Avant même que tout le monde ne se réveille dans l’Amérique anti-Bush (et ailleurs), certains se seront sûrement demandés pourquoi des tas de gens n’avaient pas quitté la Nouvelle Orleans avant l’arrivée de l’ouragan. Avant les premières images, j’ai pour ma part craint ce qu’elles ont confirmé. Ceux qui ne sont pas partis l’ont rarement fait par romantisme, mais par manque de moyens de le faire. Manque de moyens de transport, mais, c’est une hypothèse que je formule (je n’ai rien lu ou entendu à ce sujet), par crainte que le peu de biens qu’ils possédaient soient pillés. Hier, ma grand mère, qui a forcément un avis sur tout, me disait (comme d’autres le formulaient plus perversement dans les media) “Mais c’est pas possible un truc pareil dans le plus puissant pays du monde !”. Ce à quoi je lui ai répondu que, de la même façon qu’il n’était pas rationnel d’entretenir une flotte de Canadairs capable d’éteindre n’importe quel incendie de forêt dans l’heure qui suit, il n’était pas forcément intéressant de se protéger contre l’éventualité d’un évènement incertain de l’ampleur de Katrina.
A qui la faute alors ? Bush lui-même a affirmé que les secours n’avaient pas fonctionné correctement. S’il le dit, il doit avoir de bonnes raisons. Mais peut-être pas seulement celles qu’on croit. Admettons. Il reste que dans cette histoire, le plus gros du drame est imputable à un phénomène d’extrême , thème que Daniel Zajdenweber avait abordé dans un ouvrage de vulgarisation de très grande qualité. Ce texte est chroniqué ici.
Ce qui frappe ici, quand on a lu le livre, c’est la dimension “fractale” du phénomène. Je ne sais pas si le terme est parfaitement aproprié. Les puristes me pardonneront. Je m’explique : plus que la violence d’un mouvement climatique, c’est la structure de l’habitat qui va déterminer l’ampleur des dégâts. Une forte concentration urbaine, comme à la Nouvelle Orléans, dans une zone initialement exposée (sous le niveau de la mer), crée bien plus de dégâts qu’un désastre équivalent dans une zone peu peuplée. Ce que montre bien Zajdenweber, c’est la difficulté à assurer ce genre de risques. Si on veut atténuer la responsabilité des autorités locales ou fédérales, on dira qu’il n’était pas approprié d’envisager un dispositif d’évacuation complète de la ville pour tous, prêt à fonctionner du jour au lendemain. Cela n’est pas si odieux qu’il n’y paraît. Si vous aviez demandé il y a trois mois aux habitants de la NO s’il préférait que le budget de la ville soit consacré à la mise en place d’un système de protection contre les ouragans exceptionnels ou à la gestion des écoles, des routes, de la police, etc. il n’y a guère l’ombre d’un doute sur la réponse : tant pis pour les ouragans. En comparaison, l’absence de dispositifs de détection des tsunamis en Asie était une anomallie, compte tenu du coût modeste de sa mise en place. Bref, si on peut légitimement se demander si tous les moyens disponibles ont été mis en oeuvre avec efficacité, il paraît probable que toute la ville n’aurait pas été évacuée dans le cas contraire.
Ici, s’ajoute à cela une distribution extrême des revenus. On a en effet du mal à imaginer que des populations ne puissent quitter une ville. C’est pourtant ce qui est arrivé. Dans cette ville, un nombre impressionnant de gens n’ont pas pu partir. Les distributions extrêmes de revenus sont un autre point que Zajdenweber analysait dans son ouvrage. De mémoire, il me semble qu’on y retrouve une référence dans le bouquin d’Easterly sur le développement. Les conséquences de cette distribution viennent s’ajouter au contexte urbain mentionné précédemment.Ainsi, la lecture de cet ouvrage éclaire un peu plus froidement la tragédie vécue par la Louisiane et le Mississipi.
C’est insuffisant cela dit. Les remarques de Mike Moore sur l’affectation des moyens militaires à la guerre en Irak ne sont pas forcément dénuées d’intérêt. C’est sa marque de fabrique, d’ailleurs : posez basiquement des questions de bon sens commun, il en reste toujours quelque chose. Peu importe si la mise en scène n’est pas aussi empreinte de bonhomie. Un hélico militaire, au départ, c’est fait pour la guerre, pas pour les évacuations de sites de catastrophes naturelles. Par chance, il n’y a pas toujours la guerre et on peut alors s’en servir. Mais bon… cela suppose que la guerre en Irak n’était pas légitime, ce qui est une opinion, pas un fait. Du moins, ça ne justifie pas qu’on considère qu’un hélico militaire devrait toujours être disponible pour ce genre d’opérations. Bref…
On peut se demander aussi si le fonctionnement fédéral des Etats Unis n’a pas montré ici une lacune pour le moins ennuyeuse. Que des secours n’aient pas convergé avec force et rapidité vers les Etats touchés m’incite à me poser la question (à laquelle je n’ai pas de réponse). Enfin, de nombreux commentateurs ont relevé que cette situation, et notamment le climat d’état de nature Hobbesien qui règnent dans la NO, donnait un instantané du niveau du lien social dans cette ville, semblable à de nombreuses autres grandes agglomérations américaines, pour le moins consternant. Car, avant de parler des autres Etats ou de l’autorité fédérale, c’est bien toute une partie de la ville qui a laissé à son triste sort le reste de la cité. Reste de la cité dans lequel des rescapés ont comme principale préoccupation de voler, violer et tuer. On touche probablement, mais serait-ce local, aux limites d’une vision de la société civile américaine plus apte à se prendre en charge, sans se tourner systématiquement vers l’Etat (local ou fédéral). Beaucoup de questions loin d’être simples.
Hélas, encore une fois, on entendra surtout ceux qui ont des réponses loin d’être complexes. Madame Parisot invoquera peut-être “la précarité de la condition humaine”, avant de reprendre une petite coupe…
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A mon avis il y a plusieurs points.
D’abord, le fait que la seule décisions permettant d’évitrer ca aurait été de supprimer préemptivement la ville, ou de construire des digues enormes(la zone inondée fait la moitie de la France, c’est donc qqch d’équivalent à la muraille de chine qu’il aurait fallu construire – sans eliminer totalement le risque, notamment en cas de tres fortes pluies, dans un pays dans lequel l’investissement public massif n’est pas forcement à la mode)
Ensuite la gestion de crise est qqch d’extremement complexe, puisqu’il s’agit généralement de coordonner des gens. L’autre difficulté est de prendre la bonne mesure du probleme. Ca a l’air évident apres coup, mais quand vous etes au milieu du truc avec d’un cote des scientifiques qui disent qu’il y a un danger, de l’autre d’autres personnes qui disent que non (les memes qui ont, depuis des années, conduit à ce qu’on vive avec un tel risque) c’est tres complique d’arriver à faire la part des choses, et a reunir suffisamment d’elements convaincants pour faire agir toutes les parties prenantes.
D’autant plus qu’en general celui qui a la bonnne info peut etre confronté a d’autres avis, et à une machine hierarchique qui bloque des décisions évidentes.
Par exemple, pour assurer que tout le monde parte sans probleme et sans douleur, il y avait en gos 1,5 millions de personnes à evacuer pour un ou deux mois. Soit environ 40 euros (prix d’un hotel tres cheap+2 repas mac do par jour) X 60 jours X 1,5 millions = plus de 3 milliards. Pas evident…
Sur ce sujet, voir :
"The logic of failure" (Dorn)
Un article celebre sur le sujet (dont j’ai oublie la reference) qui compare les grosses bourdes historiques et en decrit les mecanismes : l’explosion de Challenger, la Baie des Cochons,…
>>Il reste que dans cette histoire, le plus gros du drame est imputable à un phénomène d’extrême
Le plus gros du drame tient, semble-t-il, au manque d’entretien des digues.
>> Si vous aviez demandé il y a trois mois aux habitants de la NO s’il préférait que le budget de la ville soit consacré à la mise en place d’un système de protection contre les ouragans exceptionnels ou à la gestion des écoles, des routes, de la police, etc. il n’y a guère l’ombre d’un doute sur la réponse : tant pis pour les ouragans.
Et alors? On leur a demandé?
à V :
>> la zone inondée fait la moitie de la France
Non, ça c’est la zone touchée par Katrina. Le gros point noir, c’était la situation géographique de La Nouvelle Orléans, dont une partie est sous le niveau de la mer. Le coût d’une amélioration du système de digues était estimé à 2,5 milliards de dollars. A comparer avec les dégats imputables à la rupture des digues.
>> L’autre difficulté est de prendre la bonne mesure du probleme. Ca a l’air évident apres coup.
Et il se trouve que ça l’était avant : l’ordre d’évacuation a été donné la veille (ou l’avant veille, sais plus).
Pour comparer les deux il faut comparer le cout mais la probabilité :
– travaux sur les digues, notamment : disons 3 à 4 milliards (il y a les digues, mais sans doutes d’autres choses), probabilité 100 %
– le remplissage de la cuvette : cout 100 milliards selon le Figaro pour l’ensemble de Katrina (pas seult New Orleans), probabilité peut-etre qques pour mille
C’est un exercice qui peut apparaitre cynique, mais il faut savoir que c’est comme ca qu’on fait les choix de constructions routieres (au moins pour la partie technique des projets), notamment en incluant un "valeur du deces évité" (je crois de l’ordre de 150 k€)…
"Si vous aviez demandé il y a trois mois aux habitants de la NO s’il préférait que le budget de la ville soit consacré à la mise en place d’un système de protection contre les ouragans exceptionnels ou à la gestion des écoles, des routes, de la police, etc. il n’y a guère l’ombre d’un doute sur la réponse : tant pis pour les ouragans."
la question ne se pose pas ,ce n’est pas la ville qui paye pour la protection contre les ouragans, ca vient du budget federal et la decision a ete prise il y a + de 30 ans de proteger contre un ouragan de force 3 ,decision prise en connaissance de cause quelques annees apres le passage d’un ouragan de force 5 dans le mississipi
Primo, ce sont les espérances qui sont comparées.
Secundo, ce "il faut" est une définition normative de la rationalité.
Tertio, la probabilité d’un événement type Katrina, "Big One" en Californie, est de… 100%!
On peut comparer avec une catastrophe qui nous pend au nez, celle d’une monstrueuse épidémie de grippe venant de nos élevages bretons de volailles ou de porcs (rien à voir avec la grippe asiatique). Sa proba est également de 100%. On ne sait pas quand elle viendra, mais elle viendra. La question économique est de savoir si, sur la période considérée (entre maintenant et la catastrophe), le coût de la prévention aurait été supérieur au coût de l’épidémie. On le saura le jour venu. A ce moment, si par malheur toi ou tes proches êtes touchés, je doute que tes justifications économiques ex post pèsent très lourds…
Evidemment, il y a des cas extrêmes, comme la chute d’une astéroïde (qui serait effectivement TRES couteux à prévenir). Ce n’est pas le cas ici.
En ce qui concerne la question de la sécurité routière, elle engage également la responsabilité des individus, ce qui change complètement le problème d’un point de vue moral, et donc économique.
1- oui, précisement
2-3 : la probabilité de 100 % est sur une durée infinie, ce qui n’a pas grand intéret opérationnel (la probabilité de décès de chacun est de 100 %). le parametre rellement intéressant, c’est la probabilité une année donnée, la durée moyenne entre deux sinistre, et la courbe de répartition des dégats potentiels.
Pour l’ordre d’évacuation entre une décision administrative, et le fait de prendre le taureau par les cornes (mobilier l’armée pour expulser ceux qui veulent reste) il y a un pas… L’exprimer ce n’est pas l’excuser mais disons que c’est des choses qui arrivent souvent, et qu’il est difficile de juger sans avoir été soi-même pris dans une chose de ce type.
Je n’ai pas du être très clair : la rationalité économique ("le parametre rellement intéressant, c’est la probabilité une année donnée, la durée moyenne entre deux sinistre, et la courbe de répartition des dégats potentiels.") s’applique très difficilement, voire pas du tout, au type de risques majeurs dont il est question ici. C’est tout le problème du principe de précaution (certes très complexe).
Je crois que les critiques de la blogosphère USA se concentrent plus sur le manque d’organisation et de celerité des secours, en plus de l’épineux problème de couches sociales défavorisées mis en évidence.
Les USAs sont un pays de 300 millions d’habitants et qui connait chaque année des catastrophes naturelles de grande ampleur, c’est une question de choix de société : financer 500 000 militaires actifs et 700 000 en reserve potentiellement projetables dans deux régions du monde en même temps (et qui ne font rien sinon) pour protéger des intérêts stratégiques du pays à l’étranger vs des moyens pour évacuer 300 000 pauvres noirs (vous avez vu les images et vous avez noté ?) insolvables et sans moyen de transport lors d’une catastrophe naturelle (récurrent annuellement), et réagir rapidement et de manière coordonnée après, incluant le génie civil d’urgence.
Le directeur du FEMA, un pote a Bush apparament incopétent pantouflé la, a l’air d’en prendre plein la tête au passage …
Laurent
jck : "la question ne se pose pas ,ce n’est pas la ville qui paye pour la protection contre les ouragans". Vous avez raison. Je voyais ça comme un cas d’école (en ignorant par ailleurs à qui incombaient ces dépenses ; j’aurais dit au demeurant qu’il y avait des fonds de plusieurs niveaux). C’était maladroit. D’autant que si la question posée à un habitant de la Nouvelle Orleans est "Souhaitez vous que le budget fédéral supporte la protection contre les ouragans de manière infaillible ?", la réponse sera très différente que s’il est question du budget municipal !
guerby : "vous avez vu les images et vous avez noté ?". Je veux… C’est ce qui a confirmé dans mon esprit, au premier coup d’oeil, mon idée que les pauvres étaient restés.
" les critiques de la blogosphère USA se concentrent plus sur le manque d’organisation et de celerité des secours, en plus de l’épineux problème de couches sociales défavorisées mis en évidence."
Normal et assez légitime. Mon billet est à 90% un clin d’oeil au bouquin cité, dont le contenu reste pertinent pour comprendre certains aspects de la catastrophe. Je n’ai rien de beaucoup plus pertinent à dire sur le sujet.
"vous avez vu les images et vous avez noté ?"
Oui. A propos, quelqu’un a-t-il vu des images de Bush, lors de ses visites aux régions touchées, où il embrassait une personne de couleur noire? J’ai un affreux doute politiquement incorrect parce que j’ai vu des images où il embrasse goulûment une (grosse) blanche et fait une accolade de soutien à deux jeunes métisses, mais aucune où il se colle à un "vrai" noir alors que sur les images on ne voit qu’eux…
Voici l’évaluation qui avait été publiée en 2002 à propos des
risques d’un ouragan de force 5 sur New Orleans :
http://www.pbs.org/now/transcrip...
Quelques données concernant la fréquence des ouragans ici :
http://www.aoml.noaa.gov/hrd/tcf...
Les prévisions récentes :
typhoon.atmos.colostate.e…
indiquaient que l’année était propice aux ouragans.
Finalement, pour comparer avec l’efficacité de la France
en cas de catastrophe comparable, les tempetes ‘historiques’
de l’an 2000 avaient une force de vent de 120km sur une vaste
partie de la France, et de 180km/h sur la Bretagne :
http://www.ac-strasbourg.fr/micr...
ce qui correspond à des ouragans de force 1 et de force 3
respectivement :
http://www.aoml.noaa.gov/hrd/tcf...
Emmanuel a publié un texte intéressant sur Ceteris Paribus :
ceteris-paribus.blogspot….
Tiens, du nouveau, hier Bush était collé à un "vrai" noir sur chaque image… Eh, eh, les conseillers en comm ont fait leur boulot…
Il faut voir le coté positif de katrina, le nombre de pauvres a baissé aux USA
Une petite remarque en passant : un hélicoptère de transport militaire, ça ne sert pas à faire la guerre, mais du transport militaire, qui est la même chose que le civil, en moins confortable. En d’autres termes, la puissance publique américaine disposait probablement sur place de quoi préparer une intervention de secours qui aurait pu être bien plus prompte et plus efficace au lieu, par exemple, de laisser à Baltimore ce navire-hôpital qui finira par arriver trop tard. Et à en juger par les images de ces colonnes de véhicules chargés de réparer les infrastructures électriques se dirigeant vers la Nouvelle Orléans avant le cyclone, d’autres avaient pris leurs précautions. On peut parier qu’il s’agissait d’entreprises privées, et qu’elles avaient jugé le coût de ce déplacement préventif inférieur aux pertes d’exploitation entraînées par la coupure des lignes.
Heureusement, depuis, la 101ème est arrivée : on est sauvé.
Denys : "un hélicoptère de transport militaire, ça ne sert pas à faire la guerre, mais du transport militaire, qui est la même chose que le civil, en moins confortable."
Je vais jouer aux con (j’aime ça ;o) ) : s’il n’y avait plus la guerre, y aurait-il des hélicos de transport mili ?
Pour le reste, ce que vous dites me semble plus pertinent que l’idée de Moore sur les moyens mobilisés en Irak qui auraient cannibalisé l’intervention en Louisiane.
Certes, certes, mais le sens de ma remarque était que les militaires étant malgré tout des hommes comme les autres, ils disposent de quantité de moyens logistiques et autres qui, quand ils ne sont pas en opérations, servent juste à faire joli dans les casernes. Même si je ne surveille pas en permanence les tableaux d’effectifs de l’armée américaine, j’imagine que tout n’est pas en Irak, et que ce qui restait en matière de transport, de génie, d’hopitaux de campagne ou d’hébergement provisoire aurait pu, pour l’occasion, être utile.
A l’inverse, ma remarque concernant la 101ème était que cette unité de pointe ne sert à rien d’autre qu’au combat. En d’autres termes, elle est là pour CNN. Enfin, il paraît qu’aujourd’hui on dit : pour Fox News.
Denys : "j’imagine que tout n’est pas en Irak, et que ce qui restait en matière de transport, de génie, d’hopitaux de campagne ou d’hébergement provisoire aurait pu, pour l’occasion, être utile."
Entièrement d’accord.