politique. En revanche on peut le faire par le débat, et par la culture.
@Elvin : non mais quand on a Pascal Salin comme chef de file, ça en dit long sur le niveau général. Au hasard, je l’ai récemment entendu dire que dans les pays de common law, il n’y avait pas besoin d’Etat pour produire du droit, puisque c’était le juge qui le faisait ôO (http://www.dailymotion.com/video...
Non, il se dit chez eux une quantité de conneries sans commune mesure avec aucune autre "école" (même les Cocos en sortent des moins grosses).
Bof… La différence avec les "orthodoxes" plus ou moins néoclassiques ou keynésiens, c’est que ceux-ci sont tellement nombreux à dire les mêmes conneries qu’ils finissent pas se persuader mutuellement que c’est la vérité…
C’est vrai, il est préféréable de se persuader tout seul que les conneries qu’on dit sont la vérité, ça permet de se rendre intéressant. Enfin, d’essayer.
On peut aussi essayer d’examiner les arguments, y compris les plus surprenants, de façon rationnelle et sans préjugés. Ça ne garantit pas qu’on tombera d’accord mais c’est quand même plus sympa et plus enrichissant intellectuellement.