Pourquoi les médias sont-ils biaisés?

Aujourd’hui, Esther Duflo consacre sa chronique dans libération à l’impact du biais des médias, à partir d’une étude de l’effet Fow News, et d’un travail sur l’impact de la lecture de journaux d’opinions politiques diverses. Néanmoins, cela pose une question : pourquoi, au départ, les médias sont-ils biaisés?

La question n’est pas si anodine : après tout, les médias n’apprécient guère de se voir qualifiés de biaisés en faveur, ou en défaveur, d’un camp. Les journalistes déclarent viser l’objectivité, comme part de leur déontologie. Il peut aussi y avoir une raison économique à l’objectivité – ou au moins au centrisme – des sources d’information, qui se rapproche du modèle de l’électeur médian : une source d’informations “trop à gauche” ou “trop à droite” risque de perdre des lecteurs du camp opposé, alors qu’un média situé au niveau des préférences de l’électeur médian devrait attirer le plus de lecteurs. La concurrence entre médias devrait donc pousser ceux-ci vers le centre, et faire disparaître tous les médias partisans.

Mais est-ce bien certain? pas si l’on en croit ce papier de Shleifer et Mullainathan sur le marché médiatique. Les auteurs y montrent que les préférences des électeurs jouent un rôle très important dans les biais médiatiques : dans leur modèle, la concurrence entre les différents médias pousse ceux-ci d’une part à entretenir les biais des lecteurs de façon simpliste; pour les sujets qui divisent les lecteurs, la concurrence entre sources d’information pousse celles-ci à segmenter le marché, et à entretenir le segment de lecteurs qu’ils ont choisi dans ses préjugés. Le lecteur qui veut une information objective ne peut l’obtenir qu’en suivant toutes les sources d’information, pas seulement une seule.

En somme, on peut se plaindre souvent des biais des médias : mais ceux-ci correspondent à une stratégie rationnelle de ceux-ci, pour satisfaire la demande de leurs lecteurs. Et il ne faut pas s’étonner de l’apparition de médias extrêmement partisans, comme fox news. Surtout, ce n’est pas dans les médias que l’on trouvera facilement de quoi contrer les préjugés répandus dans la population. On peut se demander comment se situent les médias électroniques, comme les blogs, dans cette perspective.

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Alexandre Delaigue

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8 Commentaires

  1. Ce dont vous parlez semble normal. Ce qui peut faire râler, c’est plus quand le directeur d’un journal est viré alors qu’il a manifestement pris des décisions qui maximisaient le profit de sa boîte (les photos de Cécilia et son amant, j’imagine que c’était super vendeur). Ceci n’a pas forcément de rapport avec les interactions stratégiques avec les lecteurs.

    Par ailleurs, cela peut mettre un certain temps pour que les médias se calent sur les préférences de l’électorat, et il n’est pas illogique qu’un candidat passé en 2 mois de 6% à 15% dans les sondages n’ait (presque) pas de journal qui s’adresse à ses sympathisants.

  2. Bien d’accord avec ce que tu avances potentiellement sur les blogs. D’ailleurs, pour éviter de me complaire dans mes préjugés, je ne lis plus que ce blog.

  3. Ce blog a aussi une stratégie rationelle pour attirer les lecteurs : il n’est lu que par des affreux ultra-libéraux sans sentiments.

    On y trouve des liens honteux vers textes de Hayek; des références à Friedman, des pamphlets contre la PAC, des attaques contre la politique industrielle, des diatribes anti-protectionnistes, des analyses couts-benefices de tout et n’importe quoi, de la théorie des jeux appliquée en plein été alors que la glace polaire fond 😉

    Et puis quoi encore ? Des attaques contre le grenelle de l’environnement? Oseriez vous critiquer le gouvernement alors qu’il fait tout pour nous proteger de la chine et des USA qui polluent plus que nous grace à leur monnaie sous-évaluée?

    Sans mentionner le prétendu prix nobel éconoclaste… vous allez surement encore le donner à un affreux libéral, mais là vous nous aurez pas, on sait que c’est pas un vrai prix nobel !

  4. Je me demande si le biais le plus important (en ce qui concerne les médias) n’est pas tant de savoir s’ils parlent depuis la droite, le centre ou la gauche, que leur effet d’agenda. Renforcé par un comportement moutonnier (AFP > Le Monde > Titres du 20h, etc…), les medias, toutes tendances confondues, ont un pouvoir énorme en terme d’imposition des thématiques, à un moment donné (les marroniers participent de ce phénomène, mais celui-ci ne se résumme pas qu’à cela).
    Ca me rappelle notamment la petite phrase du porte-parole de Bush qui répondait à la question "pourquoi partir en guerre en Iraq au printemps 2003" en disant que partir en plein milieu de l’été n’était pas vendeur…

  5. Mais de quelle presse parlez vous au juste ? Votre intro indique "les journaux d’opinions politiques diverses" mais la suite de votre texte est ambigü. Pour preuve, le commentaire de Pierre qui n’hésite pas à parler d’un évènement qui na rien d’une opinion politique. Idem pour les blogs ! Cette manie de lier les blogs à la presse n’a pas de sens quand on reste dans ces généralités.

  6. la plupart des blogs qui traitent de l’actualité ou font de l’analyse, du débat, etc, même si leur survie ne dépend pas forcément d’annonceurs ou de l’achat des lecteurs, dépendent encore de l’investissement, disons symbolique, de leurs lecteurs. Il y a des investissements de légitimité : importance de la visibilité sur la toile, sérieux des contributeurs ; qui modère et qui se fait modéré ; il y aurait un travail ethnographique à faire sur les comportements des actants dans les forums, les commentaires, etc. Il y a donc une circulation et/ou accumulation d’un certain "capital symbolique" pour reprendre un terme de Bourdieu. Tel contributeur sera considéré comme "légitime" en fonction de ses interventions précédentes, sa cote de popularité, son pedigree (s’il est visible); on peut aussi vouloir correspondre à ce qu’on pense être une attente des lecteurs sur un blog.
    Question à propos de l’étude de Yale : recevoir gratuitement un journal suppose-t-il qu’on le lise nécessairement ? et comment le lit-on ? de plus le rapport à l’écrit, aux journaux, n’est-il pas déterminé par certaines pratiques culturelles liées au profil des individus ? J’ai survolé le texte des chercheurs de Yale, mais je n’ai pas vu de tableaux sur le CSP des enquêtés ; qu’il y ait une grande différence dans le rapport à la télé et à l’écrit provient aussi des habitudes culturelles des actants, non ?

  7. Mais si les medias rationalisaient (economiquement) leur demarche, s’ils se
    partageaient le marche, on aurait eu plus de 50% de medias nonistes en 2005,
    ou ~65% de medias reclamant un referendum aujourd’hui… Ce qui n’est pas le
    cas. Une analyse des biais mediatiques ne peut donc aps etre portee par la seule
    analyse economique. Il faut prendre en compte le champ journalistique de
    maniere un peu plus large : processus de formation, de recrutement, etc.

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