Le « contrat nouvelle embauche » annoncé par le gouvernement a rapidement été désigné comme le cheval de Troie du contrat de travail unique. Puisqu’il introduit une forme de précarité dans le CDI, sous la forme d’une période d’essai de deux ans, il ouvrirait la voie à un rapprochement du contrat normal (le CDI) et des formes atypiques (CDD en particulier).
J’ignore les arrière-pensées du Premier Ministre (lui aussi probablement). Mais il est certain que cette mesure, qui laisse tout de même sceptique prise isolément (pourquoi deux ans ? pourquoi pas 25 ans, puisqu’on y est ?), renvoie à un certain nombre de publications récentes autour de la notion de protection de l’emploi (Cahuc et Zylberberg, Blanchard et Tirole, Camdessus, Cahuc et Kramarz etc.)
On en retiendra quelques points :
– La protection de l’emploi est assez neutre en matière de chômage, mais elle réduirait le taux d’emploi et ralentirait les réallocations d’emploi (sur ce point, les données sont tout de même nuancées), serait source de dualisme du marché du travail en laissant toujours les mêmes salariés dans la norme d’emploi et en rejettant durablement les autres vers le chômage ou l’emploi atypique. Au total, donc, des effets marqués en matière de structure et de durée du chômage.
– Les auteurs de ces contributions proposent l’institution d’un contrat de travail unique, d’un système d’incitation des entreprises visant à taxer les licenciements (sous forme du paiement des allocations chômage des salariés licenciés), en échange d’une liberté plus affirmée de licencier. En particulier, les licenciements économiques ne seraient plus soumis aux mêmes contraintes administratives, déjudiciarisant les procédures, en libérant du temps de travail pour les agents des inspections du travail (temps consacré à des contrôles plus efficaces sur la législation en vigueur). Le travail des juges serait réorienté dans le même sens.
Les critiques ont fusé. Globalement, en nombre, elles sont d’une stupidité affligeante, reprenant encore sous une forme ou une autre l’antienne du tant envié “modèle français” qu’il faudrait préserver ou de l’existence de structures institutionnelles historiques incompatibles. Inévitablement, l’argument final devient “il faudrait remettre tout le système à plat”. Il est cocasse de constater que d’une critique du type “ce n’est pas bien”, on passe à “ce n’est pas faisable”… C’est tout de même différent. Et, forcément, la seconde a moins de gueule…
Néanmoins, plutôt que de s’insurger dogmatiquement, certains auteurs ont préféré regarder de plus près la cohérence des propositions. C’est notamment le cas de Jérome Gautié, du Centre d’Etude de l’Emploi, dans un article publié dans Droit Social de janvier 2005 (et disponible ici). L’article, intitulé “Les économistes contre la protection de l’emploi”, fait le point en trois temps sur les questions de protection de l’emploi. Dans une première partie, il recense les observations empiriques habituelles concernant le sujet. Dans la deuxième partie, il s’interroge sur les vertus de l’incitation préconisée par les auteurs cités ci-dessus. Enfin, il expose les enjeux de la désormais célébrissime “flexicurité”. C’est la deuxième partie qui est la plus intéressante, puisqu’elle donne un panorama des critiques que l’on peut adresser aux mesures proposées.
Gautié note tout d’abord, tout comme Blanchard et Tirole le mentionnent explicitement dans leur rapport, que le principe du “pollueur-payeur” appliqué en matière de chômage aux entreprises en difficulté constitue une forme de “double peine” injustifiable. Taxer une entreprise en difficulté est paradoxal. Dès lors, l’internalisation des coûts sociaux des licenciements ne peut être totale, réduisant ainsi l’intérêt du dispositif.
Ensuite, point encore relevé par Blanchard et Tirole, le dispositif inciterait les entreprises à éviter de recruter des salariés susceptibles de rester plus longtemps au chômage en cas de licenciement (et donc de minimiser les allocations payées). Une solution serait de déconnecter la taxe de la durée de chômage. Ce qui là encore réduit le degré d’internalisation du coût social. C’est effectivement plausible. Sur ce point, il me semble que Gautié (ou ceux qui ont pondu initialement l’argument) laissent de côté un aspect important. Avec un taux de chômage réduit, la perspective de rester sans emploi durablement sera-t-elle aussi importante qu’actuellement, quelle que soit le degré d’employabilité ? Certes, l’incitation à discriminer existera toujours si une population reste en moyenne sans emploi ne serait-ce qu’un mois de plus. Néanmoins, et c’est ce qui est proposé par Blanchard et Tirole, une politique de réduction de la taxe (ou des charges sociales) ciblée sur les populations concernées pourrait compenser cet effet pervers. Par ailleurs, ces travailleurs seraient-ils plus stigmatisés qu’aujourd’hui ? On peut en douter. Mais la question mérite d’être posée.
Gautié craint également que d’un point de vue d’économie politique, les entreprises préfèrent soutenir politiquement des mesures qui réduisent les droits à l’indemnisation plutôt que la hausse de l’employabilité. En effet, les deux axes auraient pour conséquence probable de réduire la durée du chômage. Mais la première, qui diminuerait directement le coût global des licenciements (moins de droit, plus longtemps), est nettement moins complexe pour les entreprises.
Si le licenciement économique devient facile, mais taxé, alors que le licenciement pour faute n’est pas taxé, la tentation sera grande de camoufler le plus garnd nombre de licenciements économiques en licenciements pour faute. Pour les défenseurs du système, c’est là qu’interviendrait le juge, pour parer aux dérives. Jérome Gautié envisage que cela ne puisse être suffisant si les affaires se multiplient. Le risque n’est pas négligeable de voir une épidémie de licenciements pour faute et qu’à l’engorgement des conseils de Prud’hommes pour statuer sur des licenciements économiques, se substitue une congestion liée à des affaires de licenciements abusifs pour faute. Comme il le souligne, le rôle des syndicats serait important. Leur faiblesse est alors un handicap sérieux. Néanmoins, n’est-ce pas aussi une opportunité de les voir relégitimés ? Simple supposition. Mais serait-ce si impensable ?
Enfin, et c’est un point qui a ému à juste titre les spécialistes de droit du travail, “la proposition de fiscaliser la protection de l’emploi pose un problème de fond important. Elle repose sur une vision de la règle de droit comme simple entrave au bon fonctionnement du marché. Or, celle-ci est aussi une ressource pour les différents acteurs, ouvrant un espace de négociation où ce qui est en jeu est notamment de définir la valeur sociale de l’emploi”. Ce dernier point est important, car il ne relève pas d’une critique ad hoc de la forme “le travail n’est pas une marchandise” qui finit 9 foi sur 10 par dériver vers une conception soviétisante de l’emploi. De ce point de vue, il est certain que les spécificités institutionnelles inhérentes au marché du travail posent le problème de leur évolution dans ce nouveau cadre. Il n’est pas nécessaire d’être un “dangereux gauchiste” pour reconnaître cette caractéristique. Une rapide référence à Karl Polanyi et aux pratiques de négociation et concertation collectives dans les pays développés connaissant de faibles taux de chômage, y compris aux Etats Unis, suffit à s’en convaincre. Mais il semble tout aussi légitime de penser que de mauvaises institutions n’ont aucune raison d’être préservées.
Gautié reconnaît que la proprosition de recourir à l’incitation plutôt qu’à la régulation a le mérite de susciter un débat sur les limites actuelles de la protection de l’emploi. Son texte y répond intelligemment.
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