Il faut espérer que la démocratie sera maligne

Cela fait un bon moment que la question de la règle d’or se pose. Il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Ceux qui sont pour sont divers. Il y a ceux qui considèrent que l’Etat est le cancer de la société. Il y a ceux qui considèrent que la dette est un fardeau pour les générations futures qu’il faut soigneusement limiter (et que l’Etat n’est pas doué pour ça). Et il y a ceux qui pensent que la dette, au fond, on s’en fout, mais que comme des tas de gens ne s’en foutent pas, il faut se résigner à encadrer les déficits et la dette par une règle. De l’autre côté, on a aussi deux tribus. Il y a les benêts qui pensent que relancer en permanence est toujours bon (et donc que plus de dette est toujours bon). Et il y a ceux qui pensent que compte tenu de la logique de la stabilisation conjoncturelle et de l’imperfection des règles budgétaires (Henri Sterdyniak a pondu quelques articles de synthèse de très bonne qualité sur le sujet), une règle, constitutionnelle qui plus est, est une très mauvaise idée. Comme vous l’avez remarqué, les deux camps et leurs tribus respectives s’écharpent depuis deux ou trois ans.

Eh bien, la tendance étant au hollandisme, je fais la synthèse. On a deux problèmes actuellement. Nous (les pays développés, zone euro ou non) sommes structurellement en récession, parce qu’une crise bancaire, c’est grave. Donc, les mesures d’austérité simples mènent au désastre à 99 chance sur 100. En même temps, les taux d’endettement atteints, ce n’est pas une grande nouvelle, rendent les marchés nerveux. Donc, la règle, à un moment ou un autre, on ne peut pas y échapper. Le truc qui vous lie les mains aux yeux des agents économiques me semble indispensable. Mais si la démocratie n’a pas un canif planqué pour couper la corde, on est mal (non, mais… genre en 2025 ou même 2018, on sera encore sous un régime imparfait et désormais inadapté ?). Vous allez me dire que les marchés sont malins et verront le canif. Peut-être. Si la ficelle n’est – paradoxalement – pas assez grosse… Sinon, ils feront semblant de ne pas le voir, se disant que certains points sont assurés à moyen terme. Car, fondamentalement, compte tenu de leur schizophrénie entre court terme et long terme, les marchés ne moufteraient probablement pas. Au contraire ! La perspective, si le balancier penchait trop vers la récession, de défaire les liens pourraient les rassurer. Ce qu’il manque, notamment à l’Europe, c’est ce que Dani Rodrik a joliment appelé “imagination fiscale”.

PS : Et ce qui me fait rire, c’est que je vais me faire engueuler par tout le monde, du coup…

19 Commentaires

  1. Merci pour cet éclairage utile.

    A priori la tribu "qui pensent que la dette, au fond, on s’en fout, mais que comme des tas de gens ne s’en foutent pas, il faut se résigner à encadrer les déficits et la dette par une règle" ne devrait pas vous engueuler. A vrai dire, je soupçonne même que vous apparteniez à une sorte de sous-tribu de cette tribu (ceux qui, en fait, ne s’en foutent pas totalement de la dette…).

    Réponse de Stéphane Ménia
    Oui, c’est sûr. La référence, c’est Wyplosz ou Delpla, que je n’avais volontairement pas cités. Sauf que dans les articles discutant de la règle, leur discours est sans équivoque : il faut absolument une règle stricte. Quand on lit le détail, les modalités qu’ils proposent sont plus souples. Et leurs prises de position sur l’inanité des politiques d’austérité prolongent. Donc, si on distingue leurs écrits, ils sont pro règle. Si on mixe, ils ne disent pas haut ce qu’ils pensent tout bas. Moi, je peux me le permettre, ma parole n’a pas leur poids médiatique et politique…

  2. Il faudrait déjà définir ce qu’on entend par "règle d’or" qui peut prendre des formes très diverses. Le pire serait une règle absurde menant à des politiques pro-cycliques. Mais certaines peuvent être plus intelligente, permettre les déficits conjoncturel en obligeant ensuite des surplus en période de croissance. Bref la philosophie ‘balance the budget over the business cycles’.

    Un autre aspect est la spécificité de la zone euro, dont la politique monétaire est pour le moins contestable, sinon contestée. Se lier les mains sur la politique budgétaire quand on sait qu’on a une banque centrale qui viendra à la rescousse si besoin et qui travaillera étroitement avec le gouvernement (Suisse, Suède…), c’est une chose. Quand on a un Trichet aux manettes, c’en est une autre.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Clairement, il n’y a pas une règle mais des règles. Aucune ne pouvant satisfaire tous les objectifs. Et oui, le débat doit être remis en perspective dans le cadre du jeu BCE-Etats. Ce qui ne me semble néanmoins pas modifier la conclusion.

  3. Etant donnée la volatilité du texte constitutionnel ces dernières années, on pourrait presque dire qu’une règle constitutionnelle ne constitue pas un lien, ou alors que le canif est toujours visible tant il est peu réaliste de raisonner à droit constitutionnel constant. J’exagère un peu, mais pour moi le vrai lien ne peut être que directement européen et contrôlé par Bruxelles+Luxembourg.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Pour ce que j’en sais, tout à fait d’accord.

  4. N’ai-je pas entendu quelque part que ce qui importe en matière de dette publique, c’est la dynamique et pas le taux rapporté au PIB? Si la croissance est forte et que la dette fond, "les marchés" s’en foutent que l’État soit endetté à hauteur de 50% ou 247,2%. Ah, si seulement on pouvait avoir une règle d’or pour limiter la connerie en politique…

  5. et comme nous avons maintenant la possibilité de mettre la règle dans une loi organique, on a un canif à portée de main (et c’est tant mieux).

  6. OK d’accord (surprise; surprise…) : pour une organisation bien gérée, le taux d’endettement pris isolément ne veut pas dire grand’chose ; on ne peut juger que l’ensemble formé par sa structure financière et ses programmes, notamment d’investissement. Et 0,5% du PIB, c’est vrai que c’est pas beaucoup

    Seulement voilà, les États ont largement fait la preuve de leur incapacité à gérer correctement leurs finances. Il faut donc leur imposer des contraintes plus ou moins arbitraires, de la même façon que vous ne confieriez pas votre carte de crédit à un môme, alors que pour vous et moi avoir une carte de crédit est plutôt un bien. En ce sens, la soi-disant "règle d’or", c’est toujours mieux que rien, mais ça n’est pas suffisant.

    Le problème, c’est justement que le canif est trop visible et trop facile à utiliser, comme on l’a vu dans le passé. IL faudrait quelque chose de vraiment contraignant, n’en déplaise aux bisounours qui pensent que l’État agit toujours pour le plus grand bien des citoyens et doit avoir les mains libres pour le faire. Il faut en effet espérer que la démocratie sera assez maline… pour trouver ce verrou inviolable.

  7. Merci pour cette intéressante description des tribus. Cela me donne envie de poser une question naïve que je vois rarement traitée dans les articles accessibles aux béotiens (dans le style "tout ce que vous avez toujours voulu savoir…) : comment se fait-il que "les marchés", à ce qu’on nous dit, exigent des pays fortement endettés des mesures d’austérité dont ils savent forcément qu’elles entraînent un risque de récession, donc plus de dette? (accessoirement et puisque j’en suis à poser toutes les questions stupides : le risque de ne pas pouvoir rembourser est-il réellement plus élevé pour la France que pour l’Allemagne, et sinon pourquoi cet écart des taux?)

    Réponse de Stéphane Ménia
    Parce que, grosso modo, tant que la situation n’est pas critique mais commence à susciter des craintes si la tendance sur la dette se prolonge, il vaut mieux une récession pour un détenteur de titres qu’un accroissement de la dette. Tout en sachant que si la récession est spectaculaire, on revient au même point : une dette qui se creuse et un risque de défaut croissant. D’où la schizophrénie que j’évoque.

  8. Bon admettons qu’une regle constitutionnelle ait une quelconque valeur (apres tout si on peut rajouter une regle, onpeut l’enlever aussi, que ca soit dans la constiution ou ailleurs, je vois vraiment pas ce que ca change).
    D’une je vois pas en quoi ca sert a grand chose (Ils sont pas foutus gerer le budget depuis plus de 30 ans, ca va pas changer avec qqs lignes de plus sur un bout de papier)
    De deux, il se passe quoi si (comme d’habitude) ils se plantent. On dissout le gouvernement ? (pour le remplacer par leurs tout aussi incompetent collegues) On ne paye pas les fonctionnaires ? On supprime le budget education? (comme en Espagne, histoire d’avoir des gens encore plus facilement manpulable pour un futur dictateur ?). Non franchement je vois pas. Le budget d’un etat n’etant pas reelement si variable que ca d’une annee sur l’autre, alors que les rentrees d’argent ne dependent pas que de celui ci (on est dans une economie mondialisee), cette regle est franchemnt non seulement illusoire, mais en plus inutile (ils peuvent faire comme si elle etait la, que je sache)

    Puis ca ne resoudra pas le probleme reel qui est la sur consommation de matiere premiere….(et ca il va falloir se prendre le mur pour que les gens comprennnent que la croissance, c’est fini…)

  9. La dette rapporte par l’interet qu’elle génére en effet, mais surtout par la soumission aux preteurs qu’elle provoque. Une fois trés endetté, qu’il est difficile d’emprunter sur les marchés, on est obligé de se soumettre aux volontés de nos prèteurs. Libéraliser le marché, réduire la présence de l’Etat dans l’économie. Par cette regle d’or, les preteurs cherchent à limiter le champs de l’ETat dans l’économie.

  10. "il vaut mieux une récession pour un détenteur de titres qu’un accroissement de la dette. ‘

    pourquoi ? j’ai du mal a comprendre

    Réponse de Stéphane Ménia
    ” il vaut mieux une récession pour un détenteur de titres qu’un accroissement de la dette. Tout en sachant que si la récession est spectaculaire, on revient au même point”

  11. le prix Nobel d’économie Paul Samuelson expliquait ceci :

    « Je pense qu’il y a un élément de vérité dans l’idée selon laquelle la superstition que le budget doive être équilibré en tout temps [est nécessaire]. Une fois [que cette superstition] est disséquée [cela] enlève l’un des remparts que toute société doit avoir à l’encontre de dépenses hors de tout contrôle. Il doit y avoir une discipline dans l’allocation des ressources, sinon c’est un chaos anarchique et une absence d’efficacité. L’une des fonctions de la religion traditionnelle était d’effrayer les gens – par ce qui pourrait être considéré parfois comme des mythes – afin qu’ils se comportent de la manière qu’exige la vie civilisée. Nous avons aboli la croyance en la nécessité intrinsèque d’équilibrer le budget, si ce n’est à chaque année, [au moins] sur chaque période à court terme. Si le Premier ministre Gladstone revenait à la vie, il s’exclamerait « Oh, qu’avez-vous fait ? » et James Buchanan s’exprime ainsi. Je dois dire que je vois un certain mérite dans cette opinion. »

    contreinfo.info/article.p…

  12. D’un autre côté, est-ce qu’on ne peut pas voir les problèmes de la zone euro comme la faillite d’un de ces dispositifs censés résoudre les problèmes de cohérence intertemporelle? Au cours des premières années de son existence, la zone euro a été attractive (et l’est toujours comme en témoigne l’adhésion de l’Estonie) parce qu’elle rendait extrêmement difficile des dévaluations ultérieures.
    Aller plus loin dans cette voie fait quand même un peu frémir.

  13. "Ce qu’il manque, notamment à l’Europe…" … est dans le titre.
    L’article en vient naturellement à poser la problématique politique au niveau européen. On le sait, la question de la règle d’or se pose désormais en raison de l’exigence de ratifier le traité européen voulu par Angela Merkel, le Pacte Fiscal, aujourd’hui appelé Pacte de stabilité et de croissance, que la chancelière allemande a poussé dans les institutions européennes depuis le déclenchement de la crise de la gouvernance politique de l’Union Européenne en Grèce, il y a plus de deux ans.
    Oui mais voilà, la démocratie, en Union Européenne, il n’y en a pas.
    A ce sujet on notera que Hollande devra ratifier le Pacte de stabilité et de croissance en l’Etat, sans même en changer un mot de la traduction de l’allemand en français, alors qu’il s’est fait élire sur un programme qui exigeait une renégociation de ce traité.
    Et pour en revenir au tire, on ne peut même pas espérer, pour faire plus court, que la démocratie sera.

  14. Faut pas voir la règle dans une perspective Franco-française, avec une démocratie qui se lie les mains, mais pas trop, en fonction de la croissance nationale. Il faut la voir dans une perspective européenne, pour éviter aux Etats de jouer chacun les "too big to fail" sans aucune obligation prudentielle (on devrait d’ailleurs être beaucoup plus stricts au niveau national vis-à-vis des collectivités locales).
    C’est une mesure indispensable pour éviter les dérives actuelles (car la crise est une crise des dettes avant même d’être une crise bancaire, non pas chronologiquement mais par ordre d’importance structurelle). Ceci étant dit, aujourd’hui le mal est fait et les marchés doutent profondément que les Etats pourront rembourser la montagne de dette qu’ils ont accumulée. Tant qu’il y a incertitude sur qui va vraiment payer, nous serons dans le marasme, la règle d’or n’est qu’un petit bout de la solution.

  15. La démocratie, c’est très beau, mais ça ne peut pas empêcher les actes (même économiques) d’entraîner leurs conséquences obligées, ni de faire que les conneries n’en soient pas.
    Ce qu’on pourrait espérer de mieux, c’est que la démocratie ne donne à personne le pouvoir de faire des conneries au nom du bien des peuples. Hélas, c’est exactement le contraire.

  16. Elvin : on peut remplace "démocratie" par "vie" dans votre dernier commentaire et "du bien des peuples" par "de sa gueule" (ou par rien), c’est au moins aussi pertinent et ça fait tout autant avancer le merdier.

  17. J’écoute, je lis, je réfléchis et je propose.
    Avons-nous un but commun ? Votre but serait d’équilibrer ou de permettre aux marchés ou de faire semblant de croire ou de ???
    Mon but est que les vivants survivent aux pillages, dépeçages, asservissements, pollutions, surexploitation, etc., par les systèmes, entreprises, vitrines, modèles, idéologies etc., et que les êtres humains se souviennent qu’ils ont vocation à la liberté. Comme j’ai constaté que personne ne mettait en question l’argent et que la majorité en fait le centre de l’économie, je souhaite son abolition. Au même titre que nous avons aboli la peine de mort et l’esclavage.
    Je veux un monde équitable. Au début du XXI, avec toutes les techniques d’autrefois, connaissances, technologies, recherches, désir d’un monde où la paix et l’harmonie habitent, la disparition de l’argent est la pierre de fondation. Car il nous faut apprendre à vivre autrement. Non pour un retour sur investissement mais pour le bénéfice de ceux qui ont encore des besoins. Il est urgent d’écouter ceux qui ont des besoins, les politiques ne s’en occupent pas. Je crois même que les politiques ne veillent qu’à faire semblant. Or, vous savez comme moi, que nous avons changé d’époque. Que nos modes d’expression ou d’exigence éthique sont différents: il est temps de changer l’économie. Notre but est un partage des richesses et ressources tant matérielles que spirituelles pour tous les vivants. Pas questions de se laisser impressionner par des institutions, structures, et autres constructions légales. L’être humain est celui qui dit ce dont il a besoin et les structures, systèmes, et autres personnes morales s’emploieront à combler ce besoin. Car un besoin est une exigence pour celui qui l’éprouve. Il lui appartient de définir le plus clairement possible de quoi est fait ce besoin, (mais ce n’est pas de la consommation !). C’est de ‘ordre du vital.
    Il est temps de donner un sens à nos efforts collectifs des siècles précédents, et cela ne concerne pas uniquement les pays développés, ou en voie de, mais la terre entière. Et plus question d’accepter qu’il y ait des privilèges, des clubs, des prérogatives, nous sommes dans le même bateau et nos enfants ont le droit de devenir parents s’ils le souhaitent.

  18. Pour moi, l’économie est un système qui doit apporter, dispenser à tout l’organisme ce dont il a besoin pour fonctionner correctement. L’économie actuellement est totalement étrangère aux êtres humains. Elle peut les occuper, mais elle ne leur apporte, ni dispense ce dont ils ont besoin. Tout au plus, ça les occupe, distrait. Je la trouve débile.
    Comme ce qui m’importe c’est le bonheur et la santé de chacun, aussi bien celui des occidentaux que ceux du reste du monde voilà deux projets très différents.
    Le premier consiste à faire en sorte que l’être humain ne soit plus otage de la finance. Pour cela, on donne un revenu de base inconditionnel à tout habitant de la planète, sans discrimination. Il y a déjà plusieurs propositions il suffit de chercher avec votre moteur de recherche. Vous trouverez même des films expliquant comment on peut s’y prendre.
    Le second qui a toutes mes faveurs, c’est de rendre carrément le monde libre et gratuit. Libre de toute politique, nous n’avons pas besoin de l’État, puisque l’État est la courroie de transmission du capital. Comme celui-ci est entrain de détruire ce qui est vivant ou du moins de l’asservir, nous n’avons nul besoin d’une telle institution même si elle est légale, elle n’est pas légitime puisqu’elle détruit notre empathie naturelle pour nous transformer en concurrent : c’est débile. De plus, chaque être humain est porteur d’un projet et il n’y a aucune raison que ce soit les "personnes morales"(outils légaux) qui dominent les personnes physiques.
    Gratuit signifie que chaque besoin sera comblé gratuitement. Si on a des envies, il faudra prendre les moyens de les satisfaire ou de s’en passer. Ainsi, chacun découvrira que la liberté est bien l’expression de "La Dignité" de l’être humain, ce qui fait sa valeur. Alors qu’actuellement, l’argent aliène les humains et ils sont obligés de se prostituer pour pouvoir manger!

  19. @VilCoyote
    Ça me semble pourtant très utile de rappeler qu’être élu avec 51.6% des voix (ou 65%, ou 90%) ne transforme pas quelqu’un, qu’il soit de gauche, de droite ou d’ailleurs, en un surhomme infaillible libéré des contraintes élémentaires de la logique, de la physique et de l’économie.
    J’irai même jusqu’à dire que plus ce quelqu’un a recueilli de voix, plus il est dangereux, justement car il va se prendre pour le sauveur et se croire tout-puissant. C’est l’un des paradoxes de la "démocratie" telle que nous la pratiquons en France.

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