Nous avons déjà évoqué le CPE dans divers posts (le premier, le second). Jules de Diner’s Room s’interroge aujourd’hui sur la forme prise par la contestation anti-CPE, reprenant les interrogations de Paxatagore. Dans son post, il déclare trouver bon que l’expérience du CPE soit faite. Même si je partage entièrement ses commentaires politiques et institutionnels, je ne suis pas certain pour ma part que le CPE soit une bonne expérience, et voici pourquoi.
L’argument selon lequel il faut expérimenter en matière de politiques de l’emploi n’est pas absurde; il est vrai qu’à part à l’aide de simulations modélisées forcément contestables, il est très difficile de connaître à l’avance l’effet de politiques structurelles modifiant la règlementation sur le marché du travail. De ce point de vue, expérimenter, tester des dispositifs, est certainement meilleur que les deux attitudes habituelles, consistant soit à renoncer à faire quoi que ce soit (“en matière de chômage, on a tout essayé”, comme disait l’autre), soit à se lancer dans de vastes programmes grandioses qui sèment durablement la pagaille dans les secteurs d’activité qui n’ont pas l’heur de correspondre aux canons des bureaucrates du ministère du travail.
Mais l’expérimentation, en la matière, avait déjà été entreprise. C’etait le contrat nouvelle embauche (CNE). Qui présentait toutes les qualités requises pour être une expérience méritant d’être tentée. Premièrement, il se limitait aux entreprises de moins de 20 salariés, et de ce point de vue satisfaisait un réel besoin. On peut comprendre que dans une petite entreprise, recruter un salarié soit un choix délicat, dans lequel les erreurs coûtent très cher; pour ces entreprises, avoir la possibilité de prendre un salarié à l’essai pendant une période longue peut, effectivement, inciter à l’embauche. Cette limitation, par ailleurs, rend la mesure réellement “expérimentale”, ne constitue pas un passage obligé pour les salariés (ceux qui sont concernés, s’ils ne veulent pas d’un tel contrat, peuvent tenter leur chance pour obtenir un CDI dans une entreprise plus grande).
Au moment de la création du CNE, on pouvait donc se dire “pourquoi pas essayer”. Mais essayer signifiait tester la mesure en l’état, pendant au moins deux ans, le temps de voir si la fin du contrat conduisait les employeurs à massivement licencier; si ce contrat favorisait de nouvelles embauches, ou s’il constitue simplement un effet d’aubaine; en bref, le temps de prendre du recul. Et il faut noter que les “partenaires sociaux” avaient plutôt joué le jeu : le CNE n’a pas paru être un chifffon rouge pour les syndicats, ni d’ailleurs sa généralisation une revendication majeure des syndicats patronaux. Il est vrai que les syndicats de salariés sont absents des petites entreprises, tout comme les syndicats patronaux d’ailleurs, ce qui peut expliquer cela. Mais après tout, cela allait dans le sens d’une expérience menée sereinement.
En créant le CPE alors même que l’on a aucune information sérieuse sur le CNE (voir les chiffres fantaisistes et éminemment variables qui circulent sur le nombre de CNE signés), le gouvernement prend l’initiative de briser cette logique de l’expérimentation. Pire encore, il l’inactive. En réservant le CPE aux jeunes, on prend le risque de provoquer un effet de vases communicants (on embauchera des jeunes en CPE à la place de salariés de plus de 50 ans, par exemple). Il envoie le message d’une volonté de généraliser ce mécanisme sans réflexion, montrant qu’il est prêt à mettre en place plus de précarité d’emploi même si cela n’a aucun effet positif sur l’emploi. Nous l’avons dit ici de nombreuses fois, la flexibilité du marché du travail n’est pas mauvaise en soi, bien au contraire; mais elle n’est pas une fin en soi, une volonté de satisfaire les employeurs en créant un “marché spot” du travail : elle ne vaut que si elle a pour contrepartie la réduction du chômage, compensant pour les salariés le risque accru de licenciement par des chances d’embauches accrues.
Il est parfaitement logique, dès lors que la logique de l’expérience est rompue, que les protestations explosent, dans une société française profondément divisée et anxieuse. Il faut sortir de France, puis y revenir, pour se rendre compte à quel point la France donne en ce moment une image d’aboulie dirigeante, de peur, et de violence sociale. Entre le “non” de l’an dernier, les violences dans les banlieues, l’hospitalisation du président, avait-on vraiment besoin d’en rajouter et de s’offrir une insurrection étudiante? Cette affaire est un véritable gâchis, qui pésera durablement sur toutes les réformes futures.
Comme toujours, la réponse du gouvernement est qu’il aurait fallu plus “expliquer”. La bonne vieille logique bureaucratique française : La mesure du chef est géniale, hélas, la plèbe n’a pas compris. Mais qu’attendre d’autre de l’incompétente clique cocogaulliste, pour laquelle seule compte la gloriole, et l’intendance n’a qu’à suivre?
Les commentaires sont ouverts, mais modérés.
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CPE, un contrat pour les exclus, il faut agir par solidarité !
Avant de revenir sur mon profond désaccord avec le CPE jâencourage le lecteur à aller lire une série de billets beaucoup plus «raisonnable», apportant des éclairages différents sur le CPE. Notamment mais pas seulement sur le fonctionnement et…
La question que je me pose très sincèrement est de savoir si, économiquement parlant, on peut parler de traitement du chomage autrement que par le traitement de l’activité économique elle-même.
Je veux dire par là, existe-t-il un moyen économique de traiter lechôamge en lui-même ou vaut-il tout simplement mieux encourager l’activité économique, en supposant que l’augmentation de celle-ci a pour conséquence de créer des emplois ou des perspectives d’initiatives entreprenantes
@ceinture blanche : les deux sont liés. Si plus de gens travaillent, automatiquement cela élève le PIB. Et inversement. Cela dit, AMHA, les réformes du marché du travail ne passeront pas sans une croissance suffisante. Domaine dans lequel il y a beaucoup à faire.
Je poserai comme postulat l’hypothèse selon laquelle le lexique de l’économie (scientifique) a été bien trop dévoyé dans un sens comme dans l’autre pour qu’il reste employable dans le cadre d’un débat d’idées serein intégrant des profanes. Sans pour autant sombrer dans la correctitude politique, je pense qu’on peut débattre en prenant quelques précautions de langage sans pour autant céder à la rigueur du raisonnement.
Je pense que le lien entre croissance et bien-être des citoyens (sans même parler d’emploi, qui n’est encore qu’une approche très réductrive de la question du bien-être) n’est pas assez fermement établi pour que l’on puisse espérer convaincre qui que ce soit des bienfaits de la croissance économique (ce qu’on pouvant mettre derrière ce terme me semblant bien trop variable, même si j’imagine que la définition que s’en fait une scientifique n’a rien d’équivoque).
Aussi vais-je m’en tenir à cette approximation de la croissance qu’on pourrait nommer, par exemple, activité économique. Ceux qu’un marxiste nommerait "travail" s’il intègre le travail des machines au même titre que le travail des hommes.
Même si je suppose qu’il existe bien d’autres moyens de générer la croissance que de soutenir l’activité et même s’il existe des moyens de générer de l’activité sans générer ni croissance ni création de richesses, existe-t-il, dans une société à peu près démocratique et approximativement libérale une forme de croissance susceptible de créer des richesses, disons abusivement, objectives, au sens "tangibles dans le vécu d’une grande majorité de citoyens" sans pour autant soutenir l’activité ?
Pourra t-on avoir un jour une idée de l’influence de ces périodes d’essai longues sur la productivité de l’employé ? Verra t-on plutôt une baisse de l’effort et donc de la productivité du à la fois à la perspective de se faire licencier du jour au lendemain (donc pas d’établissement de confiance entre l’employeur et l’employeur et pas de mise en place d’un cycle don/contre-don) et à celle de retrouver plus facilement un travail avec la flexibilisation générale du marché du travail, ou au contraire le salarié mettra t-il les bouchées doubles justement pour éviter ce couperet de la période d’essai et prouver ainsi l’intérêt qu’il y a à le garder même après les deux ans ?
Econoclaste-Alexandre,
>>> "Il envoie le message d’une volonté de généraliser ce mécanisme sans réflexion, montrant qu’il est prêt à mettre en place plus de précarité d’emploi même si cela n’a aucun effet positif sur l’emploi".
Qu’est-ce que la "précarité" supposée du CPE a de différent avec la "précarité" réelle d’aujourd’hui ? Avez-vous entendu parlé de la génaralisation du travail intérimaire chez les jeunes non-diplômés ? Avez-vous entendu parlé des entreprises qui multiplient les CDD (illégalement) pour ne pas prendre le risque de s’attacher à un salarié en CDI ? (Télérama, grand magazine de la pensée molle, est par exemple un champion des CDD à répétition pendant des années).
Ma propre expérience est la suivante : j’ai été embauché par une grande entreprise du service public audio-visuel en tant qu’"intermittent du spectacle" de manière à ne pas avoir à m’embaucher en CDI. Le statut en question permet de multiplier les CDD de 3 mois par exemple. Je précise que je ne suis pas un saltimbanque. j’ai été embauché en tant que super assistant pour préparer des synthèses sur des sujets politiques pour une émission (je n’occupe plus cet emploi, j’ai depuis quitté la France). En quoi cete situation est-elle moi précaire qu’autre chose ? Je ne comprends pas votre raisonnement.
Un dernière chose, quand vous dîtes "mettre en place plus de précarité d’emploi même si cela n’a aucun effet positif sur l’emploi", sur quelle "expérience", donnée statistique, fondez-vous votre analyse pour expliquer que cette précarité (supposée) n’a "aucun effet positif sur l’emploi" ?
Sans avoir d’opinion tranchée sur le bien fondé du CPE, qui depend selon moi des opinions sur les valeurs comparées d’accès facilité à un emploi et de protection importante contree la sortie de cette emploi – qui étant différentes selon les individus conduisent forcément à des positions différentes autant que passionnelles sur le sujet – le CPE comprend une composante qui me déplait fortement, il comporte un effet de seuil, quid du jeune licencié à 25 ans et 11 mois, et est relativement sectaire (pourquoi que les jeunes ? le chômeur de 35 ans n’aurait donc pas le droit de se voir offrir un CPE ? Il en a peut être tout autant besoin). Pour ce qui est de la précarité, elle provient beaucoup de la différenciation des situations : dans un pays où il n’y aurait que des "CPE" il ne serait pas un obstacle à trouver un logement, un emprunt, les banques et propriétaires n’auraient pas vraiment le choix (en réalité la clause le transformant en CDI au bout de deux ans invalide un peu celà)
@ Jules
Je commence par la dernière question. Je n’ai pas dit que "mettre en place plus de précarité n’a pas d’effet positif sur l’emploi". J’ai dit que "le gouvernement est prêt à mettre en place plus de précarité même si…". Ce que je voulais dire par là, c’est que le gouvernement montre qu’il vise la précarité (ou flexibilité des contrats de travail) pour elle même, indépendamment de ses conséquences, puisqu’il envoie le message "les effets, je m’en fous, je généralise le contrat avant même de les connaître". Personne ne peut répondre honnêtement qu’il connaît les effets de ce type de flexibilité liée à une période d’essai longue de 2 ans. Le gouvernement avait la possibilité de faire un test avec le CNE, précisément pour avoir cette information. En choisissant d’en étendre le champ d’application avant que le test ne puisse apporter de résultats sérieux, il fait comme s’il voulait la flexibilité pour elle même, que son effet sur l’emploi soit positif, négatif ou nul. Je comprends que les gens trouvent cela inacceptable.
Concernant la précarité chez les jeunes, diplômés et non diplômés d’ailleurs, je sais de quoi il s’agit; on peut remarquer d’ailleurs que l’Etat, comme employeur, a des possibilités en la matière qui si elles étaient adoptées dans le secteur privé mettraient la population dans la rue (le CDD de 5 ans renouvelable indéfiniment, par exemple…). Mais cet argument va précisément dans ce sens : rajouter par là dessus le CPE n’a, étant donné le degré déjà élevé de flexibilité des contrats de travail, que très peu de chance de provoquer des embauches supplémentaires. Par contre, dans l’esprit de beaucoup de gens qui ont bien compris comment marche désormais le marché du travail, la logique de l’emploi, c’est de devoir se fader de nombreux CDD avant de pouvoir avoir ce nirvana qu’est le CDI. Créer le CPE, c’est signifier que désormais, même cette étape là n’est pas la dernière, puisqu’il faudra y ajouter encore en plus cette période d’essai de 2 ans. Même conclusion : je comprends que les gens considèrent cela comme inacceptable.
Il y a un énorme toilettage à faire dans le droit du travail français, qui protège mal et crès du chômage : et oui, il faudra trouver des moyens d’accroître la flexibilité du travail sans pour autant faire peser des risques trop importants sur les salariés. C’est pas facile à faire : le gouvernement, en agissant comme il le fait, est en train d’enterrer le débat de la flexibilité pour des années, et pour proposer un format de contrat de travail qui ne produira probablement que très peu d’effets positifs. Franchement, cela me fait enrager.
Econoclaste,
Ma position rejoint assez la vôtre. Et même si maintenant le résultat d’une telle expérimentation semble bien compromis, une solution aurait été d’étendre dans les zones les plus touchées par le chômage le CNE aux grandes entreprises, comme je l’avais proposé sur mon blog.
J’ai moi aussi écrit une petite synthèse, que j’ai appelé pareil mais, vive vous, vous l’avez écrite plus tôt. Pur hasard… Les bonnes idées sont toujours dans l’air…
Toutefois, j’y apporte des éléments que vous n’avez pas, et inversement.
flexibilité des entreprises et sécurité des salariés sont-ils incompatibles?
un petit billet complémentaire me semble-t-il…