Une conversation intéressante dans la chatbox, lancée par Alex Kossoy, sur les questions d’inégalités et de coût des études. Comme la chatbox ne facilite pas trop l’exposé d’argumentaires longs, je la reposte et la reformate ci-dessous. Je glisserai mon grain de sel à l’occasion. N’hésitez pas à poursuivre la discussion via les commentaires.
alexkossoy: étrange… les inégalités de salaire ont augmenté dans les pays anglo saxon et scandinaves, mais pas en europe cont. Or, dans ses pays l’université est couteuse. Je pense a plusieurs liens explicatifs. si quelqu’un a des idées… elles sont bienvenues.
Reste: Le lien entre croissance et inégalités de revenus étant fort, il est logique qu’il y ait plus d’inégalités de revenus aux USA qu’en europe
joe l’indien: Je ne pense pas que cela provienne du cout de l’université mais plutôt du rendement de celle-ci. Le cout de l’université est compensé par le gain futur espéré, pour dire plus simple un étudiant diplômé du GSB de Stanford gagnera plus qu’un étudiant diplômé de HEC (a niveau de “diplôme identique”)en travaillant au USA bien sur lol. Une grande partie de l’inégalité individuelle au USA s’explique par le niveau d’étude. Au cours des 10 dernières années, le rendement espéré pour un individu diplômé du supérieur a augmenté (son salaire a cru durant cette période) à contrario un individu sans diplôme a vu son salaire baissé ou stagné.
Passant: C’est sûr que quand l’université doit convaincre les parents de cracher des centaines de mille pour une année, il faut convaincre qu’être client de l’université rapporte
karg se: attention Joe l’indien, le gain apporté par les études n’est pas seulement le salaire mais aussi le PIB suplémentaire généré, donc faire payer uniquement à l’étudiant n’est pas juste
Passant: l’étudiant étant libre d’aller faire grossir le PIB de qui il veut est-ce bien sûr ? Ex: les études de Linus Thorvalds en europe enrichissent désormais les californiens.
joe l’indien: Karg se: je m’exprimais au sujet de l’inégalité individuelle. Votre remarque sur le PIB est bonne. Je me restreins tjrs aux universités US, le cout payé par un étudiant représente environ la moitié du cout réel de la formation. Le reste est financé par les dons des anciens, les fonds publics (pour les universités publics)et/ou privés.
karg se: merci joe pr cette info, 50% est ce que cette valeur est aussi le % de surplux du à la formation que l’étudiant recoit ensuite en salaire?
alexkossoy: en résumant il y aurait 2 explications: 1) soit les université US/UK/scandinavie sont meilleures, donc elles permettent d’accumuler plus de capital humain que les facs d’europe cont.; et donc les inégalités augmentent entre ceux qui y ont acces et ceux qui n’en ont pas.
L’autre explication serait que, puisque la fac est payante, les élèves se dirigent d’eux meme vers les filieres plus “rémunérantes” car ils faut qu’ils rentabilisent l’investissement
karg se: il y aurai pas un gros biais en France à cause de grande école qui dévalorise les facs?
Passant: LEs filières d’études supérieures payantes formant à des professions rémunératrices ne manquent pas, même en France !
joe l’indien: remarques au USA: l’université d’obtention du diplôme est importante (comme en France) par contre la matière étudiée importe moins (sauf bien si vous exercez comme médecin, il faut avoir le diplôme de médecine lol). des formations comme l’histoire, la littérature, la philo … ouvrent à presque tous les secteurs d’activités (banques, automobiles, …) où les postes sont généralement occupés par des diplômés de grandes écoles d’ingénieur en France.
Passant: Si on admet que l’employeur est certainement moins victime de partis-pris que l’état, on peut en déduire, peut-être, que le haut du pavé de l’enseignement en France sont les écoles d’ingé ? 🙂
alexkossoy: le probleme n’est pas là. ce qui est frappant c’est de voir des gens accumuler des bac+5 qui, sur le marché, ne valent malheureusement rien. J’ai l’impression qu’on ne trouve pas ça ailleurs.alexkossoy: si les rendements sont plus élevés aux states, alors on peut avoir raison… mais je crois que france et US/UK sont assez proche du 8% par année d’études supplémentaire
Passant: Tout à fait d’accord avec vous alexkossoy. Comme chantaient les Blues Brothers : “What do you want for nothing.. Rubber biscuit ?”
Matthieu: Ma theorie est que les employeurs se moquent du contenu des diplomes, ils veulent juste les diplomes les plus selectifs. en France ce sont les prepas/concours pour les ecoles d’inge, aux US les PhD
Passant: Les employeurs, du moisn ceux en situation de concurrence (ça fait pas des masses en .fr, OK) veulent surtout créer de la valeur
alexkossoy: je pense que la discussion est stérile tant qu’on est pas allé voir les chiffre de rendement de l’éducation. Je crois que Psacharopoulos a une liste pour tous les pays. si les rendements sont plus élevés aux states, alors on peut avoir raison… mais je crois que france et US/UK sont assez proche du 8% par année d’études supplémentaire.
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L’idée de comparer les rendements globaux de l’ensemble des établissements d’enseignement postbac de chaque pays me pose un réel problème philosophique : ont-ils tous la même vocation ? Leurs clients ont-ils tous les mêmes motivations (par exemple, ne fait-on pas parfois des études simplement parce que dire qu’on est étudiant est plus valorisant que dire qu’on est chômeur ?) ?Que vaut, en l’espèce, l’idée de choisir une maille nationale pour la mesure ?
A lier avec les multiples discussions en cours sur la blogosphère économique américaine :
(en résumant) on pensait jusqu’à récemment que les inégalités croissantes de salaire selon la qualification provenaient principalement du retour (croissant avec "l’avancée de la civilisation") sur l’éducation, les avis sont en train de refluer et d’attribuer de plus en plus de cet écart à certains choix politiques contre-redistributifs et certaines caractéristiques du marché du travail.
Dans cette optique on pourrait donc dire que "les inégalités de salaire ont augmenté dans les pays anglo saxon et scandinaves, mais pas en europe cont. Or, dans ses pays l’université est couteuse." reflète un paramètre plus général de niveau d’inégalité dans ces pays, quel que soit la qualité de l’éducation et son retour effectif dans la société (ce qui rejoint en partie la proposition de Matthieu).
Tu aurais pu corriger les fautes d’orthographe.
Ne laisse pas passer ce commenaire, il s’agit bien entendu d’une remarque privée. Au passage, David Madore a un système sympathique qui permet de faire des commentaires privés accompagnant un commentaire publique.
Avant de commencer, il convient de mettre les faits sur la table : les inégalités de salaire ont augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE (US/UK, Scandinavie par exemple), sauf en Europe Continentale.
A partir de là, il faut préciser où l’on veut situer le débat. 3 possibilités.
1) Pourquoi les inégalités de salaires ont augmenté dans la plupart des pays OCDE ?
2) Pourquoi elles n’ont pas augmenté en France ?
3) Y a t il un lien entre système d’éducation universitaire et hausse des inégalités salariales ?
Je préfèrerais me cantonner à la dernière question. Le premier débat est largement abordé dans le blogland, notamment par Mankiw, Krugman, Brad DeLong, Tyler Cowen, Rodrik, etc. La littérature est immense (Atkison, Autor et Katz, Piketty et Saez sont les plus empiriques ; et Acemoglu cartonne pour les explications théoriques). Pour résumer, il y a plus ou moins consensus sur les facteurs qui poussent à la hausse les inégalités salariales. On en cite principalement 4 :
1 : Changement technique biaisé en faveur du travail qualifié (SBTC), que l’on peut mesurer à travers le skill-premia.
2 : Changements organisationnels dans les firmes (la spécialisation croissante entraînerait, via l’effet O-ring de Kremer, une hausse des inégalités).
3 : La hausse du commerce avec les pays pauvres, via l’effet Stolper-Samuelson. Jusque là, ça ne comptait pas trop, mais même Krugman commence à admettre que ça peut jouer ; bien que Grossman et Rossi Hansberg expliquent que l’offshoring peut paradoxalement favoriser l’emploi des travailleurs non qualifiés.
4 : les facteurs institutionnels liés au pouvoir des syndicats, qui feraient pression pour que les hausses de productivité se répercutent sur les salaires. (Ce qui ne serait plus le cas aux Etats-Unis).
Le deuxième débat est plus complexe, car il n’y a pas consensus sur pourquoi les inégalités salariales n’ont pas augmenté en France.
Une explication possible viendrait des hausses régulières du salaire minimum. Le rapport P10/P50 a fortement augmenté dans le dernier quart de siècle. La structure des salaires est artificiellement plus compressée, et le chômage élevé indiquerait qu’il y a des travailleurs prêts à être embauchés à salaire moindre. En gros, voilà l’explication « standard » : si les salaires sont flexibles (USA), les inégalités salariales augmentent ; alors que si les salaires sont rigides (France), c’est le chômage des non qualifiés qui augmente.
Cette explication a sûrement une part de vérité, mais pour expliquer le chômage il y a beaucoup plus d’éléments que les rigidités ou le niveau élevé du Smic. Les institutions qui régulent le marché du travail (assurance chômage, politiques actives de l’emploi, contrats de travail) ont une incidence très forte. On ne peut donc pas attribuer au Smic élevé toute la responsabilité du chômage.
L’autre explication possible (on rentre dans le 3ème débat) serait que l’offre de travail qualifié a fortement augmenté en France (les rendements de l’éducation sont donc plus faible a cause de la concurrence). Dans ce cas, c’est l’efficacité du système français à fournir des travailleurs qualifiés en grand nombre qui a empêché les inégalités salariales d’augmenter.
Pour faire court, il pourrait exister un lien entre hausse des inégalités de salaire et système d’éducation universitaire payante, plusieurs explications étant possibles :
Premièrement, le coût élevé de l’université est une entrave à l’éducation, donc l’offre de travail qualifié serait sous optimale (car il y a des externalités positives, et un accès imparfait au marché de capitaux). Les rendements de l’éducation peuvent donc être durablement élevés, mais la barrière à l’entrée explique qu’il n’y ait pas d’inscription massive d’étudiants. Ce qui expliquerait que l’US et l’UK attirent autant de jeunes très qualifiés venant d’autres pays.
Deuxièmement, je vais présenter les hypothèses expliquant que, in fine, ce sont les inefficacités du système éducatif français qui ont comme effet (plutôt positif) d’empêcher les inégalités salariales d’augmenter. On se plaint souvent en France des « bac+5 qui ne mènent à rien ».
(On se place dans un cadre théorique pur du capital humain)
2 : Sous l’hypothèse que les universités US/UK/scandinaves sont de meilleure qualité, elles permettent d’accumuler plus de capital humain que les facs d’Europe continentale; et donc, à l’intérieur des pays, les inégalités augmentent entre ceux qui y ont accès à cet investissement en capital humain et ceux qui n’en ont pas. Si la formation des facs françaises est mauvaise, il est normal que les inégalités de salaires n’augmentent pas entre ceux qui ont un bac+5 et ceux qui n’en n’ont pas.
3 : L’autre hypothèse est que là ou l’éducation est plus coûteuse les jeunes se tournent vers des filières plus rentables, pour être surs d’amortir les coûts. Il y a plus d’archéologues ou d’historiens de l’art en France qu’en UK et USA. L’idée est qu’en France, l’université prépare mal à l’insertion professionnelle. Le marché de l’éducation fonctionne mal, et c’est en partie du a des problèmes d’information et de subventions mal gérées.
Si l’inefficacité du système universitaire français empêche les écarts de revenus entre qualifiés et non qualifiés, doit-on s’en réjouir ?
Bravo. Les fautes d’orthographe dans mon message privé précédent t’on fait rire et du coup tu l’as laissé pour que tout le monde se poile avec toi. J’ai compris : la prochaine fois je mettrai des insultes ! Bon, sinon, c’est gavant d’avoir des textes pleins de fautes d’orthographe sur le web, non pour la beauté de l’orthographe en soi mais parce que ça tue les moteurs de recherche (eh oui, ils sont un peu bebêtes) et mille autres raisons.
Navré. Pour être tout à fait sincère, entre des soucis d’ordre personnel et informatique ces deux derniers jours, non seulement je n’ai pas eu le loisir de corriger les fautes, ni de lire votre message suffisamment attentivement pour voir son statut d’ordre privé.
@alexkossoy,
vous compreniez bien le problème, pourquoi lancer le débat sur le chatte box.
En tout cas, j’aimerais bien savoir l’université qui a formé nos tchacheurs pour y mesurer le rendement de l’éducation. Il doit être trés élevé.
C’est un sujet vraiment interessant, en effet. Sur le lien etre universite couteuse et inegalite, je pense qu’il est interessant de rajouter un pays qui n’a pas ete cite, le Japon: l’education y est extremement couteuse (au moins autant qu’aux US, je pense, eu moyenne: des etudes post bac coutant 10 millions de yen, c’est a dire en gros 60 000 euros au cout actuel, c’est assez courant), et c’est un pays bien plus egalitariste que la France (par egalitarise, je veux dire que la societe cherche a mettre tout le monde au meme niveau; ce qui n’est pas forcement le cas en pratique). Meme les secretaires ont souvent un bac+5.
Intuitivement, mais je ne sais pas comment infirmer ou confirmer par des donnes, je pense que au moins pour la France, la specifite des grandes ecoles a une grosse influence, puisqu’elle donne ce que l’universite refuse en principe de faire, a savoir une selection. Les grandes ecoles servent a ca, la selection, comme l’a dit matthieu. Ce qu’on y apprend, je ne pense pas que ca interesse beaucoup les employeurs (c’est le discours qu’ils tiennent a peu pres tous d’ailleurs); ce n’est pas pour rien qu’une des choses qui preoccupent le plus les directions des ecoles, c’est le rang du dernier admis aux concours. Les Grandes ecoles donnent aussi un reseau, ce que ne donne pas en general les fac en France, mais ce que donne les universites aux etats unis (confreries, etc…).
Bref, les grandes ecoles ont donc les moyens de faire la meme politique que les universites dans les pays anglo saxon, mais avec une sorte de monopole, puisque les universites ne peuvent pas legalement faire la meme chose. Et les grandes ecoles (hors ecoles de commerce) n’ont pas de frais d’inscription tres eleve.
L’autre facteur qui me parait important, c’est la nature des entreprises qui font la croissance et participent au creusement des inegalites. C’est la que l’argument "les bac+5 qui ne valent rien en France" gagnerait a etre affine: pourquoi ils ne valent rien ? Ne valent-ils rien "en absolu", ou en France seulement ? N’est-ce pas du au type d’entreprises qui embauchent en France plutot qu’a la formation inutile des bac+5 ?
"Premièrement, le coût élevé de l’université est une entrave à l’éducation,"
Cela supposerait que l’université dispose d’un monopole sur l’éducation, ce qui est évidemment faux : par exemple, il est de moins en moins rare de voir des étudiants aller faire leurs études en Belgique, en Espagne, en Truquie ou en Afrique, tout simplement parce que le coût global des études y est moins élevé.
Je pressens également l’ouverture prochaine d’un marché de l’enseignement supérieur technique en europe de l’est.
Je suis assez d’accord avec David sur sa thèse au sujet du type d’entreprise. Peu d’entreprise en France embauche spontannément des BAC+5 et beaucoup ne savent pas les faire travailler.
En agro alimentaire de nombreuse PME ont du embaucher des responsables qualité par obligation légal ou à cause de contrat qualité avec leurs clients, mais les responsables qualité emballent les commandes plutôt que faire du contrôle qualité…
"il convient de mettre les faits sur la table : les inégalités de salaire ont augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE"
Histoire de semer un peu de doute sur cette affirmation, je signale qu’elle fait débat en ce qui concerne les US. Alan Reynolds vient de sortir une étude qui contredit les conclusions de la célèbre étude Piketty-Saez sur l’augmentation des inégalités aux US. Bon, ça vient du Cato Institute, on dira qu’ils ne sont pas objectifs, etc…
Jugez vous-mêmes de ses arguments :
Reynolds critique la source de données utilisée dans l’étude Piketty-Saez pour calculer les inégalités de revenus. En l’occurrence ils sont partis des revenus déclarés au fisc (IRS) depuis 1913. Lorsqu’on calcule la part des revenus perçus par les plus riches, on fait un quotient (revenu des riches)/(revenu total). Or les données de l’IRS contiennent plusieurs biais qui rendent le numérateur et le dénominateur sensibles aux changements (fréquents) de politique fiscale :
– la dissimulation de revenus
– la substitution entre salaire et revenus en nature
– la substitution entre salaire et épargne salariale non imposable (401K)
– la substitution entre salaire et bénéfices des sociétés (celle-la je ne comprends pas…)
– le choix du timing pour réaliser ses plus-values sur stock-options
Reynolds demande aussi qu’est-ce qu’on compare : les ménages? les personnes? les foyers fiscaux? Ceci peut avoir une incidence, car il me semble que "l’endogamie financière" a augmenté depuis plusieurs décennies, dans le sens où on se marie plus souvent qu’avant avec quelqu’un qui a des revenus proches des siens. En conséquence, l’inégalité de revenus entre les personnes se déplace de l’intérieur du ménage vers l’extérieur. Or pour la question abordée dans ce post (l’éducation) c’est le revenu du ménage qui compte pour financer les études des enfants.
Si quelqu’un connaît le fin mot de l’histoire…
Sur Alan Reynolds, allez donc faire un tour ici, ici et ici, cela fait le tour de la question. Suivez aussi les liens des posts.
@ Gu Si Fang : (honteusement) Je lis moi aussi des publi du CATO… mais j’évite de le dire, et surtout, je pense pas qu’il faille leur faire confiance sur ce sujet.
D’autres que Piketty/Saez ont mené des recherches sur des bases de données différentes et ils arrivent à la même conclusion. (voir Autor et Katz ; Acemoglu ; Card, Kramatz et Lemieux aussi).
http://www.economics.harvard.edu...
Si l’on accepte ce consensus, les chiffres montrent bien que les rendements de l’éducation ont augmenté beaucoup plus aux USA que dans d’autres pays, dès les années 70. Cela serait du à une hausse plus forte de la demande que de l’offre de travailleurs qualifiés.
Pourquoi la demande de travail qualifié a autant augmenté ? Les 3 facteurs cités ci-dessus (SBTC, spécialisation, globalisation) sont en partie responsables. La question à laquelle il faut répondre c’est
« Pourquoi la France, qui a subi les mêmes transformations que les autres pays de l’OCDE, n’a pas eu cette augmentation des inégalités salariales ? Le système universitaire français y est-il pour quelque chose ?»
3 hypothèses possibles :
1) L’offre de travail qualifié a fortement augmenté en France.
2) Le Smic élevé comprime artificiellement la structure salariale et pousse au chômage les travailleurs les moins qualifiés. (Les inégalités seraient donc les mêmes en France qu’aux US, mais on choisi ne pas faire travailler les moins productifs, ce qui réduit artificiellement les inégalités de salaire).
3) Les différences dans l’adoption des technologies font que la demande de travailleurs qualifiés ait beaucoup moins augmenté en France
Les explications 1 et 2 ont leur part de vérité mais ne suffisent pas. Une alternative serait que la demande de travailleurs qualifiés n’a pas augmenté en France, alors qu’elle a augmenté aux USA. (Tous les Google et co sont à Boston et en Californie).
L’explication 3 est intéressante. Elle pousse à réfléchir à la relation entre un Smic élevé et l’adoption de technologie. L’idée est que le smic élevé est une incitation a trouver des technologies à la fois complémentaires et substituables aux non qualifiés, ce qui rend le changement technique moins biaisé en France qu’aux USA/UK.
D’ailleurs, cette intuition est confirmée dans la réalité : l’intensité capitalistique des secteurs intensifs en travail non qualifié est plus grande dans les pays où le smic est élevé. (Il y a beaucoup plus de caissiers dans les supermarchés à Londres, alors qu’à Paris on essaye de les remplacer par des machines).
Si vous n’avez pas compris, voici un exemple fictif plus clair :
Dans une firme, un travailleur à une productivité de 10€ sans investissement en technologie, et de 20€ lorsqu’une technologie est adoptée. Supposons que le salaire soit la moitié de sa productivité, et que l’adoption de technologie coûte à l’entreprise 6€.
Sans investissement en technologie, le profit de la firme est de 10-5 = 5
Avec adoption de la technologie, le profit est 20-10-6 = 4.
Donc la firme n’adopte pas la technologie.
Maintenant supposons qu’on est en France, et le gouvernement fixe le salaire à 9. Dans ce cas là, le profit sans technologie est de 1, alors qu’il est toujours de 4 avec la technologie.
On voit bien que le smic élevé est une incitation à trouver des combinaisons productives plus intensives en capital. Cela rend les travailleurs non qualifiés en France beaucoup plus productifs que ceux des USA/UK. Une partie de la stabilité des inégalités salariales en France peut être expliquée ainsi.
Mais pour en revenir au débat intéressant, je voulais juste souligner une intuition : L’inefficacité du système universitaire français a sûrement son rôle dans cette histoire.
Une partie de la stabilité des inégalités de salaire pourrait être expliquée par une mauvaise formation universitaire, ou du moins plus mauvaise qu’ailleurs. Si les facs étrangères augmentent leur qualité alors les inégalités salariales augmentent (cadre théorique du capital humain… dans la réalité ce n’est pas vraiment comme ça, l’éducation est aussi un signal et un bien positionnel). Si les facs françaises ne le font pas, les inégalités n’augmentent pas… ce qui n’est pas forcément une bonne chose – on peut toujours lutter contre les inégalités par de la redistribution fiscale ; alors qu’ici on le fait en limitant la productivité des plus qualifiés.
@David :
Pour le Japon, on peut donner la même explication que pour la France ou l’Allemagne, le coût élevé du smic est une incitation a utiliser des technologies qui rendent le travail non qualifié plus productif.
@ JJ : Je suis tout à fait d’accord, il n’y a pas de monopole sur l’éducation (heureusement !) mais il n’empêche que l’éducation privée tertiaire aligne en quelque sorte la qualité sur les universités publiques.
@alexkossoy: Je suis assez surpris par votre affirmation du smic eleve au Japon, parce que le salaire minimum (qui n’est pas fixe nationalement a Japon) est a un niveau comparable a ce qu’il est en France (en brut), alors que le cout de la vie lui n’a rien a voir. Si on prends une mesure telle que rapport entre salaire median et salaire smic, je pense que le rapport n’a mais alors rien a voir avec la France. Je sais pas trop ou trouver des chiffres, donc j’ai tres paraisseusement cherche dans les premiers resultats google
http://www.blackwell-synergy.com...
Et au contraire, on s’apercoit que que le rapport est meme beaucoup plus faible qu’aux US (salaire minimum = 30 % du salaire median, contre 38 % pour les US et 57 % pour la France; je sais pas si c’est brut ou net). En fait, meme si je suis pas beaucoup car ne parlant pas japonais courament, il y a tout un debat ici sur la montee des inegalites au Japon, qui est un pays dont la structure sociale et ses fondements sont totalement differents de ce que ca peut etre aux US. Les inegalites sont censees augmenter (je ne sais pas si c’est vrai), et le systeme universitaire, lui, n’a pas change. Ca fournit donc un tres bon sujet d’etude pour votre these lien cout universite / inegalites.
Je viens de finir le livre de Marc Gurgand (cité par Econoclaste ici econo.free.fr/scripts/not… Il se lit rapidement et donne beaucoup de clés pour comprendre le sujet de ce post. A recommander.
Les analyses présentées ici sont très pertinentes. Cependant, il me semble que pour avancer sur le sujet, il faudrait avoir une vision fine de la distribution des hauts revenus.
Dans les pays anglo-saxons, les revenus des médecins, avocats (et sans doute d’autres professions à statuts) sont très largement supérieurs aux revenus en France (et sans doute en europe continentale). Ils font donc parti beaucoup plus facilement du premier décile, voir du premier centile.
Il s’agit bien sûr de travailleurs qualifiés, mais leur diplôme est d’abord positionnel avant d’être une somme de « capital humain ». La qualité du système universitaire n’aurait donc pas d’impact direct au moins pour cette partie de la population.
Il faudrait aussi étudier l’insertion professionnelle des diplômés étrangers dans les économies anglo-saxonne. A très haut niveau, je ne pense pas qu’il y ait des écarts de salaires importants entre un trader français exerçant à Londres et un trader anglais. Mais beaucoup de diplômés français exercent des professions sous qualifiés à l’étranger. Ce qui tendrait à montrer que le système universitaire français à une rentabilité plus faible que les autres.
@Gu Si Fang
– la substitution entre salaire et bénéfices des sociétés (celle-la je ne comprends pas…)
Dans les hautes tranches de revenus, beaucoup de gens sont propriétaires, actionnaire principal ou associés de leur structure de production.
A partir de là, ils peuvent arbitrer entre « revenu salarial » et « revenu du patrimoine » en fonction des taux respectifs de l’IS et de l’IR. Quand l’IR baisse, ils augmentent leur revenu salarial, quand c’est l’IS ils font l’inverse.
@David : Je ne connaissais pas le cas du Japon. C’est un exemple très intéressant.
@ Gu Si Fang : il faudrait dire à SM d’actualiser les liens… la note de lecture n’est pas accessible.
Le lien est à jour. C’est dans sa rédaction qu’une parenthèse s’était glissée.Sans parenthèse.
SM
Concernant les comparaisons de valeurs ajoutées de différents systèmes éducatifs, ne peut-on baser une partie de l’analyse sur l’étude du cas couramment médiatisé des français faisant leurs études vétérinaires ou de kiné en Belgique après avoir été refusés en France ou le cas des étudiants allemands partant étudier en Autriche ?
Notamment, peut-on discerner des différences sensibles de revenus entre les étudiants vétérinaires diplômés en Belgique et ceux diplômés en France exerçant soit en France, soit en Belgique (je suppose que non…). Peut-on alors considérer que la concurrence est imparfaite pour les vétérinaires (je suppose que non). Peut-on en conclure quelque chose ?
Sinon, y-a-t-il quelque chose à conclure du fait que de nombreux médecins à diplôme et donc formation étrangère, voire, issus de systèmes éducatifs très pauvres, travaillent en France avec les mêmes responsabilités que ceux issus de la Faculté ?
@alexkossoy: le Japon est souvent interessant comme exemple, car c’est un pays qui a des caracteristiques assez fondamentalement differentes et du systeme anglo-saxon et de ce qui peut se faire en Europe continentale sur la plupart des sujets se pretant a l’economie. C’est une mine de contre exemples, et c’est un reste de prepa que de fonder ma comprehension a partir de contre exemples 🙂
Une remarque que je n’avais pas eu le temps de developper ce matin, sur l’inefficacite de l’universite francaise. C’est quelque chose que j’ai vraiment du mal a admettre sans d’arguments solides, parce qu’en France, on a le systeme des GE qui est tres efficace pour ceux qui en beneficient, mais la raison n’a pas grand chose a voir avec la formation qui y est donnee. Typiquement, l’argument typique que l’universite en France est nulle parce qu’il y a beaucoup trop de gens qui font psycho ou socio me parait assez faible, car en sortant de Centrale ou de l’X, qu’a-t-on recu comme formation qui soit plus utile ? Est ce que ce ne sont pas les a cote qui sont eux efficaces ? Sachant encore une fois que les GE sont pas beaucoup plus cheres que l’universite (en frais d’inscription). N’est-ce pas plutot une selection que l’on achete
@DAvid : les GE sont sûrement excellentes. Mais elles ne représentent pas la population des étudiants. Le pourcentage d’étudiants qui y accède est très limité.
@jj: Je suis persuadé que l’attractivité des universités de l’Europe de l’Est va augmenter. Je reviens d’Ukraine où je suis passé dans plusieurs université et j’ai été fortement étonné du nombre d’étudiants étrangers suivant leurs études sur place venant d’Inde, d’Ouzbekistan, Turquie, Egypte, Maghreb. Pour ces étudiants le rapport niveau de la formation/cout des études et de la vie est très bon.
Pour avoir étudier en Irlande j’ai trouvé que le niveau des universités locales (payantes ,env 10Ke/an) était plutot moyen et plus particulièrement dans les domaines techniques. Pourtant les étudiants sont débauchés avant la fin de leur études par les multinationales implantées dans le coin, et à des salaires vraiment beaucoup plus élevés qu’en France et les inégalités (en apparence) aussi.
Je n’ai pas d’éléments d’analyse pour apporter une quelconque explication (dsl l’économie j’y connais rien et je pense que c’est pour ça que j’aime bien ce blog) mais toujours est il que la relative rareté des compétences, la forte demande des entreprises, le marché du travail débridé, l’état d’esprit des jeunes diplomés (aversion total au risque induit par l’entrepreneuriat et la persuasion de leur réussite future) semblent être quelques elements de réponse.
L’investissement dans les études semblent être un placement sans rique là bas, on y retourne facilement même à 30 ou 40 ans.
voila 2/3 remarques justes comme ça, si ça peut donner de la matiere à quelqu’un pour faire avancer la discusion sur son theme principale.
Bien sur que les GE sont une petite part des etudiants. Mais la raison pour laquelle je pense que c’est primordial pour prendre en compte d’eventuelles specificites francaises, c’est qu’elles donnent largement les memes benefices que les meilleurs formations du monde anglo saxon (je parle ici d’un pur point de vue marche du travail), et pourtant, la formation qu’on y recoit n’est pas tres interessante pour l’employeur, en tout cas pas plus a priori que ce que l’on peut faire en socio ou psycho. Et elles ne sont pas beaucoup plus cheres (pour l’etudiant, pas pour l’etat…).
Bref:
– les GE sont efficaces pour ceux qui en sortent vis a vis du marche du travail.
– Elles ne coutent pas plus cheres que l’universite a l’etudiant
– la formation offerte n’est pas super utile pour les employeurs.
A partir de la, pourquoi les employeurs en veulent ? Parce qu’elles offrent une selection (effective ou non, la encore, ca n’est pas mon propos), c’est mon hypothese. Et c’est la que le rapport avec la problematique initiale est fondamentale: ce qui fait l’inefficacite de la fac en France, est-ce pas son manque de selectivite (au moins apparant) plutot que la formation qui y est donnee ?
Les commentaires étant encore ouverts, voici un post intéressant sur Marginal Revolution :
http://www.marginalrevolution.co...
Extrait :
3. We do not know how inequality of welfare in America is faring over say the last thirty years. This is a point of overriding importance. Just in case you missed it, let me repeat: when it comes to the kind of intra-nation inequality that we should really care about (if we are going to worry about intra-nation inequality at all), we "do not know." As in "know" and "not" put together. "Not" is the word of negation, by the way. And the last I looked, not = not, as it usually does on most Wednesdays. Would you like to hear more on what is implied by the conjunction of "not" and "know"?