Cet article est impressionnant :
Selon mes calculs, si les différentes traites négrières n’avaient pas existé, 72% de l’écart de revenu entre l’Afrique et le reste du monde n’existerait pas aujourd’hui, et 99% de l’écart entre l’Afrique et le reste du monde sous développé non plus. L’Afrique ne serait plus différente des autres pays en développement.
EDIT : voici le papier d’origine, avec les arguments élaborés.
- William Nordhaus, Paul Romer, Nobel d’économie 2018 - 19 octobre 2018
- Arsène Wenger - 21 avril 2018
- Sur classe éco - 11 février 2018
- inégalités salariales - 14 janvier 2018
- Salaire minimum - 18 décembre 2017
- Star wars et la stagnation séculaire - 11 décembre 2017
- Bitcoin! 10 000! 11 000! oh je sais plus quoi! - 4 décembre 2017
- Haro - 26 novembre 2017
- Sur classe éco - 20 novembre 2017
- Les études coûtent-elles assez cher? - 30 octobre 2017
Le complet
Dommage que l’article ne donne pas quels outils ont été utilisés pour arriver à ce chiffre des 72%. Mais peut être est-ce dans son article cité en notes.
Cependant, ne faut-il pas se méfier de ce genre d’hypothèses contrafactuelles ? Les facteurs du développement sont-ils seulement quantifiables et descriptibles complètement à l’heure actuelle ?
A mon sens, les historiens se querellent encore actuellement pour ce qui est des causes du décollage. L’une des écoles avance que les épisodes de pestes de la fin du Moyen-Âge (1348 pour le début) y sont pour quelque chose.
D’où mon scepticisme sur ce genre de résultats.
Oui, j’avais déjà entendu parler des travaux de ce monsieur du côté de Freakonomics.
C’est assez lourd ; pour le moins…
freakonomics.blogs.nytime…
Avec toutes ses variables, est ce qu’il ne sous-estime pas les constantes ? Il semble ne pas tenir compte du fait que "Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles."
Ironie mise à part (c’est un peu facile de se moquer des cancres). Ne manque t’il pas les calculs dont il parle pour que l’article soit vraiment imparable ?
La partie "corrélation" est intéressante (et pas tellement surprenante). La partie "histoire fiction" n’a pas grand sens, pas plus que ce chiffre de "72%".
Il faut garder en tête également que toutes les évaluations chiffrées pour l’histoire et la démographie de l’Afrique avant le XIXe sont largement aléatoires. Même les ordres de grandeur font l’objet de polémiques.
Le côté fantaisiste de la conclusion (que vous citez) m’amène à m’interroger un peu sur l’intégrité du travail. Par ailleurs, se poser la question de savoir si les pays affectés par le commerce d’esclaves étaient déjà les plus pauvres au départ n’a pas grand sens. Il aurait fallu s’interroger sur d’éventuelles caractéristiques communes aux pays en question qui les rendraient moins favorables au développement d’une économie moderne.
Tout ça pour conclure que l’état actuel de l’Afrique s’explique largement par son histoire, qui inclut l’esclavage… Quel scoop… Ca ressemble fort à du "coco, pond-moi un papier scientifique pour légitimer des demandes de réparations". Pas comme ça que l’Afrique va s’en sortir.
Quel scoop, c’est bien une réponse d’historien :-). Il doit y avoir au moins autant d’explications concurrentes du sous-développement africain que pour la chute de l’empire romain. Celle-là présente le gros intérêt de s’attacher à essayer de mesurer un facteur particulier. La fin n’est pas tant de “l’histoire contrefactuelle” qu’une façon de montrer que statistiquement, une partie considérable de l’écart de revenu est corrélée avec les traites. Après, évidemment, cela peut s’interpréter de tout un tas de façons, mais l’ordre de grandeur est considérable. Il est très rare de trouver une variable expliquant autant au sens statistique du terme.
Ah la cliométrie… Tout ce déploiement de techniques économétriques pour finir sur une évidence : "These results (…) do provide very strong evidence that much of Africa’s poor performance can be explained by its history, which is characterised by over 400 years of slave raiding". History matters, quelle découverte ! Maintenant sur la quantification, je resterai toujours dubitatif face à ce genre de démarche…
tout est dans le "si" de la conclusion…
Admettons que le résultat soit juste. Qu’est-ce que cela signifie ? que si les esclaves étaient restés en Afrique en hommes libres, ils auraient participé au développement du continent ? Donc en gros, que les hommes et les femmes embarqués de force dans les bateaux auraient eu les capacités pour développer le continent…soit.
Rappelons tout de même que les esclaves hommes et femmes étaient ceux qui étaient en meilleure santé et qui avaient la meilleure constitution (car ils valaient plus cher) qui étaient embarqués… Donc, il devient évident que la croissance économique et le développement humain sont tirés par les hommes et les femmes les plus forts et les plus résistants … y=ax+b ….
De même, l’esclavage était un marché, avec des vendeurs et des acheteurs (même si une partie des revenus étaient captée par une minorité, mais n’est-ce pas le cas aujourd’hui encore?!)… donc à chaque esclave vendu, une entrée d’argent dans les caisses… donc création de richesse pour le pays… donc l’esclave participe (involontairement et indirectement) au développement de son pays …
Toutes mes réflexions sont bien sur le degré 0 de la réflexion scientifique mais je trouve un peu légère l’étude de Nunn … et cette relation linéaire entre deux variables me laisse assez bouche bée …
Ah et puis son R² il est ou ?!
Pour le R², allez voir le papier d’origine :-). Il établit une corrélation, ensuite la façon dont cette causalité se manifeste est ce qui pose question. Mais c’est déjà considérable de savoir dans quelle direction chercher. Pour votre second argument, c’est oublier le “dutch disease” : il est tout à fait possible qu’au contraire, l’existence de cette source de revenu aient nui au développement, comme le fait la détention de ressources naturelles.
L’article est effectivement intéressant, mais je n’ai pas
trouvé d’accès à un papier plus complet, ni aux données
utilisées. Le premier graphique montre un nuage de points
quand même passablement étalé. Trop sans doute pour faire
des affirmations aussi définitives. J’aurais bien aimé
pouvoir avoir accès aux données utilisées pour rejouer
avec.
@ Alexandre et @ Malcom X : en effet, le phénomène du Dutch Disease est à prendre en compte… pour autant peut-on rapprocher le traite négrière et le poids des ressources naturelles sur le développement humain et économique ?
Tiens, d’ailleurs la Guinée est un bon exemple de Dutch Disease (pays sur lequel sont focalisées mes recherches) mais je ne sais pas ce qu’il en est de la traite négrière… je vais aller lire le papier de ce monsieur
Bon,il enfonce des portes ouvertes ce monsieur.Si on echange des biens de capitaux contre des pacotilles, ca n’aide pas le developpement.
Just my 2 cents.
rhalala, vous êtes caustique 🙂
Ne pas oublier non plus que si les occidentaux ne sont pas dénués de responsabilité dans la traite, ils ne sont pas les seuls, la majorité de la traite négrière étant inter-africaine, comme l’a montré un Pétré-Grenouilleau.
L’article, d’ailleurs, étudie l’impact cumulé des 4 traites (atlantique, intra-africaine, mer rouge, océan indien)
…et si ma tante en avait…
Plus sérieusement : es-ce que l’auteur prend en compte la diversité africaine ?
L’Afrique est tout de même un continent, qui me semble bien moins
homogène que l’Europe, par exemple.
Est-ce que, par exemple, les pays les plus ponctionnés par l’esclavage sont
aussi ceux qui ont aujourd’hui des difficultés de développement ?
Est-ce que la captation des ressources naturelles par les descendantes des
entreprises colonialistes n’entre pas en compte ? (qui a dit : Elf, Total…?)
Ou est-ce que je me gourre complètement et ne comprendrai décidément
jamais rien à l’économie, qui est un truc d’adultes si sérieux que les novices
n’y peuvent rien percevoir ?
Quand on est novice, le mieux est déjà de lire les articles; cela permet de voir précisément que le coeur de la démonstration, c’est le lien entre les écarts de développement entre les régions africaines et les écarts de traite entre ces régions…
Autant, par principe, j’adhere aux conclusions.
Autant je trouve la demonstration foireuse.
Le graphique qui presente la correlation montre une enooorme variabilite. Je
fais passer une hypothese nulle avec un chi2 raisonnable dans ce nuage de
points ! Ou ni’importe quelle courbe…
Ensuite, repetons-le 1000 fois : correlation n’est pas causalite. On peut
meme imaginer la causalite inverse : les pays africains riches il y a 400 ans
ont mieux resiste a l’envahisseur blanc et a la traite, c’est donc la richesse
qui explique la traite et non la traite qui explique la richesse (c’est une
hypothese, elle est juste aussi valable que l’autre). Il faut aussi rappeler que
la traite inter-africaine existait (vous avez remarque les points negatifs en x?
), ce qui peut renforcer l’idee que la traite menee par les europeens a d’abord
touche les regions victimes de la traite inter-africaine… donc n’a fait que
renforcer des inegalites deja existantes.
Justement, son étude montre que les pays africains les plus riches à l’époque étaient ceux qui faisaient le plus de traite, donc le lien n’est pas richesse->moins de traite, mais le contraire. Ensuite, adhérer aux conclusions par principe, c’est mal.
Pas mal d’essayer, cependant, j’ai souvent du mal à digérer la cliométrie. Mais bon ….
Et l’Irlande son sous développement s’explique par la crise de la patate?
J’ai essayé sans succès de retrouver le site que vous aviez indiqué et qui permettez de comparer facilement l’évolution des principaux indicateurs économiques sur les trentes dernières années.
Il me semblait qu’au début des années 60, le PIB par tête en afrique n’était pas très différents de l’asie. Si c’était le cas, j’aurais beaucoup de mal a adhérer à une "explication" qui mettrait en avant un effet boomerang de l’esclavage pour expliquer le sous développement africain.
Vous cherchez sans doute gapminder.
Sinon l’effet “boomerang” peut s’expliquer par les types d’institutions qui sont apparues dans les pays avec beaucoup d’esclavage pendant la colonisation et après les indépendances.
Pourriez-vous expliquer "Dutch Disease" et "cliométrie"
Merci d’avance
PS : j’ai un peu cherché sur Internet mais c’est tellement mieux quand c’est vous qui expliquez 😉
La cliométrie c’est l’histoire faite avec des techniques quantitatives – en gros l’application des modèles économiques actuels avec les données historiques pour trouver des déductions.
Le dutch disease c’est la maladie des ressources naturelles : quand on en trouve, elles réduisent la croissance économique. Plusieurs raisons à cela : des aspects institutionnels (ça crée un conflit politique pour les ressources, donc institutions dégradées) et économiques (les exportations de ressources naturelles font monter la devise nationale et absorbent les investissements, ce qui fait dépérir les autres secteurs).
… les occidentaux ne sont pas dénués de responsabilité et notre ami Polydamas d’arrières pensées !
J’insiste: la principal faiblesse de cette démonstration, ce sont les chiffres, dont la fiabilité est extrêmement réduite. Et c’est une litote.
En fait, à la réflexion, ce qui me paraît le plus intéressant dans l’article n’apparaît pas dans les commentaires: c’est l’explication esquissée de la corrélation: les pays ayant connu le plus d’esclavage n’ont pas pu se structurer en communautés nationales. En Europe, on s’est largement massacrés entre "ethnies", mais ça fait bien longtemps qu’on ne se vend plus les uns les autres. J’imagine qu’il est difficile de bâtir des relations sociales saines et productives dans ce genre de contexte.
Oui pour la question des données, c’est un problème permanent lorsqu’on cherche à expliquer des phénomènes actuels par des causes lointaines. J’ai même lu un article (pourtant fait par des gens de qualité) qui liaient niveau de développement actuel et il y a 2000 ans. Comme les données anciennes sont en partie reconstruites à partir des données actuelles, pas sûr que ce soit très significatif. Cela dit, en gardant à l’esprit ces limites, on peut poser des hypothèses et aller chercher plus loin ensuite.
Je suis d’accord sur la partie la plus intéressante de l’article, qui est celle qui explore les effets de la traite sur la "cohésion sociale" au sens large. Effectivement, le graphique qui montre un développement économique post-indépendance des pays relativement moins ponctionnés (voire bénéficiaires…) par rapport aux autres qui stagnent économiquement est assez révélateur. ça me fait penser au comportement incroyablement avide des pillards, qui au lieu de prélever une "taxe" puis de revenir, prennent TOUT (les fils électriques dans les murs…)au point de détruire totalement l’activité économique qu’ils pillent.
Maintenant j’ai un problème avec cet argument, dans la mesure où selon l’auteur, ce sont les pays les plus développés qui ont trinqués parce que les pays qui n’avaient pas d’Etat étaient plus résistants à la traite. Comment cet état de fait peut-il être compatible avec une explication par défaut d’historicité de l’Etat? Que les pays dont l’Etat a été détruit en aient souffert en termes d’"acquis de capital social" est crédible, mais pourquoi seraient ils plus mal barrés par la suite que les pays qui n’ont jamais connu d’Etat?
@Alexandre sous FC. Désolé de ne pas avoir pu m’empêcher de faire le lien :
L’économiste prend alors la parole : " Bon, posons notre première hypothèse : nous avons un ouvre-boîte "
Et sait on de combien les pays développés seraient moins (ou plus!) riches aujourd’hui ?
Il y a des calculs dans ce sens : globalement, de zéro.
L’Espagne serait sans doute plus riche…
Merci pour le lien « gapminder ».Les données commencent en 1975. Je n’ai donc pas pu vérifier qu’au début des années 60, le PIB / h était supérieur ou égal en Afrique par rapport au sud est asiatique.
Cependant, si c’était le cas, l’étude présentée aurait quand même une invalidation solide. Il me parait quand même difficile d’évoquer un effet qui se serait manifester 150 ans après la fin de la traite. C’est-à-dire quand même 6 générations.
D’autre part l’étude mesure le taux de prélèvement par km2. Cette mesure me paraît très bizarre. Je me serais plus attendu à une mesure ratio d’esclave / population.
Enfin, je trouve regrettable qu’avec les données dont ils disposaient il n’ait pas mis en correspondance le fractionnement ethnique (en 2000) et le PIB / h. Il aurait peut-être trouvé :
Fractionnement ethnique corrélé au taux de prélévement des esclaves par km2
ET
Fractionnement ethnique corrélé à un PIB / h faible.
Et pas simplement :
taux de prélévement des esclaves par km2 corrélé à faible PIB / h
@ henriparisien: "D’autre part l’étude mesure le taux de prélèvement par km2. Cette mesure me paraît très bizarre. Je me serais plus attendu à une mesure ratio d’esclave / population."
Très bonne remarque, qui m’avait échappé. Mais voilà, les km², on les a, le nombre d’esclaves, on peut reconstituer un peu, mais la population on n’en a pas la moindre idée. Les chiffres qui en résultent sont donc à la fois plus fiables que je ne pensais, et plutôt moins significatifs. Ils présupposent une certaine homogénéité de la densité d’habitation, qui me paraît loin d’être acquise.
Je viens de jeter un oeil sur le papier, il y est bien question de causalité. Je trouve que le travail statistique est intéressant, mais qu’il extrapole excessivement sur les conséquences. Façon Emmanuel Todd, un peu.
"Correlation n’est pas causalite". Justement, l’auteur emploie des variables instrumentales (la distance avec les pays acheteurs d’esclaves) pour demeler cela. C’est ca le coeur de son analyse, pas les nuages de point, qui ne sont qu’illustratifs.
Cette explication du sous-développement de l’Afrique n’a pas de sens, car alors il faudrait expliquer pourquoi l’esclavage a porté sur les Africains, de la part des Arabes et des Européens, et pas le contraire.
La réalité est plus simple : l’Afrique noire a été coupée pendant des millénaires des grands centres du peuplement humain (croissant fertile, Méditerranée, Inde, Chine) et donc de l’invention, du fait du Sahara et des océans hostiles tout autour. Elle est restée dans des modes de vie néolithique jusqu’au XIXe siècle, du fait de ce long isolement.
C’est ce retard (technique, économique, militaire) qui a fait des Africains une proie facile pour les négriers. Ce n’est pas la traite qui a causé le retard, mais bien le retard qui a permis la traite.
Il s’agit d’une explication politiquement correct du sous-développement, mais sans rapport avec la réalité. Les économistes et économètres s’emparent de chiffres, mais sans prendre la peine d’étudier l’histoire d’abord. Cela aboutit à des conclusions proches du n’importe quoi, comme on le voit dans cet article.