Travailler moins pour gagner plus

Notre président a des intentions claires pour réformer la fiscalité française. Supprimer l’Impôt sur la Fortune et le remplacer par :

un nouvel impôt sur le patrimoine dont l’idée est la suivante : l’erreur faite dans les années passées, c’était de taxer le patrimoine alors qu’il vaut mieux taxer les revenus du patrimoine et les plus-values du patrimoine”. “C’est l’axe de la réforme que nous allons engager

Un petit rappel. L’impôt sur la fortune est un impôt dont le principe est efficace. Considérons, comme le faisait F. Meunier, un individu qui détient un patrimoine de 100 millions d’euros. Il peut gérer son patrimoine de trois façons. Il peut faire des efforts, et celui-ci lui rapportera 6% annuels. Il peut modérer ses efforts, et gagner seulement 3% annuels. Ou alors, il peut être paresseux et dispendieux, auquel cas son patrimoine ne lui rapporte aucun intérêt annuel.

Introduisons maintenant un impôt sur le capital, correspondant à 1% du patrimoine total détenu. Chacune des stratégies-ci dessus implique le même montant d’impôt payé : un million d’euros annuels. La stratégie de l’effort intense rapporte désormais 5 millions d’euros. Celle de l’effort modéré, 2 millions d’euros. La stratégie dispendieuse, quant à elle, conduira l’individu à perdre un million d’euros par an. Les finances publiques reçoivent trois millions d’euros (en comptant trois individus appliquant chacune des différentes stratégies).

Remplaçons maintenant cet impôt sur le capital par un impôt sur les revenus du capital. Pour que ce remplacement soit neutre pour les finances publiques, chacun pourra vérifier qu’il faut un impôt de 33% des revenus du patrimoine. Dans cette situation, la stratégie courageuse rapporte désormais 4 millions d’euros. La stratégie de l’effort modéré laisse un gain inchangé, de deux millions d’euros. Le dispendieux paresseux, quant à lui, ne paiera aucun impôt. Le total collecté par l’Etat sera toujours de trois millions d’euros.

Mais vous le voyez tout de suite : les conséquences distributives de l’opération ne sont pas du tout neutres. En effet, celui qui dans cette situation paie le plus d’impôts est celui qui fait le plus d’efforts pour rendre son patrimoine productif. Celui qui à l’inverse le laisse en jachère, est le grand bénéficiaire de cette transformation.

Ce résultat est on ne peut plus connu en économie de la fiscalité. Un impôt sur le patrimoine peut être assimilé à un impôt forfaitaire, qui est déterminé indépendamment de l’usage fait du capital : Le propriétaire de capital est donc incité à le rentabiliser. Un impôt proportionnel sur les revenus du capital sera moins incitatif. Si l’effort à fournir pour rentabiliser le capital à hauteur de 6% est important, notre capitaliste se dira qu’il vaut mieux pour lui fournir l’effort limité. Alors qu’avec l’impôt sur le patrimoine le fils à papa dispendieux constatait que sa vie dissolue conduisait son patrimoine à diminuer, ce qui pouvait l’inciter à passer sa licence faire des efforts, désormais, cette pression n’existe plus.

Cette efficacité économique apportée par l’ISF avait déjà été sérieusement rognée par le bouclier fiscal et les multiples et abondantes niches fiscales. On peut noter également que l’analyse ci-dessus est trop simple. Elle devrait inclure d’autres effets incitatifs : l’incitation à l’expatriation ou l’évasion fiscale, qui n’est sans doute pas très grand, contrairement aux idées reçues); le fait que des techniques d’optimisation fiscale (par exemple en versant un peu moins de dividendes) permettent de corriger cet effet. Pour ces raisons, F. Meunier en concluait qu’il vaudrait mieux supprimer et bouclier fiscal et ISF, quitte à attendre qu’un gouvernement de l’autre bord le remplace “par une façon plus intelligente de faire payer le patrimoine”.

Il n’en reste pas moins que cette réforme, si elle est mise en place, reviendra premièrement à favoriser une tare typiquement française : encourager le capitalisme d’héritiers, cette conception très 19ième siècle dans laquelle les manants entreprenants ne doivent pas s’enrichir : seuls ceux qui disposent d’un gros capital et l’accumulent (ou en héritent) sont dignes d’être considérés comme des élites nationales. Il ne sera plus nécessaire, pour entretenir le manoir familial, de le louer à quelques périodes de l’année à un prix dérisoire pour acquitter l’impôt. Il faut dire que cela risquait de faire venir des gens pas convenables.

La seconde conséquence de cette réforme, ce serait une bien curieuse inversion de la formule qui a fait tout le succès de l’élection présidentielle de 2007 : travailler plus pour gagner plus. Il est vrai que les moyens de politique économique utilisés pour cela ont largement échoué. La défiscalisation des heures supplémentaires est un échec tout aussi coûteux que retentissant; Le RSA, censé lui inciter les pauvres à travailler plutôt qu’à rester dans une culture d’assistanat, est entré de plein fouet dans le mur d’une crise économique qui restreint considérablement les possibilités de travailler tout court. Il va falloir songer à d’autres modes d’indemnisation (à ce propos, un petit lien pour les geeks).

Bref donc, “travailler plus pour gagner plus” est sérieusement écorné par le remplacement d’un mécanisme incitant au travail par un mécanisme qui récompense la paresse. Le nouveau slogan, promis à n’en pas douter à un bel avenir, est désormais “travailler moins pour gagner plus”.

Alexandre Delaigue

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4 Commentaires

  1. Gu Si Fang: vous me semblez confondre choix libres et choix contraints : la plupart des situations dans les sociétés civilisées ne découlent pas des choix faits par les individus, mais de choix sévèrement bornés pa les contraintes imposées par l’institution aux individus. Il est d’ailleurs intéressant de constater que la masse monétaire croit avec la somme des limitations aux libertés créées par les institutions aux choix des individus.

    Après, savoir si une économie qui interdit d’entreprendre à la majorité de ses membres pour réserver ce droit aux détenteurs d’un certain "crédit" est efficace se vérifie dans les faits, chaque jour.

  2. Un complément de "nos phobies économiques" ? :

    "150 idées reçues sur l’économie", de F. Dedieu, E. Lechypre et F. de Witt

  3. Moi, le principe de l’ISF ne ne choque pas (et pourtant je le paye).
    Ce qui me choque, c’est qu’on mette dans le même sac fiscal le capital réel, disponible, ou mobilisable, et le capital "virtuel".
    Je m’explique. J’habite en région parisienne, et mon logement, payé par une vie d’économie vaut x.
    Mais , suite à des spéculations diverses, il vaut pendant 3 ans X+une grosse somme liée à l’état du marché.
    Mais j’aime mon logement, je n’en ai pas d’autre, et je devrais acheter si je vendais.Donc je le garde.
    Je paye donc un ISF (aussi) sur cette partie spéculative, dont je ne dispose pas.
    Quand la bulle spéculative se sera dégonflée, que mon logement ne vaudra plus que x (ou moins…), j’aurais payé pendant des années une surcote. En fait, je devrais alors récupérer cette surcote dans un système idéal (mais un peu usine à gaz j’en conviens).
    De même l’épargne salariale bloquée jusqu’à 5 années devrait être taxée en tenant compte d’une actualisation, puisque, la aussi, il peut y avoir une surcote qui m’échappe,et le capital n’est pas disponible.
    Et le montant disponible n’est pas connu….

  4. Travailler moins pour gagner moins est une option accessible à tous et qui réduit considérablement la note fiscale . Le travail est la coopération obligatoire à un système devenu fou qui n’assure même pas le minimum tout en faisant croître les gaspillages.

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