Le manifeste du Pigou Club

Greg Mankiw publie dans le Wall Street Journal le manifeste du Pigou Club (ma traduction) :

Il faut augmenter les taxes sur l’essence, par N.G. Mankiw

Alors que les élections de mi-mandat s’approchent, voici une idée que vous n’entendrez pas souvent de la part de nos élus : nous devrions augmenter les taxes sur l’essence. Pas trop vite, mais de façon significative. Je voudrais voir le Congrès augmenter les taxes sur l’essence d’environ un dollar par gallon, de façon graduelle, de 10 cents par an au cours des 10 prochaines années. Les conseillers politiques n’aiment guère ce genre de propositions, mais les experts continueront de les promouvoir. Voici pourquoi :

– L’environnement : la combustion d’essence émet des polluants. Cela inclut le dioxyde de carbone, qui provoque le réchauffement climatique. Des taxes sur l’essence plus élevées, composante possible d’une taxe plus large sur le carbone, serait le moyen le plus direct et le moins envahissant de régler les problèmes environnementaux.

– Les embouteillages : chaque fois que je me retrouve coincé dans les bouchons, je souhaite que les automobilistes roulent moins, peut-être en vivant plus près de leur lieu de travail ou en empruntant les transports publics. Une taxe sur l’essence plus élevée nous donnerait à tous l’incitation d’agir ainsi, réduisant les embouteillages.

– Moins de réglementations. Le congrès a tenté de réduire la dépendance énergétique en adoptant des standards d’économie de carburant. Ces règlementations sont lourdes et pleines de conséquences inattendues : elles sont en partie responsables de la croissance des 4×4 urbains, parce que les petits camions font l’objet de réglementations moins lourdes que les voitures. Par ailleurs, en rendant la flotte automobile plus efficiente, elle encourage les gens à rouler plus, réduisant une partie de l’effet d’économie d’énergie, et exacerbant le trafic routier. Une taxe plus élevée permet d’obtenir exactement ce que la règlementation obtient, mais sans les effets négatifs.

– Le budget de l’Etat : Tous ceux qui ont étudié les chiffres savent que le budget fédéral est dans une voie insoutenable. Quand les baby-boomers prendront leur retraite, obtenant l’accès à la retraite publique et au remboursement public des soins, il faudra soit augmenter les impôts, soit réduire les versements aux personnes âgées. Un compromis politique acceptable inclura nécessairement une part de chaque. Une hausse de taxes de un dollar par gallon rapporterait 100 milliards de dollars annuels au trésor public, réduisant les déficits futurs.

– L’incidence des taxes. Un principe de base de l’analyse des taxes – enseignée dans la plupart des enseignements d’économie de première année – est que le poids des taxes est partagé par consommateurs et producteurs. Dans ce cas, une taxe sur l’essence plus élevée décourage la consommation de pétrole, faisant baisser le prix de celui-ci sur les marchés mondiaux. De ce fait, le prix de l’essence augmentera moins que la hausse de la taxe. Une partie de la taxe sera payée au bout du compte par l’Arabie Saoudite et le Venezuela.

– La croissance économique : les experts en finance publique savent depuis longtemps que les taxes sur la consommation sont plus favorables à la croissance à long terme que les impôts sur le revenu, parce que ces derniers découragent l’épargne et l’investissement. L’essence est une partie de la consommation. Fonder le budget de l’Etat sur des taxes sur l’essence plutôt que sur le revenu rendrait le code des impôts plus favorable à la croissance; cela inciterait par ailleurs les entreprises à consacrer plus de recherche et développement à la recherche de substituts à l’essence.

– La sécurité nationale : Alan Greenspan s’est récemment déclaré favorable à des taxes sur l’essence plus élevées. “C’est une question de sécurité nationale” a-t-il déclaré. Il est difficile de savoir à quel point la consommation de pétrole conduit les USA à intervenir dans la politique du Moyen-Orient : mais M. Greenspan a peut-être raison de penser qu’une taxe sur l’essence aura des conséquences positives sur les affaires internationales.

Peut-on espérer que les experts remporteront la bataille contre les conseillers politiques? Je le pense. Même après une hausse de un dollar, les taxes sur l’essence américaines seraient moitié moindre du niveau qui prévaut par exemple en Grande-Bretagne, qui était toujours une démocratie aux dernières nouvelles. Mais n’espérez pas voir ceux qui espèrent se faire élire en arriver là tant que les américains n’ont pas compris que si les taxes sur l’essence sont désagréables, les alternatives sont largement pires.

Voir par ailleurs Hal Varian sur les taxes sur les carburants, et James Hamilton. Voici, via le même James Hamilton, l’Etat de l’opinion américaine sur le sujet :

EDIT (22-10-2006) : deux liens sur ce sujet : premièrement, la liste (à ce jour) des membres du “Pigou Club” sur le blog de Mankiw. Autre lien, ce site en français qui vise à présenter des informations sur les diverses politiques d’internalisation des coûts externes. La forme est un tantinet austère, mais l’intention est intéressante.

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Alexandre Delaigue

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8 Commentaires

  1. Il était bien connu que la rhétorique était capable de justifier n’importe quoi par n’importe quel argument… Mais mettre tous les arguments les uns à la suite des autres dans le même texte a un côté délicieusement incohérent.

    Que l’augmentation d’une taxe sur un produit soit un excellent moyen de réduire sa consommation (ou de freiner la croissance de ladite consomation), difficile d’en douter. Mais comment dans le même temps annoncer un chiffre pour les rentrées fiscales supplémentaires, puisqu’on ne sait pas de combien la consommation sera freinée ?

    Quant à l’argument des embouteillages, il implique immédiatement que l’augmentation de la taxe sur l’essence fera augmenter les prix de l’immobilier et l’encombrement des transports en commun.

    Le paragraphe sur l’incidence des taxes est lui aussi étonnant. Pour que le prix de l’essence augmente moins que la hausse de la taxe, il faudrait qu’il existe des marges à rogner ; or, les stations-service américaines ne font plus qu’un seul cent de bénéfice par gallon vendu. De plus, au cas où effectivement le prix augmenterait moins que la taxe, les arguments portant sur la réduction de la consommation seraient affaiblis d’autant. Pile, l’auteur se trompe ; face, il a tort.

    Autre sophisme remarquable, l’Arabie Saoudite ou le Vénézuéla ne paieront pas la taxe, parce que ce n’est pas comme ça que ça marche. Une taxe est toujours, in fine, payée par un individu. En l’occurence, le consommateur ou l’actionnaire des compagnies pétrolières ou de leurs fournisseurs. Les pays producteurs vendent au prix du marché, point.

    Encore un sophisme : annoncer que les taxes sur la consommation sont plus favorables à la croissance à long terme que les impôts sur le revenu et en déduire qu’il faut augmenter les premières est absurde. Si je dis qu’il vaut mieux se trancher un orteil que se trancher la main, dois-je en conclure qu’il faut que je tranche un orteil à mon voisin ?

    Ne reculant devant aucun effet de manche, l’auteur nous gratifie même d’un superbe argument d’autorité. "Si Greenspan l’a dit, alors il doit avoir raison ; même si je n’ai pas compris son raisonnement, il doit avoir de bonnes raisons".

    Bon, c’est vrai, j’ai été un peu vache. Je dois avouer que le paragraphe concernant la réglementation et expliquant les causes de la "mode" des 4×4 est vraiment éclairant. Il sauve à lui seul le reste du manifeste.

  2. Ouille. Vous avez visiblement grand besoin de lire un bon manuel d’économie de base.
    – si, on peut estimer de combien elle sera freinée. Cela s’appelle l’élasticité-prix de la demande, et ensuite, calculer la recette fiscale résulte d’une multiplication.
    – oui, ça fera augmenter le logement en centre ville et ca enverra des gens prendre le bus. En quoi est-ce un problème, exactement? Le vrai problème, c’est que les logements à pétaouchnok sont subventionnés par une essence dont les consommateurs ne paient pas le coût.
    – il n’y a aucune question de "marge à rogner". La courbe d’offre d’essence est croissante, ce qui signifie qu’à quantité plus petite, il y a prix plus petit. La raison ne tient pas aux marges des distributeurs, mais au coût marginal du dernier producteur de pétrole.
    – Pour la même raison, si la demande diminue, le prix diminue et avec lui les recettes des pays producteurs. Qui sont les actionnaires de l’Aramco, ou de la compagnie nationale du Venezuela, au fait?
    – L’argument de Mankiw est : il faudra de toute façon augmenter les impôts aux USA pour supporter les échéances futures; autant le faire avec des impôts pas trop nuisibles. Faire de l’esprit c’est bien, lire, c’est mieux.
    – le troisième argument repose en effet sur une intuition. Il est vrai que l’engagement américain au moyen-orient n’a absolument aucun lien avec les questions pétrolières.
    – Vous n’avez pas été vache, simplement vous êtes mal informé. Vous avez de la chance, c’est facile à corriger.

  3. "si, on peut estimer de combien elle sera freinée. Cela s’appelle l’élasticité-prix de la demande"

    Se contenter de placer le terme technique qui recouvre le concept ne constitue amha en rien une justification des chiffres annoncés par Mankiw.
    Peu importe que cela s’appelle une élasticité, nous préfèrerions savoir pour quelles raisons le gouvt US pourrait en attendre 100 Md$ de recettes.
    Je n’ai pas vérifié les chiffres mais j’ai cru avoir lu que les rentrées fiscales françaises issues de la TIPP n’avaient pas augmenté récemment, malgré l’augmentation du prix du carburant …

    A propos des transports publics, ce qui est assurément un problème c’est de l’envisager (le problème …) dans ce sens là. D’abord augmenter leur densité, et ensuite chercher un moyen de réduire le trafic. Oui, je sais, ce n’est pas économiquement optimal 🙂

  4. Eric C. : "Je n’ai pas vérifié les chiffres mais j’ai cru avoir lu que les rentrées fiscales françaises issues de la TIPP n’avaient pas augmenté récemment, malgré l’augmentation du prix du carburant" parce que les taxes sur le carburant sont pour l’essentielles forfaitaires (sauf la TVA); de ce fait, quand le prix augmente, les recettes fiscales subissent une très légère hausse (des recettes de tva) et une légère baisse (parce que la consommation totale diminue).
    Pour le reste : supposons que dans un pays, à chaque augmentation du prix de l’essence de 10 cents:litre, la consommation baisse de 1% (c’est ça, l’élasticité); que la consommation totale soit de 1000 litres. si les taxes augmentent de 10c, la consommation passe à 990; la recette fiscale est donc de 10c*990 = 9.9. Voilà le principe de calcul.

  5. Oups, en 3 je voulais évidemment dire "la thèse que défend Mankiw" … J’en profite pour ajouter que si celui-ci se concentre davantage sur les retombées économiques, c’est plutot au bilan environnemental que s’intéresse Jancovici.

    Sur le commentaire n.5 : merci, j’avais bien compris (meme avant ce billet, lecture assidue de ce blog oblige …) ce qu’était l’élasticité. Je ne suis pas économiste mais ai une formation scientifique quand même, chez moi ca s’appelle une sensibilité. Enfin bref, ce que je voulais dire c’est que parler d’élasticité, de sensibilité ou de jambon-beurre ne change rien au problème : sur quelles données Mankiw s’appuie-t-il pour affirmer que l’élasticité est suffisamment faible (en valeur absolue …) pour que les recettes croissent, in fine ?
    Si e < -1, le bilan fiscal est négatif … Je suis d’accord pour dire que c’est assez improbable, mais c’est toujours intéressant d’avoir des billes (quantitatives …)
    Si j’en crois les chiffres lus sur
    http://www.infoplease.com/ipa/A0...
    ou sur
    http://www.fhwa.dot.gov/ohim/tvt...
    avec en gros 150 milliards de gallons consommés par an, une élasticité de l’ordre de -1/3 permettrait d’aboutir aux 100 Md$ annoncés par Mankiw. L’ordre de grandeur ne semble donc pas déconnant, surtout que le 1/3 me semble déjà généreux …

  6. Dsl monsieur Albert Nonyme mais c’est plutôt votre commentaire qui est saturé par une réthorique omniprésente et une économie malheureusement bien moins présente.
    De plus l’utilisation de chiffres, tous aussi officiels qu’ils peuvent être, sont à prendre avec des pincettes puisqu’il est bien connu que l’on peut leur faire dire tout et n’importe quoi. C’est ce qu’on apprend généralement en terminale "économique". Toutefois il est louable que vous exposiez vos idées et pensées sur ces sujets mais prenez note totu de même des remarques qui vous sont faites pour vous ameliorez.

  7. Merci beaucoup Foufouille de vous préoccuper de ma formation en économie…

    Le concept d’élasticité n’est pas, à mon humble avis, la réponse-miracle à ma question. Les calculs exposés supposent une élasticité constante quel que soit le prix. Or, il n’y a aucune raison qu’il en soit ainsi. En d’autres termes, il n’y a aucune raison que la courbe de demande d’un bien (en l’occurence, du carburant) soit une droite. Evidemment, faire des calculs rassure les décideurs politiques… Mais encore faut-il que ces calculs soient fondés.

    Je prend en compte les remarques très intéressantes d’Alexandre Delaigue : il est plus savant que je ne le serai jamais en économie. Notamment la remarque sur le fait que la baisse potentielle du prix de l’essence sera une réalité indépendante de la marge des distributeurs : je m’étais en effet planté sur toute la ligne.

    Par contre, dire "si la demande diminue, le prix diminue" n’est vrai que toutes choses égales par ailleurs. Il se pourrait aussi que la consommation mondiale de pétrole continue à augmenter (poussée par la croissance de la Chine, par exemple), ou que l’offre diminue (on peut penser à l’Iran, mais aussi à l’état de délabrement avancé des installations de PDVSA). En d’autres termes, on est dans la purée de pois.

    Quant à l’argument de Mankiw, "il faudra de toute façon augmenter les impôts aux USA pour supporter les échéances futures; autant le faire avec des impôts pas trop nuisibles" (je cite AD), il n’est vrai que si l’on suppose la prémisse vraie. On peut aussi penser que l’augmentation des impôts n’est pas inéluctable, voire pas nécessaire. En tout cas, la question mérite d’être posée sans préjugés.

    Enfin, je suis un peu décontenancé par la remarque "Il est vrai que l’engagement américain au moyen-orient n’a absolument aucun lien avec les questions pétrolières.". Ironie ? Si c’est le cas, je ne suis effectivement pas certain que les questions pétrolières aient été le facteur de décision le plus crucial dans cette affaire. Mais bon, l’Histoire nous le dira peut-être…

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