Séniors et chômage

séniors

La hausse du nombre de demandeurs d’emplois chez les travailleurs âgés de plus de 50 ou 55 ans pèse dans l’évolution récente du chômage global en France. Le gouvernement envisage un plan d’aide au retour à l’emploi. Je me suis demandé si les causes possibles du chômage chez les séniors ou du faible taux d’emploi dans cette catégorie étaient connues dans le grand public. D’où ce billet avec quelques pistes.

En préambule, il faut préciser deux points. Le premier est que ce qui suit relève d’une approché économique. Je suppose que la sociologie a beaucoup à dire sur le sujet, mais je n’ai guère de références approfondies. Le second est que le taux de chômage et le taux d’emploi sont les deux faces d’une même médaille lorsqu’on s’intéresse aux séniors. Entre les séniors découragés et ceux qui écourtent leur carrière  d’une façon ou d’une autre du fait des conditions peu avenantes du marché du travail, le taux d’emploi des séniors doit être particulièrement pris en compte pour mesurer leurs difficultés sur le marché du travail. Cet article et celui-ci résument la situation actuelle.

Passons aux explications plausibles. La première consiste à dire que les séniors ont des salaires trop élevés. La structure des salaires à l’ancienneté induirait une hausse des salaires au cours de la carrière, donc en fonction de l’âge et l’ancienneté. Or, la productivité des séniors ne serait pas en rapport, poussant les entreprises à préférer des salariés plus jeunes et moins rémunérés. C’est une explication tentante, mais qui ne repose pas sur des éléments très solides et qui, surtout, néglige un effet structurel lié précisément aux difficultés d’emploi des séniors.
Il n’y a d’abord pas a priori d’études qui montrent un décalage systématique entre ancienneté et productivité dans l’absolu. Ce n’est pas parce qu’on arrive à 55 ans que la productivité ne suit plus les hausses de salaire. Ensuite, et surtout, en observant les salaires de ceux qui sont dans l’emploi et en déduisant qu’ils sont trop élevés, on fait une erreur logique. Si les entreprises ne conservent que les séniors les plus productifs, il est logique que les salaires des séniors soient plus élevés, car ceux-ci sont plus productifs que la moyenne des salariés. Leur salaire est donc justifié sur cette base. Notons au passage que la même analyse s’applique à l’ensemble des travailleurs français, dont on sait que leur très forte productivité est en partie liée à un chômage structurel important, qui tient loin de l’emploi les moins productifs. L’argument du salaire semble donc peu solide, du moins si on le considère tout seul.

Une explication élégante, directement déduite du modèle d’appariement de Mortensen et Pissarides repose sur le coût du travail, mais pas sur la partie salaire. L’idée est la suivante. La demande de travail des entreprises dépend de la comparaison entre la production du salarié et le coût du travail. Si un salarié rapporte plus qu’il ne coûte, on l’embauche. Et entre deux salariés, on choisira celui qui rapporte le plus. Dans le coût du travail, il y a évidemment le salaire, mais il y a également un certain nombre de coûts fixes concernant l’installation du salarié : coûts de recrutement, coûts de formation et d’installation dans l’emploi. Pour une entreprise, ces coûts pèsent d’autant plus qu’ils doivent être amortis sur une période de temps courte. Or, par définition, la durée de vie d’un emploi est d’autant plus courte que le salarié recruté est proche de la retraite. En d’autres termes, un sénior coûte plus cher, toutes choses égales par ailleurs (je pense à la productivité notamment) car son emploi sera détruit plus vite par son départ à la retraite. Cette explication est assez logique. Néanmoins, si elle était véritablement prégnante, l’impact d’un allongement de la durée de cotisation devrait accroître les taux d’emploi significativement, ce qui ne semble pas être le cas. Par ailleurs, les écarts de taux d’emploi au niveau international sont tels qu’on peut douter qu’ils soient principalement liés à ce facteur.

On a jusqu’ici posé le problème en termes de demande de travail. Mais on peut supposer qu’il trouve son explication du côté de l’offre de travail, du moins pour ce qui concerne le taux d’emploi, pas le taux de chômage. Rester actif procure un gain, sous forme de salaires supplémentaire et de pensions retraite ultérieures. Mais cela a également un coût. Continuer à travailler occasionne une taxation, sous forme de cotisations, et génère un coût d’opportunité, puisqu’on ne perçoit pas sa pension de retraite pendant qu’on travaille. De ce point de vue, les dispositifs d’incitation (mécanismes de surcote) à prolonger sa carrière ne sont probablement pas suffisants. Ce qui explique que le taux d’emploi des plus de 60 ans soit très faible en France, comparé aux pays de l’UE.

Enfin, des mécanismes de discrimination pourraient engendrer un taux de chômage plus élevé chez les séniors. On peut donner plusieurs versions de ce mécanisme. La version “culturelle et institutionnelle” repose sur l’habitude de se séparer des travailleurs âgés ou de ne pas les embaucher, presque par réflexe. La longue tradition des préretraites, brillamment modernisée dans sa forme par la mise en place de la rupture conventionnelle du contrat de travail, ferait des séniors des travailleurs à éliminer.
Dans une version plus économique (mais compatible avec la précédente), le problème de l’emploi des séniors est un problème d’asymétrie d’information. Un sénior est peut-être statistiquement moins motivé, moins malléable qu’un salarié plus jeune, ce qui peut être coûteux. Face à un candidat, l’entreprise est dans une situation d’antisélection : elle ne sait pas qui est le sénior candidat. Il peut être de la mauvaise catégorie ou pas. Dans le doute, elle préférera un candidat plus jeune. Ce mécanisme est pertinent si l’évaluation subjective de l’employeur va dans le sens d’une représentation négative des séniors. C’est exactement le même problème qui se pose pour les femmes ou les minorités sociales visibles. C’est un problème de discrimination statistique.
L’aléa moral joue aussi. Une fois embauché, particulièrement sous un contrat protecteur, un sénior pourrait  mesurer son effort davantage qu’un salarié plus jeune, qui a encore intérêt à accroître son capital humain (et sa réputation sur le marché du travail) au travers d’un apprentissage par la pratique obtenu grâce à un effort plus élevé.

Voilà. Vous disposez maintenant de quelques billes pour animer un goûter éco dans une maison de retraite… 😉

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5 Commentaires

  1. Pour les salaires, on peut considèrer que l’entreprise embauche à un niveau de salaire correspondant à la productivité marginale du travailleur, or un travailleur a généralement des prétentions salariales équivalentes à son dernier emploi.
    Ainsi, un salarié sénior dont le niveau de salaire est élevé grâce à des années d’anciennetés dans son précédent poste peut se présenter à un niveau de prix plus élevé qu’un travailleur plus jeune ayant la même productivité marginale.
    Si on rajoute à cela votre dernier argument, qui me semble aussi le plus pertinent, l’employeur peut juger l’offre d’un salarié sénior à la fois chère mais avec en plus le pré-jugé que ce salarié mettra plus de temps qu’un autre à atteindre sa productivité marginale.

    Mais est-ce vraiment un pré-jugé ? n’est pas plus dur de changer ses habitudes avec l’âge ? Montre t-on moins de facilité à être jugé et manager par une personne plus jeune que soit ? La productivité d’un travailleur diminue t-elle avec l’age dans une situation de nouveau poste ?
    On sait qu’une petite différence de productivité se paye très chère sur le marché du travail, suffit de voir le niveau de salaire des femmes.

    • “Pour les salaires, on peut considèrer que l’entreprise embauche à un niveau de salaire correspondant à la productivité marginale du travailleur,”
      non
      le courant marginaliste sous entend que l’on embauche jusqu’à ce que le salaire soit égal à la pm du travail. Ce dernier est embauché pour le bon cœur…
      allez lire les commentaires sur le boucher
      Vous vivez dans un monde théorique ou le commissaire priseur suspend les transactions jusquà ce que point soit atteint …. au travail feignant

  2. “le taux de chômage et le taux d’emploi sont les deux faces d’une même médaille lorsqu’on s’intéresse aux séniors”

    Exactement ce que vous refusez obstinément d’admettre dans le cas des 18-25 ans !

    Avec cette conséquence cocasse que cela vous conduit à la conclusion erronée que les “séniors” seraient plus touchés par le chômage que les 18-25 ans, d’où cette tentative d’explication d’un phénomène qui n’est pas établi.

    “Entre les séniors découragés et ceux qui écourtent leur carrière d’une façon ou d’une autre du fait des conditions peu avenantes du marché du travail…”

    Et qu’est-ce qui vous a toujours empêché de voir qu’entre les jeunes découragés et ceux qui retardent leur carrière d’une façon ou d’une autre du fait des conditions peu avenantes du marché du travail…

    ,.. le taux d’emploi des juniors doit être particulièrement pris en compte pour mesurer leurs difficultés sur le marché du travail ?

    Et comment faites vous pour ne pas voir que le démantèlement de l’assurance vieillesse a fait apparaître mécaniquement des taux de chômage non nuls dans des classes d’âge qui devraient être entièrement à la retraite ?

    • Euh, je ne sais pas exactement à quelle discussion ou texte vous faites référence, mais vous semblez à cran. J’imagine que c’est l’idée que démographie et chômage ne sont pas liés.
      Le taux de chômage des jeunes actifs est élevé. Bien plus que celui des séniors. Je n’ai jamais dit le contraire, les chiffres parlent.
      La dynamique d’insertion et le niveau de qualifications sont en cause. Ce que vous appelez retarder sa carrière est justifié par les demandes de qualification, que l’on adhère à la théorie du capital humain ou du signal. Les jeunes durablement sans travail sont des non qualifiés.
      Et pour ce qui est des départs en retraite, je ne vois pas de quelle classe d’âge vous parlez : séniors ou jeunes ?

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