Note de lecture


La bourse ou la vie
P. Labarde & B. Maris (2000)

Ben moi je n’ai pas trop aimé le dernier Maris. Je l’ai trouvé superficiel et au bout du compte assez creux. Je m’étais récemment réconcilié avec Maris avec son “Keynes l’économiste citoyen” qui n’était pas mal, mais “La bourse ou la vie” m’a déçu. Sur le fonds, je le trouve léger. On a droit à la sempiternelle critique des fonds de pension mais sur laquelle
ce bouquin n’apprend pas grand-chose de neuf, il ne fait que compiler des trucs déjà connus. Surtout, cette partie qui fait le coeur du bouquin contient pas mal de longueurs à mon avis inutiles.
La critique de la nouvelle économie est assez pauvre aussi. Et la critique de la bourse porte surtout sur la situation française, présentée de façon très schématique et généralisée au monde entier. Alors que précisément il y a des différences entre pays. La France est le seul pays dans lequel la répartition du PIB est passée de 70-30 travail-capital à 60-40 dans les 20 dernières années. Alors que cette répartition est restée constante partout ailleurs, même aux USA! Doit-on en conclure que les USA sont moins favorables aux capitalistes que la France? C’est là qu’il faudrait réfléchir. On a droit ensuite à un couplet sur la “démocratie des actionnaires” critiquée d’autant plus facilement que personne n’a jamais dit qu’il fallait remplacer le suffrage universel par “une action, une voix” dans nos organisations sociales. Il faut lire le dernier bouquin de P. Manière “Marx à la corbeille” qui apporte un excellent antidote à cette idée. Ce bouquin est un reportage sur le nouveau rôle des actionnaires, et montre bien de quoi il s’agit : Il y a un pouvoir qui est disponible, mais qui n’est pas utilisé, le pouvoir assis sur les actions. En France, on favorise les placements étatiques, les placements intermédiés, qui font que les épargnants n’exercent pas le pouvoir que leur confère les titres qu’ils détiennent de façon indirecte. Or, si on veut que les entreprises agissent plus en accord avec des règles de “citoyenneté” pourquoi ne pas exercer le pouvoir liés aux titres? C’est infiniment plus efficace que de faire confiance à l’Etat qui est cul et chemise avec les entreprises. Le cas Total est à ce titre frappant. Total bénéficie d’une impunité intégrale pour son attitude en Birmanie, alors que les entreprises américaines, poussées par des fonds éthiques, ont arrêté tous leurs investissements dans ce pays. Je dirais même plus : récemment, des mouvements sont allés à l’assemblée des actionnaires de total pour manifester contre son attitude en Birmanie. Mais ils ont été cantonnés à la porte, ce qui nous a valu des articles hystériques dans Charlie Hebdo. Ces organisations seraient allées voir des fonds de pension US, auraient elles-mêmes acheté des titres Total, elles pouvaient au cours de l’assemblée des actionnaires demander des comptes et avoir des résultats. Si on refusait de les écouter, elles pouvaient porter plainte et gagner! Pourquoi ne l’ont elles pas fait? Précisément à cause du discours hystérique anti-marché des Maris et consorts. Acheter des actions, aller à une assemblée d’actionnaires, c’est le Mal. La posture consistant à rester dehors et à glapir “salauds de capitalistes avides de profit” est infiniment plus confortable. Mais nettement moins efficace.
Et c’est le reproche principal qu’on peut faire à cette gauche : en restant dans des discours, en refusant par principe le fonctionnement de la société, on est dans une posture confortable, celle ce la critique tranquille, mais on ne fait pas progresser les choses. Janover (“Voyage en feinte dissidence”) montre très bien à quoi conduit cette attitude : à se faire au bout du compte les alliés objectifs du capitalisme dans ce qu’il a de pire. Et le Maris sombre sans arrêt dans ce travers. Il nous inflige des diatribes anti-marché qui ont peut-être du charme dans certains milieux, mais qui ne mènent à rien. Comment réduire la pollution? Comment réduire le chômage? Comment améliorer la situation des plus malheureux? Aucune réponse à ces problèmes dans ce bouquin. Par contre, la haine du marché, du fonctionnement de la société, et un discours finalement défaitiste sur le thème “le marché est une saloperie, mais on ne peut rien y faire parce que c’est le Mal”. Et la fin du bouquin touche au grotesque. On a droit à “il faut remettre l’homme au centre de l’économie” (tout livre qui écrit cette connerie devrait AMA être mis au pilon dans la minute 🙂 ) et “il faut réinventer une économie solidaire entre le marché et l’Etat, une économie pour le bonheur de l’humanité”. Ce genre de débilité, de lieu commun, on nous l’inflige ad nauseam en permanence. Mais il faudrait se demander, pourquoi ce genre de discours n’a jamais permis l’apparition de ladite économie “solidaire” et pourquoi personne n’en a quoi que ce soit à faire. Et si les gens avaient tout simplement envie de bosser dans une de ces viles entreprises capitalistes, pour toucher un salaire? Et si les gens aimaient bien les bagnoles, les ordinateurs, les supermarchés qui sont quand même plus pratiques pour faire ses courses que les marchés bio et végétariens? Se poser ce genre de question, c’est se replacer dans la réalité pour chercher à l’améliorer.
Autre fiche sur le même livre.
Alexandre Delaigue
24/06/2000

P. Labarde & B. Maris, La bourse ou la vie. , Albin Michel, 2000 (12,92 €)

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