Richard Musgrave, 1910-2007

Le spécialiste d’économie publique Richard Musgrave est mort lundi dernier.

S’il fallait résumer en une phrase l’apport de Musgrave, ce serait “d’avoir mis les outils de l’analyse économique au service de l’étude de l’Etat”. Avant lui, l’étude de l’Etat était essentiellement descriptive; son fonctionnement apparaissait comme une “boîte noire” produisant certains biens et services, et prélevant des impôts, sans qu’une logique permette de comprendre ce que l’Etat doit vraiment faire et pourquoi.

Musgrave, en appliquant les outils microéconomiques à la question, avait distingué trois fonctions majeures de l’Etat : l’allocation des ressources, la redistribution des revenus, et la stabilisation macroéconomique. Pour l’allocation des ressources, il avait expliqué l’intervention publique en considérant qu’elle répondait à 5 explications principales :

– la définition de règles et de droits permettant le fonctionnement des marchés;

– les rendements croissants, aboutissant à l’émergence de monopoles naturels;

– les effets externes (si certains coûts ou certains avantages ne sont pas pris en compte par les individus parce qu’ils sont diffusés dans la population, il y aura une surproduction de biens à effets négatifs et une sous-production de biens à effets négatifs)

– les biens collectifs (non excluables, non rivaux, qui seront produits en quantité insuffisante par le marché par rapport à une situation optimale)

– les biens tutélaires : les biens que le marché produit spontanément en quantité satisfaisant les désirs des agents, mais pour lesquels l’autorité publique considère qu’il faut interférer avec la consommation des agents, pour qu’ils consomment plus (hygiène) ou moins (alcool).

Par la suite, des critiques ont été opposées aux typologies de Musgrave; est-il vraiment pertinent de considérer que les fonctions de stabilisation, d’allocation et de redistribution sont distinctes, alors qu’elles sont interdépendantes (par exemple, une politique de redistribution a des effets redistributifs). La croissance économique n’est-elle pas un objectif primordial par rapport à la stabilisation? Sa conception de l’Etat comme agent dont le fonctionnement peut être optimisé n’est-elle pas naïve, négligeant les mécanismes du public choice? Néanmoins, toutes ces critiques ont en commun de partir du cadre fixé par Musgrave – l’Etat analysé de façon fonctionnelle, comme agent susceptible de rapprocher l’économie d’un optimum de Pareto ou de l’en éloigner – pour chercher à l’enrichir. C’est dans ce sens que Musgrave est important : il a posé les bases de toute l’analyse ultérieure du secteur public et de l’économie politique, et est à ce titre l’un des économistes les plus influents du 20ème siècle.

Son ouvrage le plus connu, qui reste une référence après presque 50 ans, est Public Finance in theory and practice, coécrit avec sa femme et réédité de nombreuses fois. On lira avec intérêt son dialogue avec James Buchanan sur le rôle de l’Etat. En français, cette page permet de se faire une idée de son analyse du secteur public. David Warsh nous explique dans un superbe essai pourquoi Richard Musgrave est le plus grand penseur d’origine allemande de la seconde moitié du 20ième siècle.

Voici les deux annonces de la faculté de Harvard annonçant son décès (première, seconde). Voici une nécrologie dans le Boston Globe, et une dans le New York Times.

Conclusion personnelle : Richard Musgrave est de ces auteurs que l’on connaît de nom sans forcément aller y voir de plus près; quand on le lit, on découvre avec surprise qu’il est l’inventeur de toute une série de concepts qui sont tellement familiers à l’économiste que l’on n’imagine pas pouvoir penser autrement qu’avec ceux-ci. Il est déplorable qu’il n’ait jamais obtenu le prix Nobel d’économie, il le méritait plus que d’autres qui l’ont reçu.

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Alexandre Delaigue

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2 Commentaires

  1. Dis donc, j’observais un truc : d’abord, on entend parler de types qu’on connaît pas dans des livres ; après, on en voit certains en vrai ; après ils se mettent tous à mourir les uns après les autres. Ma question est donc : on vieillit là, non ?

  2. De mon côté j’ai déjà des anciens élèves qui arrivent comme collègues de travail. Alors oui, le vieillissement, je connais…

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