Vent de panique et de précipitation oblige, il faut des profs. Vincent Peillon trouve opportune l’idée de rappeler des retraités de l’Education nationale pour encadrer les jeunes enseignants. Il est très clair, pas question de les employer en tant que remplaçants. Tu m’étonnes… Je te dis pas l’aléa moral ! N’empêche : interrogations, controverses, blablabla.
La réaction des syndicats n’a pas tardé. Ils sont plutôt contre, ou du moins pas pour. Enfin, faut voir pour certains, c’est niet pour d’autres. Té, tu parles, entre la nécessité d’être en désaccord avec ce qui ne crée pas des poste ou n’améliore pas les conditions de travail (un point sur lequel ils ont une expertise énorme, tout le monde le sait) et l’érection sous Viagra que donne la perspective de 60 000 nouveaux postes (proposition connue, avec laquelle je ne suis pas en opposition frontale, je précise), pas étonnant de les voir dans pareille posture.
Mais leur argument, tel que rapporté par France 2 est très intéressant. Je rapporte les propos cités : il est impensable de faire appel à des enseignants retraités, car ce métier est épuisant et la retraite méritée. Et puis, ça doit pas devenir de faux postes.
Fabuleuse rhétorique à triple tiroir potentiel (et je ne les blâme pas forcément). Il semble évident qu’on ne sortira pas de force des vieillards de leur retraite. C’est donc sur la base du volontariat que s’opéreraient les affectations. Évidemment, certains retraités en situation financière compliquée pourraient être tentés de venir faire le job juste pour l’argent. Mais je pense que ce serait une infime minorité. L’express suggère, avec certains syndicats (mais pas tous), qu’il pourrait s’agir d’un ballon d’essai. Y entendre : un système amené à perdurer, au détriment de la création de nouveaux postes rémunérés à un taux normal. Je suis d’accord avec le SNES qui considère que si cela permet une transition, pourquoi pas ? Mais le syndicat ajoute qu’il s’agirait de donner des décharges horaires à des enseignants à un an de la retraite. Concrètement, donner des décharges à des enseignants à un an de la retraite, c’est tout simplement supprimer des heures devant élèves réalisées par des enseignants expérimentés. On les remplace par qui, syndicalistes adorés ? Personne ne vous a parlé des problèmes de recrutement, qui seront la hantise de Peillon dès début 2013 (si ce n’est déjà le cas) ? Alors, de ce point de vue, rappeler de frais retraités pour les mettre face à un public de jeunes profs heureux de les voir et plutôt disciplinés dans l’ensemble (enfin, ça dépend…), eh bien, ce n’est pas si stupide en termes d’allocation des ressources. Et, pour des volontaires, pas fatigant pour un sou ; ce pourrait même être une chance incroyable de quitter pour de bon ce métier avec le sentiment d’y avoir été utile pendant ses dernières années.
Mais, et c’est finalement l’objet profond de ce billet (pas aussi profond que les Econ Chuck Norris Facts, mais…) : et si tout cela n’était pas une façon d’empêcher les retraités de l’IUFM de revenir à l’IUFM ? Vous allez me dire “Bah, c’est parfait ! Les formateurs forment à nouveau !”. Enfin, ça dépend. Je voudrais d’avance m’excuser auprès des enseignants ayant professé à l’IUFM avec efficacité, sérieux, modestie et simplicité (il y en avait) s’ils considèrent que ma généralisation est hâtive. Mais, tout de même… chers collègues, vous étiez flanqués d’une sacrée bande de bras cassés, planqués, fatigués des élèves (les vrais), arrogants et prétentieux derrière leur jargon pseudo-pédagogisant sans aucun fond. Non ? Allons, allons… C’est de notoriété publique et votre serviteur vous le confirme au travers de sa lunette personnelle (tiens, au fait, quelqu’un a déjà fait un skectch sur l’IUFM ?). J’ajoute que, dans le primaire, j’ai cru comprendre que la situation était moins, voire nettement moins critique que dans le secondaire (mais j’ai des données limitées, peut-être que non…). Bref, l’IUFM (au moins dans le secondaire), c’était de la merde noyautée par des bouffons aux postes clés (même à un niveau administratif assez élevé à l’IUFM, certaines personnes pouvaient être de simples placardisés ; j’en ai rencontré un). Je pourrais raconter des épisodes qui relèvent du totalitarisme (sans le goulag ou les camps, mais sur le fond, la philosophie était la même, mais heureusement limitée par le caractère démocratique de nos institutions) et de la bassesse humaine à l’état pur (je n’en ai pas été victime mais témoin) que je n’ai jamais revus depuis dans l’institution. Mais, n’ayant pas investigué pour savoir si le phénomène était plus général, je m’abstiendrai. En fin de compte, si ce qui motive la réticence des syndicats est la crainte de voir revenir ces boulets dont on pensait être débarrassés, mes chers représentants, je vous soutiens. Je comprends néanmoins qu’il soit difficile pour vous de le dire ouvertement…
Cela paraît anodin, mais ne l’est pas. Mon hypothèse est la suivante : si la majorité précédente a pu réformer supprimer avec autant de facilité la formation des enseignants, c’est parce que personne n’a véritablement éprouvé de tristesse en voyant disparaître les IUFM (à part ceux qui la quarantaine passée pensaient y finir leur carrière en bullant). On est en pleine économie politique. Le raisonnement qui suit se base modestement sur le schéma général du Public Choice et de la nouvelle économie politique. La décision de fermer les IUFM est une décision d’ordre économique dans ses fondements (l’objectif est, en principe, de réformer, d’économiser, d’accroître la productivité et l’efficacité du système scolaire). Mais, comme la plupart de ces décisions, elle est soumise aux contraintes politiques : le lobbying, le marché électoral (les manifs de rue, quoi…), le pouvoir des technocrates. En l’occurrence, du côté du lobbying et du marché électoral, le bilan calamiteux des IUFM a, toujours selon ma thèse, conduit à une résistance quasi proche de zéro. Bien sûr, à juste titre, des voix (y compris hors planqués) se sont élevées pour s’inquiéter de la disparition d’une année de stage effective laissant le temps aux débutants de s’acclimater à leur métier, en étant encadrés par des collègues plus expérimentés. Mais, c’est encore mon hypothèse, si l’alternative était le statu quo ou une voie nouvelle hasardeuse, un consensus s’est dégagé autour de la voie hasardeuse. Pas de mobilisation et, pour beaucoup, le sentiment que s’élever pour défendre des parasites en même temps que la formation des enseignants, n’en valait pas la peine à côté d’autres enjeux en cours. La voie hasardeuse, le gouvernement l’a prise sans retenue, avec comme seule ambition de faire des économies. Normal, on va pas raquer pour des gens qui font un faux travail, non ?
En d’autres termes, l’absence d’une formation digne de ce nom à ce jour pour les enseignants est effectivement le fruit de la volonté d’une majorité qui en dix ans d’exercice du pouvoir n’a jamais pensé qu’en termes comptables les enjeux de l’éducation nationale, là où la question de la productivité (non, ce n’est pas un gros mot synonyme de néotaylorisme) était la vraie problématique (d’un point de vue strictement économique, s’entend et être productif n’est pas incompatible avec le fait d’avoir une belle école). Mais c’est également la conséquence des errements passés, qui ont conduit les instituts universitaires de formation des maîtres à donner à des gens, qui ne le méritaient pas souvent mais s’en gargarisaient, un statut universitaire. Alors, oui, on peut rappeler des retraités volontaires, mais attention à qui.
PS : je me gausse à l’avance des défenses ringardes et pitoyables des IUFM que certains pourront souhaiter formuler en commentaire. Ne m’obligez pas à aller chercher dans les tréfonds de l’absence d’oubli numérique d’Internet.
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Houla, c’est du lourd aujourd’hui, ça va déclencher des réactions. Accroche-toi bien Stéphane, le shitstorm est pour très bientôt.
Réponse de Stéphane Ménia
Ou pas. On a des surprises parfois. Enfin, j’ai mis mon ciré…
Il paraît qu’au CNED, c’est encore plus des bras cassés dont on ne peut absolument rien faire (même pas les envoyer comme formateur IUFM). C’est pas pour dire, mais les oeuvres sociales pour parasites (si encore on les payait à rester chez eux pour éviter de les avoir au milieu, mais non, on met des agrégés compétents en TZR !), ça me gonfle un peu. Je veux pas faire mon libéral de base qui paie beaucoup d’impôts tout ça, mais quand même. Depuis que je suis à la fac, j’en ai repéré pas mal qui vivent sur leur rente des 20 minutes d’entretien d’il y a 40 ans, et qui mériteraient d’avoir les pieds scellés dans du bétons et jetés dans le premier port ; ou à défaut, simplement virés. Et non seulement ils coutent cher, mais ils sévissent en plus…
À part ça, je me suis toujours demandé pourquoi jamais un seul informaticien n’avait pu enseigner l’informatique au lycée. Mais bon, vaut mieux filer le job à un prof de maths qui fait ça sur ses dimanches aprem’, c’est bien connu… (ou supprimer la matière tous les 5 ans)
Trois remarques :
1) les IUFMs existent toujours, n’ont perdu ni locaux, ni personnels : juste 50% de leurs missions puisqu’ils conservent l’enseignement primaire, et donc, toute leur capacité de nuisance.
2) Le jour où il sera rentable d’apprendre aux enseignants leur métier, le privé le fera : comme pour tous les autres métiers autrement plus sensibles partout dans le monde.
3) Les rectorats ayant l’habitude de ballader d’un bout à l’autre de la région leurs supplétifs je me demande comment ils feraient avec des retraités qui s’y refuseraient probablement.
C’est marrant mais vous lire donne une base concrète à des soupçons de parent d’élèves au collège. Si tout cela pouvait vraiment aider les jeunes enseignants à soutenir, à leur tour, la notable proportion d’élèves plus ou moins largués par le système on aurait déjà fait un bon pas.
L’embarras de la nouvelle majorité avec les IUFM est réel. Et au fond, je suis sur que certains partisans de la formation des profs se sont réjouis de leur suppression en espérant que la gauche reconstruise quelque chose de plus efficace derrière.
Par contre, si le but de votre billet est de faire partager certaines idées, alors le ton à la limite de l’outrance en fait baisser la productivité. Si aussi pour se défouler, alors ça peut se comprendre.
Aussi, l’abus de mots en gras est pénible pour le lecteur. On dirait presque un billet de Georges Ugeux sur lemonde.fr. En moins nul.
Réponse de Stéphane Ménia
Je fais régulièrement dans l’outrance, j’avoue. Mais ce n’est pas forcément un défoulement (ici, par exemple, ce n’est pas le cas). Hélas, du coup, je suis contraint de mettre du gras pour souligner ce qui importe vraiment, à mon sens… 🙂
Pour revenir au sujet, les 60 000 postes m’apparaissent de plus en plus comme une décision tactique similaire. Si, bien utilisés, ils peuvent être efficaces en soi, leur intêret est ailleurs. Cela donne au gouvernement un moyen de pression formidable pour faire passer des réformes éducatives désirables sans être accusé de "brader l’école". Les syndicats enseignants ne pourront pas se permettre de rejeter un package réformes+moyens après avoir tant réclamé ces postes.
A voir ce qui en sera fait, mais c’est potentiellement une des mesures politiques les plus géniales depuis longtemps.
NB: je sais bien que c’était à la base motivé pour des raisons électorales mais maintenant c’est là et autant en tirer le meilleur.
Enseignant dans le primaire, je peux témoigner de la profonde indigence de ma formation IUFM en 1998-1999.
Nombre des formateurs étaient incompétents ou glandeurs voire une combinaison des deux.
La formation laissait de côté des aspects fondamentaux de l’enseignement: gestion d’un groupe, choix des supports, approche des troubles dans l’apprentissage, législation et j’en passe.
A l’IUFM je jalousais mes collègues du secondaire qui ne subissait cela qu’une unique journée par semaine !
Tous les témoignages que j’ai pu entendre au sujet de l’IUFM (dans le secondaire) concordent hélas avec ce qui est dit ici. Je puis ajouter que l’équivalent de cette institution pour le supérieur (les CIES) n’est pas davantage défendable, pour le même genre de raisons.
Je partage le diagnostic. Si l’IUFM n’a pas été davantage défendu, c’est qu’il était indéfendable.
J’ignore dans quelle mesure il serait effectivement possible de mettre sur pied une véritable formation pour les professeurs stagiaires (il y aurait beaucoup à dire également sur la formation continue), mais le moins que l’on puisse dire est qu’entre planque, placardisation et omniprésence d’une vulgate issue des sciences de l’éducation et d’une réserve infinie de «bonne volonté» au sens le plus funeste de ce terme, on n’en a jamais pris le chemin.
"Les syndicats enseignants ne pourront pas se permettre de rejeter un package réformes+moyens après avoir tant réclamé ces postes"
Ouarf. C’est marrant, parce que c’est juste ce qui vient d’arriver dans "notre" école. La direction de l’école, sur l’influence d’un truc qui s’appelle CDEN, a refusé un package "fusion primaire/maternelle + un demi-poste de direction" (dans une école à 12 postes, c’est pas rien). Le motif du refus de la fusion est obscur, en gros "parce que c’est la droite qui l’a proposé donc c’est mal". Donc on peut parfaitement refuser des packages….
(En l’occurence, pour compléter l’histoire, c’est en partie un epic fail tactique : le CDEN a refusé par principe, en pensant que le rectorat passerait outre et imposerait la fusion, ce qui permettait de récupérer le poste, ET de gueuler contre le vilan gouvernement anti-école et la casse du service public et le manque de concertation et le mépris des usagers gnagnagna. Sauf que la majorité a changé entre temps, et du coup bêtement le rectorat a écouté l’avis du CDEN, et renoncé à la fusion comme au poste. C’est ballot…)
Sinon sur le fond, je pense en effet que les IUFM n’ont pas trouvé grand monde pour les défendre, et que entre un an de formation IUFM et rien du tout, pas mal de gens se sont dit que finalement, la différence n’était pas énorme (voire que rien du tout serait plutôt un progrès….).
Dans les détails, c’est pas tout à fait vrai. On a eu droit à quelques superbes mangeages de chapeau, où les collègues naguère les plus remontés contre les IUFM se sont tout à coup mis à les défendre bec et ongle; revenant de 5 ans à l’étranger, j’ai eu du mal à comprendre pourquoi les IUFM, qui étaient des Vilains(tm) avant mon départ, étaient devenus entre temps des Gentils(r)…
Just spot on!
Spot on!
Que voulez-vous dire quand vous parlez de suppression des IUFM ? Parce que dans certaines académies, du moins, ils n’ont pas fermé. Dans les faits, une large part de la formation des professeurs stagiaires continue de se dérouler à l’IUFM (même si les heures ont été allégées), avec les mêmes boulets qu’autrefois. Par ailleurs, les Master "éducation" qui ont été créés pour la mastérisation se déroulent très souvent à l’IUFM (devinez avec qui…). J’ai donc un peu de mal à voir où des économies ont été faites ; et à part alléger le travail de formateurs qui n’étaient déjà pas surmenés, je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu des mutations majeures sur le sujet ; si ?
Par ailleurs, il faudrait vraiment que le nouveau gouvernement s’interroge sur ce que signifie former des professeurs, et la manière dont on peut le faire. Quand on saura ce que l’on veut apprendre aux jeunes (ou futurs) profs, on aura sans doute une idée un peu plus précise des moyens qu’il faut y allouer. Parce que pour l’instant, la vacuité règne… Et cette vacuité prend du temps (aux apprentis profs) et coûte cher (au contribuable).
Réponse de Stéphane Ménia
Je voulais parler de l’année de PCL2. Il y a quand même un paquet d’heures qui ont dégagé. Donc des gens avec (des retraités non remplacés par exemple). Ce serait à vérifier dans le détail. Mais la plus grosse économie ne porte pas sur ces heures… Elle consiste à mettre des stagiaires devant des élèves deux ou trois fois plus qu’avant. Et ça, ça chiffre bien. CQFD.
Par ailleurs, c’est peut-être une impression, mais j’ai le sentiment que l’offre de formations au PAF s’est sérieusement réduite. Or, c’est à l’IUFM que ça se passe. Quoi qu’il en soit, si la question est de remettre des formateurs devant des profs stagiaires, il ne faut surtout pas que ça se passe comme avant.
J’ai toujours ete etonné que la formation des professeurs, comme celle des medecins d’ailleurs, ne commencait pas par une entretien de motivation et une periode d’apprentissage en alternance.
J’avoue que je ne comprends pas pourquoi ces emplois sont attribués sur la base de concours, puis de performances, academiques.
Il me semble que l’on pourrait par exemple envoyer les meilleurs professeurs la ou ils sont le plus utiles, les zones difficiles, avec de petites classes, et un stagiaire comme repetiteur, ce qui lui permettrait d’apprendre son metier.
Ceci dit, je m’en fous, je sais aussi bien qu’un prof comment naviguer le systeme pour mes enfants.
@merlin. La formation en alternance est le principe même des études de médecine, fac+hosto. Après concours, il est vrai et le système de l’ECN amène certains à négliger la formation hospitalière, c’est vrai aussi. Un réflexion est en cours pour remplacer l’accès "sec" par une présélection, je ne connais pas le détail (procédure post-bac ou post- première année de fac par exemple).