Il me fatigue

Bien souvent, les manuels d’économie commencent par l’énoncé de quelques idées de base pour entamer la réflexion des étudiants et leur fixer les idées. Par exemple le manuel de base le plus vendu actuellement – celui de Mankiw – commence par l’énoncé de 10 principes. (caricaturés ici)

Le premier de ces principes est le suivant : “1- people face tradeoffs” qui peut se traduire par “les gens doivent faire des choix”. Dans un monde de ressources limitées, le problème économique vient de ce qu’il faut renoncer à certaines choses pour en obtenir d’autres. Depuis Samuelson et son manuel, le choix typique est représenté par l’alternative entre le beurre et les canons; les deux choses sont souhaitables, mais pour avoir plus de beurre, il faut moins de canons, et inversement.

Alors donc, quand je lis cela dans la bouche d’un candidat à la présidentielle : C’est quand même une idée curieuse de dire aux Français : il va falloir choisir, soit vous éduquez vos enfants, soit vous assurez leur sécurité ! Moi, je veux à la fois de la sécurité pour la France et une bonne éducation pour les Français je me dis qu’il n’y a, au contraire, rien de curieux dans l’expression d’un choix. Décider de construire un second porte-avions est un bon choix, ou peut-être pas : mais c’est un choix qui conduit à renoncer à autre chose. Récuser l’existence de ce choix, c’est soit faire preuve d’ignorance crasse, soit mentir.

Que dit le second principe selon Mankiw? le coût d’une chose est la valeur de ce à quoi on doit renoncer pour l’obtenir. A quoi, en l’occurence, doit-on “renoncer” d’après l’auteur ci-dessus? S’il y a des choix d’économie à faire, je les ferai sur bien autre chose! ce qui est parler pour ne rien dire. A quoi doit-on renoncer, d’après le candidat, pour obtenir un second porte-avion? A rien. Encore un repas gratuit.

Mais ce n’est pas tout.

Dans le Financial Times d’aujourd’hui, je lis que ledit candidat a déclaré à propos d’EADS quand j’entends qu’un actionnaire, Daimler, demande que les dividences soient payés dans une entreprise qui licencie 10000 personnes, je ne peux pas l’accepter. Que doit-on en déduire? Qu’il faut interdire les licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices? Ou interdire les bénéfices dans les entreprises qui licencient? La capacité de N. Sarkozy à tenir le discours de l’extrême-gauche la plus radicale, qui ne semble jamais étonner grand-monde (à quelques exceptions près) est toujours aussi grande (soyons, juste, il lui arrive de varier le style).

Toute aussi surprenante est la suite de l’article, qui indique que l’individu en question recommande de trouver “des actionnaires privés, des partenaires financiers, un actionnaire industriel” pour remplacer Lagardère et Daimler. Là, il faut une petite explication, car on touche au surréalisme. Si EADS fait des bénéfices cette année, c’est parce que la partie hors Airbus du groupe permet de compenser les pertes du constructeur aéronautique. En somme, la logique (financière) qui a présidé à la constitution du groupe fonctionne : l’activité défense et espace, dont le cycle est différent de celui des avions civils, sert à lisser la performance du groupe dans son ensemble. Et c’est ainsi que l’entreprise fait un bénéfice alors que l’une de ses activités est en période de gros creux.

Et voici mon interrogation : quel genre de partenaire financier, d’actionnaire privé, d’actionnaire industriel, peut-on espérer trouver pour une entreprise à laquelle le pouvoir politique veut interdire de distribuer un dividende une année ou elle réalise des bénéfices? Une sorte bien curieuse, sans doute, mue probablement par la philantropie, le goût des belles choses qui volent : un actionnaire vaguement rationnel, probablement pas. C’est ce que le quatrième principe de l’économie énonce : people respond to incentives, les gens réagissent aux incitations. En d’autres termes : on n’attire pas les mouches avec du vinaigre, et certainement pas les investisseurs sans leur offrir un rendement.

Mais il est vrai que Sarkozy s’y connaît en méthodes pour chasser les investisseurs : l’article du Financial times rappelle opportunément qu’il s’était distingué, comme ministre de l’économie, en empêchant Siemens d’acquérir une participation dans Alstom. Décidément, il me fatigue.

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Alexandre Delaigue

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8 Commentaires

  1. Vous perdez votre temps à dénoncer les inepties du candidat UMP…
    1. Ses électeurs se fichent bien de ces points de détail, 2. Il brigue le poste de Président, pas celui de ministre de l’économie (qu’il a déjà dans sa collec), 3. Les autres candidats ne disent pas des choses vraiment plus intelligentes.

    J’approuve votre conclusion : il me fatigue également.

  2. J’abonde dans le sens de YR

    Sarkozy peut dire autant d’absurdités économiques, il n’aura pas à rougir devant Ségo ou Bayrou.
    D’ailleurs, si des économistes dénoncent en général ces zigzag bien peu orthodoxe, ils restent dans la rhétorique antisarko plutôt que pro-concurrent -et pour cause ! (oui, je pense à Piketty).

    Cependant, j’aimerais bien le questionner directement si par exemple un jour il passe sur une radio genre RMC. Le coup de rechercher des industriels et d’avoir empeché Siemens financer Alstom, c’est pas mal.

    On élit un président, pas un ministre de l’économie. Le peuple s’en balance, et les gens au fait de ces choses pro-sarkozy lèvent les yeux au ciel en disant "c’est une posture, c’est un kador, il va nous mettre des gens compétents là où il faut".

    Se faire élire, c’est ne pas se mettre en position de décevoir, être présent.
    Il l’est (ou en tout cas il est moins pire que Ségo), il sera sans doute élu.

    Et ce ne sont pas les arguments rationnels qui vont changer ça.

  3. Au début de ce post, je pensais qu’il s’agissait de Ségoléne Royal. J’apprends ensuite avec stupéfaction qu’il s’agit de Sarkozy. Est ce bien normal?
    Les camagnes électorales sont rarement l’occasion de grands débats philosophiques, mais je crois que celle-ci touche le fond.

  4. Vous êtes un chouïa de mauvaise foi, quand même. Certes, il faut faire des choix, mais après tout il n’est pas impossible qu’entre éducation et sécurité on puisse avoir les deux.

    Après tout, le problème a beaucoup de paramètres : on pourrait renoncer définitivement à entretenir une armée, à financer les retraites ou investir dans la recherche. Peut-être que le choix doit se faire entre « éducation et sécurité » pris comme un tout et… autre chose ! C’est cet te autre chose que Sarkozy passe sous silence…

    Ou alors vous estimez que favoriser l’éducation implique de sacrifier la sécurité et réciproquement. Mais là dessus j’attends vos explications.

    Entre nous, sans aucunement vouloir insulter votre intelligence, je préférerai milles fois entendre celles de Nicolas Sarkozy que les votres. Mais je peux attendre, je crois…

    Béh oui. Et c’est l’autre chose qui est intéressant. Parce que dire que deux gateaux c’est mieux qu’un, même un bébé de 3 mois peut l’exprimer. Ben oui, il faut choisir, et un porte-avions, ça coûte deux cent euros par français rien qu’à construire,sans préjuger du coût d’utilisation. Vous avez envie de les payer, vous, pour un deuxième porte-avion? Vous n’avez rien de mieux à faire de votre argent? Ou vous êtes simplement un électeur français typique qui préfère toujours les démagogues qui le font vivre dans l’illusion que tout est gratuit et qu’il n’y a qu’à ponctionner, selon le cas, les riches ou les fainéants de fonctionnaires pour se l’offrir?

  5. Puis je suggerer qu’Edouard de Rothschild ferait un bon actionnaire de EADS. Notez Serge Dassault serait pas mal non plus.

    Et puis vous ne comprenez rien a la politique. Il vous manque un certain sens poétique. On l’a ou on l’a pas.

  6. Alexandre, tu sautes allégrement de dividendes à bénéfice. Autant je trouve stupide la proposition consistant à interdire de licencier aux entreprises qui font ds bénéfices, autant je trouve personnellement assez normal qu’on envisage de ne pas payer de dividendes au moment de faire un plan social.
    C’est une question assez simple de management: je dis à mes troupes qu’en raison de la situation on est obligé de faire des choix assez radicaux (encore qu’envoyer des gens en pré retraites, comme choix radical…) et je montre l’exemple en ne faisant pas de distribution de bénéfices cette année là
    Par ailleurs, dans le discours sur une augmentation de capital, on peut normalement dire dans une entreprise qui va bien, regardez je distribue et donc vous pouvez remettre au pot, et dans une entreprise qui passe un mauvais moment, j’ai besoin d’argent pour passer ce cap et donc je prends les moyens, dont le plan social et dont l’absence de distribution
    Maintenant, se poser la question de la distribution ou non de dividendes ne veut pas dire que la réponse soit automatique
    Bon mais les politiques devraient laisser les chefs d’entreprises faire leur boulot et les vaches seraient bien gardées

  7. La distribution du dividende n’a rien a voir avec la politique sociale.

    Si vous n’avez pas vraiment besoin du cash faute, par exemple, d’opportunités d’investissement intéressantes, et si vous voulez signaler votre confiance en l’avenir, vous distribuez un dividende, voire vous l’accroissez. Cela peut se faire en meme temps qu’un plan social. Un plan social ne veux pas dire que l’entreprise va mal.

    Si vous allez bien et vous avez des plans convaincants de nouveaux investissements attractifs vous pouvez conserver le cash voire faire une augmentation de capital.
    D’une facon générale l’augmentation de capital étant le mode de financement le plus couteux et, en ces temps de taux d’interets bas, on pourrait se demander si EADS ne pourrait s’endetter pour re-capitaliser Airbus.

    Dans le cas d’Airbus, la distribution de dividende par EADS, alors que la société devrait etre recapitalisée, montre tout simplement que les actionnaires "de référence" veulent reprendre leur billes pour faire des trucs plus intéressants (pour eux).

    Il est clair que ce ne sont pas les actionnaires qu’il faut pour une telle boite. Par conséquent on ferait mieux de remettre la structure actionnariale a plat et poursuivre l’entreprise avec des gens intéressés. Il me semble que c’était la première réaction de Sarkozy d’ailleurs.

    Mais si en plus il faut prendre en compte les sensibilités nationales alors on rentre dans le domaine de la quadrature du cercle.

  8. Hum… je n’ai pas bien compris votre réponse à mon commentaire…

    Je suis parfaitement convaincu qu’il faut faire des choix. Ceci dit n’importe quel candidat pourra toujours dire « Avec moi vous aurez le beurre et l’argent du beurre. » sans pour autant avoir tort. Simplement, il ne dit pas que la tartine de pain sera beaucoup plus fine.

    Mais nous sommes d’accord, alors inutile d’épiloguer.

    Oui, nous sommes d’accord effectivement. Désolé pour une réponse rédigée trop vite sous un peu d’énervement 🙂

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