Les débuts d’année sont propices à plusieurs types d’activités. Prendre des résolutions pour l’année suivante; faire des bilans de l’année écoulée; et faire des pronostics pour l’année à venir.
Dans la catégorie “bonnes résolutions”, on notera Gregory Mankiw, ancien et très malheureux conseiller économique de George Bush (il a dû avaler à l’époque nombre de couleuvres, et défendre avec conviction une politique économique pas franchement convaincante), fournir 7 recommandations aux politiques américains. Des recommandations frappées au coin du bon sens, comme promouvoir le libre-échange, faire cesser les subventions agricoles, étudier les questions budgétaires de façon non démagogique, d’autres plus surprenantes, comme supprimer la pièce de un penny (sic). De bonnes recommandations concrètes, dont on devrait s’inspirer chez nous. Il est dommage, comme l’ont constaté de nombreux commentateurs, qu’il n’aie pas exprimé ces propositions plus fortement lorsqu’il conseillait le président Bush. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Pour les bilans, Brad Setser fait la liste des prévisions ratées qu’il a faites l’année précédente; et celle de ses prévisions justes. Un exercice intéressant, qui conduit à comprendre pas mal de choses sur la situation macro-économique mondiale. Stephen Roach, le célèbre (et indécrottablement pessimiste) économiste de Morgan Stanley, se livre au même exercice, dégageant lui aussi des tendances importantes du fonctionnement de l’économie mondiale. En lisant ces articles, vous ne saurez pas ce qui va se passer l’année prochaine : mais vous aurez bien compris ce qui s’est passé durant l’année écoulée.
Les pronostics sont eux d’une grande banalité. Pour reprendre Robert Samuelson, tout ira bien, à moins que des problèmes ne surviennent. Sa liste de problèmes potentiels est d’ailleurs amusante : on aurait pu écrire quasiment la même l’année dernière (bulle immobilière, déficits extérieurs américains, système de retraite et de santé, prix du pétrole; seule l’inversion de la courbe des taux est une nouveauté… Mais il est peu probable qu’elle constitue un problème).
Faut-il s’étonner de la banalité de ces pronostics? Pas du tout. Comme le constate John Kay, et invariablement, les gens qui prévoient l’avenir se contentent de décrire le présent en imaginant que les tendances du moment vont se poursuivre. C’est bien naturel : la prévision est un art difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir. Mieux vaut donc prévoir le présent, on court moins de risques de se tromper. Surtout, on évite le risque de prévoir des choses que les gens ne veulent pas entendre. La leçon de Keynes est toujours valide : il est plus rentable d’avoir tort avec les autres que raison contre tout le monde – et il vaut mieux de ce fait, prévoir des choses en lesquelles les gens croient, c’est à dire, celles qu’ils voient sur le moment.
Il y a une vingtaine d’années, une célèbre étude de Rogoff et Meese démontrait qu’en matière de prévisions d’évolution des cours des devises, les modèles macro-économiques les plus sophistiqués ne faisaient pas mieux que quelqu’un qui prévoit qu’une devise va évoluer le mois prochain comme elle a évolué le mois écoulé. Les choses n’ont guère progressé depuis. Et ce n’est pas le pire : le pire en matière de prévision sont probablement ces prévisionnistes qui sont spécialisés dans l’anticipation des statistiques publiques. Une activité totalement dépourvue de valeur sociale, parfaitement futile, mais qui fait partie des métiers les mieux payés que peut exercer un économiste, car son rendement privé est énorme (les publications de statistiques publiques déterminent instantanément des fluctuations boursières : les anticiper, ne fût-ce que de quelques minutes, est extrêmement rentable). Ne parlons même pas des gestionnaires de fonds qui se font payer (très cher) pour offrir, le plus souvent, une performance inférieure à celle du marché.
Une seule leçon à retenir : ne croyez pas trop ceux qui prétendent prévoir l’avenir. Mais lisez attentivement ceux qui vous parlent du présent : c’est avec eux que vous en apprendrez le plus.
- William Nordhaus, Paul Romer, Nobel d’économie 2018 - 19 octobre 2018
- Arsène Wenger - 21 avril 2018
- Sur classe éco - 11 février 2018
- inégalités salariales - 14 janvier 2018
- Salaire minimum - 18 décembre 2017
- Star wars et la stagnation séculaire - 11 décembre 2017
- Bitcoin! 10 000! 11 000! oh je sais plus quoi! - 4 décembre 2017
- Haro - 26 novembre 2017
- Sur classe éco - 20 novembre 2017
- Les études coûtent-elles assez cher? - 30 octobre 2017
"Il y a une vingtaine d’années, une célèbre étude de Rogoff et Meese démontrait qu’en matière de prévisions d’évolution des cours des devises, les modèles macro-économiques les plus sophistiqués ne faisaient pas mieux que quelqu’un qui prévoit qu’une devise va évoluer le mois prochain comme elle a évolué le mois écoulé. Les choses n’ont guère progressé depuis. ………… "
En attendant de prendre le temps de lire effectivement le texte téléchargeable pointé de Rogoff et Meese, il me vient à l’esprit que, même si j’ignore si une action très liquide sur un marché suffisamment fluide pourrait être assimilée à une devise au sens de Rogoff et Meese, je crois me souvenir qu’à la grande époque où parler de bourse en ligne devant la machine à café est le truc hype du moment (vers 1998-2000 ?), on entendait souvent parler de logiciels "vachement chers" pour PC ordinaires qui faisaient ce que je nommais sur un ton peut-être un peu trop moqueur de la "morphopsychologie boursière", c’est à dire, qui examinaient l’allure des courbes de cours de bourse sur différentes périodes (à l’intérieur d’un seul et même jour, sur une période de X jours, de Y jours, etc.) et en tiraient des conclusions qui, statistiquement et du moins à l’époque et probablement encore en 2002, rapportaient sensiblement plus que les trucs sur le CAC (je ne sais plus ce qu’il en est aujourd’hui). Il y avait bien des livres qui expliquaient la théorie de la chose, mais leur lecture m’avait à l’époque laissé suffisamment perplexe pour que j’ai totalement oublié leur contenu à part sur les grands principes : plus il s’avérait que, par le passé, les représentations discrètes sur différentes échelles régulières du temps d’un cours donné étaient des homothéties l’une de l’autre, plus on pouvait espérer que cette règle resterait respectée dans l’avenir.
Excellent article et bravo à ceux qui font état de leurs fausses prévisions. Juste une petite opinion: je crois que ce n’est même pas le présent qu’ils expliquent mais le passé. Ainsi, lorsqu’ils prédisent une évolution future, ils projettent une évolution passée, ce qui ne signifie pas qu’ils connaissent le présent. S’ils connaissaient vraiment le présent, ils connaîtraient mieux l’avenir (à court terme en tous cas).
Au fait, quelqu’un peut-il me dire où je peux trouver les prévisions d’Elisabeth Teissier de l’année dernière?
@Gus : les logiciels dont vous parlez de fondent sur l’analyse graphique des cours. C’est un discipline enseignée à ceux qui vont dans les salles de marchés, et qui se fonde surtout sur une pratique constituée de martingales connues de tous en ce domaine. Pour se donner un vernis de sérieux, elle met en avant des « régularités » observées sur certains cours où on dispose de données très longue. L’exemple canonique est le marché du coton, où le cours sur l’année a la même allure que le cours sur une semaine ou sur un siècle, ce qui a conduit certains à dire que le cours suivait une évolution quasi-fractale.
Bref, est-ce que ça marche ? Oui et non. Non parce que cela n’a aucune raison sensée de marcher. Oui parce que si suffisemment d’acteurs utilisent ces méthodes, ce qui est le cas (à peu près 1/3 des acteurs de salles de marché disent s’en servir), alors les cours évolueront conformément à leurs prévisions, par simple effet d’anticipations auto-réalisatrices.
à contrario, puisqu’on s’est intéressé au pourcentage d’acteurs des marchés employant ces logiciels, a-t-on déjà envisagé dans la littérature publique d’exploiter les faiblesses intrinsèques du modèle (prédictibilité du comportement d’un logiciel) pour réaliser des profits, par exemple, sur le marché des produits financiers complexes intégrant plusieurs supports cherchant à se compense l’un l’autre ?