Sur les soirées open bar

Yannick Bourquin a publié récemment un billet signalant des études concernant la consommation d’alcool, lui même faisant référence aux soirées open bar. Boire beaucoup est dangereux à divers égards. Interdire ce genre de chose serait potentiellement efficace pour éviter des accidents, de la route pour l’essentiel et sauver des vies retarder le jour de la mort de certains individus. Ce qui me frappe, c’est qu’entre le chaos d’une consommation débridée et la prohibition, on n’envisage guère autre chose.

Précision avant de m’étendre. Bien qu’à l’époque où j’étais étudiant, ce genre de soirées existaient déjà, je ne les fréquentais guère, car j’ai horreur de faire longuement la queue pour avoir un malheureux verre. Je préfère payer (et donc, je picole plus quand il faut payer…). Donc, les rares que j’ai pu fréquentées ne me donnent pas une connaissance suffisamment subtile du phénomène. Excusez mes éventuelles erreurs. Mon hypothèse est la suivante : le profil des buveurs démontés dans les soirées open bar est varié. Ceux qui picolent partout comme des dingues et ceux qui picolent parce que c’est gratos. Parmi ceux-là, certains n’ont pas du tout l’habitude de boire et sont rapidement inconscients de ce qu’ils font. Pure négligence, donc, pas volonté de se mettre HS pour deux jours. Peut-on imaginer un système simple de signal donné par les tenanciers du bar pour limiter les excès involontaires ? Un système de carte avec tampon. Chaque fois que quelqu’un passe au bar, on tamponne sa carte et, si les consos déjà ingurgitées dépassent un certain nombre, on le signale au fêtard, sans inquisition, pour l’inciter à se demander si ça va aller avec une de plus. Car oui, les routards savent qu’au delà d’un certain nombre de verres dans un laps de temps assez limité, il vaut mieux prendre un coca en attendant. Pas les gens peu coutumiers des descentes au long cours.

Évidemment, cela ne serait utile que pour une partie des buveurs. Mais le coût marginal d’un tel système n’est-il pas potentiellement inférieur à son gain marginal ? J’ai tendance à penser que oui. Et tout ceci sans inquisition.

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18 Commentaires

  1. Il me semble que le système que vous proposez est ce qui a été mis en place depuis que les open-bars ont été interdits. Comme d’habitude, les gens ont trouvé un moyen de contourner la règlementation, en l’espèce demander aux filles (qui par hypothèse boivent moins) de commander pour eux.
    Je suis sûr que nombre de commentaires expliqueront ça mieux que moi.

    Réponse de Stéphane Ménia
    Ah, je vous avais bien dit que j’y comprenais rien 😉 Mais si je comprends bien, c’est un système de rationnement. Ce n’est pas ce que je propose.

  2. Les deux bourrés-types dans ces soirées sont bien définis.

    Une première remarque concernant l’incitation des tampons : dans la plupart des soirées open bar, l’afflux de personnes autour du comptoir est en général bien supérieur à la capacité d’accueil dudit comptoir et des serveurs qui y sont positionnés. Comme tout est sous-capacitaire pendant les premières heures (les gens se ruent dessus car l’open bar n’est open que jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’alcool, soit 2 ou 3h du mat’), je vois mal comment le coup de tampon est faisable sans provoquer d’émeute au bar.

    Seconde remarque : la future réglementation est déjà largement détournée par un systême de rationnement qui ne l’est que très virtuellement. Comme l’écrivait le commentateur ci-dessus, il est donné un nombre de tickets largement suffisant pour que chacun soit fin saoul, sachant que les plus gros buveurs (ceux qui pourraient se croire désavantagés, ceux visés, on suppose, par la réglementation) n’ont aucun problème pour se faire donner les tickets qui leur manqueraient auprès de ceux qui boivent un peu moins. Par contre, ça étale la consommation en évitant l’effet open bar ( "il n’y aura plus rien à trois heures" : l’économie de rationnement n’est pas celle que l’on pourrait croire au premier abord) , ce qui au final donne un effet mineur mais indéniablement positif à la réglementation.

  3. De toute façon, on en revient toujours au fait que le principal problème est que les barmen ne font pas correctement leur travail.

    Rappelons qu’il leur est aussi bien légalement que simplement déontologiquement interdit de servir de l’alcool à une personne ivre et qu’ils sont, par ailleurs, responsables de ce qu’ils servent et à qui ils le servent (sinon ils pourraient délivrer force alcools et liqueurs à des mineurs non accompagnés).

    En même temps soyons réaliste un instant et acceptons le fait que d’une part être un bon barman est économiquement bien moins rentable que de ne pas faire attention, et que d’autre part le quidam moyen qui vient se bourrer la gueule lors d’une soirée open bar (ou non d’ailleurs) se moque totalement de savoir s’il se détruit la santé à moyen sinon court terme, ou même de savoir si son comportement est dangereux pour d’autres. Ce quidam moyen est simplement irresponsable avant de boire et irresponsable ET desinhibé après donc il n’aura certainement pas un comportement raisonnable ni même pleinement rationnel d’ailleurs.

    Mais à ma connaissance il a le droit de l’être (et le devoir de prendre ses responsabilité face aux conséquences assez probables de son comportement). Certes il a peut-être un comportement grégaire majoré par le mythe qu’on ne peut pas s’amuser en soirée sans alcool et encore aggravé par le fait qu’il ne sait pas boire de toute façon… mais c’est précisément à cause de ça que lui demander s’il ne préfère pas un coca en attendant de dessouler un peu n’y changera rien à mon humble avis (par contre au prix du coca ça peut vite devenir rentable)

  4. C’est marrant, ça ressemble à du paternalisme libertarien… (‘Nudge’, Thaler et Sunsstein)

    Sinon, à mon avis, il y a un effet pervers prévisible à votre histoire de carte, c’est la compétition que ça peut engendrer (compétition assez fréquente chez les ‘buveurs’). Où au sein d’un concours d’une intelligence rare (OK, que les premiers n’ayant jamais péché….), le but du jeu va devenir d’avoir celui qui a la carte la plus tamponnée (voire simplement d’avoir une descente ‘décente’). Donc pas sûr que le gain marginal soit très élevé, voire potentiellement négatif…

  5. @T’CharleS :

    L’argumentation serait valable si ce n’était pas le BDE (les étudiants eux-même, par rotation de 2h) qui s’occupait le plus fréquemment de la gestion du bar (car c’est moins cher que de louer les barmens du lieu ou d’en engager) . Les étudiants ne sont pas barmen, n’ont pas les même responsabilités, et connaissent (BDE oblige) une partie des gens qu’ils servent. Par conséquent, il n’est pas vraiment étonnant qu’ils se comportent différemment.

  6. @T’Charles : "les barmen ne font pas correctement leur travail. Rappelons qu’il leur est aussi bien légalement (…) interdit de servir de l’alcool à une personne ivre".

    Vous auriez le texte de loi correspondant ? Je n’ai rien trouvé de tel après une recherche sommaire… merci.

  7. @Moktarama : les étudiants ne sont peut-être pas barmen de formation mais, à ma connaissance, le débit de boissons implique les mêmes responsabilités pour toute personne qui en a la charge.

    @VilCoyote : je n’ai guère le temps de rechercher exactement le texte le plus à jour mais ce que j’évoquais est, stricto sensu, applicable à toute personne en charge du débit de boissons et non aux seuls barmen de profession (mais ceux-ci peuvent difficilement avoir l’outrecuidance de prétendre ignorer la loi, surtout quand elle est affichée devant leur nez.)

    En effet, je faisais référence au texte relatif à la protection des mineurs et la répression de l’ivresse publique, qui soit être de nos jours dans le code de santé publique ; enfin je suppose (à moins qu’il existe toujours un code des débits de boissons.) Qu’on me pardonne en cas d’imprécision, je suis ingénieur logiciel et non juriste de formation et je n’ai guère le temps de creuser plus avant la question, bien que je suis sûr que légifrance donnerait assez facilement la réponse exacte.

    Le passage auquel je faisais implicitement référence étant :
    " […] Outre l’interdiction qui leur est faite de faire boire jusqu’à l’ivresse un mineur, il est interdit aux débitants de boissons de donner à boire à des gens manifestement ivres ou de les recevoir dans leurs établissements.
    Toute personne contrevenant aux dispositions du code des débits de boissons et des mesures contre l’alcoolisme rappelées ci-dessus sera passible de poursuites judiciaires. […]

  8. Comme expliqué plus haut, le système de tampon pose déjà le problème du concours : Je me souviens d’une boite de nuit qui avait bloqué l’affichage de son éthylomètre installé à la sortie à 2g/l, devinez pourquoi…
    Il est en plus inapplicable : aucun barman débordé ne prendra le temps de demander et tamponner la carte, sauf si le consommateur le réclame instamment (cf concours)

    Il n’y a pas de solution unique : Interdire l’open bar limiterait un peu les dégâts, mais n’empêcherait pas ceux qui veulent vraiment s’enivrer de le faire. Peut-être à panacher avec de l’éducation (ou comment repérer le verre qui vous conduira au-dessus d’une cuvette d’ici 30mn, car personne n’aime cette expérience) et de la répression (adieu les 6 points du permis probatoire).

  9. @VilCoyote
    après presque 5 minutes de recherches (je ne suis pas du tout juriste) dans le Code de la santé publique :

    Article R3353-2
    Le fait pour les débitants de boissons de donner à boire à des gens manifestement ivres ou de les recevoir dans leurs établissements est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe.

  10. Les cartes tamponnées ne marchent par définition que si les coups de tampon sont apposés ! Les organisateurs de soirées, le plus souvent BDE, pour conserver leur prestige d’organisateur du meilleur open bar de l’année tamponnent bien les 4 premiers verres et cessent immédiatement après. Ceci leur permet de ne pas afficher qu’ils ont servi un consommateur déjà ivre et de conserver le nom d’open bar. Ces soirées sont la plupart du temps sponsorisées, c’est peut-être de ce coté là qu’il faudrait regarder.

  11. Un petit truc d’ancien barman d’open: quand le type ne sent plus la différence entre de l’alcool et de l’eau, c’est qu’il est largement temps de ne lui donner que du deuxième !

    Dans une soirée étudiante, il faut savoir empêcher les types qui viennent là pour se mettre une caisse violente, car c’est eux qui vont ensuite gêner les autres, faire du bruit devant l’établissement voire vomir par terre ou faire un coma.

    Si c’est bien géré, vous devez avoir un ou deux vigiles pas trop loin du bar pour faire sortir les cas pathologiques ou qui manifestent trop violemment leur soif.

    Le danger, c’est le mec "sympa", dont on voit pas trop qu’il est déjà cuit.. et qui contrairement aux autres s’est arrangé pour changer de barman régulièrement. C’est pour cela qu’on fait venir le samu..

  12. Mais le «binge drinking» dépasse le public des étudiants, et semble se profiler une nouvelle forme de consommation alcoolique qui a priori semble indépendante de la notion même de plaisir, non ?
    Que cela ait un modèle économique, pourquoi pas : on peut voir ça comme pratiqué par des personnes qui ont le souci de rester efficaces professionnellement, donc ce serait presque le signe d’une volonté d’intégration.

    Et si, à partir d’une certaine heure, on mettait un produit vomitif dans les boissons ?

    Réponse de Stéphane Ménia
    Réponse à vous et aux autres. J’aurais dû être encore plus explicite. Mon idée est que mettre en place un système du genre ticket tampon permettra à ceux qui sont volontaires d’en profiter. C’est à rapprocher des precommitments à la Schelling. Quand un fumeur affirme haut et fort qu’il va arrêter, c’est pour s’autocontrôler a priori. Il y a des fumeurs qui ne s’engagent jamais publiquement à arrêter et des fumeurs qui s’engagent et ne le font pas. Celui qui se dit qu’il va surveiller son tampon est comme un fumeur. C’est tout. La seule question qui vaille est donc de savoir si ce système peut être utile à des gens et ne pas être trop coûteux pour que les organisateurs trouvent un intérêt quelconque à l’appliquer. Après, qu’on organise des concours de tampon, soit. Mais je vous dirais alors que certains feront tamponner sans avoir bu et que le concours tombera à l’eau (si j’ose dire). Plus personne ne jugera cela crédible.

    Sur le binge drinking, des gens paient pour le pratiquer. Mieux, plus on paie, plus on a de chances de pouvoir le pratiquer dans de bonnes conditions. A la maison, c’est l’idéal. Donc, est-ce vraiment la question fondamentale de l’open bar ?

  13. Il me semble qu’il existe un adage d’économie qui dit que lorsqu’un indicateur devient un objectif il perd toute valeur d’indicateur.

    CQFD.

  14. Sans compter que la plupart des étudiants arrivent déjà très bien faits avant même l’ouverture de l’open bar.
    C’est le concept de before.

  15. À propos de l’aide à tenir ses propres résolutions, il y a en France la possibilité de demander à être interdit de casino pour 5 ans. On est d’abord interdit pour 6 mois, et si au bout de ces 6 mois on ne regrette pas, l’interdiction dure 5 ans.

    Peut-être peut-on demander aux BDE de créer des cartes non buveur ou buveur raisonnable, que l’on aurait pour l’année. (Afin de laisser ceux qui regretterait leurs choix à l’entrée de l’école de changer d’avis l’année suivante).

  16. Examinons les 2 cas sus décrits:
    1.L’alcoolique: va en OB avec la fonction objectif (souvent revendiquée) suivante: maximiser son degré d’alcoolémie, parfois le plus rapidement possible. Passe une première heure et demie agréable, puis le reste de la soirée juxtaposé à la cuvette. Ceux là sont difficilement récupérables.
    2.Les « ma foi buvons, c’est gratuit ». Ceux là peuvent effectivement être raisonnés durant la période pré-4 verres, un système de tampons ou tickets est donc envisageable. Passé ce point névralgique, cela devient de plus en plus difficile. Les OB, notamment en Écoles, étant le temple de l’irrationalité, j’ai vérifié empiriquement une corrélation positive entre nombre de verres consommés et niveau d’irrationalité, cette relation devenant exponentielle arrivé dans la période post-4 verres. Ainsi, si on considère un barman rationnel expliquant rationnellement au consommateur désormais ivre qu’il regrettera ses actes et ce, dans un avenir proche, ce brave barman se verra confronté à un individu incohérent et absurde incapable de toute forme de modération. Par conséquent le coût marginal d’impression des tickets, les efforts supplémentaires consentis par ce barman bienveillant seront inférieurs aux gains marginaux, proches de zéro dans la zone post-4 verres.

  17. Bonjour,

    Je me permets d’intervenir brièvement, je suis ce blog de loin, n’ayant le bagage économique pour en suivre les subtilités ( je ne suis qu’un pôvre juriste qui essaie de voir ailleurs ) mais je le trouve fort éclairant et j’en remercie ses auteurs.
    J’ai longtemps fréquenté/organisé des soirées étudiantes, aujourd’hui, je suis toujours au contact des étudiants ( même si passé de l’autre côté de la barrière ), et notamment il m’arrive de fréquenter leurs soirées arrosées . Bien qu’ayant fut un temps assez considérablement ingurgité d’alcool, je m’aperçois de l’émergence d’une nouvelle notion : " le vomi technique " qui consiste comme son nom ne l’indique pas du tout à vider son estomac de façon plus ou moins préméditée pour se remettre à consommer. Outre les effets probablement encore plus néfastes sur la santé, comment intégrer ce paramètre dans cette réflexion ?

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