Il faut avoir peur de la grippe aviaire

Bernard Salanié, à partir d’un dossier de Foreign Affairs, s’inquiète particulièrement des conséquences potentielles de l’actuelle épidémie de grippe aviaire. C’est à juste titre. Alors que les conséquences de l’ouragan Katrina devraient nous rappeler que les premiers dangers qui menacent l’humanité sont naturels et inévitables, et que nous devons agir aujourd’hui non pas en se demandant si les catastrophes vont survenir, mais en sachant qu’elles surviendront, il est temps de comprendre quelles sont les conséquences potentielles de la grippe.

Le post de Bernard Salanié fait écho à un récent post de Marginal Revolution commentant un livre consacré à la grande grippe de 1918-1919. Il y est rappelé que la grande grippe (improprement appelée espagnole : toutes les grippes sont originaires d’asie du sud) a tué 100 millions de personnes, soit 5% de la population mondiale de l’époque, et ce en 12 semaines. Le monde développé, bien que terriblement touché (la grippe a à l’époque tué plus de personnes en Europe que le premier conflit mondial qui venait de se terminer) n’a pas été le plus concerné : L’Italie, pays développé à la plus forte mortalité liée à la grippe, a perdu alors 1% de sa population. Mais le Mexique a perdu 5% de sa population; et dans certaines zones, c’est 85% des habitants qui ont disparu. Les conséquences dans ce qu’on n’appelait pas encore le Tiers-Monde restent mal connues, mais ont certainement été dévastatrices. Il semble même que cette épidémie de grippe ai encore des conséquences aujourd’hui : d’après une récente étude du NBER, les cohortes se trouvant in utero au moment de cette grippe se trouvaient, 50 ans plus tard, plus pauvres que les cohortes nées à d’autres périodes, suggérant que les foetus ont été atteints par la maladie; et les régions des USA ayant été le plus touchées par la maladie se trouvaient, 50 ans plus tard, parmi les plus pauvres.
Ces aspects sont à prendre en compte pour étudier les politiques publiques de santé : B. Salanié rappelle opportunément que les dépenses de recherche médicale ont un rendement social très élevé; si l’on prend en compte les conséquences à long terme des épidémies (en considérant qu’elles ont un impact sur au moins deux générations puisqu’elles touchent aussi ls foetus) les gains pour la société des soins et de la recherche sont probablement énormes – et les dépenses aujourd’hui consenties sont insuffisantes, surtout comparées à des secteurs bénéficiant de largesses publiques très contestables.

On peut aussi prendre une perspective historique. Il y a quelques livres qui changent définitivement la façon dont vous voyez le monde : Plagues and Peoples (épidémies et peuples) de l’historien W.H. McNeill est de ceux là. Ce livre extraordinaire montre que l’histoire de l’humanité a été faite dans des proportions incroyables par le rapport entre les populations humaines et les épidémies. L’histoire de l’humanité est avant tout une histoire de virus, et si les progrès de la science ont permis de limiter leurs conséquences, nous sommes aujourd’hui à la merci des maladies. Dernier détail : la mortalité liée à la grippe aviaire est de 50%; celle de la grippe de 1918 était “seulement” de 5%.

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Alexandre Delaigue

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5 Commentaires

  1. A-t-on des données sur des épidémie récentes (ie, dans un monde disposant de moyens medicaux industriels et de communication rapide) ayant causé une mortalité de l’ordre de celle évoquée ?

  2. « les cohortes se trouvant in utero au moment de cette grippe se trouvaient, 50 ans plus tard, plus pauvres que les cohortes nées à d’autres périodes, suggérant que les foetus ont été atteints par la maladie »

    C’est une pure spéculation, car à ce jour on a pas retrouvé de souche du virus de la grippe espagnole, malgré des recherches sur des cadavres de personnes décédées de l’influenza et conservés dans du permafrost.
    Ces interprétations sur la transmission éventuelle du virus à des foetus ne sont pas scientifiquement fondées et leurs conséquences sociologiques encore moins.
    Outre Atlantique on vénère encore Galton à ce que je vois, les plus faibles sont les plus pauvres, les plus pauvres sont moins adaptés aux évènements catastrophique, les plus pauvres sont noirs (c’est Charles Murray qui doit être content). Conclusion : si tu es pauvre c’est que tu es trop con pour gagner de l’argent et c’est bien fait pour toi.

    Pour la grippe avère le risque de pandémie provient d’une éventuelle mutation de virus qui se transmettrait alors d’humain à humain au lieu d’oiseaux à humains comme c’est le cas actuellement.

  3. @ all : ne nous énervons pas, surtout sur un article qui s’inquiète des conséquences des épidémies pour les populations vulnérables et qui recommande des efforts spécifiques du système de soins dans leur direction… Il est recommandé de lire ce qu’on critique, ça aide.

  4. à votre avis,faut-il fixer des limites aux progrés de la science et de la technique?Je suis ouverte à tout point de vue…

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