Qu’est-ce qui explique le chômage des jeunes ?

C’est un fait, les jeunes font partie des actifs qui, à l’instar des autres sous-catégories que sont les femmes, les plus de 50 ans et les non qualifiés, sont les les plus touchés par le chômage. Pour tout un tas de raison, plus ou moins valables, on s’émeut régulièrement de la situation. C’est le cas en ce moment. Les statistiques récentes justifient de pointer la situation spécifique des jeunes, qui est relativement peu enviable depuis 2003, en dépit d’une légère amélioration très récente.

Comment expliquer que les jeunes soient plus touchés par le chômage que leurs aînés ? Au fond, à l’intérieur des explications générales du chômage, on dispose d’un nombre limité de candidats pour interpréter ces écarts selon l’âge. Les jeunes sont peut-être plus au chômage car ils ont un capital humain moins développé. Ou bien, il s’agit d’un problème de signal ? Ou encore, l’inadéquation entre leur formation et les qualifications requises par les emplois actuels. Peut-être que la démographie joue contre eux. Plus généralement, sont-ils victimes des institutions du marché du travail, qui encourage à les laisser aux portes de l’entreprise ?

Avant de survoler ces questions, un point peut être abordé. Sommes nous dans une société qui aujourd’hui “maltraite” sa jeunesse plus qu’hier ? Quand on observe l’évolution conjointe des taux de chômage par catégorie d’âge depuis 1967, on constate en premier lieu la similitude des évolutions du taux de chômage des jeunes par rapport à l’ensemble de la population. Dans un deuxième temps, on peut s’apercevoir que l’écart de taux de chômage entre les 15-24 ans et les 25-49 ans ne semble pas accréditer la thèse des “parents indignes”, du moins dans une version absolue. Ce rapport a plutôt eu tendance à diminuer entre 1970 et 1990, pour se stabiliser aux alentours de 2,2 ou 2,3 jusqu’en 2002. Après 2002, il atteint au maximum de 2,5. Sa variation conjoncturelle sur la période 2002-2005 ne permet pas de conclure à une tendance devant se prolonger, comme en atteste d’ailleurs les dernières données de mars 2005. Exit donc l’idée que les jeunes d’aujourd’hui seraient statistiquement plus mal lotis que ceux d’hier, quand on met en parallèle leur chômage et celui de leurs parents. Est-ce une façon de dire qu’il n’y a pas de problème spécifique du chômage des jeunes ? Nullement. En 1974, lorsque le ratio était de plus de 3, le taux de chômage des jeunes correspondant était de 6%. En 2004, alors que le ratio est de 2,5, le taux de chômage des 15-24 ans est de plus de 20%. Ajoutons à cela que les emplois aidés qui s’adressent aux jeunes sont nombreux, représentant en 1999 40% des emplois occupés par des jeunes. Qu’en était-il 20 ans avant ? Je n’ai pas de statistiques sur ce point, mais l’intuition dit plutôt qu’ils étaient nettement moins nombreux. Dans ce cas, il faudrait réviser partiellement mon point de vue.
Dire que l’on préfère la situation actuelle serait quoi qu’il en soit absurde. Mais si c’est le cas, c’est avant tout parce que la seconde est mauvaise pour tout le monde, pas seulement pour les jeunes. On peut être sensible aux arguments concernant le “fléau du chômage des jeunes”, mais pas sur la base d’un raisonnement statistique global. La prise en compte des parcours individuels et familiaux semble indispensable pour ne pas tomber dans un jeunisme naïf. Pour résumer, en tant que spectateur extérieur, on peut être préoccupé quand dans une famille les parents sont au chômage et les enfants, peu diplômés de préférence, le sont aussi. On a nettement moins d’inquiétudes quand il s’agit de familles ou la solidarité intergénérationnelle peut jouer le temps que l’insertion du jeune se fasse. Ce qui n’empêche pas frustrations et inquiétudes, cela va de soi. Le relativisme a ses limites. En conclusion, qu’il soit déplorable sociologiquement et par certains aspects économiques d’avoir un taux de chômage des jeunes aussi élevé est vrai. Mais j’ai souvent du mal à voir en quoi il est à ce point dramatique pris dans la globalité du sous-emploi. A moins que, et on y reviendra, l’on se penche spécifiquement sur le cas des jeunes non qualifiés.

La forme de surréaction du chômage des jeunes durant le cycle est liée au nombre importants d’emplois atypiques qu’ils occupent (contrats courts) et qui s’adaptent plus rapidement aux conditions de la conjoncture. Si on raisonne en termes de marché du travail dual, ils occupent bien une position de tampon, d’amortisseur des cycles d’emploi. Une fois de plus, on y reviendra souvent, ceci est particulièrement vrai pour les non qualifiés.

Quand on regarde du côté de la durée de chômage des jeunes, sans avoir de quoi se réjouir franchement, on peut constater que leur situation relative est plutôt meilleure dans le sens où les jeunes chômeurs de longue durée sont moins nombreux en proportion que les chômeurs de longue durée dans les autres catégories de chômeurs, comme le montre le tableau suivant. En revanche, les jeunes subissent une plus forte précarité dans l’emploi, dans la mesure où ils sont plus concernés par les emplois atypiques (CD, travail temporaire et temps partiel). En outre, leur fréquence de passage au chômage est plus importante, en dépit d’une durée moyenne moins élevée. Ce qui, dans le modèle d’emploi français, est plutôt une marque de précarité.

Proportion de personnes au chômage de longue durée parmi les chômeurs
2004 en  % 2003 en  %
Âge Au chômage depuis 1 an ou plus Au chômage depuis 2 ans ou plus Au chômage depuis 1 an ou plus Au chômage depuis 2 ans ou plus
Femmes 41,8 19,9 42,8 22,3
15 – 24 ans 23,4 7,6 26,0 10,9
25 – 49 ans 42,7 19,2 43,1 21,4
50 ans ou plus 60,7 37,4 60,0 38,6
Hommes 41,5 20,7 43,0 22,4
15 – 24 ans 24,7 7,5 25,5 9,3
25 – 49 ans 41,7 20,0 42,9 20,8
50 ans ou plus 63,1 41,1 64,6 42,9
Ensemble 41,7 20,3 42,9 22,4
Note : Résultats en moyenne annuelle
Champ : Chômeurs au sens du BIT.
Source : Insee, enquêtes Emploi.

Le capital humain et l’équilibre offre-demande de travail

Le capital humain peut se définir comme la capacité à s’insérer dans un processus de production. On peut retenir comme déterminants du capital humain l’état de santé et d’hygiène, les diplômes et l’expérience professionnelle. En laissant de côté les questions de santé, il reste à savoir si les jeunes sont moins diplômés ou ont moins d’expérience que les travailleurs plus âgés. Côté diplômes, la réponse esr négative. En moyenne, du fait de la hausse du niveau général d’études, les jeunes générations sont plus diplômées (voir tableau ci-dessous). Côté expérience professionnelle, la réponse est aussi évidente. En moyenne, un travailleur plus âgé est plus expérimenté.

Diplôme le plus élevé obtenu selon l’âge

 

En 2004, en %
25-34 ans
35-44 ans
45-54 ans
Femmes
Hommes
Femmes
Hommes
Femmes
Hommes
Aucun diplôme ou CEP
10,6
15,8
18,2
21,7
30,6
28,4
BEPC seul
4,0
5,1
8,5
6,0
10,2
7,2
CAP, BEP ou équivalent
17,1
24,8
29,4
37,3
24,3
34,9
Baccalauréat ou brevet professionnel
22,6
19,7
16,7
11,8
14,5
11,3
Baccalauréat + 2 ans
21,8
16,6
14,5
10,6
11,4
7,2
Diplôme supérieur
23,9
17,9
12,6
12,6
9,1
11,0
% de bacheliers ou plus
68,3
54,3
43,8
35,0
34,9
29,4
Champ : France métropolitaine, individus de 25 à 54 ans.
Source : Insee, enquêtes Emploi .

C’est une première explication du taux de chômage relativement élevé des jeunes. A demande de travail donnée, ils sont défavorisés par une faible expérience, en dépit d’un niveau moyen de formation plus élevé. Néanmoins, ce serait une erreur de considérer que ceci est vrai pour tous, de la même façon. En pratique, la question de l’emploi est à la fois subtile et prosaiquement évidente. Tous n’ont pas les mêmes niveaux d’études. Et tous ne connaissent pas les même taux de chômage.

 

Taux de chômage des jeunes de 1 à 10 ans après la fin des études
Hommes
Femmes
1 à 4 ans 5 à 10 ans 1 à 4 ans 5 à 10 ans
Brevet et sans diplôme 45,8 32,5 41,8 27,9
CAP/BEP et équivalent 27,1 21,5 22,0 12,2
Bac et équivalent 20,3 12,6 15,8 7,5
Supérieur au baccalauréat 10,2 7,1 11,9 5,2

Sans surprise, il vaut mieux avoir un diplôme élevé pour éviter le chômage. Mieux, on constate que dès qu’on observe les taux de chômage des diplômés à bac et au delà, les taux de chômage montrent un profil tout sauf alarmant comparés à celui de la population active dans son ensemble. Face au risque de chômage, le diplôme réduit radicalement l’exposition des individus. Le problème du chômage des jeunes, en tant que sous-problème spécifique du chômage en général n’est que celui du chômage des jeunes peu ou non diplômés.

On peut retenir plusieurs éléments d’interprétation :
– la demande de travail qualifié est plus élevée et les différences de chômage selon les qualifications qu’on retrouve pour les salariés plus âgés existent chez les jeunes aussi ; de ce point de vue, il n’y a pas de problème spécifique pour les jeunes, si ce n’est qu’il est inquiétant de constater cette insuffisance de qualification dès le plus jeune âge d’activité. On peut peut-être évoquer un effet d’hystérèse pour les plus jeunes, par le biais d’une perte de qualifications, déjà faibles par ailleurs (cas des jeunes diplômés à niveau BEPC, CAP, BEP). Néanmoins, ceci est un peu contradictoire avec le constat que les jeunes restent moins longtemps au chômage à chaque passage au chômage. Pour des faibles qualifications, il faudrait observer la durée du chômage, qui peut sensiblement différer. Curieusement, je n’ai pas trouvé ces données. Je laisse ce point en suspens.

– les emplois non qualifiés attribués à des jeunes sont occupés en priorité par des jeunes diplômés, selon un mécanisme de déclassement propre à ceux-ci, qui relèguent les jeunes non qualifiés en fin de “file d’attente” après plus âgés et plus diplômés. De ce point de vue, le niveau de déclassement non négligeable (voir tableau ci-dessous) doit tempérer l’optimisme évoqué précédemment concernant les jeunes diplômés. Ou, tout au moins, doit-on le garder à l’esprit si on choisit de se concentrer uniquement sur l’accès à l’emploi, quel qu’il soit , comme indicateur de bien-être.

– par extension, si les jeunes qualifiés ont des taux de chômage rapidement comparables à leurs aînés, c’est qu’il est possible de les rémunérer à leur productivité en restant au dessus du salaire minimum, alors que c’est impossible pour les non qualifiés.

L’insuffisante flexibilité à la baisse des salaires serait la cause du sous-emploi des jeunes non qualifiés. Si c’est le cas, je ne vois pas en quoi leur situation devrait être traitée différemment de celle des adultes non qualifiés. Près de quinze ans de questionnement sur le coût du travail non qualifié devraient nous fournir quelques enseignements, parmi lesquels :
– la réduction des charges sociales sur les bas salaires peuvent avoir des effets positifs ;
– le ciblage fin des dispositifs sur certaines populations est nécessaire pour atteindre des objectifs spécifiques ;

Les revendications concernant la création d’un SMIC jeunes, qui resurgissent régulièrement, me laissent sceptique. D’un côté, on regrette que les jeunes ne puissent accéder à un travail. Dans leur intérêt, on envisage alors de les rémunérer en dessous du SMIC pour développer leur employabilité. Il me semble étrange qu’au nom de l’intérêt de la jeunesse, on refuse à de jeunes adultes ce que l’on accorde aux autres adultes, à savoir le droit à un salaire minimum jugé décent par la société. Les débats sur les effets du SMIC sont fastidieux. Mais j’ai vraiment le sentiment que cet argument, pris seul, est contradictoire. En termes de justice sociale, ce n’est pas satisfaisant. D’autant qu’il repose sur l’hypothèse d’une insertion par l’emploi dans laquelle l’acceptation d’un salaire d’abord très faible serait largement compensée par un accès durable à de meilleurs emplois. Or, et que l’on me corrige si des études montrent le contraire, ce mécanisme n’est pas aussi fort que l’intuition le voudrait. Peut-être en partie à cause du fait que les emplois occupés par les jeunes sont précaires et insuffisamment riches en apprentissage par la pratique.

Au passage, on notera que dans la mesure où les jeunes sortant du système scolaire n’ont pas de droits au chômage, il est diffiicile d’impliquer pleinement le système d’indemnisation du chômage et sa générosité, puisque la plupart des jeunes ne sont pas éligibles au même niveau que les travailleurs plus âgés. Sans vouloir trop m’avancer, je me demande si une analyse en termes d’offre de travail axée sur l’incitation à prendre un emploi est susceptible de nous aider (il faudrait connaître les élastciités d’offre de travail des jeunes, je n’en dispose pas dans l’immédiat). Néanmoins, force est de constater que le déterminisme induit sur la suite de la carrière par la valeur du premier emploi (salaire et/ou statut) doit inciter les jeunes à ne pas accepter le premier emploi venu, aujourd’hui plus qu’hier. Cet aspect n’est pas indépendant des conditions de recherche d’emploi, mais

Des explications socio-économiques

Une autre façon d’interpréter le surchômage des jeunes serait de se référer à la théorie du signal, au sens où “on considère que les employeurs se méfient des jeunes parce que le fait d’être jeune est un signe repérable qui recouvre une variété de raisons de craindre, par exemple l’inexpérience, l’instabilité, le manque de formation, etc. Face à la concurrence, les comportements l’embauche se transforment, deviennent plus prudents, cherchent donc de plus en plus de raisons de confiance que les jeunes ne sont pas en mesure de fournir. Le diplôme reste l’indicateur fondamental. Faute d’élément supplémentaire, cette recherche passive de confiance pousse les employeurs à une réticence à embaucher des jeunes”.

On peut aussi , dans une logique très proche, convoquer la théorie de la discrimination de Becker et l’appliquer aux jeunes considérés comme minorité. Si le coût d’emploi des jeunes perçu par les employeurs est supérieur à leur coût objectif, le salaire versé sera inférieur à leur productivité et, si l’emploi est rationné, alors c’est le chômage qui les touche.

Le chômage des jeunes peut aussi être compris comme lié à la faiblesse de leur capital social. De manière générale, on peut soutenir l’idée que les jeunes doivent se forger une réputation auprès des employeurs. Ce qui aurait comme conséquence des emplois instables en début de carrière et explique le statut d’emploi auquel ils sont cantonnés et la fréquence de passage par le chômage. “Les employeurs ne sont pas passifs mais imposent de fait une phase de socialisation et de sélection. La confiance de l’employeur est fondée comme dans le cas précédent [du signal] sur des informations. Le diplôme on le verra reste fondamental, mais à ses côtés entre dans la constitution de la confiance ce que l’on appellera le capital social constitué d’un ensemble de savoirs et de relations qui s’acquièrent par l’expérience. La prudence pousse les employeurs à ne pas stabiliser trop tôt les jeunes et cette phase sert aussi à la sélection. Ainsi le recrutement n’est pas conçu comme un moment mais comme un processus qui se déroule sur un sousmarché particulier, turbulent et instable, que les entreprises acceptent et organisent. Dans ce cas l’instabilité ne serait pas le résultat d’une méfiance mais d’un système de socialisation.”.

A la lecture de ces thèses, on a aussi envie d’évoquer la théorie insiders-outsiders. Bien qu’elle relève d’une approche plus économique, son interprétation en termes de recherche de rentes, permet de la ramener à une approche politico-économique qui a sa place ici. L’interprétation est alors simple : si on considère que le marché du travail est gouverné par une logique de partage de rentes entre employeurs et salariés en place, au détriment des chômeurs, alors les jeunes qui sont à l’origine dans un flux entrant sur le marché du travail sont automatiquement plus touchés que la catégorie d’âge mûr, puisque contrairement à celle-ci, à un temps t, tous les jeunes sont en situation d’outsiders. Dans cette perspective, le chômage est une file d’attente pour les places à libérer (par des départs en retrait par exemple).

La démographie

On peut comprendre dans cette dernière logique que l’on puisse évoquer la taille de la population active comme déterminant du chômage des jeunes. Si les emplois sont occupés par des plus vieux, ce n’est que lorsque ceux-ci quittent le marché du travail (pour la retraite par exemple) que des places deviennent diosponibles, selon un principe rudimentaire de vases communiquants.

On doit être sceptique sur ce point. D’un point de vue théorique, rien ne prouve que l’emploi soit dans une entreprise, comme au niveau global, un jeu de chaises musicales. Dans la théorie, les insiders peuvent très bien se partager un gateau à effectifs réduits. Un jeune ne remplace pas un vieux. A vrai dire, c’est même une hypothèse qui se marie bien avec les prémisses de la théorie.

Au delà de l’aspect théorique (pour lequel on pourrait avancer des arguments keynésiens tous aussi bien que des hypothèses concernantle progrès technique ou l’épargne dans une logique de théories de la croissance), les observations empiriques ne vont absolument pas dans ce sens. Les pays qui connaissent les taux de chômage les plus faibles sont aussi ceux pour lesquels la croissance de la population active a été la plus élevée. Dans le cas des jeunes, une régression linéaire du taux de chômage sur le taux d’emploi des jeunes dans l’UE à 15 donne une courbe sans équivoque.

 

 

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