Note de lecture


L’argent du football
Luc Arrondel & Richard Duhautois (2018)

“De toutes les choses qui n’ont aucune importance dans la vie, le football est celle qui compte le plus.”
Jorge Alberto Valdano

Il ne vous aura pas échappé que le football occupe, parmi les sports, une place à part dans l’imaginaire collectif. Et l’argent du football a désormais une place à part dans cette place à part. Salaires des joueurs, montant des transferts, prix des places au stade, des abonnements aux chaînes de sport ou des maillots fabriqués par des multinationales aux pratiques décriées en matière de conditions de travail et de rémunération font le bonheur des documentaires à sensation et autres articles marronniers. Le propos de l’ouvrage de Luc Arrondel et Richard Duhautois, économistes mais, avant tout, fans de football, est de remettre les choses à plat ; raisonnablement.

En cinq chapitres sur les propriétaires de clubs, la place des joueurs, le rôle des supporters et quelques suggestions en matière de réglementation financière dans le football, ils chiffrent et décryptent les rouages économiques et financiers du football professionnel actuel. Théorie, statistiques, études de cas et histoire du sport sont la matière première d’un texte riche qui ramène à certaines réalités et fait une synthèse nourrie et efficace sur ce sujet.

Qui possède les clubs et que rapportent-ils ?

La première idée commune autour du foot business est que c’est un gros business. Pourtant, à y regarder de plus près, ce n’est pas le cas. Les plus grands clubs européens réalisent des chiffres d’affaires annuels qui se situent aux alentours de 500 ou 600 millions d’euros. Conforama réalise par exemple un CA environ trois fois supérieur à celui du Real Madrid et un club moyen de Ligue 1 génère un chiffre annuel de 47 millions d’euros, soit “deux fois moins que celui d’un hypermarché Carrefour moyen”. Le foot n’est donc pas un gros business. D’autre part, il n’est guère rentable. Les profits des clubs sont assez faibles en moyenne. Et les clubs les plus performants sportivement sont loin d’être les plus rentables.

(Note : les “mutations” représentent les opérations de transferts)

Cette modeste rentabilité peut s’expliquer par le fait que si l’objectif d’un club est de remporter des victoires, une forme de course aux armement se met en place pour acquérir les meilleurs joueurs et cette surenchère consume les profits. Les travaux sur le sujets montrent précisément que gagner est un objectif qui domine la rechercher du profit. Pas pour tous les clubs, mais c’est un résultat qui tient en moyenne. “Empiriquement, les clubs au gros palmarès ont tendance à davantage maximiser leur profit (les succès passés peuvent ‘compenser’ le manque de succès actuel), tout comme les clubs où le pouvoir est fortement concentré. Le secteur d’activité des présidents de clubs joue également un rôle, ceux exerçant par exemple dans le bâtiment privilégieraient plutôt les victoires, cet effet s’expliquant sans doute par les retombées économiques pour le propriétaire d’un club qui gagne.”.

Dans l’ensemble, les clubs professionnels de haut niveau sont détenus par des entrepreneurs, généralement très riches. Les raisons de détenir un club de football pour ces propriétaires sont diverses, d’économiques à très personnelles : comme complément à un investissement local, afin d’en tirer une reconnaissance sociale ou politique, en faire une forme de consommation ostentatoire ou par pure philanthropie, dans un esprit de mécénat.

Que vaut un club ? Arrondel et Duhautois montrent que, dans cette activité plus que d’autres, l’évaluation de la firme est très complexe. Ils retiennent différents critères d’évaluation pertinents qui, concrètement, ne permettent pas de dégager à coup sûr une valeur de marché qui se vérifie lors d’une revente. Les auteurs résument les critères d’évaluation :

“La valeur d’un club dépend finalement de plusieurs facteurs. Des facteurs démo-économiques puisque le revenu moyen de la zone géographique a un effet positif et la densité du bassin de population un effet négatif : le premier traduit une potentialité économique alors que le second résume le fait que certains grands clubs ne se situent pas systématiquement dans des zones de haute densité de population. Le résultat d’exploitation a également l’effet positif attendu. Concernant l’impact des trophées et du passé des équipes, c’est plutôt le palmarès des clubs au niveau national et leurs performances en Ligue des champions qui en augmente la valeur plutôt que la simple ancienneté. Au niveau sportif, la valeur de l’effectif joue également un rôle important sur le prix du club ainsi que l’affluence au stade. On constate également que les clubs ayant un propriétaire privé sont plus valorisés et que l’arrivée d’un investisseur étranger (Liverpool, Manchester City…) renchérit encore plus l’équipe achetée.”

D’où vient l’argent du foot et à quels clubs va-t-il ?

Les ressources des clubs sont essentiellement issues des droits de retransmission, de la billetterie, du “merchandising” et du “sponsoring”. Les recettes des clubs des grands championnats européens ont crû depuis 20 ans, comme le montre le graphique ci-dessous.

Les auteurs montrent que dans tous les championnats, les inégalités entre clubs sont importantes et ont eu tendance à croître au cours des vingt dernières années. Au niveau européen, le groupe constitué des “grosses cylindrées” se détache de celui des autres clubs. En France, le rachat du PSG et de Monaco au début des années 2010 a eu un impact important sur les écarts entre clubs. Si certains ont considéré que la domination financière d’un club comme le PSG aurait un impact favorable sur l’ensemble de la Ligue 1, les auteurs soulignent que cela ne se vérifiera que si les droits TV augmentent suffisamment et sont répartis de manière suffisamment égalitaire.

Les ressources financières sont-elles la clé de la performance des clubs ? Oui. Et, en retour, la performance génère des ressources. Le bon sens le laisse penser et les faits le confirment. Néanmoins, en moyenne, la causalité va d’abord des performances vers les revenus car “le football a précédé l’argent du football”.

Quand on analyse l’origine des revenus des clubs et son évolution, on constate sans surprise que les droits de retransmission TV ont progressivement pris une place bien plus importante, à côté notamment des recettes de billetterie ; et ce principalement en raison d’une hausse continue des droits TV (en France, ils ont été multiplié par 7 depuis 1998, Ligue 1 et Ligue 2 confondus). Une tendance générale en Europe, même si d’un pays à l’autre, on constate des différences non négligeables.

Les auteurs notent que c’est la répartition des droits TV qui expliquent les écarts de revenus entre clubs d’un même championnat. Dans les cinq plus gros championnats européens, seule la Premiere League anglaise répartit les droits de façon assez égalitaire entre clubs. La Ligue des Champions, dont le budget est très élevé, accentue ce phénomène, en attribuant de façon peut égalitaire les revenus de retransmission. Pour les auteurs, les ressorts de cette répartition sont à chercher dans le pouvoir de négociation des grands clubs, toujours en mesure de se coaliser pour boycotter la compétition si leurs intérêts ne sont pas suffisamment pris en compte. Or, étant les plus performants, leur participation est vitale pour l’intérêt de la compétition.

L’argent des joueurs

On a vu que le foot est un business somme toute modeste. Les auteurs mettent en évidence d’autres points peu évoqués au bistrot ou dans les salons, quand il s’agit de la rémunération des joueurs. Pour commencer, le football est une activité où la part des revenus attribués aux salariés est plus élevée que la moyenne. D’autre part, les footballeurs professionnels issus des milieux modestes sont bien plus nombreux que dans d’autres métiers. Les inégalités entre joueurs sont élevées, en raison d’un phénomène de “superstars” (concept dû à l’économiste Sherwin Rosen). Partant de l’idée qu’il faut bien payer les joueurs pour attirer les meilleurs, le chapitre 3 tente d’évaluer la pertinence empirique de cette hypothèse.

L’essentiel de la croissance des revenus des joueurs professionnels peut s’expliquer par la hausse des plus hautes rémunérations. Peu de joueurs ont des carrières longues et très rémunératrices. La masse connaît des rémunérations bien plus faibles, pour des carrières assez courtes.

Quel lien existe-t-il entre inégalités individuelles et performances collectives ? Dans le foot, la réponse à cette question n’est pas tranchée. Comme dans toute production collective, en matière d’effort, les incitations individuelles ont des effets positifs (émulation) et négatifs (baisse de la cohésion). S’appuyant sur les quelques travaux existant sur le sujet, ils tendent à conclure qu’il existe “une relation en forme de U entre la dispersion salariale et les performances sportives : à talent moyen équivalent, les équipes qui connaissent une répartition salariale très égalitaire ou très inégalitaire ont de meilleures performances que les équipes dont la dispersion salariale est moyenne. Cela réconcilie finalement les deux visions théoriques, puisque la répartition très égalitaire renforce la cohésion et la répartition très inégalitaire incite à l’effort. Les équipes auraient donc intérêt à éviter ‘l’entre-deux’ qui nuirait à la fois à la cohésion et à l’incitation.”.

Arrondel et Duhautois soulignent le caractère endogène d’une masse salariale élevée. Pour le dire simplement, l’écart de revenus entre première et deuxième division est élevé. Rester en première division ou y accéder est un enjeu majeur pour les clubs. Dans les deux cas, cela passe par un investissement important. En haut de la première division, la perspective de capter les revenus de la Ligue des Champions a le même effet. De ce point de vue, le système de promotion-relégation (nombre de clubs promus et relégués chaque année) influence les stratégies des clubs, en modulant le niveau de concurrence (moins de risques de relégation, c’est moins de pression concurrentielle, donc moins de dépenses).

Des salaires élevés sont bel et bien la condition de performances élevées. C’est ce que montrent les statistiques. À ceci près que cette relation est bien plus marquée pour les clubs de première division. L’explication est simple : il y a un écart de masse salariale bien plus important entre clubs de première division qu’entre clubs de deuxième division. “Ce ne sont pas les différences de quelques millions d’euros qui font la réussite sportive mais bien les différences de rémunérations très importantes, c’est-à-dire lorsque les équipes sont constituées essentiellement de joueurs bien payés, souvent des stars.”.

Une tendance lourde expliquant l’inflation des salaires a été l’accroissement de la mobilité des sportifs. Cet aspect a également un impact sur la “division du travail” entre championnats, en ce qui concerne la formation. Les championnats riches (comme le championnat anglais) achètent des joueurs sans en former. Les autres (comme le championnat français) forment des joueurs pour tirer des revenus de leur vente.

Faut-il faire signer des contrats courts ou longs aux joueurs pour maximiser leurs efforts (et performances) ? Y a-t-il un risque d’aléa moral ? La réponse est mitigée. Certains travaux montrent que les performances tendent à croître la dernière année de contrat (ce qui milite pour des contrats courts) alors que d’autres avancent le contraire…

La fiscalité détermine-t-elle le niveau des championnats en modifiant les choix de mobilité des joueurs ? La réponse est ici aussi nuancée et résumée ainsi par les auteurs : “Finalement, si le critère financier existe dans le choix de mobilité d’un footballeur, ce n’est sans doute pas la fiscalité des pays européens qui fait la différence car les clubs et les États peuvent (…) faire en sorte que le revenu disponible du joueur soit le plus important possible. En revanche, le coût global du travail pour les clubs est une contrainte qui introduit une distorsion de concurrence en Europe. Mais cela ne concerne pas que le foot…”.

Économie des supporters

Première leçon. Si vous voulez remplir votre stade, il y a des trucs : ayez une équipe performante, arrangez vous pour que le spectacle soit de bonne qualité (ça dépend aussi de l’adversaire), installez les supporters confortablement, fixez les prix selon l’élasticité au prix moyenne de la demande des supporters, préservez l’incertitude du résultat (pas comme en Ligue 1 avec le PSG) et évitez que le match soit retransmis à la télévision (surtout quand il pleut). Point importantissime : le fait de vendre de la bière dans l’enceinte du stade ne changera pas beaucoup l’affluence (mais accroîtra notablement les recettes).

Deuxième leçon. Si vous voulez un stade plein, allez plutôt en Allemagne et en Grande Bretagne ; évitez l’Italie et la France.

 

Football : quelle régulation ?

Le dernier chapitre apporte des analyses et suggestions en matière de réglementation du football professionnel. J’en donne ici quelques exemples.

Faut-il instaurer un plafonnement des salaires (salary cap) ? Les auteurs considèrent que c’est difficilement réalisable. Quand il existe (MLS américaine), des exceptions réduisent sa portée effective. Mais la limite la plus importante porte sur le fait qu’il doit être appliqué dans tous les grands championnats, sous peine de voir les meilleurs se ruer dans les championnats où une telle réglementation ne serait pas appliquée. Une question proche se pose en matière de charges sociales, du reste.

Sur le “fair play financier“, les auteurs adressent trois critiques : il pénalise des clubs financièrement sains, limite l’entrée d’investisseurs dans le football (alors que les perspectives réelles de profits les y incitent) et a du mal à être appliqué (les dernières tribulations du PSG le montrent).

Faut-il lutter contre une bulle spéculative dans le foot professionnel ? Pour les auteurs, non. Il n’y a pas lieu de parler de bulle. “La définition d’une bulle ne correspond pas à la réalité de l’économie du football. D’une part, la logique qui préside à la fixation du prix des joueurs les plus chers n’est pas essentiellement basée sur le fait que tel joueur coûtera plus cher plus tard. Au contraire, les clubs achètent les joueurs les plus chers en espérant les rentabiliser pendant la durée de leurs contrats, avec tous les mécanismes de marketing à l’œuvre et avec les performances sportives.”. Et ce sont les petits clubs qui sont les plus à risque quand il s’agit de transferts, sur des montants relativement faibles dans l’absolu, mais importants pour leur budget limité. D’autre part, quelle urgence y a-t-il à lutter contre une éventuelle bulle dont les retombées sur l’ensemble de l’économie serait très très limitées, compte tenu de la petite taille du secteur ?

Dans le domaine des transferts et prêts de joueurs, les auteurs montrent que les ventes de joueurs, en pourcentage de la mobilité, sont assez minoritaires (11%, contre 68% pour les joueurs en fin de contrat et 21% pour les prêts). La limitation des prêts aurait plus d’inconvénients que d’avantages. En revanche, il serait intéressant de limiter les effectifs professionnels (pour éviter une trop forte concentration des talents) ou de limiter le nombres de transferts (départs-arrivées) pour créer un système d’assurance (dans la stabilité) aussi bien pour les clubs que les joueurs.

L’argent du football est un texte très documenté qui fait un large tour des problématiques du foot business. Facile d’accès, il réussit à éviter que son riche contenu statistique en fasse un livre rébarbatif. Il démonte limpidement certains lieux communs et donne accès à des informations que le fan de football lambda peinerait à se procurer sans un investissement en temps conséquent. Pour toutes ces raisons, c’est une lecture que je recommande, au moins pour ceux que le jeu intéresse.

Stéphane Ménia
11/11/2018

Luc Arrondel & Richard Duhautois, L’argent du football. , Les éditions du Cepremap, 2018 (12 €)

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