Remarques sur l’enseignement secondaire (2) : Un surinvestissement dans le secondaire ?

Dans la première partie, il était question de temps de travail. Dans ce deuxième billet, plus ouvert, il est question des moyens attribués à l’enseignement secondaire. Sont-ils trop importants ? N’a-t-on pas déjà commencé à les réduire ? Est-ce si mal ?

Les études sur les liens entre dépenses d’éducation et développement économique sont assez claires : le rendement d’un euro de plus dépensé dans le primaire et le secondaire est d’autant plus faible qu’un pays est développé. Pour un pays proche de la frontière technologique (considérée comme le degré de technologie atteint par le pays leader), ce sont les dépenses d’enseignement supérieur qui sont les plus productives. Or, depuis quelques temps maintenant, concernant l’enseignement secondaire en France, sans parler de consensus, on peut dire que l’opinion dominante se résume en deux points : le niveau général atteint est assez satisfaisant (on pourrait ajouter “sans plus”), et les laissés pour compte (ceux qui suivent une scolarité qui ne débouche pas sur un diplôme) sont trop nombreux. En revanche, l’enseignement supérieur n’a pas bénéficié de l’effort, indispensable en son temps, dont le secondaire a pu jouir. Cette idée est ainsi explicitement mentionnée dans le rapport du CAE Éducation et croissance, qu’on peut se procurer ici, ne reprenant dans le cas de la France que ce que la science économique raconte sur le sujet. Pour le dire autrement, à quoi sert-il de produire des bacheliers de bon niveau, si c’est pour les abandonner ensuite à un enseignement supérieur médiocre et les faire finir dans des structures productives où l’excellence – éventuelle et inégale – de leur formation secondaire ne servira à rien ?

Après tout, amener une bonne part de la population à un niveau d’études secondaires correct ne suffit-il pas ? Y amener le plus grand nombre deviendrait alors possible. L’enseignement supérieur se chargerait d’exploiter ce potentiel et de le convertir en une haute qualification pour un nombre qu’on souhaite le plus important, garant d’un maintien à la frontière technologique. Je peux me tromper, mais un certain nombre d’éléments laissent à penser que c’est bien cette option qui est retenue depuis quelques années. Comment cela se manifeste-t-il pour l’instant ?

Il y a d’abord eu la tentative de réformer le bac. Moins de moyens pour organiser l’examen, l’instauration du contrôle continu (plus convivial et moins solennel que l’examen final). Cette tentative n’a visiblement pas totalement convaincu les plus enclins à dénoncer le gaspillage scolaire, probablement en raison du symbole que représente le bac. Quant aux autres, ils ont opposé un refus qui a conduit à abandonner le projet.

Il y a ensuite la promotion de la polyvalence disciplinaire (une bivalence, pour être précis) des enseignants. On peut ne pas s’en offusquer, mais elle induit nécessairement une moindre spécialisation des enseignants et vraisemblablement une maîtrise des savoirs théoriques réduite. Pour amener honorablement à l’examen des élèves de terminale, ou même de BTS, est-il besoin d’une expertise à toute épreuve ? Répondre par l’affirmative semble exagéré. La déspécialisation réduit pourtant le niveau d’expertise des enseignants ; ce qui aura forcément un impact sur le niveau des formations. Corrolaire, on peut s’attendre à ce que les enseignants ou aspirants à l’enseignement secondaire les plus savants parmi les candidats habituels n’acceptent pas la donne et se tourne vers d’autres carrières. Si globalement, les plus savants officient déjà ailleurs, certaines disciplines risquent de voir disparaître certains profils atypiques. J’ai pu cotoyer quelques collègues qui auraient pu enseigner à temps plein à l’université. Par choix, ils souhaitaient rester au contact du lycée, prenant plaisir à vulgariser. Je suppose d’ailleurs que c’était le cas du malheureusement désormais célèbre Redeker. Cette catégorie n’aura probablement pas l’envie de bidouiller dans une autre discipline. En termes d’émulation, ce sera une perte. Dans l’esprit de ceux qui promeuvent la polyvalence des enseignants, les performances globales de l’enseignement secondaire, mesurées en termes de taux de réussite, n’en souffriront pas. Mon avis ? En tant qu’enseignant en économie et gestion, je pratique déjà, statutairement, la bivalence. Si j’y trouve certains avantages personnels et pour le système, j’en conçois aussi largement les limites. Sur le fond, je veux bien entendre les deux discours. Néanmoins, il serait salutaire d’oser dire clairement aux parents d’élèves : “vos gamins réussiront bien avec des enseignants moins pointus”. Si les parents d’élèves sont prompts à accepter l’idée que l’école peut être plus efficace et les profs plus sollicités, peu imaginent certainement que ce sera, entre autres, par le biais de ce que l’on doit appeler une validation de la baisse du niveau maximal de savoirs qu’un enseignant pourra transmettre à leur progéniture.

Il y a, enfin, la recherche d’économies sur les salaires, la fameuse traque aux décharges indues. Pour être exact,d’autres programmes de réduction des coûts sont dans l’air du temps, tels que l’organisation des remplacements et la gestion de l’appel à des personnels contractuels ou vacataires. Outre qu’il m’est plus compliqué d’en analyser les tenants et aboutissants, la question des salaires offre la possibilité de former une sorte de modèle générique qu’on pourrait sans doute leur appliquer. Cette question éclaire à elle seule l’absurdité d’une partie du système de rémunération de l’éducation nationale. On découvre subitement que les enseignants disposent de décharges forfaitaires liées à certaines conditions d’exercice. Dans un souci d’équité, on demande que ces décharges soient désormais justifiées par un surcroît de travail effectif. Le travail en question existe bel et bien pour certains, de façon indiscutable. Pour d’autres, il n’est que partiel, voire quasi inexistant (ne me demandez pas de proportions, je ne les ai pas). Néanmoins, remettons les choses dans leur contexte.
Premièrement il est discutable de remettre à plat en commençant par ce qui pénalisera les personnels. Après tout, il y a d’autres éléments étranges dans la rémunération. Un seul exemple : quand un enseignant est convoqué pour corriger un examen dans une autre académie (cela arrive ainsi pour certains BTS), il est rémunéré pour corriger les copies. Si on y réfléchit bien, c’est délirant : il n’a pas d’élèves, il n’est pas en vacances et on le paye pour corriger des copies ! Est-ce intéressant pour les enseignants ? Evident, non ? Sauf que le tableau devient bien différent si vous ajoutez à cela qu’il doit avancer ses frais de logement et de restauration (souvent remboursés plusieurs mois après), que lorsqu’on convoque un correcteur à Cannes en plein mois de juin, on donne 30€ par nuit d’hôtel (un correcteur peut rester jusqu’à une semaine sur place), il n’y a plus lieu de s’insurger sur le paiement des participations au jury, qui permettent juste, en jonglant avec les hôtels les moins chers (ce qui nécessite pas mal de travail de recherche…) de ne pas en être de sa poche. On retomberait donc sur ses pieds ? Pas tout à fait… Contrairement aux indemnités de repas, la rémunération des travaux de jury est imposable. En bref, alors qu’on devrait tout inclure en frais, une partie non négligeable (au moins le tiers) passe en traitements complémentaires. Pour l’anecdote également, même si le lieu de correction est situé à 20 km d’une gare SNCF, les déplacements sont remboursés sur la base du tarif SNCF 2nde classe. L’éducation nationale est faite de toutes ces petites aberrations (que d’aucuns qualifient d’ “historiques” ) qui sont supposées se compenser pour que chacun conserve un vague sentiment de justice.
Autre élément incompréhensible dans le contexte actuel, un professeur principal de BTS s’acquitte de sa tâche bénévolement. Quant aux visites d’étudiants en stage, elles ne font l’objet d’aucun remboursement de frais. Néanmoins, dès la rentrée 2007, les enseignants de BTS qui cumulent un certain nombre d’heures avec la même classe se verront supprimer une heure de décharge horaire (dite heure de première chaire). Ce n’est pas la seule source de baisse des rémunérations, d’autres portent sur le système des pondérations qui, dans le supérieur, prennent en compte la plus grande charge de travail pour enseigner dans les classes post-bac (les classes prépa ne seront pas touchées).On notera par ailleurs que les enseignants de BTS, pris à titre d’exemple ici, ne sont pas les seuls touchés par la redéfinition des critères d’attribution de l’heure de première chaire.
Ne pleurons pas sur leur sort. La question n’est pas là.
Concrètement, et c’est, outre la pénalisation ex ante dans le processus de remise à plat des rémunérations, le second point qui pose problème, en septembre prochain, pour le même temps de travail, un enseignant sera moins payé. Son salaire nominal horaire baissera grosso modo de 5 à 7% selon qu’il est certifié ou agrégé. Que deviendra son effort ? En toute rigueur, on ne peut pas répondre. Néanmoins, il est bon de rappeler que l’effort effectif des enseignants est difficilement observable (par nature), que les structures de contrôle (résumable à l’évaluation par inspection) sont loin de pouvoir détecter une baisse de l’effort (dès lors qu’elle ne s’apparente pas à une démission pure et simple) et que les sanctions sont peu dissuasives (de même que les récompenses sont peu incitatives, dans un système où une très bonne inspection, après un moulinage-paritaire-péréquationniste-équitable-et-savant peut laisser votre avancement totalement inchangé jusqu’à la prochaine évaluation, voire au delà si l’affaire se répète). Tout est en place pour un relâchement de l’effort. Au travers de ces remises à plat, c’est bien, par une baisse de rémunération effective, l’idée que la qualité de l’enseignement secondaire n’importe pas tant que ça, qui est à l’oeuvre. Sans vouloir trop flirter avec les analyses en psycho-sociologie des organisations, le moins qu’on puisse dire, quelle que soit l’opinion qu’on a des profs, c’est que dans un contexte où les troupes sont déjà moralement mal en point, ça tombe assez mal…

Le plafonnement, voire le désinvestissement, dans l’enseignement secondaire montre ses premiers signes. Les arguments d’efficacité le justifiant existent. Néanmoins, en raisonnant toutes choses égales par ailleurs, les mesures envisagées pourraient s’avérer néfaste en termes de rendement des dépenses scolaires. Comptablement, le résultat devrait être positif à court terme. A plus long terme, se pose deux questions. Ne peut-on pas accroître effectivement la productivité du système scolaire, en réalisant des économies qui ne pénalisent pas la productivité globale ?Ceci n’exclue pas de décider, s’il le faut, d’une baisse de la qualité moyenne. Deuxième interrogation : les usagers de l’éducation nationale sont-ils informés de la voie retenue ?

Dans le prochain billet sur l’enseignement secondaire, on parlera d’incitations et de contrôle. Une question plus théorique. Après cet article, je ne pourrai plus publier d’un moment, je serai en vacances… A moins que ce ne soit tout simplement parce que j’aurai écrit tout ce que je pensais intéressant sur le sujet ?

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3 Commentaires

  1. je suis peut-etre naif, mais j’ai du mal a comprendre la phrase suivante
    "le niveau général atteint est assez satisfaisant et les laissés pour compte sont trop nombreux"
    Comment etre satisfait si les laisses pour compte sont trop nombreux ?

    Si votre objectif c’est d’amener 95% de la population à posséder un diplôme d’un niveau jugé satisfaisant et que vous réussissez à amener seulement 90% à ce niveau, vous pouvez écrire quelque chose comme cela.
    SM

  2. Est-ce que l’évolution vers la promotion de la polyvalence disciplinaire des enseignants ne va pas contribuer à fragiliser l’agrégation? Pourra-t-on continuer à accorder des avantages conséquents à ceux qui sont les plus spécialisés, si ceux qui sont plus polyvalents sont plus utiles relativement aux choix d’orientation du système éducatif? Peut-on mettre cela en relation avec la remarque suivante que vous faisiez en réponse à un commentaire sur un billet précédent : "moi, question cohérence et efficacité pures, j’aurais simplement supprimé l’agrégation"?

    Oui, sans aucun doute. Si des agrégés font le même travail que des certifiés (souvent aussi bien) et que les choses ne changent pas radicalement. Si l’éducation nationale n’accorde pas à l’expertise des enseignants une importance majeure. Alors on voit mal ce qui justifie le maintien de grades différents. Plus que la suppression de l’agrégation, je pense en fait à la refonte des concours, avec un seul concours et donc un seul grade. Il y a néanmoins deux raisons qui peuvent expliquer ou justifier le maintien de l’agrégation : la première est politique ; c’est que les agrégés sont en quelque sorte l’élite du corps des enseignants du secondaire. Si ça n’a aucun intérêt direct pour les gamins, ce n’est pas rien pour tout ce qui relève du marchandage en haut lieu. Chaque corps de l’administration a une élite. Supprimer l’agrégation reviendrait à supprimer celle des profs du secondaire. D’un point de vue fonctionnel, si la généralisation de l’accès à l’enseignement supérieur se poursuit, les agrégés peuvent y trouver une place de choix dans les filières allant du BTS aux licences professionnelles, en passant par les DUT. Leurs effectifs y sont déjà significatifs sous le statut de PRAG. J’ai plusieurs fois entendu dire qu’en cas d’extension de ces filières, elles deviendraient pour eux une affectation naturelle.
    SM

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