Donc, Philippe Marini a trouvé un chiffre. 35 000. Le nombre d’expatriés de 2011. Il nous explique que ce chiffre l’interpelle. Après avoir soigneusement précisé qu’il était difficile d’isoler un facteur déterminant parmi les causes possibles de cette hausse pour 2011, il conclut, non sans évoquer l’effet “chars de l’armée rouge sur les Champs Élysées”, que “Le départ des contribuables traduit une perte de confiance, voire un rejet de la France”. Franchement, pas de quoi lui en vouloir. Pour un gars qui est dans l’opposition, la sortie est finalement assez soft et presque mesurée. En apparence, celle de Nicolas Doze, l’est aussi. Mais non, en fait.
Tout commence normalement… Il faut être prudent avec le chiffre, on ne sait pas vraiment, blablabla. Et puis, finalement, on retient que “le seul truc intéressant” c’est que c’est un chiffre en forte hausse par rapport aux années précédentes (de combien d’ailleurs ?). Et que, 2011, c’est l’année où on va “commencer à matraquer sur l’impôt sur le revenu et sur le capital” et “on peut se dire qu’il y a peut-être un petit lien”, etc. Stéphane Soumier s’énerve alors, arguant que l’expatriation peut être une excellente nouvelle, si elle traduit une ouverture plus grande des jeunes Français diplômés, le développement des firmes à l’international, etc. Doze lâche l’affaire à ce moment là, allant même jusqu’à nous offrir un hilarant “Oui, Marini fait de la politique”, sous-entendu “pas moi”. Il n’empêche qu’au final, il n’a fait que de la politique pendant 3 minutes, sous couvert d’expertise.
Les motifs d’expatriation sont variés. Les raisons d’une variation de l’expatriation le sont donc autant. Chercher une tendance sur une année est absolument absurde. A l’échelle de 35 000 personnes, un chiffre faible et susceptible de conduire à des biais d’échantillon important, ça l’est encore plus. Un rapide survol de l’infographie proposée par le Nouvel observateur en avril dernier, montre que les variations (pour 2012 et seulement pour les jeunes, ce qui est un cas différent) quant à la destination, rendent l’exploitation d’une intuition sur le facteur déterminant totalement vaine.
Je précise à ce stade que les données ne sont pas les mêmes (souvent issues du registres – incomplet – des Français établis hors de France). Mais cela n’a aucune importance, puisque, contrairement à certains, je n’ai absolument pas l’intention de dire, à partir de données totalement inexploitables, si les impôts font fuir les gens. Il s’agit seulement de rappeler qu’on ne fait pas de régressions statistiques à partir de séries chronologiques aux données carrément incomplètes, pour ne pas dire tout simplement ridicules :
– sur un ou deux points. Ah, ben, en 2010, c’était plus bas, oulala ! Vite, on sort Excel et on fait une régression en bonne et due forme (avec une variable, le temps… ah ah ah). Tenez, je suis sympa, je vous l’ai royalement faite avec 3 années. Je peux vous annoncer que le nombre d’expatriés sera de 45 000 en 2020. Comment ça mon R² est tout pourri et ça veut rien dire ? Ben eh… Ne vous plaignez pas, si j’avais gardé que 2010 et 2011, la France serait vide d’ici 2040…
– avec une seule variable explicative et des tas de variables plus ou moins omises ostensiblement dans le message qui doit passer. Non, la hausse de la pression fiscale mesurée ou anticipée n’est pas forcément le seul facteur qui a induit, même en 2011, un plus grand nombre d’expatriations. Vous trouvez cela trivial ? Vous avez raison, mais mieux vaut le rappeler encore une fois. Tenez… à ce compte là, j’ai la VRAIE explication pour 2011. La hausse du prix du champagne anticipée par les Riches pour 2012 les a conduits à quitter la France pour accroître leurs revenus en prenant des jobs plus risqués (et mieux rémunérés) à l’étranger (chasseur de primes, dresseur d’alligators, etc.). Un effet revenu classique.
– sans tenir compte de la taille de la population étudiée et sur le fait que pour des raisons x ou y qui n’ont rien à voir avec aucune des variables explicatives de l’expatriation, 2011 a pu enregistrer une hausse des expatriations. En 2012, cet aléa sera peut-être moins déterminant et causé par d’autres éléments qui n’ont pas à être pris en compte pour dégager une relation causale. On appelle cela un aléa. Et non, on ne sait pas… puisqu’on a rien comme chiffres à part le 35 000.
En conclusion, ce fut un bel exercice de manipulation, tout en nuances (je n’ose pas imaginer ce que cela aurait pu être sans la contre argumentation de Soumier). Un édito inutile qui ne nous apprend rien sur les questions liées à l’expatriation (comme le souligne Soumier, il était inutile d’en parler). On a la presse qu’on mérite. D’habitude, ce genre de choses, je m’en tape. Aujourd’hui, va savoir pourquoi, ça me les a brisées menu menu. Demain est un autre jour…
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